Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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L’impact économique et social de la libéralisation du marché de l’électricité

L'ouverture à la concurrence du marché de l’électricité va aggraver les problèmes  sur tous les plans :

– social avec le risque d’augmentation les prix de l’électricité payée par les usagers,

– économique car la suppression du TaRTAM dès 2011 et des tarifs régulés dès 2015 auront un impact significatif pour les moyennes et grandes entreprises électro-intensives, alors même que la crise bat toujours son plein,

– environnemental parce que cette loi NOME signe le début de la fin de l’indépendance énergétique du pays et de sa sécurité d’approvisionnement, et ouvre la voie à des risques environnementaux lourds contredisant les intentions gouvernementales en matière de développement durable.

On peut d’ores et déjà évaluer les conséquences sociales et économiques de cette ouverture forcée à la concurrence du marché de l’énergie  électrique en France. Une comparaison à l’échelle  européenne donne des indications précieuses.

Prix du kilowattheure pour les ménages, en euros


2sd semestre

2007

 

2sd semestre

2008

 

2sd semestre

2009

 

 

Variation

2007/2009

 

Union européenne (27)                  0,156            0,1663           0,1638                                                                 5% UE-zone euro (11)                                                0,1617            0,1713                                                     0,1727            6,80% Danemark                                                     0,2405            0,2785                                                     0,2553            6,10%

Allemagne                                      0,2105            0,2195           0,2294            8,90%

Espagne                                          0,14             0,1557                                                     0,1684            20,20% Italie                                                       -    0,2227       0,1997                                                                France           0,1222                                                     0,1203            0,1225           0,20%

 

 

Prix du kilowattheure pour les entreprises,

en euros

 

2sd semestre

2007

 

2sd semestre

2008

 

2sd semestre

2009

 

Variation

2007/2009


Union européenne (27)                  0,0941           0,1027           0,1023                                           8,70% UE-zone euro (11)                                                     0,0948            0,1023           0,106                                             11,80% Danemark                                                     0,0895            0,1019                                                     0,0995            11,20% Allemagne                                                     0,1013            0,1078                                                     0,1134            11,90% Espagne                                                     0,0958            0,1038           0,112                                             16,90% Italie                       -      0,105                                             0,137                                                                 France           0,0574                                                     0,0617            0,0625           8,80%

 

Source : Eurostat 2010

Dans des pays comme l’Allemagne ou le Danemark, qui ont choisi l’option concurrentielle intégrale (entreprises et ménages), l’augmentation des tarifs de l’électricité a dépassé la hausse de la moyenne des tarifs européens, alors même que les prix du kwh sont déjà significativement au-dessus des prix européens (hormis le tarif entreprises au Danemark). Dans le cas de la France, qui n’a ouvert à la concurrence que le secteur entreprise, il est révélateur que la hausse du prix de l’électricité ait suivi le rythme européen en ce qui concerne les entreprises, mais pas en ce qui concerne les ménages dont la hausse des prix régulés reste de très loin (+0,2 %) la moins importante d’Europe et de tous les pays européens pris individuellement.

Il apparaît donc nettement que l’ouverture  à la concurrence du marché de l’électricité a eu pour effet d’augmenter les prix de l’électricité payée par les usagers, et non l’inverse (1). Exactement comme cela s’est passé pour le gaz (+27 % de hausse depuis 2005 en Europe).

Alors que la crise frappe durement les Français, que la précarité énergétique (2) touche près de 5 millions de foyers, que les ménages les plus pauvres consacrent déjà plus de 15 % de leurs revenus à leur facture énergétique, que beaucoup de PME ferment pour défaut de trésorerie, instaurer l’augmentation  généralisée des tarifs de l’énergie  aura immanquablement des conséquences  graves dans la vie de nos concitoyens, et pèsera significativement sur les finances de ceux qui les soutiennent  (communes, CCAS, départements…, mais aussi État, qui contribuent à des programmes de soutien au financement énergétique des ménages).

Mais il est clair aussi que ce choix de la concurrence, qui s’accompagne d’une perte de propriété sociale de l’outil énergétique et au final d’une perte de la maîtrise publique de la politique énergétique française, est aussi lourd d’effets économiques  et environnementaux sur le pays.

Au plan économique, alors même que la crise bat toujours son plein, la suppression des tarifs régulés aura un impact significatif pour les moyennes et grandes entreprises électro-intensives (IAA, Industrie des biens intermédiaires, Chimie et Industrie automobile).

Le coût de la facture électrique représente selon ces grandes industries entre 6 % et 50 % de leurs coûts fixes (3) !  Une variation même marginale des taris aura un impact. On mesure alors les risques induits en terme d’emplois, voire de chantages à délocalisations, ainsi que ceux qui pèsent sur le développement de ces filières industrielles,  de leur politique, ou encore sur les stratégies d’implantation  de ces entreprises électrointensive.

Comment imaginer la visibilité à moyen long terme du développement de leurs activités dans ces conditions ? Faudra-t-il, comme en Finlande, que ces entreprises se constituent en consortium pour l’achat en gros d’électricité, au risque de transformer  le marché de fourniture électrique de monopole naturel en oligopole, et leur permettre ainsi de spéculer sur les prix de l’énergie sur les marchés de gros ou de capacités, au risque de peser négativement sur l’évolution des prix de détail ?

Car c’est là aussi un enjeu du texte de loi : la création d’un marché spéculatif de l’énergie. Le projet prévoit en effet que les fournisseurs  devront  se procurer  auprès des producteurs des certificats de capacité, en proportion de leur demande d’électricité estimée. Ces garanties, échangeables sur un marché que les « fournisseurs-producteurs » ne tarderont pas à créer, deviendront alors un outil spéculatif complémentaire  pour contourner les prix plafonds sur le marché spot de l’électricité (3 000 euros le Mwh en France). Visant officiellement à assurer l’équilibre offre-demande à long terme dans une industrie électrique libéralisée et à générer du cash pour l’investissement, ce nouveau marché impactera sérieusement le niveau des prix finaux de l’électricité ou de l’investissement par effet de spéculation.

Les marchés américains ont tous progressivement ajouté un marché de capacité à leur marché spot, et on sait ce qu’il est advenu des prix de l’énergie dans ce pays et de la qualité de l’offre électrique  (voir l’expérience californienne).

Au plan environnemental  aussi, cette loi NOME soulève des inquiétudes. Elle signe le début de la fin de l’indépendance énergétique du pays et de sa sécurité d’approvisionnement,  et ouvre la voie à des risques environnementaux lourds contredisant les intentions gouvernementales en matière de développement durable.

On connaît déjà les effets des choix de gestion désastreux de l’équipe dirigeante d’EDF. Les investissements hasardeux à l’étranger pour participer à l’orgie spéculative des marchés libéralisés américains et les réorganisations territoriales à l’économie du service rendu aux usagers ont lourdement pesé sur les investissements nécessaires au réseau électrique national. La tempête Klaus qui a ravagé une grande partie du Sud Ouest en a été le révélateur.

Et bien, en réduisant sciemment les ressources d’EDF, la loi NOME  risque fort d’avoir  des effets encore plus graves, notamment sur sa capacité à investir et entretenir son parc, qui pourraient se traduire par une dégradation dangereuse du service rendu aux usagers.

En effet, EDF a besoin de 35 milliards d’euros pour assurer aujourd’hui l’entretien de son parc nucléaire. À quoi s’ajoutent l’ensemble des besoins de financement pour des investissements de production. Or ce montant représente 80 % de son chiffre d’affaires 2009 ! Même étalés sur 10 ans, il semble difficile d’imaginer qu’EDF puisse remplir ses engagements.  Alors, comment imaginer assumer cet entretien et investir avec encore moins de recettes à venir ? Pense-t-on pouvoir laisser les centrales à la dérive ? EDF fera-t-elle le choix d’abandonner  encore plus les territoires,  comme le laisse entendre H. Proglio, PDG d’EDF, qui parle de risques pour la Bretagne, Poitou-Charentes et d’autres, d’être en sous-approvisionnement non seulement en période de pointe mais également en période courante, alors que la demande d’électricité croît ?

Par ailleurs, l’ouverture au privé des capacités de production d’énergie électrique pourrait aussi alourdir la production national de CO2 en relançant la production électrique par centrales thermiques. Cela pour deux raisons au moins.

Aujourd’hui, la production électrique française est à 90 % nucléaire (4) et hydroélectrique. Les centrales thermiques ne représentent que 10 % de la production électrique. Or, les stratégies  d’investissement  dans les centrales nucléaires sont  contraires  aux logiques marchandes du court terme et de la rentabilité immédiate. Dans ces centrales, les structures  de coûts sont inverses de celles des entreprises classiques, leurs coûts fixes représentent 75 % de leurs coûts globaux, et leurs investissements sont colossaux avec un retour sur investissement à très long terme. A contrario,  les usines thermiques ont des coûts d’investissements bien moins élevés que ceux des centrales nucléaires, une structure de coûts inverse et une opérationnalité plus immédiate induisant un retour rapide sur investissement. Pourquoi voudrait-on que les opérateurs privés se conforment aux contraintes du nucléaire quand ils disposent avec ces centrales thermiques d’un outil financièrement plus efficient ?

Et quand bien même ces opérateurs privés seraient prêts à renoncer à ces marges de court terme, le fléchage d’une partie importante de la production électrique française vers les marchés  étrangers  résultant  d’une ouverture à la concurrence du marché européen sera synonyme de pénurie accrue sur le marché national lors des pics de consommation,  comme cela a déjà été le cas l’hiver dernier. Avec la libéralisation du marché, cette pénurie s’accompagnera d’un accroissement corrélatif des prix d’achat de l’énergie sur le marché spot. Combinée avec un sous-investissement important d’EDF, à moyen terme, cette situation risque d’entraîner une insuffisance d’offre par rapport à la demande, et donc une poussée structurelle  des prix sur le marché de gros. Pour y faire face, il y a toutes les chances que les investissements les plus rapides soient privilégiés. Ceux qui sont aussi les plus anti-écologiques et qui produisent une électricité beaucoup plus chère que le nucléaire…

Là encore l’expérience européenne est instructive. En Allemagne ou en Grande Bretagne, après la libéralisation totale de leur production énergétique,  les mines de charbon ont été ré-ouvertes et la construction de centrales thermiques relancée !

Mais la droite, fût-elle européenne, n’est plus à une contradiction près… même lorsqu’elle est écologique.

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