Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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2012: un progamme écologiste ambigu

Le programme d’EELV (Europe Écologie Les Verts) pour la présidentielle de 2012 est travaillé par une proposition centrale  : assurer la conversion écologique de l’économie. Contre tout espoir, il ne propose pas de mesures permettant de répondre aux besoins réels des gens, qu’ils soient citoyens ou salariés. Plus faible en matière de propositions concrètes que les programmes précédents des Verts, il laisse de nombreux points dans l’ombre : salaires, emploi/chômage,  politique industrielle et politiques publiques, place des services publics et leurs moyens, crise et système financier, rôle de l’Europe…

En fait, une fois de plus, tout concourt à laisser croire que la seule orientation écologique et économe de la société suffira à résoudre l’ensemble des problèmes sociaux et économiques du pays. Cette idée fixe de la réflexion écologiste conduit in fine à élaborer un ensemble d’orientations programmatiques qui, malgré les apparences, s’inscrivent parfaitement dans la logique sociale-libérale de gestion de la crise et de l’économie par un partage de la misère, et s’avèrent en l’état incapables de peser sur l’ordre actuel de la société.

L’analyse du programme écologiste pour la présidentielle de 2012 est un exercice difficile. Tout d’abord parce qu’il n’existe toujours pas à ce jour de programme de l’organisation écologiste rassemblant un corps de propositions fermes et nettes pour cette élection. Les documents supports et publics ne sont constitués que d’un document d’orientations et de notes de cadrage qui ont été utilisés pour les débats organisés en vue d’élaborer ce corpus de propositions claires qui ne vient pas. Ensuite, parce qu’au gré des interventions médiatiques, les interventions de EELV évoluent sur les problématiques  de cette élection. Si le principe de cette évolution est positif, il est une source importante de brouillage des positions d’EELV, jusqu’à parfois mener au « grand écart ». C’est le cas par exemple sur la gestion de la crise de la dette et de l’euro entre les notes de cadrage de l’argumentaire écologiste et la déclaration  d’Eva Joly du 27 octobre sur le dernier Sommet de Bruxelles. C’est pourquoi, nous avons fait  le choix de partir d’une critique des écrits de l’orga-nisation officiellement utilisés dans le cadre de cette élection présidentielle.

Ce que revendique EELV pour la présidentielle de 2012

Volontairement construit sur une démarche participative, le programme écologiste pour la présidentielle n’a toujours pas abouti, à 6 mois des élections, à un corps de propositions fermes et nettes. Il est à ce jour constitué par un texte d’orientations.

Le fil conducteur de ces orientations  peut se résumer à une ambition : assurer la transformation écologique de l’économie.

Cette stratégie déclinée en 5 axes d’orientations  programmatiques peut être synthétisée en 3 corps argumentaires principaux, chacun assis sur un ensemble de propositions éparses et d’inégal niveau :

1. Rompre avec la croissance à tout prix. Cette partie reprend pêle-mêle l’intention de « créer des emplois durables économes en ressources et non délocalisables (emplois verts)  avec celle de «restaurer la fierté du travail en luttant contre la précarité et le harcèlement  au travail ». Elle avance le principe du « partage du travail » et de « la redistribution  des richesses », notamment en réduisant le temps de travail hebdomadaire et en dégageant du temps libre tout au long de la vie. Enfin, elle revendique la « mobilisation des services publics pour défendre  la qualité de l’environnement et du vivre ensemble ».

2. Mettre en place une éco-fiscalité assise sur la contribution climat-énergie dont l’objectif est la réduction des inégalités. Axe central du dispositif écologiste, cette nouvelle fiscalité se veut à la fois un outil de reconversion écologique de l’économie et un outil de justice sociale. Sans plus de détails sur le dispositif fiscal avancé, le texte prône :

 une fiscalité qui relocalise l’activité, supprime progressivement les produits  nocifs, et assure une production anti-gaspillage ;

 une fiscalité qui réduise l’éventail des revenus en limitant par le haut au moyen d’un revenu maximum et en limitant par le bas au moyen d’un revenu universel ;

 une fiscalité qui redistribue plus équitablement la VA (Valeur ajoutée) entre salariés et actionnaires  et lutte contre les paradis fiscaux pour un meilleur partage mondial des ressources de développement ;

 une fiscalité qui consolide la protection sociale.

3. Mieux réguler la finance internationale. Soucieux d’être au cœur de la crise actuelle, EELV s’inscrit dans le concert de propositions visant à « responsabiliser » la finance internationale.  Sans, là encore, préciser les moyens mis en œuvre pour y parvenir, l’organisation écologiste ambitionne « d’interdire les produits financiers risqués et renforcer  les contrôles », « d’instaurer une taxe sur les transactions financières et réduire le taux de rentabilité de la finance ». Parallèlement,  il envisage de « réduire la taille des banques », de « retirer la garantie publique  des dépôts et limiter l’accès aux  marchés  publics  aux banques spéculatives », et enfin comme beaucoup à gauche de« développer un pôle financier public » sans toutefois,  là encore, en décrire sa nature ni son fonctionnement.

Cette stratégie globale passe par la mobilisation des acteurs sociaux et économiques. Pour cela, le texte prévoit de donner  plus de pouvoirs aux salariés et représentants de la société civile dans l’élaboration des stratégies des grandes entreprises et de développer les PME tout en protégeant mieux leurs salariés.

Des intentions programmatiques louables, qu’il faut cependant lire à la lumière des quatre notes de cadrage (1) conçues par l’exécutif d’EELV sur 4 thèmes différents et dispensées dans les « caucus (2) écologiques » qui ont servi à leur élaboration.

Le socle général des orientations écologistes pour 2012

 La première (note 5.2.1) traite des modalités de la conversion écologique de l’économie, en cherchant à mettre en place une politique économique visant une croissance verte. Elle considère que ni la croissance ni la décroissance du PIB ne sont en soi des objectifs à atteindre. La note pose que l’enjeu de la politique publique doit résider dans la recherche d’une combinaison associant une croissance verte, entendue comme croissance de certains secteurs d’activité soutenus par des investissements générateurs de PIB et d’emplois verts améliorant l’efficacité des ressources, et une décroissance d’autres secteurs d’activité. Celle-ci implique

« une diminution globale du volume de consommation des biens matériels  dans les pays du Nord » s’accompagnant

« nécessairement de pertes d’emplois et d’une décroissance du PIB ». Afin d’assurer les investissements  de long terme de cette croissance verte, la note avance en premier lieu la nécessité d’une « réaffectation   des dépenses publiques existantes et la réorientation de la fiscalité ». Puis, elle ajoute la création « d’obligations vertes pour mobiliser l’épargne de long terme sur des investissements verts, garanties par l’État, dont une partie pourrait  être souscrite au niveau européen et financée directement par la BCE ».

Une orientation de la politique économique qui interroge.

À l’heure où le chômage explose dans les pays occidentaux et où la misère s’installe durablement,  les salariés des secteurs dits productivistes et leurs familles apprécieront certainement l’hypothèse de « la nécessaire perte d’emplois ». En outre, à aucun moment cette note – ni les suivantes d’ailleurs – n’ouvre de pistes pour envisager les conditions humaines, territoriales, salariales de cette reconversion forcée de l’économie française. Or l’histoire des abandons ou reconversions sectoriels d’activité, même soutenus  par les pouvoirs publics, est pleine de sinistres territoriaux et salariaux. Sans ce travail en amont associant l’ensemble des acteurs, le risque est donc grand que la décroissance revendiquée du « PIB productiviste » conduise aux mêmes désastres sociaux. D’autant que, sans hypothèse d’une augmentation de la dépense publique, totalement absente des propositions d’EELV, le schéma proposé d’une « réaffectation des recettes publiques » se traduira immanquablement par le siphonage de celles-ci au profit de la seule croissance verte, et donc contre le développement de l’emploi des autres secteurs d’activité, voire contre leur possible adaptation aux contraintes environnementales.

Enfin, le doute est entier sur ces « obligations vertes ». L’imprécision de la formulation laisse grande ouverte la porte à la constitution d’un Fonds d’investissement destiné aux investissements verts qui irait se refinancer sur les marchés  avec la garantie de l’État. Si c’était le cas, la proposition consisterait alors tout simplement à badigeonner de vert les mécanismes financiers qui nous ont plongés dans la crise financière actuelle, en renforçant l’emprise des marchés financiers sur ces investissements. Elle ne changerait pas la règle du jeu, ne forcerait pas les banques à faire leur métier de prêteur en faveur d’investissements socialement utiles, et soumettrait ces investissements aux impératifs de rentabilité financière à court terme des marchés, ce qui en limiterait fortement l’impact, y compris environnemental.

Les trois notes qui suivent déclinent chacune dans un domaine particulier (travail, fiscalité, Europe) les choix à opérer pour contribuer à cette conversion générale de l’économie.

 Ainsi, la note traitant du travail (5.2.2) appelle dans un premier temps à « l’implication  négociée des travailleurs pour relever le niveau de la productivité », considérant que la réforme de l’organisation productive est le premier pas dans ce sens. Elle prône, d’une part, une réforme massive du système de formation tout au long de la vie et la reconnaissance de droits professionnels attachés à la personne par la mise en place d’un « droit à un temps-formation ouvrant sur une classification  supérieure » et, d’autre part, une possibilité d’expression des salariés sur l’organisation du travail et la stratégie des entreprises. Deux propositions à la mode – elles sont formulées presque de la même façon dans le projet du PS – qui ne changent pourtant pas la donne pour les salariés. D’abord parce qu’un droit au temps-formation tout au long de la vie, même attaché à la personne, ne supprime pas le risque d’en faire un outil de gestion des temps de chômage par les entreprises et même par les salariés, s’il ne s’accompagne pas d’une sécurisation des parcours professionnels ouvrant la voie à un dépassement du marché du travail. Ensuite parce que la possibilité d’expression des salariés sur la marche générale des entreprises est déjà inscrite dans les prérogatives des comités d’entreprises, avec toutes les limites qu’on leur connaît, et qu’il faudrait lui substituer un droit d’intervention des salariés sur les décisions de gestion stratégique et d’organisation.

Dans un second temps, la note revendique une répartition sociale de la productivité par une double redistribution en faveur du travail via la réduction de la durée du travail dans tous ses aspects (durée hebdomadaire, retraite, heures supplémentaires), et des revenus sociaux. Positives dans leur principe, ces mesures ont pourtant dans l’esprit de la note des effets négatifs sur la protection  sociale par le mouvement de fiscalisation des prestations qu’elles avancent. Postulant que cette redistribution de la productivité doit s’opérer par une refonte fiscale de la répartition de la valeur ajoutée entre revenus du travail et revenus du capital et de la propriété,  elle affirme que « la participation accrue de ces derniers implique l’abandon du mythe de la [protection sociale] comme salaire différé et une fiscalisation partielle de son financement ». La note faisant alors écho à une autre proposition  des écologistes qui n’est pas explicitement formulée dans les orientations pour 2012 ni dans les notes de cadrage : la fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu. Proposition avancée initialement par le PS, elle vise au nom de l’équité (incarnée par la recherche de progressivité du prélèvement) à fondre dans le budget de l’État une part des ressources de la sécurité sociale. Sans en avoir l’air, cette proposition milite pour un affaiblissement des recettes de la sécurité sociale et un accroissement des prélèvements sur les ménages au bénéfice du budget de l’État. Cela renforcera la voie d’une fiscalisation de la sécurité sociale et d’un désengagement à terme des entreprises de son financement, visant à renforcer leur compétitivité-prix. Une prise de position dont d’ailleurs les écologistes ne se cachent  pas. Dans un autre texte officiel du débat de la présidentielle (3) traitant de la retraite, ils expliquaient que l’on ne peut « se contenter  d’augmenter  les taux de cotisation employeurs [car] cela aboutit  à surtaxer les entreprises  qui emploient de la main-d’œuvre [… et représente] une menace pour la compétitivité et l’emploi. »

 Une position qui fait donc de la fiscalité l’arme majeure du programme écologiste et la clé de voûte de son dispositif économique. Une conception généralisée dans la note traitant de la politique budgétaire à mener (5.2.3). Partant cette fois de l’hypothèse de l’insoutenabilité du déficit public actuel de la France, les écologistes proposent  de réduire ce déficit par trois séries de mesures.

Tout d’abord « en réduisant la dépense publique nuisible à l’environnement et en créant une fiscalité écologique ». Il s’agit ainsi de supprimer  les taux réduits de taxation de certains secteurs (taxi, agriculture, transports routier et aérien…). Et de réduire certains investissements (infrastructures routières notamment) afin de récupérer près de 10 milliards de dépenses budgétaires, en même temps que d’introduire une fiscalité écologique du type de la contribution climat-énergie (CCE) d’un montant de l’ordre de 1 à 2 points de PIB (4).

Deux types de mesures lourdes de conséquences pour l’emploi et les ménages. Car si le relèvement des prélèvements fiscaux dans ces secteurs d’activité est envisageable, il ne peut se faire sans conséquences sur l’emploi qu’au prix d’un soutien public à la reconversion verte (soutien de l’investissement, aides à la recherche publique et au développement…) et d’une pression sur le secteur bancaire afin qu’il réduise ses prélèvements sur l’activité des entreprises, très souvent des PME. Mesures qui n’apparaissent pas dans les notes ni les débats. Quant à la fiscalité écologique sur les émissions carbonées dans l’atmosphère, conçue sur le principe du « pollueur-payeur », elle s’avère être en réalité une écolo-CSG sur les ménages et les collectivités locales plus que sur les entreprises polluantes.  À raison d’un prix de 32 à 45 euros la tonne de carbone estimé en 2010, un Français moyen qui dégage annuellement 2,3 tonnes de carbone dans l’atmosphère se verrait alors imposé à hauteur de 100 euros supplémentaire par an sans pouvoir réellement y échapper. Un prélèvement fiscal sur les ménages en augmentation constante dans la mesure où l’accord du Grenelle sur l’environnement de 2009 prévoyait de relever le prix de la tonne de carbone à 100 euros en 2020 et 350 euros en 2050 pour l’aligner sur les écolo-taxes des autres pays européens. Tandis que de leur côté, épaulées par le système communautaire d’échange des quotas d’émission mis en place en 2005, les grandes entreprises polluantes pourront paradoxalement négocier le prix de leurs émissions sur la bourse d’échange européenne des quotas ou sur le grand marché international du carbone, ou, le cas échéant, reporter le coût de cette taxation soit sur leurs prix finaux soit sur leurs sous-traitants. Des arguments déjà développés dans l’argumentaire du Conseil constitutionnel qui a rejeté le 19 décembre 2009 la proposition de loi portant création de la CCE, qui ne sont pas pris en compte par la proposition écologiste pour 2012.

Autre volet de mesures fiscales, les écologistes proposent de « revenir  sur les baisses d’impôts  accordées aux ménages les plus riches par le gouvernement  Sarkozy » et de « revenir sur les exonérations   et subventions  accordées aux entreprises afin de les conditionner à des objectifs sociaux et environnementaux ».

La hausse de l’imposition des ménages les plus riches par la suppression des niches fiscales à leur avantage, le relèvement du taux marginal d’imposition et la réintroduction d’un impôt spécifique sur le patrimoine (ex-ISF) ne portent pas à discussion.

Il n’en va pas de même pour la subordination  des exonérations et subventions aux objectifs sociaux et environnementaux. En effet, l’imprécision de la proposition est une fois encore préjudiciable à l’intention déclarée. D’une part, parce que sans clarifier les modalités et les pouvoirs réels de coercition des pouvoirs publics sur les conditions de l’octroi des aides publiques, le conditionnement de ces aides restera un vœu pieux, c’est-à-dire restera tel qu’il est aujourd’hui. Or dans les propositions écologistes, il n’existe aucune ouverture vers la mise en place de Fonds régionaux/départementaux/intercommunaux pour l’emploi et la formation permettant d’assurer la gestion et le contrôle de ces subventions publiques aux entreprises, ni vers un pouvoir renforcé des salariés dans le contrôle au sein des entreprises de l’usage de ces subventions  publiques.

D’autre part, parce que les deux modalités d’aide financière aux entreprises ne s’appuient ni sur les mêmes sources de financement, ni sur les mêmes flux financiers, et n’impactent pas les mêmes institutions. Si certaines subventions publiques accordées sous certaines conditions aux entreprises peuvent être profitables socialement et environnementalement, la Cour des comptes et le Conseil des prélèvements obligatoires ont largement démontré l’inefficacité sociale des exonérations de cotisations et leur caractère contre-productif pour l’emploi, et a fortiori pour l’environnement. En outre, ces exonérations  de cotisations sociales renforçant la fiscalisation de la sécurité sociale par effet de compensation, même conditionnées, participent d’un transfert du financement de la protection sociale par la richesse créée par le travail dans l’entreprise vers un financement tiré des revenus des ménages. Un mécanisme qui alourdit la fiscalité pesant presque uniquement sur les ménages et exonère les entreprises de leur responsabilité sociale.

Par ailleurs, l’insistance à vouloir utiliser ces canaux d’aides publiques aux entreprises masque la possibilité de travailler la relation de l’entreprise à sa banque.

Pourtant, plus que « le coût du travail », c’est le coût et le poids institutionnel du système bancaire et financier qui pèse sur l’activité des entreprises et leurs investissements. Recherchant une rentabilité financière immédiate des actifs de leurs clients, les banques orientent en ce sens les choix de gestion des entreprises et délaissent largement les objectifs sociaux et environnementaux que ces choix pourraient porter. il faudrait viser au contraire le rééquilibrage du rapport des forces entre banques et entreprises par la réduction des charges financières imposées par les premières aux secondes, au moyen d’une prise en charge publique partielle ou totale et des coûts d’investissements générateurs d’effets positifs sur l’emploi et l’environnement. Cela  serait sans aucun doute un outil bien plus puissant pour parvenir aux objectifs sociaux et environnementaux désirés, et avec un effet de levier bien supérieur sur la dynamique  fiscale, que ceux attendus d’une politique d’exonération et de subvention conditionnées. Mais là encore, le projet écologiste n’écorne pas une seule fois ce pouvoir bancaire et financier. Si les orientations appellent bien à « la création d’un pôle financier public » et revendiquent de « réduire  les taux prédateurs de la finance », on ne trouve nulle part ailleurs dans les documents  officiels d’EELV les moyens d’y parvenir. Or chacun sait que cette expression générique cache bien des interprétations concrètes.

Enfin, « la lutte  contre l’évasion  fiscale dans les paradis fiscaux » est le dernier pan de la politique fiscale écologiste. Serpent de mer des propositions fiscales traditionnelles, cette proposition ne donne lieu dans cette note, ni d’ailleurs dans le texte d’orientations, à aucune remise en cause des politiques nationales qui ont conduit à réduire les moyens humains et techniques des services fiscaux, du Trésor et de la Justice, ni à aucune recherche de collaboration européenne ou mondiale dans cette direction pour une maîtrise publique des flux bancaires et financiers ou simplement leur contrôle public.

En fin de compte, avec ces propositions fiscales, le projet écologiste ne sort pas du cadre libéral imposé par le gouvernement  et les traités européens.  S’il s’attaque effectivement aux plus riches, il ne modifie pas pour autant l’orientation politique générale qui prône le transfert de la fiscalité des entreprises sur les ménages.

Pire, il l’accentue avec son projet d’écotaxe. Soumis à l’idéologie de l’excès du coût et de la « taxation » du travail, il ne crée pas non plus les conditions d’une dynamique économique nouvelle en faveur du développement de l’emploi et de la protection de l’environnement. Emprisonné par sa volonté de réduction du déficit public, illustrée dans le contre-projet de budget de 2012 (5), il ne s’attaque pas sur le fond à la politique d’austérité du gouvernement et de l’Union européenne, et encore moins à la logique de la rentabilité financière qui en est à l’origine. Bref, il n’offre pas de cadre solide pour une autre répartition et une autre production des richesses et se cantonne à une autre redistribution des revenus au bénéfice de l’écologie.

Un constat validé par l’approche de la crise financière et de la gouvernance économique européenne développée dans la quatrième note de cadrage (5.2.4). Clarifiant la philosophie de l’exécutif  écologiste sur l’Europe, cette note confirme la constance des orientations vertes en faveur de l’Europe libérale en prêchant « une plus grande intégration politique » au sein du marché unique européen sans même remettre en cause ses principaux traités, de Maastricht à celui de Lisbonne.

Ne tirant aucune leçon de la crise financière mondiale ni de la crise de l’euro, sauf à poser qu’elle a « mis à nu la fragilité des États face à la brutalité  des marchés et montré la faiblesse des institutions européennes », le texte exhorte à une « nouvelle gouvernance économique ». Ceci colle étrangement bien aux orientations  des pactes pour l’euro et au plan actuel envisagé par le couple Merkel-Sarkozy pour venir en aide au système bancaire. Ainsi, ce texte avance en premier lieu la mise en place d’une « coordination accrue des processus budgétaires dans l’intérêt commun de la stabilité de la monnaie unique ». Version light de la règle d’or du pacte pour l’euro plus, cette proposition inscrit implicitement au programme écologiste la baisse des dépenses publiques et sociales afin de respecter les critères de Maastricht. En second lieu, on invoque la nécessaire « remise à plat de la politique de cohésion dans le but de réaligner la compétitivité des économies  les plus faibles mais  en conditionnant ces aides  à des réformes structurelles ». Bien que la formulation reste imprécise – de quelle politique de cohésion et quelles réformes structurelles parle-t-on ? –, elle laisse augurer un alignement d’EELV sur la stratégie de la carotte et du bâton de la Commission européenne visant à faire accepter au chausse-pied les restructurations des économies en difficulté de l’UE en pesant toujours plus sur les salariés et les dépenses publiques et sociales. Enfin, s’appuyant sur le Fonds européen de stabilité financière créé en 2010, le texte propose alors logiquement « l’élaboration d’un mécanisme de restructuration de la dette publique donnant lieu à la création d’une obligation européenne,  créant les prémices d’une agence de la dette européenne, d’un trésor européen et d’un budget communautaire, permettant de compléter la gouvernance de la zone euro », et « sans remettre en cause l’indépendance de la BCE, ni la soumettre au pouvoir politique, de repenser la politique  monétaire  européenne » sur le modèle des « politiques monétaires  différenciées par zone ». Autant de propositions de réformes qui « impliquent des abandons de souveraineté substantiels en matière de politique économique [que les écologistes sont] prêts à concéder […] ». C’est sans commentaires.

Quand bien même les écologistes mettent dans la balance l’élargissement démocratique de l’Europe, sans toutefois en préciser la forme ni le contenu, il y a en fin de compte dans ce texte toute la substance des mesures aujourd’hui mises en avant lors du dernier Sommet de l’euro de Bruxelles. En renforçant la coordination des processus budgétaires nationaux, il conforte la position de la Commission européenne dans son rôle de pilote économique des politiques nationales contre la volonté démocratique des peuples européens. En appelant à la création d’une agence de la dette européenne, il entérine la place des banques et des marchés financiers dans l’édifice financier  européen et le refinancement des États, et corrélativement l’expansion de la sphère financière. En refusant de remettre en cause l’indépendance de la BCE et de soumettre  les critères du crédit au pouvoir politique, il renonce à la capacité de la zone euro à se donner les moyens financiers d’œuvrer en faveur du développement écologique et durable de l’emploi et de la solidarité. Cette volonté de ne pas remettre en cause le cadre de la construction européenne libérale, en partie à l’origine de la crise européenne, et de s’enfoncer plus avant dans un schéma européen de régulation qui subordonne la sphère politique à la sphère économique, apparaît dès lors très contradictoire avec l’ambition annoncée des orientations pour la présidentielle de 2012. Elle rend totalement illusoire l’ambition « de rendre le système financier plus transparent et de faire  en sorte que  ses innovations soient socialement utiles ». Et même une taxe sur les transactions financières, les surprofits et les bilans bancaires ne suffiront pas à lui rendre du corps.

Des manques importants

Mais cette orientation sociale-libérale récurrente de la formation écologiste n’est pas pour autant ce qui surprend le plus dans son discours. D’une manière plus pragmatique, on est frappé par le décalage avec la réalité vécue de millions de Françaises et Français dans ces textes. On est frappé par l’absence de solutions concrètes sur l’emploi et la lutte contre le chômage, alors que cela est la préoccupation  majeure qu’ils expriment aujourd’hui. On est frappé par l’absence de propositions de revalorisation générale des salaires, de hausse du SMIC, et par l’absence de propositions fortes cherchant la remise en cause des régressions appliquées par la droite depuis 2003.

Certes, dans le cadre de la course à l’échalote avec le PS, l’organisation écologiste propose la création de 300 000 emplois verts. Une proposition par ailleurs largement inférieure aux ambitions écologistes des dernières élections européennes par exemple, qui prévoyaient pas moins de 10 millions d’emplois verts créés sur le mandat. Mais surtout, cette proposition de créations d’emplois ne donne pas les outils qui permettent concrètement d’y parvenir (contrairement aux socialistes avec leurs 300 000 emplois d’avenir, remake des emplois jeunes). Comment en effet parvenir à inciter en particulier les PME, à investir dans l’industrie verte, si l’étau bancaire et financier qu’elles subissent n’est pas desserré ? L’outil fiscal ne peut seul créer cette dynamique économique d’emploi et de croissance. Il n’est qu’un outil d’orientation de cette dynamique. Or aucun argument solide n’est avancé en faveur d’une nouvelle dynamique financière de l’économie française et européenne. Aucune proposition de changement des critères du crédit par exemple n’est formulée qui permettrait de générer des investissements en faveur de cet emploi vert.

Plus grave encore, le postulat étant admis d’une croissance en berne pour l’an prochain, la logique de propositions des écologistes ne remet pas en cause cette évolution. Or là aussi, on ne se donne  pas les moyens de renforcer la capacité de la France, et plus globalement de la zone euro, de créer de la richesse afin de consolider l’emploi, les salaires, mais aussi les recettes fiscales. Il ne peut donc y avoir d’autres perspectives économiques et sociales, même dans le cadre d’une réallocation des ressources en faveur du développement écologique, que celle d’une gestion des restrictions et de la misère. Sans richesse nouvelle, comment  imaginer pouvoir répondre aux défis de nos services publics, comment répondre aujourd’hui aux besoins du système hospitalier public, de notre système d’Éducation nationale, du logement social, ou encore aux enjeux de la dépendance… Comment imaginer pouvoir répondre aux enjeux écologiques d’une alternative au tout routier, à une production énergétique propre en quantité suffisante… Il ne sera pas possible d’envisager les moyens nouveaux nécessaires à la réponse aux besoins sociaux exprimés par nos concitoyens.

Autant de faiblesses qui s’ajoutent aux insuffisances du texte. Insuffisances qui ne doivent cependant pas faire négliger les enjeux cruciaux d’une véritable planification écologique pour cette présidentielle, et au-delà. Comme l’affirment justement le programme partagé du Front de gauche et le PCF.

«  Le dépassement, national  et planétaire, au cours des prochaines décennies, de la logique capitaliste de l’accumulation de profits privés au bénéfice de celle du “développement humain durable”, doit conjuguer satisfaction des besoins essentiels de tous les êtres humains, potentialités d’épanouissement individuel  et respect des contraintes  de la “durabilité”. […] Il doit donc marier problématiques écologiques et processus d’avancées,  par étapes démocratiquement décidées, définies au fur et à mesure, vers une nouvelle  société humaine, qualitativement supérieure, “communiste” au sens premier  de ce terme.  C’est un immense défi, mais combien exaltant à relever. » (6)

Ainsi cette planification écologique devrait être « le moyen de redéfinir nos modes de production,  de consommation et d’échange en fonction de l’intérêt  général de l’humanité et de l’impact de l’activité économique sur l’écosystème qui rend possible la vie humaine ». Elle devrait permettre de « préciser les orientations   et les investissements  publics nécessaires à ces objectifs. » et ceci ne pourra se faire sans les moyens supplémentaires adéquats, ni les convergences et rassemblements à construire dans les luttes, lieux essentiels de la construction des alternatives politiques concrètes. 

(1) Ces 4 notes ont pour titre :

– « Croissance, décroissance, conversion écologique de l’économie :

quelle macroéconomie écologique ? » (note 5.2.1)

– « Travail » (note 5.2.2)

– « Des écologistes à Bercy : pour un projet de loi de finances écologiste » (note 5.2.3)

– « La crise financière et de la gouvernance économique européenne » (note 5.2.4),

(2) Caucus est un mot employé dans le monde anglo-saxon, en Suisse et dans l’Amérique du Nord francophone pour désigner principalement des réunions de supporteurs ou de membres de partis ou de mouvements politiques. Son sens exact varie suivant les pays. (3) Les écologistes et la retraite, Alain Lipietz, lisible sur le site d’EELV dans la rubrique le projet, volet économie.

(4) Dans  son  contre-budget pour  2012,  présenté à  la presse fin octobre, EELV a estimé le montant de cette taxe nouvelle à 14,5 milliards d’euros.

(5) Dans ce projet de budget, les écologistes prévoient explicitement de consacrer 43 % des recettes nouvelles produites par leur politique budgétaire et fiscale  à la réduction du déficit. Une proposition très proche de celle du PS qui envisage d’allouer 50 % de toutes les recettes fiscales nouvelles liées à la suppression des  niches fiscales, à la résorption des déficits publics. En revanche, aucune mesure de soutien à l’emploi et aux salaires n’est envisagée. Pas de politique active de création d’emplois et pas de revalorisation du SMIC. Seuls les minimas sociaux sont revalorisés mais faiblement (+133 euros pour le RSA socle : 600 euros au final) avec  éventuellement étalement sur l’ensemble du mandat (+ 250 euros pour l’AAH sur 5 ans pour atteindre le SMIC).

(6) Paul Sindic, Urgences planétaires, Ed. Le Temps des Cerises.

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