Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Un Habitat écologique d'ici 2050 : Un enjeu auquel le capitalisme ne peut répondre

Le bâtiment représente aujourd'hui le premier poste de dépense énergétique en France et pas moins du quart des dégagements de gaz à effet de serre.. On comprend alors que pour respecter les accords de Kyoto, et parvenir à l'objectif du « facteur 4 », diviser par 4 en France les émissions de GES (gaz à effet de serre) d'ici 2050, ce secteur revêt une extrême importance et présente un fort potentiel d'économie d'énergie. Fort potentiel car contrairement au Transport, où une rupture technologique à grande échelle est nécessaire, les technologies en terme d'isolation de l'enveloppe,  de système de chauffage et de ventilation sont mures et peuvent à l'instar de ce qui se fait en Allemagne, un pays qui a dix ans d'avance dans ce domaine, être appliquées à grande échelle si la volonté politique est au rendez-vous.LL

Le Grenelle de l'environnement,  sur la base de ce constat, déclare, à coups de grandes campagnes de communication, s'être engagé depuis  2008 dans une politique d'incitation dans le neuf comme dans l'existant pour des constructions  à basse consommation. Pourtant dans les faits, le compte n'y est pas du tout : malgré tous les dispositifs incitatifs (crédit d'impôt, prêt à taux zéro, éco prêt, subventions directes...) et les initiatives régionales, départementales et communales. Tout cela n'aboutit qu'à quelques dizaines de milliers de rénovation-construction BBC (bâtiment basse consommation) pour toute la France, alors qu'il en faudrait près de 800 000 (500 000 rénovations+300 000 constructions  neuves) par an ne serait ce que pour respecter les objectifs du « facteur  4 » du Grenelle d'ici 2050. On est loin, très loin, du volontarisme de façade de Sarkozy à Copenhague. Certes un premier pas « sérieux » a été franchi avec l'adoption  de la nouvelle réglementation thermique qui imposera par la loi à partir de 2012 la norme BBC pour toute nouvelle construction,  mais le problème reste entier dans l'existant. En effet, l'enjeu n'est pas seulement le logement neuf mais aussi et surtout le parc existant, avec par exemple les logements dits « passoire thermique » qui consomment plus de dix fois la norme BBC (15% des logements concernés)...  En réalité, toutes les estimations le montrent, c'est plus de 80% du parc national, 24 millions de logements, qui nécessite une rénovation, et tout spécialement ceux construits avant 1975, époque ou aucune réglementation thermique n'existait. Ce qui pose la nécessité d'un vaste programme de rénovation thermique en France pour les 40 années à venir.

L'absence d'un tel plan en France et son timide  démarrage  en Allemagne sont deux exemples grandeur nature de l'incapacité du capitalisme à répondre aux enjeux écologiques.

En France, la question épineuse du financement, est contournée par de nombreux dispositifs incitatifs qui se révèlent inefficaces et non pertinents au regard de l'ampleur de la tâche. Citons deux mesures qui illustrent la « créativité » du capitalisme  dans ce domaine  : depuis  2006, les entreprises productrices d'énergie sont soumises à une obligation de quotas d'économies d'énergie, sanctionnée par des « certificats d'économies d'énergie », les CEE. Sauf qu'au-delà de la simple obligation, il est prévu de pouvoir acheter (ou vendre) ces dits « certificats » à d'autres entreprises plus volontaristes  pour se conformer à la loi. On retrouve la solution miracle d'un marché du droit à polluer  à l'échelle nationale. Malgré l'échec manifeste de cette « bourse aux certificats », on persiste et signe en multipliant les commissions d'évaluation et on envisage même d'élargir le système à l'Europe...

Mais la palme revient au concept très médiatisé de « bâtiment  à énergie positive ». L'annonce  de la baisse du prix de l'électricité achetée par EDF aux particuliers-producteurs  est anecdotique au regard du vrai scandale : celui qui permet à une construction  de contourner la norme de basse consommation (50 Kwh/m2/an).  Il suffit par exemple de consommer 200 et de revendre 150 à EDF :

200-150=50, et la norme est respectée. Or cela n'a rien à voir avec une amélioration de la performance thermique du bâtiment : la pollution éventuellement  générée est, dans tous les cas, comptabilisée  positivement dans la nature, qui ne connaît pas toutes les subtilités des addition-soustraction du capitalisme ! Il est vrai que dans l'histoire, avec la privatisation d'EDF, l'important est de vendre le plus d'électricité... L'ADEME (Agence de l'environnement  et de la maîtrise de l'énergie) évalue à 600 milliards le coût de ce plan de rénovation d'ici 2050. Qui va payer ? En Allemagne, ce sont les ménages qui paient et s'endettent même si les pouvoirs publics aident en mobilisant  des crédits à taux préférentiel  ce qui a permis de rénover 200 000 logements en 3 ans. Mais cette solution  n'est viable que dans le cas de familles aisées qui peuvent se le permettre... Comment feront toutes les autres ? En France, les différents dispositifs  de prêts aux particuliers s'avèrent inefficaces car trop peu rentables pour être soutenus par la finance. Seules quelques banques mutualistes  telle la Banque Populaire, grâce à des fonds alimentés  par des épargnants  sensibles à la cause écologique, proposent des crédits à taux attractifs (offre CodeverPréver), mais cela reste marginal. D'autre part les deux milliards initialement prévus dans le plan de relance consacrés aux économies d'énergie dans le bâtiment viennent d'être réduits à 500 millions. Au final, la solution est toute trouvée : la loi est votée pour faire supporter la moitié du coût des travaux de rénovation aux locataires, les propriétaires payant le reste.

Les réponses ne sont pas à la hauteur,  tout  comme  la construction de nouveaux logements, qui ne répond même pas à la demande de base, et ce, hors exigence d'économies d'énergie. On en est même à vendre le parc social ! Pour la plupart des gens, la priorité est avant de tout de trouver un logement  : engager de lourdes  dépenses pour faire face aux factures de chauffage qui explosent, vient en second plan, voire même se révèle impossible dans le contexte de crise et d'étranglement des salaires. Sans une intervention publique forte, l'habitat écologique risque de devenir un nouvel instrument d'injustice sociale et de clivage entre d'un coté, ceux qui auront les moyens d' avoir ce mode de vie « écologique », et le reste de la population qui s'enfoncera sous le poids des factures d'énergie de plus en plus lourdes à supporter, et qu'on ne manquera pas de culpabiliser, voir même de pousser à l'illégalité si la rénovation thermique tendait à devenir obligatoire.

Un programme de rénovation pour tous les logements, chaque fois qu'il y a changement de locataire ou de propriétaire,  période propice  à l'engagement de travaux, 500 000 logements concernés chaque année, représente un montant total de 15 Milliards d'euros et conduirait au respect des objectifs de Kyoto pour 2050. 15 Milliards d'euros par an, ce n'est pas une charge pour la collectivité,  mais un investissement social, un projet industriel et une occasion de faire réaliser des économies à la France.

Investissement social, car à l'heure où 3 millions de personnes sont dans  une  « précarité énergétique », et avec la montée des prix des hydrocarbures, il devient urgent de baisser les factures de chauffage. Projet industriel, car c'est 150 000 emplois  pérennes  pendant  40 ans qui sont en jeu, avec bien sûr la nécessité d'engager, sans attendre, un plan de formation pour d'ici quelques années disposer de professionnels de la rénovation thermique, qui pourraient assurer la maîtrise d'oeuvre des centaines de milliers de chantiers qui seront engagés chaque année. Cela engage toute l'industrie des systèmes de chauffage (production  de pompes à chaleurs, chaudières à condensation, chauffe eau solaire...) et matériaux isolants performants. Cela nécessite bien sûr de s'appuyer sur les organismes existant, comme le CSTB, ou le PREBAT, pour continuer les efforts de recherche dans ces domaines et assurer la qualité des nouvelles installations. C'est aussi faire réaliser des économies à la France, car au delà du coût social que représente le chômage et son manque à gagner pour le financement de la Sécurité sociale, on oublie aussi que les économies d'énergie sont la source d'énergie la moins chère et la moins polluante qui existe! Pour 1 euro investi dans l'isolation, c'est 2 euros, dans l'hypothèse la plus défavorable, qui sont économisés dans la production d'énergie Enfin, c'est aussi un moyen de réorienter les masses énormes d'argent consacrées à l'achat d'hydrocarbure, faiblement créateur d'emploi, vers une économie respectueuse de l'environnement. Dès 2030, la baisse de la facture énergétique autofinancera le plan (15 milliards d'économies chaque année).

Cela donne la plus grande pertinence à un pôle public financier, regroupant de grandes banques nationalisées, qui permettront  de lever du crédit à taux zéro, par la création monétaire, qui ici serait un choix politique  d'anticipation de richesses et d'économies  à venir réelles. Crédit qui serait alors proposé aux propriétaires (privés comme institutionnels), qui par le jeu du taux zéro et par la baisse de la facture de chauffage, seront en mesure de rembourser. Cependant, il faudra malgré tout prévoir une aide supplémentaire de l'État, partielle ou pour la totalité du montant des travaux énergétiques (cas du logement social ou des petits propriétaires précaires) sous conditions de ressources, pour que tout le monde puisse vivre dans un logement décent et économe en énergie. Ce programme appelle un calendrier, un dispositif réglementaire clair pour répondre à toutes les situations (copropriétés, maisons individuelles, logement social..), et surtout une valorisation  de la formation initiale et professionnelle en arrêtant les suppressions de postes dans l'éducation nationale en génie civil par exemple. Cela relance l'idée d'une véritable sécurité sociale professionnelle qui permette d'alterner les temps d'emploi et les périodes de formation aux nouveaux métiers de rénovation thermique du bâtiment, dont auront besoin les milliers d'artisans, ouvriers, techniciens, ingénieurs et architectes.

La région  est le niveau le plus pertinent pour l'évaluation des besoins et le déploiement  d'un tel programme national.

Mais sans attendre celui-ci, on pourrait déjà agir à travers  les fonds régionaux que nous proposons, ces fonds étant uniquement destinés à rembourser les intérêts des emprunts, qui par effet de levier, permettrait de mobiliser des sommes d'argent considérables auprès des banques. Ces crédits  seraient alors proposés  à taux zéro aux entreprises de la rénovation thermique, sous conditions  d'embauches, d'investissements et de politique de formation. D'autre part, en plus des constructions neuves aux normes basse consommation, on pourrait agir très vite sur le parc de logement social en IDF et, parmi eux, plus particulièrement les 100 000 logements  « passoires thermiques » à rénover.

Pour une réflexion plus large, il faudrait  aussi parler de l'« énergie grise », celle qui est nécessaire à la construction des bâtiments, qui peut représenter jusqu'à 20% de la consommation sur toute la durée de vie de l'ouvrage! L'impact de l'industrie cimentière, très énergivore, pourrait être diminué considérablement si la filière bois dans la construction  était revalorisée, ainsi que la construction  en terre crue, ce qui appelle à un changement culturel vis à vis de ces « archéo » matériaux injustement dévalorisés dans l'inconscient collectif. Et bien sûr, il faudrait intégrer ces propositions à une politique de l'urbanisme qui limite les déplacements polluants : en effet, il ne servira à rien de construire  des maisons économes si, du fait de l'étalement urbain et du défaut de moyens de transport en commun, le déplacement en voiture domine. Chacun de ces points mériterait de plus amples développements et aujourd'hui, il est nécessaire de sortir du débat habituel  sur l'énergie qui se résume trop souvent à la seule question du logement neuf, des transports  et à une problématique de production nouvelle d'énergie.

Bibliographie (non  exhaustive) :

B. Durand, Les économies d'énergie dans l'habitat existant. Une opportunité si difficile à saisir ? Mines Paris les press Paris Tech//Énergie et environnement  Les risques et les enjeux d'une crise annoncée, La Crise pétrolière B. Durand//.

Document PDF téléchargeable sur Internet en utilisant un moteur de recherche  : Modélisation des performances énergétiques du parc de logements, état du parc en 2008 ADEME//Office  parlementaire d’evaluation des choix scientifiques et technologiques, rapport sur la performance énergétique des bâtiments : comment moduler la règle pour mieux atteindre les objectifs ?//Avis et rapport du Conseil Économique et Social : Les politiques de l’urbanisme et de l’habitat face aux changements climatiques//PREBAT comparaison international bâtiment et energie//ADEME stratégie utilisation rationnelle de l’énergie chapitre II : Les bâtiments//ADEME-PUCA-CSTB comparaison internationale bâtiment et énergie B Programmes d’opérations performantes//Olivier Sidler, rénovation  à basse consomation d’énergie des logements en France//DGEMP-DIDEME, Coûts de référence de la production électrique//Former les acteurs du bâtiment à l’économie de l’énergie//...

(1) Professeur agrégé de Génie Civil. PCF Paris, candidat pour le Front de Gauche Ile-de-France.

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