Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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La montée des exigences de sécurisation de l'emploi et de la formation(1)

I  TROIS CARACTÉRISTIQUES DE LA SITUATION ACTUELLE

1. Chômage massif durable relancé en 2009 : en France on est passé de 2,1 million à 2,6 millions de chômeurs (plus 500 000, soit l'équivalent  de tous les chômeurs en Ile-de-France avant la crise de 2009), prolifération de la précarité, montée de l'idée de sécurité (avec le thème de la « flexi-sécurité » en Europe tandis que le thème de la sécurisation des parcours professionnels est repris par tous les syndicats et les partis de la gauche depuis 2007).

Les tentatives de solutions réactionnaires de la droite  et du patronat.

Depuis 2007, on assiste à une véritable «  révolution conservatrice» dans les domaines du marché du travail et de l'emploi.

Il s'agit pour le gouvernement, tout en tentant de récupérer le mot d’ordre de sécurisation professionnelle, de mettre en avant l'importance de négociations entre les soi-disant « partenaires sociaux » (syndicats de salariés/syndicats patronaux). Mais cela sous la pression du patronat contre les emplois et de l'État pour pousser le

plus possible la précarisation des emplois et des conditions de travail avec une mise en cause radicale du droit social existant.

En plus de la précarité fondamentale des contrats de travail, ce sont l'individualisation et la contractualisation des relations entre travailleurs et employeurs qui sont poussées au maximum.

Mais en même temps, comme en règle générale pour les révolutions conservatrices dans l'histoire, monte la possibilité de retournement des transformations.

Le mot d'ordre de sécurisation dans la mobilité peut être un levier pour avancer vers un pouvoir prédominant des  salariés et de leurs organisations pour la sécurisation, l'emportant sur les pouvoirs des employeurs tout en débordant l'État protecteur social, mais aussi consolidant le système de domination. D'où l'exigence de nouvelles institutions, de nouveaux pouvoirs des salariés dans les entreprises, jusqu'à l'organisation de conférences régionales et nationales de sécurisation et de promotion de l'emploi de la formation. En s'appuyant sur de nouveaux moyens financiers et à nouveaux services publics socialisés.

2. Les élaborations  fondamentales  sur une Sécurité d'emploi ou de formation

Dès 1996, Paul Boccara, a lancé l'idée d'une « Sécurité d'emploi ou de formation »  visant la suppression graduelle du passage par la case chômage.

Cela concerne une construction de portée révolutionnaire allant au-delà des avancées antérieures de la Sécurité Sociale.

Pleinement réalisé, un système de Sécurité de l'emploi ou de formation vise à assurer à chacune et à chacun :

-un emploi et une formation rémunérée, pour revenir ensuite à un meilleur emploi avec une continuité de bons revenus et droits, -avec  des passages de l'une à l'autre activité, ou encore d'un emploi à un autre, maîtrisés par les salariés. Il s'agit d'une rotation d'activité entre emplois ou entre une formation et un emploi. Ainsi on répondrait aussi aux exigences de qualification des nouvelles technologies de la révolution informationnelle liées aux changements techniques rapides D’où une expansion formidable systématique de la formation continue (en liaison avec des dépenses de recherche) qui fournirait aussi suffisamment de demande de produits et de services. En effet les revenus de la formation qui s’ajouteraient aux salaires des personnes en emploi augmenteraient fortement la demande aujourd’hui « à la ramasse » avec le chômage massif et les bas salaires.

Avec la Sécurité d'emploi ou de formation, il s'agit d'aller bien au-delà de ce qu'on a appelé le plein-emploi qui n'est qu'un haut niveau d’emploi (de l'ordre de 4 ou 5% de chômeurs). Il s'agirait de construire un véritable dépassement du chômage.

Cependant croire que l’on pourrait mettre en place tout le système d'un coup ne serait pas réaliste.

Mais c'est en avançant vers lui en partant des différentes situations concrètes existantes d'insécurité et de privation d'emploi (emploi précaire, emploi des jeunes, licenciements, contrôle des fonds publics, réduction du temps de travail, formation continue) dans le cadre d'un processus de sécurisation qu'on se donnera les moyens de l’atteindre.

3. Négociations et attaques contre la législation du travail en 2007 -2009

-les négociations et la législation sur le marché du travail : avec l'attaque contre les contrats de travail avec en particulier la rupture conventionnelle de « gré à gré » (mettant hors jeu l'intervention du juge), les reculs de la protection du contrat travail, l'allongement de la période d'essai du CDI.

-la fusion UNEDIC-ANPE : la création de Pôle emploi, pour faire davantage pression sur les chômeurs et le retour à l'emploi. Avec l'introduction de la notion d’« offre raisonnable d'emploi », et les pressions pour l'acceptation d'emploi sous qualifiés et sous-payés. Plus la durée du chômage est longue et plus le chômeur doit accepter une offre éloignée de sa qualification. D'autant plus qu'avec la crise en 2010, 1 million de chômeurs sont sous la menace de la perte de leurs droits d'indemnisation.

-la restructuration de la formation continue visant une adaptation de la formation aux besoins des entreprises. Certains veulent aller vers une suppression de l'obligation légale au profit d'une obligation négociée.

-la durée du travail : « travailler plus pour gagner plus ». Ainsi, si les 35 heures sont restées la référence, les dérogations à cette règle peuvent aller jusqu'à 405 heures supplémentaires par an.

-l'insertion avec le revenu de solidarité active (RSA). Il s'agit de maintenir une série de prestations sociales en cas de reprise de l’emploi du chômeur, mais qui favorisera une pression à la baisse des salaires, du point de vue des patrons, et aussi leur concurrence contre les autres salariés ainsi qu'un recours accru à des temps partiels et mal payés.

La création d'un Fonds d'investissement social (Fiso) pour financer la formation et la reconversion professionnelle à la suite des grandes grèves du printemps 2009 est ambivalente. Présenté comme un élément de sécurisation pour les salariés confrontés aux restructurations et aux délocalisations, il financera surtout le recours à l'activité partielle au lieu de formation de longue durée. Cela d'autant plus que 2,5 à 3 milliards d'euros sont prévus alors qu'il en faudrait 10 fois plus. La période est aussi marquée par la montée des luttes et des revendications syndicales ainsi que des propositions politiques exigeant la conquête d'un droit de veto suspensif en cas de licenciement, par les comités d'entreprise. Il s'agirait de leur permettre de formuler des contre-propositions qui pourraient en outre être soumises, en cas d'opposition patronale, à des institutions nouvelles de recours et d'arbitrage.

II ÉLEMENTS POUR UNE LOI DE SÉCURISATION DE L'EMPLOI ET DE LA FORMATION

1. Quatre nouveaux principes du droit du travail pour passer de la précarité exacerbée à une sécurisation, audelà des protections de droits déjà acquises.

Premier  principe : sécurisation  pour avancer vers une sécurité d'emploi ou de formation (une sécurité d'emploi ou de formation ne peut être instaurée immédiatement, mais les droits nouveaux pour un processus de sécurisation immédiat peuvent viser à progresser vers ce système).

-remplacer de plus en plus le passage par la case chômage par des mesures contre la précarisation et les licenciements.

-un essor de la formation longue et bien rémunérée avec des débouchés emploi,

-des créations nouvelles massives d'emplois.

Deuxième principe : des droits de sécurité attachée à la personne.

Cela concerne : -un accroissement graduel de la formation continue rémunérée,

-des droits grandissants dans les contrats permettant

aux salariès leur maintien dans l'entreprise ou le passage d'une entreprise à une autre,

-ces droits seraient attachés à chaque personne et non aux contrats de travail.

Cela passerait par l'affiliation personnelle de chaque résident, à partir de la fin de l'obligation scolaire, à un Service public et social de sécurisation de l'emploi et de la formation, ainsi que des pouvoirs nouveaux des travailleurs dans les entreprises et des conférences régionales et nationales annuelles avec la conquête d'un nouveau statut des travailleurs.

Troisième principe : non régression dans les  négociations d'entreprise.

Actuellement trois niveaux de négociations existent pour conquérir des droits et des acquis pour les salariés : les négociations d'entreprise, les conventions de branche, et les lois. Les négociations d'entreprise, par ce nouveau principe ne pourraient apporter que des améliorations pour les travailleurs par rapport aux conventions de branche et aux lois.

 Quatrième principe : sécurisation de tous les moments de la vie professionnelle  avec des mesures radicales contre les discriminations.

Cela concerne les deux extrémités du parcours professionnel : l'emploi des jeunes, les fins de carrière. Avec, par exemple, des pourcentages obligatoires de jeunes et de CDI de jeunes à plein temps dans les entreprises. Avec des soutiens spécifiques. Mais aussi des pénalisations contre les licenciements de seniors, des formations et des services adaptés pour ces catégories.

Il faut aussi des mesures spéciales pour les autres discriminations (femmes, jeunes de banlieue, travailleurs issus de l'immigration).

Ces quatre principes proposés sont des points d'appui en plus du droit du travail existant pour aller vers une sécurité d'emploi et de formation.

2. Sécurisation des contrats de travail et statut des travailleurs.

Le droit du travail avait attribué des droits et protections contre les risques de rupture du contrat, ou contre les abus concernant aussi les conditions de travail sans supprimer l'instabilité  fondamentale du contrat de travail. Il y avait donc déjà un certain statut de fait des salariés. Mais aujourd'hui nous sommes placés face à une alternative radicale : -d'un côté, en pratique comme en droit, la montée des facilitations des ruptures de contrats (jusqu'au gré à gré) ainsi qu'un recours massif aux contrats précaires et atypiques.

-d'un autre côté, la critique et les aspirations à des mesures allant bien au-delà des protections limitées antérieures, jusqu'à la sécurisation complète des contrats et des activités

Un statut explicite de sécurisation et de promotion des travailleurs.

D'où quatre propositions sur le contrat de travail :

-le CD I comme norme obligatoire des contrats, son renforcement et sa sécurisation.  Avec la suppression de la possibilité de rupture conventionnelle (hors loi) et des allongements de période d'essai.

-la conversion des emplois précaires, à temps partiels et atypiques en CDI sécurisés à temps plein (plafonnant, par exemple, à un niveau bas le recours aux CDD, par exemple 4%des effectifs)

-l'égalité pour les travailleurs de la sous-traitance, par rapport aux donneurs d'ordre.

- de nouveaux contrats de pluriactivité et de sécurisation emploi/formation. Avec une incitation fiscale et des crédits pour de nouveaux groupements d'employeurs ainsi qu'avec des organismes de formation. Des propositions sur le statut de sécurisation et de promotion des travailleurs  :

- changer le statut des travailleurs pour dépasser la conception actuelle articulée sur la subordination des salariés à l'autorité patronale, mais aussi modifier le statut des entreprises ainsi que leurs rapports avec les banques. L'amélioration du statut des salariés concernerait notamment six éléments :

-des avancées de sécurisation des parcours professionnels

-un droit à la formation continue longue et accrue d'année en année,

-des pouvoirs de propositions alternatives sur les décisions de gestion des entreprises,

-un droit de saisine individuelle et collective du Fonds National et des Fonds régionaux,

-des  pouvoirs pour la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences,

-des droits de participation personnelle ou par des représentants aux conférences annuelles régionales et nationales sur l'emploi et la formation

3. Création de deux nouvelles  institutions  : un autre ser vice public de sécurisation et des conférences annuelles conférant de nouveaux pouvoirs aux travailleurs.

Au lieu de favoriser les pressions sur les chômeurs, il s'agirait avec ce nouveau service public de sécurisation de l'emploi : -de développer une démocratisation pour des soutiens et insertion de qualité, d'organiser leur liaison avec les institutions de formation continue.

Ces avancées s'appuieraient sur un nouveau principe : l'affiliation de chaque résident, à partir de la fin de l'obligation scolaire, à ce service public de sécurisation de l'emploi et de la formation.

Première institution : le service public de sécurisation de l'emploi et de la formation :

Les objectifs du service public et social pourraient concerner :

-une amélioration radicale de l'indemnité du chômage,

-une amélioration des conditions d'admission à l'assurance-chômage, l'accroissement du taux d'indemnisation et des durées d'indemnisation.

Mais surtout passer d'une bonne indemnisation à une insertion d'où le droit à la formation avec le besoin de coopération entre l'ANPE et l'Afpa. Ce serait aussi l'organisation d'une modulation des taux de cotisations patronales pour l'indemnisation du chômage, en fonction des politiques d'emploi suivies par les entreprises ce qui permettrait d'accroître la contribution de celles qui ont un recours important aux emplois précaires.

-une aide  véritable au retour à l'emploi, y compris par la formation choisie, pour les chômeurs

-le développement d'une formation continue choisie,

Seconde institution : Les conférences régionales et nationales démocratiques annuelles de  sécurisation de l'emploi et de la formation.

Celles-ci viendraient en appui aux luttes des salariés et des populations avec les moyens financiers dégagés à partir de nouveaux prélèvements sur les entreprises et du développement d'un nouveau crédit. Elles contrôleraient des avancées annuelles .Elles permettraient la prise en main démocratique de la question de l'emploi et d'e la formation en liaison avec la modernisation des entreprises et avec une articulation entre emploi qualifié, production, recherche, emploi industriel et dans les services. Elles pourraient arbitrer  entre les propositions alternatives, sur les objectifs d'emploi et de formation, sur les procédures et les moyens financiers. -Ces conférences instaureraient un débat pour l'élaboration des mesures à partir des propositions depuis des entreprises et des bassins d'emploi jusqu'aux départements et régions. -Les conférences nationales procéderaient à un bilan annuel et à une réévaluation des objectifs et les moyens.

4. De nouveaux pouvoirs depuis le plan local au niveau des entreprises  :

Il s'agit de pouvoirs décisifs décisionnels et pas seulement consultatifs, cela concerne les investissements, les embauches, la formation, le financement, les objectifs stratégiques.

Avec des propositions alternatives des comités d'entreprise ainsi que des instances nouvelles d'arbitrage à l'opposé de la dictature des actionnaires. Et cela sur toute la gestion y compris les investissements et financements.

Ces propositions alternatives concerneraient :

-une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences avant toutes difficultés avec des négociations annuelles obligatoires dans toutes les entreprises,

-des  moratoires suspensifs pour les licenciements avec des propositions alternatives,

-l'utilisation des droits de reclassement de plus en plus  étendus,

-des actions contre les délocalisations et pour la réindustrialisation,

-la sécurisation des contrats.

Il s'agit aussi de pouvoirs de participation décisionnelle aux conférences régionales et nationale annuelles sur l'emploi et la formation. De pouvoirs de saisine des travailleurs sur les nouveaux Fonds régionaux et national pour l'emploi et la formation, de briser le monopole patronal de création d'emplois.

-des mesures spécifiques aux jeunes. (Allocation autonomie, statut du stagiaire, amélioration de l'insertion professionnelle, mise en place de contrats de sécurisation dès l'entrée des jeunes dans l'emploi à temps plein avec un salaire décent, un volet formation rémunéré, un tutorat, des aides, l'accès au logement, etc. ainsi qu'un pourcentage de jeunes obligatoires dans les entreprises).

(1) Introduction à l’atelier, Sécurisation de l’emploi et de la formation.Stage d’ économie. Cette introduction s’ inspire largement du chapitre concerné à cette question dans la 2ème édition actualisée de l’ouvrage de Paul Boccara, Transformations et crise du capitalisme mondialisé. Quelle alternative. Le Temps des Cerises, septembre 2009 p.

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