Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Europe : une crise d’une construction de domination

La crise d’une gravité exceptionnelle  que connaît l’Europe aujourd’hui indique que c’est le type même de construction qui est en cause. Se contenter d’invoquer une insuffisance de régulation et ne réclamer que quelques amendements à son orientation actuelle revient à demeurer inscrit dans le même type de régulation qui a conduit aux difficultés.

Le choix d’une construction dominatrice fondée sur le marché et la prépondérance du marché financier ont conduit à des résultats dramatiques :Plus de 23 millions de chômeurs officiels, dont près de 16 en zone euro, 30 millions de travailleurs pauvres, plus de 18 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté sans parler de la reprise beaucoup plus faible et cahoteuse que partout dans le monde. Le tournant qu’a constitué l’ébranlement financier de 2008, à partir des États-Unis, dans la crise systémique du capitalisme, n’a pas du tout épargné l’Europe qui, au contraire, a contribué à la suraccumulation mondiale de capital et à son éclatement.

Les tentatives de réponse apportées depuis, avec une implication des États européens, certes sans précédent mais beaucoup plus timides qu’aux États-Unis, jusqu’il y a peu.

La politique de la BCE, beaucoup moins audacieuse que celle de la FED, notamment pour les rachats de titres publics, a visé, plus que tout, à consolider le marché financier, rassurer les créanciers et maintenir l’euro fort. Les promoteurs de l’euro entendaient lui conférer un pouvoir d’attraction tel des capitaux qu’il pourrait rivaliser avec le dollar, en maintenant, en tou- tes circonstances, son taux de change élevé, grâce à des taux d’intérêt plus élevés que ceux du dollar, au risque de les faire passer, en termes réels, au-dessus du taux de croissance réelle de la zone. Il s’agissait de disputer au « billet vert » sa domination financière sur le monde, avec une BCE, décrétée « indépendante », ayant pour seule obsession la lutte contre l’inflation des prix des biens et services.

Ce projet européen pour tenter de dominer sur les marchés financiers globalisés était aussi construit sur des rapports de domination intra-européens, à partir de l’Allemagne, avec une BCE calquée sur le modèle de la Bundesbank et un euro devant être aussi fort que le mark.

Ce projet a été présenté, des années durant, comme le seul à même d’unir les Européens et de refaire de l’Europe  un point d’ancrage  majeur dans la mondialisation. De ce double point de vue, qu’en a-t-il été ?

Une Europe malade de ses prélèvements financiers

Une étude de 2009 de la BCE indique que :

  •  la zone euro affiche des avoirs et des engagements internationaux dépassant 150 % du PIB de la zone, contre 114 % pour les États-Unis  et 90 % pour le Japon ;
  •  entre 2000 et 2005, les pays de la zone euro ont représenté 57 % des flux mondiaux d’investissements directs étrangers ;
  •   en 2009, année de récession mondiale,  les sorties nettes de la zone au titre investissements directs étrangers ont dépassé 90 milliards d’euros ;
  •  entre 2001 et 2006 les actions  et d’obligations internationales détenues par les résidents de la zone passaient 34 à 44 % du total mondial.

Cela fait écho, en partie, à une montée des opérations au sein de la zone, mais ce sont les flux en direction des États-Unis qui demeurent largement prépondérants.

Ces gigantesques exportations de capitaux ont été certes surcompensées par des importations massives, mais au titre des investissements de portefeuilles, si financiers et spéculatifs.

Cela témoigne de la déresponsabilisation sociale, nationale et européenne grandissante des grands groupes en- couragée par les politiques nationales convergentes.

De fait, dans la zone euro, la part des prélèvements financiers en intérêts et dividendes  sur les richesses produites a vivement crû simultanément au freinage de ce qu’on appelle les « charges sociales » qui sont en fait les cotisations  pour la protection sociale.

Les statistiques de la BCE indiquent qu’en 2009, ces « charges sociales » auraient absorbé 22 % du PIB de la zone euro, tandis que les charges d’intérêts et les dividendes absorbaient  près de 37 % des richesses produites !

Et la France est un modèle du genre.

Une accentuation des divisions intra européennes

Cette construction a accentué les dissymétries intra-européennes avec l’essor rapide des excédents commerciaux de l’Allemagne. Grâce à l’euro, elle a pu, à la fois, passer le cap de sa réunification  sans avoir à subir une dévaluation du mark et mener une course effrénée à la baisse de ses coûts salariaux, tout en voyant s’envoler ses exportations vers l’Europe du sud, où la demande était soutenue, malgré le chômage et l’austérité salariale, par un crédit et un endettement faciles.

Alors, comment s’étonner que la spéculation mondiale se soit  emparée d’une  telle situation en cognant sur les maillons les plus faibles ?

Cette spéculation est nourrie par l’inflation du dollar devenu monnaie commune mondiale de fait, et la domination des États-Unis. Elle est secrétée aussi par les énormes économies des facteurs de production de la révolution informationnelle mobilisées par les capitalistes pour accroître la rentabilité financière des capitaux, contre l’emploi et une croissance suffisante du débouché et des qualifications

Les masses considérables de ressources libérées en cash cherchent alors, en permanence, des opportunités de placement en titres, sur les matières premières, sur l’immobilier,  et autres susceptibles de rapporter au minimum l’équivalent d’un investissement dans les pays émergents.

D’où la précipitation des spéculateurs sur les titres de dette publique des États d’Europe du sud, Grèce en tête, avec l’implication  opportuniste des Fonds d’investissements américains, faisant monter les primes de risque sur les pays les plus vulnérables jusqu’à ce qu’apparaissent  les craintes  de sortie de la zone. La responsabilité  des banques  allemandes et françaises dans ces processus a été décisive. Elles ont massivement bénéficié d’aides publiques et des facilités de refinancement auprès de la BCE.

On mesure la fuite en avant des dirigeants qui, sur injonction de l’Allemagne et de la BCE, imposent désormais des cures d’austérité massives, en sacrifiant le modèle social européen, pour tenter de rassurer les créanciers, consolider cette construction qui favorise la domination des marchés et les gâchis énormes d’endet- tement souterrain, quitte à faire appel au FMI, pilier du dollar, tout en s’échinant à ne pas se saisir autrement de la création monétaire de la BCE.

Dans ces conditions, la spéculation touche l’euro, lui- même, dont la chute fait se réjouir ses promoteurs. En réalité, elle alourdirait l’endettement en dollars des pays de la zone euro, accentuant  le clivage au profit de l’Allemagne  relativement moins endettée dans cette devise.

Surtout, ce nouvel épisode va relancer les facteurs de surendettement dominateur des États-Unis jusqu’à de nouveaux effondrements  beaucoup plus graves encore avec, cette fois, le dollar lui-même.

Reconstruire l’Europe sur d’autres bases

La tentative de construction européenne actuelle est un échec. Mais cela ne fait pas disparaître le besoin impérieux d’une union des Européens, pour la promotion de leur modèle social, ni le besoin d’une construction européenne capable de s’émanciper de la domination du dollar, et à même, pour cela, de se rapprocher des pays émergents et en développement  afin d’ouvrir les voies d’une nouvelle civilisation de toute l’humanité. Quoi qu’il en soit, la promesse d’une « Europe sociale » serait purement démagogique si l’on se refuse à transformer la BCE et développer en coopération, une tout autre utilisation de sa création monétaire.

Quant à l’hypothèse de sortie de l’Union et de l’euro, elle constitue une illusion très dangereuse.

D’abord, ceci serait un appel à déserter finalement la bataille de réorientation de cette Union et de l’utilisation de l’euro, alors précisément qu’il y a l’échec du projet actuel qui pose un défi énorme utilisation nouvelle.

Deuxièmement, cela reviendrait à refuser de construire le rapport de forces permettant une tout autre uti- lisation de la BCE et de l’utilisation  de sa création monétaire.

Troisièmement, cela reviendrait à accepter l’hyper domination du dollar dont l’inflation actuelle transforme les États-Unis en trou noir, attirant les capitaux du monde entier au détriment de la croissance et du développement de toute humanité. La France ne pourra mettre toute seule en cause la domination du dollar. Il y a besoin d’une  construction commune et cette construction commune, ses principes,  ses éléments fondamentaux doivent être avancés tout de suite à l’appui des luttes nationales et de leurs convergences au plan européen.

Enfin le rassemblement de toute la gauche est nécessaire, et pas seulement de certaines de ses composantes, pour qu’il puisse être majoritaire et changer effectivement les rapports de force.

La prise en main par les populations elles-mêmes du niveau régional jusqu’au  niveau européen et même mondial sans parler du niveau national sera décisive. De grandes exigences de transformation sociale radicale devraient pouvoir s’affirmer au cœur desquelles il y a le rôle des banques, de leurs rapports aux entreprises, et celui de la Banque centrale européenne et de sa création monétaire.

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