Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Retraites complémentaires : capitalisation danger !

Les régimes de retraite complémentaires AGIRC, ARRCO et IRCANTEC font intégralement partie du système de retraite par répartition mis en place à la Libération.

Toutes les tentatives actuelles de remettre en cause notre système de retraite, d’où qu’elles viennent, ne visent en réalité qu’un seul objectif : abaisser drastiquement  les taux de remplacement du salaire par la retraite, jusqu’à faire coïncider les rendements de nos régimes par répartition avec ceux de la capitalisation.

Un peu d’histoire…

À la création de la Sécurité sociale, il a été décidé de plafonner  les salaires annuels bruts soumis à cotisation et donc pris en compte pour le calcul des droits à retraite. Les salariés cadres du secteur privé, dont le salaire dépassait souvent très largement ce plafond, ne se sont pas accommodés de cette situation. Un certain nombre d’entre eux ont alors manifesté contre leur affiliation à la Sécurité sociale et pour le maintien des régimes de retraite par capitalisation d’entreprise dont ils étaient bénéficiaires. À l’initiative notamment d’Ambroise Croizat, alors ministre du Travail, et de deux militants de la CGT, tous deux ingénieurs, entrés dans l’histoire sous leur nom de résistants, Adolphe Bourrand dit « Andréjean » et Roger Crépeau dit « Pascré », un régime de retraite complémentaire, régi par une convention collective nationale, fonctionnant par répartition, obligatoire pour tous les salariés cadres et assimilés cadres du secteur privé, a été mis en place dès 1947, pour permettre à ces salariés de se constituer des droits à retraite sur la partie de leur salaire non prise en compte par le régime de « base » de Sécurité sociale. Ainsi est née l’AGIRC, Association générale des institutions de retraite des Cadres.

Par ailleurs, le taux de remplacement du salaire (en l’occurrence celui moyen des dix dernières années de carrière) par la pension de base ne pouvait excéder, pour une carrière dite « complète » de 30 années, 40 %. Se sont alors créés dans le secteur privé, sur le modèle de l’AGIRC, des régimes complémentaires d’entreprise ou de branche permettant de compléter, dans la limite du plafond de la Sécurité sociale, la pension de base.

Ces régimes complémentaires  ont été regroupés au sein de l’ARRCO (Association des régimes de retraite Complémentaire) en 1961, et rendus obligatoires pour tous les salariés du secteur privé cadres comme non cadres en 1972. Entre-temps, toujours sur le modèle de l’AGIRC,  s’est créé l’IRCANTEC, Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’état et des collectivités publiques.

Aujourd’hui l’ARRCO concerne près de 30 millions de salariés du secteur privé (18 millions de cotisants et 11,5 millions de retraités). L’AGIRC concerne plus de 6 millions de salariés, cadres ou assimilés de ce même secteur privé (3,8 millions de cotisants et 2,6 millions de retraités). L’IRCANTEC, quant à elle, compte 2,77 millions d’actifs cotisants et 1,82 million de retraités.

L’AGIRC, l’ARRCO et l’IRCANTEC sont des régimes « par points »

Dans ces régimes, les droits à pension sont matérialisés par des « points ». Il existe une valeur d’acquisition du point de retraite. Le salarié cotise sur le salaire annuel soumis à cotisation dans le régime concerné, au taux en vigueur dans ce régime : aujourd’hui par exemple 16,24 % à l’AGIRC,  l’assiette de cotisation étant la partie du salaire comprise entre 1 et 8 plafonds de la Sécurité sociale, et 6 % à l’ARRCO sur la partie du salaire inférieure ou égale au plafond de la Sécurité sociale. Le montant de la cotisation annuelle divisé par la valeur d’acquisition du point de retraite détermine le nombre de points de retraite acquis par le salarié en échange de sa cotisation.  Au moment de la liquidation de la retraite, le nombre total de points acquis par le salarié durant sa carrière est multiplié par la valeur « de service » du point en vigueur l’année de cette liquidation. On obtient ainsi le montant annuel de la pension de retraite complémentaire auquel ce salarié aura droit. On voit que dans de tels régimes la valeur « de service » du point en euros n’est autre que le montant annuel brut de pension ouvert par un point de retraite.

Aujourd’hui, la pension complémentaire d’un salarié cadre ou assimilé cadre, donc cotisant à l’AGIRC, représente en moyenne 60 % de sa retraite totale (40 % pour la pension AGIRC et 20 % pour la pension ARRCO) contre 40 % seulement pour sa retraite de base.

La pension complémentaire ARRCO d’un salarié ni cadre ni assimilé cadre représente en moyenne 40 % de sa pension totale.

Ces chiffres permettent d’apprécier les enjeux de la retraite complémentaire en France et en particulier l’importance des négociations AGIRC et ARCCO actuellement en cours.

Que faut-il penser de ces régimes ?

Depuis la réforme Balladur de 1993, et plus particulièrement depuis la loi Fillon de 2003, un débat s’est ouvert sur l’opportunité de remplacer tous les régimes de retraite existants dans notre pays, de base ou complémentaires, ceux du secteur public comme ceux du secteur privé, par un régime unique fonctionnant selon la technique dite « par points » ou selon le « modèle des comptes notionnels suédois ». L’objectif de cette substitution est évidemment de régler « définitivement » la question des retraites, c’est-à-dire, en réalité, la question de leur financement pour les quatre ou cinq prochaines décennies.

Dans ce débat, se sont notamment illustrés deux économistes proches de la CFDT et du Parti socialiste, Thomas Piketty et Antoine Bozio qui se sont faits les chantres d’un régime de comptes individuels de cotisation, calqué sur le modèle de ces fameux comptes notionnels suédois.

Dans ce cadre, on a reparlé de régimes « à cotisations définies » et de régimes « à prestations définies ». Certains, du côté du Medef notamment, ont défendu l’idée que nos régimes complémentaires de retraite AGIRC, ARRCO et IRCANTEC seraient par essence même des régimes dits « à cotisations définies », faisant volontairement et en toute connaissance de cause la confusion entre régimes « par points », notamment AGIRC et ARRCO, et régimes « à cotisations définies », du type « comptes notionnels suédois ».

Qu’est-ce qu’un régime dit « à cotisations définies », qu’est-ce qu’un régime dit « à prestations définies » ?

À l’origine, cette distinction  a été introduite pour différencier, aux états-Unis notamment, les deux types de fonds de pension existants. étaient dits « à prestations définies »  les fonds de pension, d’entreprise le plus souvent, assurant à leurs salariés, sous réserve qu’ils effectuent toute leur carrière dans ladite entreprise, une pension représentant un pourcentage déterminé, donc « défini », de leur salaire de fin d’activité. Dans ce cas le « risque »  lié aux fluctuations des marchés financiers, puisque ces fonds de pension sont financés en capitalisation, était supporté par l’entreprise, tant que celle-ci demeurait suffisamment prospère pour faire face à ses engagements.

À la suite de faillites retentissantes,  ces fonds « à prestations définies » ont aujourd’hui quasiment disparu. Ils ont été remplacés par des fonds de pension dits « à cotisations définies ». Le montant des cotisations dont le taux est fixé, donc « défini », une fois pour toutes, est placé sur les marchés financiers : au moment où le salarié fait valoir son droit à pension, le capital ainsi constitué est transformé en rente. Dans ce deuxième cas, le « risque »  est évidemment intégralement supporté par le salarié : l’entreprise ne s’est engagée que sur le montant, plus exactement le taux de cotisation sur les salaires et sur rien d’autre. Si au moment de la liquidation de la pension, le capital que s’est constitué le salarié s’est évaporé en partie ou en totalité, du fait des fluctuations de la Bourse, le montant de la rente auquel il aura droit se sera évaporé dans la même proportion.

Ainsi, qu’il soit en répartition ou en capitalisation, un régime « à prestations définies » ajuste  en permanence le montant de ses ressources au montant des droits à honorer. A contrario dans un régime « à cotisations définies » le seul paramètre intangible est le taux de cotisation. Un tel régime obtient donc son équilibre financier en ajustant en permanence le niveau des droits en cours de constitution ainsi que le montant des rentes liquidées au niveau de ses ressources. Un bon exemple de régime à « cotisations définies »  est précisément fourni par les comptes notionnels suédois, qui ont amputé, en 2010, les pensions  versées à leurs allocataires de 3 % !

On comprend l’enthousiasme du Medef et de l’actuelle majorité gouvernementale…

En France, le seul régime à fonctionner  selon ce principe est le Régime Additionnel de la Fonction Publique : premier fonds de pension obligatoire instauré en 2003 par la réforme Fillon, au prétexte de satisfaire à une revendication historique des fonctionnaires : cotiser sur leurs primes. À ceci près que leur demande était de cotiser en répartition, dans leurs propres régimes et non pas en capitalisation ! Philippe Caïla, premier directeur du RAFP, en donne sans ambiguïté les caractéristiques : « C’est un fonds à contribution définie. La cotisation est obligatoire, selon un taux fixé indépendamment de la prestation versée, ce qui permet de constituer des provisions » (2).

L’AGIRC, l’ARRCO, l’IRCANTEC, régimes « par points » sont-ils alors des régimes « à cotisations définies »?

La réponse  est : ni « à cotisations  définies », ni « à prestations définies ». En réalité, dans ces régimes, le montant des ressources et le montant des prestations, à savoir des droits à pension acquis par les cotisants, loin d’être établis et fixés, donc définis, une fois pour toutes, sont négociés en permanence entre le patronat (l’état pour l’IRCANTEC) et les organisations  syndicales de salariés. L’évolution des paramètres qui déterminent les droits à retraite, ainsi que celle des ressources apportées par les cotisations,  est fixée par voie d’accords conclus pour des durées déterminées,  négociés s’agissant de l’AGIRC et de l’ARRCO, par le Medef, la CGPME et l’UPA d’une part, et les cinq confédérations syndicales représentatives dans le secteur privé (CGT, CFTD, FO, CFTC et CFE-CGC) d’autre part.

Ainsi, quelques années à peine après la création de l’AGIRC, un « taux d’appel » des cotisations a été mis en place, dans ce régime puis dans tous les autres, permettant d’ajuster en permanence le niveau des ressources au niveau des prestations à servir, calculées pour garantir au moins en moyenne, un taux de remplacement parfaitement défini du salaire par la pension de retraite. Le taux d’appel a ainsi varié de 78 % à l’AGIRC en 1952 à 125 % aujourd’hui. À l’IRCANTEC, il était de 60 % en 1973 et s’établit aujourd’hui également à 125 %.

Ce « taux d’appel » des cotisations ne change en aucune manière le taux de cotisation proprement dit, dénommé taux « contractuel » de cotisation, qui détermine le montant en euros de la cotisation qui sert à calculer le nombre de points acquis chaque année par le salarié en échange de sa cotisation. Si le taux d’appel vaut 78 %, cela veut simplement dire que pour 78 € de cotisation effectivement  versés au régime, le nombre de points attribués au salarié est calculé comme s’il avait versé 100 € de cotisation. Si le taux d’appel est de 125 %, cela veut dire que pour 125 € de cotisation effectivement versés, le nombre de points attribués au salarié est calculé comme si celui-ci avait versé 100 € de cotisation. Le taux d’appel des cotisations minore ou majore donc le montant des cotisations, au gré des besoins de financement des régimes, sans modifier le niveau des droits attribués en échange de ces cotisations : ce dernier dépend exclusivement du montant de la cotisation contractuelle.

On le voit, il est donc parfaitement contraire à la réalité de soutenir que ces régimes sont « à cotisations définies ». Ils n’en sont pas pour autant et stricto sensu des régimes « à prestations définies ». L’évolution  au fil des ans des valeurs d’acquisition du point de retraite, qui détermine le nombre de points acquis chaque année par le salarié, et de service de ce point, qui détermine le montant annuel de pension ouvert par chaque point, n’est en effet jamais fixé une fois pour toutes et peut donc varier au fil du temps, au gré des accords passés entre le patronat et le gouvernement d’une part et les organisations syndicales d’autre part.

Ainsi, en signant notamment les accords AGIRC et ARRCO de 1994, 1996 et 2003, les quatre confédérations syndicales CFDT, FO, CFTC et CFE-CGC ont diminué considérablement le taux de remplacement potentiel du salaire par la retraite complémentaire, c’est-à-dire le taux de remplacement pour une carrière complète effectuée dans le régime considéré.

Ce taux de remplacement était dans les années 1990 de l’ordre de 72 % à l’AGIRC et d’au moins 25 % à l’ARRCO, ce qui ajouté au 50 % acquis en tranche A (3) dans le régime de base permettait de garantir une pension globale moyenne de l’ordre de 75 % du salaire d’activité.

Conclusion

Les régimes  de retraite complémentaires AGIRC, ARRCO et IRCANTEC font intégralement partie du système de retraite par répartition mis en place à la Libération. Ils ont rempli la mission qui était la leur et il n’existe aucune raison valable aujourd’hui de les remettre en cause ni de les transformer  radicalement. Il n’existe pas davantage de raison valable de supprimer les régimes spéciaux ou de fusionner tous les régimes actuels de base ou complémentaires dans un régime unique fonctionnant en points, en « comptes notionnels suédois »  ou en « comptes individuels de cotisation »  comme le proposent Thomas Piketty et Antoine Bozio.

Toutes  les tentatives actuelles de remettre en cause notre système de retraite, d’où qu’elles viennent, ne visent en réalité qu’un seul objectif : abaisser drastiquement les taux de remplacement du salaire par la retraite, jusqu’à faire coïncider  les rendements de nos régimes par répartition avec ceux de la capitalisation.  Il s’agit de créer ainsi en France un « marché » de la retraite exploitable par la finance et la spéculation internationales, et ce, au prix d’une paupérisation  massive des retraités actuels et futurs. C’est le sens de la réforme du 9 novembre 2010, et en particulier, du rendez-vous  qu’elle fixe en 2013 sur la mise en place d’un régime unique… à cotisations définies. 

(1) Sylvie Durand est responsable du secteur retraites de l’UGICT-CGT.

(2) Extrait de : Retraite complémentaire AGIRC-ARRCO – 2° trimestre 2006.

(3)  Tranche A : partie du salaire inférieure ou égale au plafond de la Sécurité sociale.


 

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