Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

Economie et Politique - Revue marxiste d'économie
Accueil

Audition du PCF représenté par Marie-Claire CULIE (membre de la direction) et Marie-France BEAUFILS (Maire et Sénatrice) par Mr. SANTINI Secrétaire d'Etat chargé de la Fonction Publique

le 30 June 2008

Je tiens tout d'abord à vous présenter les excuses de Madame BUFFET, qui regrette de ne pouvoir assister à notre entretien, retenue par ses responsabilités.

Vous avez souhaité nous auditionner à l'occasion de la remise du Livre blanc sur l'avenir de la fonction publique, livre qui a fait suite d'après votre lettre d'invitation dont je vous remercie, livre qui fait suite donc à un débat que Monsieur le Président de la république souhaitait large et ouvert. Peut-on qualifier les conférences de ces adjectifs ? Je ne le pense pas mais j'y reviendrai un peu plus tard si vous me le permettez. Dans le débat politique instauré nous faisons partie de celles et ceux qui pensent que la fonction publique et les services publics doivent être profondément revus pour correspondre à la société d'aujourd'hui. C'est pourquoi nous proposons un élargissement de la réponse publique aux besoins qui font de nos citoyens des être libres et égaux en droit, élargissement mais également modernisation car avec l'évolution des sciences et des techniques les possibilités de réponses aux attentes évoluent en permanence et nous avons beaucoup pris de retard en ce domaine guidés par le dogme des économies qui coûtent très chers à nos concitoyens et concitoyennes. Et le dernier critère de nos proposition est, celui indispensable à l'efficacité de la réforme, à savoir la démocratisation non seulement dans le débat préparatoire mais également dans la gestion. Donc, Le livre blanc sur l'avenir de la Fonction publique réalisé sous la responsabilité de Jean-Ludovic Silicani, conseiller d'Etat est rendu public depuis le 17 avril 2008.

Ce rapport avance une quarantaine de propositions « pour moderniser les services et la fonction publique en France ».

Plusieurs de ces propositions sont connues et ont déjà fait l'objet de rapports et de projets de concertation toujours dans le but de modifier en profondeur la fonction publique et le statut des fonctionnaires.

Reviennent ainsi sur le devant de la scène la conception d'une « fonction publique des métiers », la reconfiguration de la « rémunération des fonctionnaires selon 3 composantes », une part fixe et deux parts variables liées à la fonction exercée et aux résultats et la contractualisation en lieu et place du fonctionnariat, cette dernière situation relevant d'une position statutaire et réglementaire.

Permettez-moi de vous dire que, loin des objectifs annoncés, ce livre blanc en lien avec la RGPP est une véritable machine de guerre contre la fonction publique et les services publics. C'est ainsi que le 4 avril, à l'occasion de la seconde réunion du comité de modernisation, un nouveau volet de 166 mesures devant se traduire par 7 milliards d'économies dès 2009, a été adopté. Elles font suite à un premier train de 96 dispositions arrêtées le 12 décembre 2007 et au gel de 7.2 milliards d'euros.

Deux préceptes : la mise en chantier d'un plan social inégalé sur la période 2008/2012 et la réalisation d'une réforme de l'Etat à ce jour sans pareil du point de vue de la remise en cause des missions publiques que ce soit dans leur contenu, dans leur organisation ou dans leur accomplissement.

La RGPP est au fond une entreprise qui vise à éplucher une à une toutes les missions de l'Etat, jusqu'à revisiter les valeurs fondatrices. Cela dans la double intention d'en réduire le coût et de faire du territoire national un espace de plus libéré de toutes les contraintes pour le plus grand bonheur de la finance et de sa rentabilité. Dans un tel carcan idéologique, toute autre conception, comme celle par exemple qui consisterait à évaluer les politiques publiques afin de les faire évoluer pour offrir un meilleur service à l'ensemble des citoyens et en accroître l'efficacité, est non seulement hors de propos, mais totalement antinomique avec cette réforme. Comment s'en étonner lorsqu'on se base sur les déclarations gouvernementales ne parlant que de réduction de dépenses publiques.

Tous les Ministères sont concernés. Pour la plupart d'entre eux il s'agit de transformations profondes concernant la finalité des missions et les statuts des personnels, avec à la clef, systématiquement, des suppressions d'emplois, ce qui justifie la mobilisation des personnels. Tout cela pose des préoccupations de localisation des activités, de cohésion sociale, d'habitat, de grands aménagements, de transport des personnels et des marchandises. La logique de concurrence et de privatisation en cause concerne les autoroutes, les ports, les voies navigables, les aéroports, les missions permis de conduire et permis de construire,… Cette logique est antinomique avec la maîtrise publique et le développement durable. Toutes les missions sont concernées. Dans ces domaines, l'indépendance et y compris les fonctions de contrôle et de police sont menacées par des sociétés privées, à l'affût de nouveaux gisements de profit.

Or choisir le « privé » ou le « public » cela renvoie au financement, à l'impôt, au droit d'accès au service pour tous, au paiement du service rendu, à l'abandon des missions de recherche et à toute prospective d'intérêt général.

L'atomisation de la Fonction publique : point nodal de la RGPP. Présenté le 18 mars 2008 devant le Conseil Supérieur de la Fonction publique et adopté en conseil des Ministres, le 9 avril, un projet de loi relatif à la mobilité et aux parcours professionnels dans la Fonction publique pose les fondations d'une réforme explosive. Le credo du Président de la République : « des fonctionnaires moins nombreux et plus mobiles ». C'est ainsi qu'il compte parvenir à assainir les comptes publics comme il l'a réaffirmé le 4 avril devant les haut fonctionnaires du comité de modernisation réuni à Bercy : « l'équilibre de nos finances publiques dépend de notre capacité à réduire les effectifs ». Concrètement cela signifie que le non remplacement d'un départ de fonctionnaire à la retraite sur deux, principe activé en 2008 sera confirmé en 2009, soit la disparition de 35000 emplois de fonctionnaires. A l'échéance des trois prochaines années ce sont 105000 emplois de fonctionnaires qui pourraient ainsi passer à la trappe. Il faut en briser la colonne vertébrale, c'est-à-dire le Statut des fonctionnaires.

Il est évident à la cadence où risquent de s'enchaîner les réformes de structures et d'être annoncées les fermetures de postes budgétaires, qu'en rythme annuel, la seule non compensation de 20% des départs à la retraite ne suffira pas à pallier l'évaporation globale des emplois correspondants. Il faut donc trouver le moyen adéquat de répondre à cette situation. C'est le sens profond du projet de loi relatif à la mobilité et aux parcours professionnels dans la Fonction publique.

Tout un programme que ce Livre Blanc sur l'avenir de la Fonction publique, rédigé à la demande du gouvernement, confirme largement et prolonge en mettant l'accent sur la nécessité d'introduire le contrat comme nouveau type de relation sociale, d'augmenter la part aléatoire de la rémunération (le « mérite ») de faire de la performance et de « l'efficacité » les nouveaux critères d'évaluation des agents…. En outre, il est envisagé de supprimer les concours internes pour les remplacer par un bilan de compétences, voire même, de soumettre l'évaluation des fonctionnaires à l'appréciation directe des usagers. La remise en cause du statut de la Fonction publique dont le premier objectif est de sacrifier l'emploi public fait parallèlement peser de lourdes menaces sur la qualité des missions publiques pour ne pas dire tout simplement sur leur existence. Car les attaques dirigées contre le statut des fonctionnaires et portées finalement contre l'ensemble des emplois publics percutent de plein fouet l'idée fondatrice de la Fonction publique et des services publics : l'intérêt général. La notion d'intérêt général repose en effet sur les trois principes fondamentaux que représentent l'égalité d'accès et de traitement de chaque citoyen, l'indépendance du fonctionnaire vis-à-vis du politique, la responsabilité de chaque fonctionnaire en tant qu'agent public, mais aussi comme citoyen de rendre compte de son administration devant ses concitoyens. . Abattre le statut de la Fonction publique c'est inévitablement introduire un profond coin dans la notion même d'intérêt général ouvrant la voie aux intérêts particuliers c'est-à-dire à la loi du plus fort. Ce qui, rapporté à l'état actuel de la société, signifie laisser toute latitude aux intérêts de la bourgeoisie financière. Du jamais vu depuis 1946 ! Les vannes sont grandes ouvertes à une atomisation des règles de gestion des fonctionnaires qui entreraient ainsi dans une ère de précarité inconnue depuis plus de soixante ans.

Dans la conception française, l'intérêt général ne saurait donc se réduire à la somme des intérêts particuliers ; il est d'une autre qualité, associé à la constitution ancienne de l'État-nation, à la forme centralisée que celui-ci a rapidement pris, et aux figures historiques qui l'ont incarné tels Richelieu, Colbert, Robespierre, Napoléon ou de Gaulle.

Pendant longtemps, la notion de service public a été caractérisée par la réunion de trois conditions : une mission d'intérêt général, l'intervention d'une personne morale de droit public, un droit et un juge administratifs. Son objectif n'était donc pas la seule rentabilité, mais l'accomplissement de missions diverses ressortissant à l'idée que le pouvoir politique se faisait de l'intérêt général. Les sujétions de services public correspondantes devaient faire l'objet d'un financement par l'impôt et non par les prix, ce qui entraînait, en contrepartie, l'existence de prérogatives de service public telles que, par exemple, la responsabilité de l'État ne pouvait le plus souvent être recherchée que sur la base d'une faute d'une certaine gravité.

Cette conception de base, simple à l'origine, s'est complexifiée sous l'effet d'un double mouvement. D'une part, le champ du service public s'est étendu à de nouveaux besoins, à des activités jusque-là considérées comme relevant du privé (régies, services publics industriels et commerciaux). D'autre part, des missions de service public ont été confiées à des organismes privés (assurances sociales et sécurité sociale, compétence en matière disciplinaire d'ordres professionnels ou de fédérations sportives, concession et délégation de service public). En outre, l'extension du secteur public, base matérielle d'une partie importante du service public, a rendu l'un et l'autre plus hétérogènes. Le service public économique s'est plus franchement distingué du service public administratif. De nombreuses associations ont proliféré à la périphérie des personnes publiques, notamment des collectivités locales. Le champ ouvert à la contractualisation a affaibli l'autorité du règlement.

La question posée est donc bien celle de la refondation du service public pour la société d'aujourd'hui au-delà de tout dogme.

Que le service public doive s'adapter ne fait pas de doute, c'est même la condition d'application du principe de continuité. Mais la refondation du service public économique, appelée notamment par le progrès technique et la mondialisation, est inséparable de celle de sa base matérielle essentielle, le secteur public.

Les grandes entreprises publiques ont été constituées au lendemain de la seconde guerre mondiale, sur la base d'un principe de spécialisation leur conférant un monopole de production. Cette idée et ce secteur s'adaptant au fur et à mesure ont permis à notre pays de se situer aujourd'hui parmi les plus développés du monde. Cela a été possible grâce aux dirigeants politiques qui furent de véritables visionnaires quand, avec le programme du Conseil National de la Résistance, ils sortirent de la loi capitaliste les secteurs essentiels pour la dignité humaine (la santé) mais aussi pour le développement économique (l'énergie, les transports etc…). Ensuite, ces entreprises ont acquis un savoir-faire dans un grand nombre de domaines connexes dont l'exercice est indispensable à leur équilibre financier. Cette évolution a conduit à définir de nouveaux concepts et à prévoir qu'une « certaine marge de diversification » était admissible, autorisant, par exemple, EDF à développer des activités d'ingénierie, mais non de télésurveillance. La complexification du service public se manifeste aussi de multiples façons : difficulté grandissante à rendre compatibles les différents schémas d'aménagement du territoire, opacité des documents soumis aux enquêtes en vue des déclarations d'utilité publique (ce qui oblige à rédiger des résumés non techniques des études d'impact), multiplication des lois « transversales » (eau, montagne, littoral, air) parfois mal articulées aux lois déjà existantes. Les justifications du service public reposent sur l'idée que c'est en son sein que l'on rencontre les tâches les plus nobles, car finalisées par l'intérêt général, et les plus difficiles, en raison de l'ampleur des processus de socialisation qui s'y développent. Le service public aurait ainsi une vocation spécifique à servir de référence en matière de modernité (poids des dépenses de recherche, progrès de la science économique, de l'informatique, Concorde, Airbus, TGV, etc.), de rationalité (choix multicritères, gestion prévisionnelle des effectifs, rationalisation des choix budgétaires, évaluation des politiques publiques) et d'équité (relations administration usagers, accès aux documents administratifs, motivation des actes administratifs). La demande de service public n'a cessé de croître au cours des dernières décennies, en relation avec la crise de l'État-providence, les atteintes à la cohésion sociale, le développement de l'exclusion, notamment dans les domaines de la sécurité, de la justice, de la solidarité sociale et de la diffusion du savoir. Seul le service public peut développer sur le long terme les politiques publiques nécessaires en ces domaines.

La réponse libérale a consisté en une assez large dérégulation. Un transfert de pouvoir réglementaire a été opéré en faveur d'autorités administratives indépendantes sans que l'activité réglementaire globale diminue pour autant. Des services administratifs ont été transformés en établissements publics administratifs, en établissements publics industriels et commerciaux et, souvent, en sociétés commerciales à capitaux d'État, mixtes ou privés. De nouvelles catégories d'établissements publics ont vu le jour (La Poste et France Télécom). Dans le même temps, la faible croissance a mis en difficulté les budgets sociaux et a conduit, malgré la pénurie des moyens, à multiplier les organismes de transferts sociaux et de solidarité.

Sous couvert de modernisation, le récent Conseil de modernisation des politiques publiques qui s'est tenu le 14 décembre dernier a, parmi les 96 mesures de réforme de l'État qu'il a retenues, prévu : la suppression du Haut conseil du secteur public, du Comité d'enquête sur les coûts et les rendements des services publics, du Conseil national de l'évaluation, du Haut Conseil à la coopération internationale, de huit des neuf centres interministériels de renseignements administratifs (CIRA). Ces suppressions venant après l'intégration de la direction de la Prévision dans la Direction générale du Trésor et de la politique économique et surtout l'emblématique disparition du Commissariat général du Plan créé au lendemain de la Libération, montre la volonté du pouvoir de supprimer tout instrument de pensée économique rationnelle et son abandon aux lois du marché. Car c'est bien cette idée qui est le socle de la réforme proposée. Nulle part nous n'avons pu trouver un début de volonté de répondre aux besoins de notre peuple. Tout au long des réformes présentées ce n'est que litanies de suppression d'emplois et de droits garantissant la neutralité des fonctionnaires et ainsi l'égalité des citoyens. Alors, allez vous me dire, Monsieur le secrétaire d'état, où sont vos propositions ? Je vous sais assez habitué au débat politique pour les avoir perçus dans mes propos mais je me risquerai, en terminant, à une globalisation de nos propositions. Celles-ci d'ailleurs ne sont pas à prendre ou à laisser mais s'appuie justement sur notre première proposition générique : ouvrir un grand débat public pour définir les besoin d'une politique publique de la République Française d'aujourd'hui et de demain. Pour cela le débat ne peut se cantonner aux spécialistes des ministères ou du Parlement. Je vous parle là d'un vrai débat républicain associant évidemment les élus de la nation mais également les élus locaux qui voient ce qui nous reste de services publics fermer les bureaux de poste, les arrêts SNCF, leur maternité ou hôpitaux, les points d'accueils EDF et GDF etc… et qui ont pour autant la mission d'aménager un territoire républicain c'est-à-dire un territoire garantissant l'égalité citoyenne. Comment doivent-ils faire ? On voit là l'importance de leur participation au débat de recensement des besoins. Ces besoins qui font la vie de notre peuple. Ces besoins pour lesquels notre peuple paye un impot c'est pourquoi ce débat doit permettre à chacune et chacun d'y participer et d'y être entendu. Évidemment cela exigera des moyens mais si l'on veut être efficace je ne vois pas d'autre chemin que celui de la démocratie. Et enfin dernière composante du débat celles et ceux qui connaissent le mieux la fonction publique de l'intérieur puisqu'il y passent plus d'un tiers de leur vie : les salariés. Bien sûr vous allez me dire que vous avez reçu les syndicats nationaux. Oui reçus mais au vu de leur réaction les avez-vous entendus ? J'en doute. De plus le débat que nous proposons est décentralisé, ville par ville, département par département et sur le terrain les militants syndicaux ont aussi beaucoup de choses à dire et de propositions à avancer. Si l'on ne veut pas une XI ème réforme de la fonction publique répondant au dogme libéral mais être efficace pour le siècle qui s'ouvre je ne vois pas d'autres chemins possibles que ce grand débat public. Pourquoi ne pas mettre en débat à travers cette consultation populaire des propositions de démocratisation de gestion associant tous les acteurs de ces secteurs ? C'est ainsi que pour les services publics nous proposons une réforme des conseils d'administration qui devraient être composé par un tiers de représentant du personnel, un tiers de représentants des élus et le dernier tiers de représentants d'élus des usagers. Autre sujet est celui de la nécessaire extension du service public à des secteurs relevant du privé, je pense notamment au médicament indispensable à la vie mais également à la question de l'eau. Démocratisation et extension mais également modernisation telle est donc la base de nos propositions pour une fonction publique de qualité. Cela passe à nos yeux par des moyens humains et financiers agrandis. Vous en doutez peut-être, lançons le débat et nous verrons bien. À nous responsables politiques si la démocratie exige ses moyens de les trouver et de les affecter pour répondre aux attentes. Ces moyens la France les a mais ceci est un autre débat.