Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Emploi-chômage la bataille des chiffres

Alors que la crise bat son plein et que la politique menée par la droite au pouvoir ravage l’emploi, fin décembre 2010, s’appuyant sur la dernière livraison trimestrielle de l’INSEE, le gouvernement s’octroyait une fois de plus un satisfecit pour sa politique de gestion de l’emploi et du chômage, en reprenant à son compte la stabilisation du taux de chômage sur le second semestre 2010 et la création nette de 100 000 emplois sur l’année.

Nouvel enfumage des stratèges de la communication UMP qui ne leurre plus personne (1), l’apparent paradoxe conserve toutefois le mérite de remettre à l’ordre du jour le débat sur les indicateurs du chômage et leur utilisation politique.

En effet, pour justifier son enthousiasme, le gouvernement s’est  appuyé sur les données  statistiques fournies par l’INSEE.  Partant d’une définition du Bureau International du Travail (BIT) adaptée à celle d’Eurostat, l’institut de la statistique publique définit depuis 2007 le chômeur comme « une personne en âge de travailler (15 ans ou plus) qui n’a pas travaillé, ne serait-ce qu’une heure, au cours de la semaine de référence, qui est disponible pour travailler dans les deux semaines et a entrepris des démarches actives dans le mois précédent l’enquête ou a trouvé un emploi qui commence dans trois mois ». En nombre, selon cette définition, la France métropolitaine comptait plus de 2 620 000 chômeurs en fin novembre 2010. Le taux de chômage s’établissait alors à 9,3% de la population active. Un chiffre stable sur l’année.

Pourtant, de son côté, Pôle Emploi qui comptabilise le nombre de demandeurs d’emploi en France métropolitaine à partir du recensement des demandeurs d’emploi  inscrits à Pôle Emploi (2), dénombraient au même moment plus de 2 698 000 demandeurs de catégorie A. Un chiffre en croissance de 2% sur l’année représentant un taux de chômage de 9,9%, et qui peut être pondéré sensiblement à la hausse si l’on tient compte des différents facteurs qui interviennent dans la comptabilité des demandeurs d’emploi par l’opérateur public et affectent  ses données listées (3) au-delà des fluctuations du marché de l’emploi.

Par ailleurs, l’opérateur public de l’emploi notait que, fin novembre 2010, 1 321 000 demandeurs d’emplois exerçaient une activité à temps partiel et désiraient travailler plus sans pouvoir le faire. 531 100 personnes travaillaient moins de 78 heures, nombre accru de 3,6% sur l’année, et 789 900 personnes plus de 78 heures représentant une hausse de 17,7% sur la même période. De sorte qu’au total, la France métropolitaine comptait pas moins de 4 019 100 chômeurs ayant engagé des actes positifs de recherche d’emploi (4 618 600 en incluant les catégories D et E). Un chiffre en croissance de 5% sur l’année 2010, bien éloigné des annonces gouvernementales et d’une  quelconque stabilité du marché de l’emploi.

Sans chercher à réactiver une guerre des chiffres stérile qui opposerait inutilement les deux institutions publiques (4), on ne peut passer outre que ces deux modes de comptabilisation du chômage sont bien révélateurs d’une différence d’approche du marché de l’emploi et des politiques de gestion du chômage qui en découlent.

En effet, Il n’échappe à personne que la définition du BIT du chômage est une définition signifiante et très utile pour les comparaisons internationales, mais qu’elle est aussi restrictive. Concrètement, elle exclut de sa comptabilité du chômage le sous-emploi,  les effets de la flexibilisation-précarisation de l’emploi et l’exclusion de l’emploi de certaines catégories de chômeurs.

Invoquer cette définition internationale du chômage qui fige l’analyse des évolutions du marché de l’emploi dans le diptyque « avoir un travail ou ne pas en avoir », permet alors au gouvernement d’entériner définitivement de manière  habile ces formes particulières de l’emploi et d’ordonner la fin du CDI à temps plein comme référent de l’emploi (5). Pire, c’est une façon de calibrer la politique publique de l’emploi autour du seul « fonctionnement parfait » du marché du travail dont nous savons qu’il se résume à une déréglementation généralisée de l’emploi  visant une baisse du coût du travail.

Or c’est bien ce phénomène de précarisation qui marque l’évolution du marché de l’emploi depuis 20 ans, et que la crise de 2008 a amplifié.

À tel point que la création d’emplois courant 2010 a principalement été tirée par celle des emplois précaires. Qu’elle s’est accompagnée d’une chute des emplois créés en CDI sur la période qui ne représentent désormais que 1/5e  des emplois créés, le reste étant des emplois temporaires. Le taux d’emploi en CDI est désormais de 48,8%, un niveau inférieur à celui de 2003.

évolution qui a accru le mouvement de croissance des chômeurs de plus de 50 ans qui touche aujourd’hui plus de 500 000 personnes (+15,4% en un an), sans jamais remettre en cause le chômage des moins de 25 ans qui demeure à près de 24% ni celui des chômeurs de longue durée qui atteint désormais 1 469 700 personnes (+24,9% en un an) et dont 57% sont au chômage depuis plus d’un an.

Fondamentalement, ce que ne dit pas le taux de chômage convoqué par le gouvernement,  c’est que la France s’enfonce dans un sous-emploi de masse dont même les statistiques de Pôle Emploi ne rendent qu’une partie de l’ampleur.

Avec plus de 4 millions d’actifs désireux de travailler à temps plein, en tenant compte du nombre de bénéficiaires d’emplois aidés (du CAE au RSA), du nombre de stages, de préretraités ou d’auto-entrepreneurs forcés..., il est possible d’affirmer que plus du ¼ de la population active française est désormais exclue d’un emploi lui assurant les moyens, même limités, d’une vie digne, lui permettant de prévoir l’avenir, de préserver ses compétences  et sa santé.

Face à ce constat, le débat sur la statistique du chômage et ses indicateurs doit être l’occasion de remettre à l’ordre du jour la nécessité d’un dépassement du marché du travail. Les travailleurs du pays ne doivent plus être les variables d’ajustement de la valorisation du capital.

Notre proposition communiste d’une sécurité d’emploi ou de formation, qui a servi à l’élaboration du projet de sécurité sociale professionnelle de la CGT et implicitement au consensus syndical européen sur la sécurisation des parcours professionnels, est une voie ouverte dans ce sens.

En assurant graduellement à chaque actif du pays soit un emploi soit une formation rémunérée lui permettant d’accéder par la suite à un emploi de meilleure qualité, cette nouvelle sécurité sociale assurerait chacun de ses revenus  et de ses droits associés, par des rotations emploi-formation  maîtrisées. Financée par un prélèvement sur les richesses produites dans l’entreprise, elle aurait l’avantage tout à la fois de ne pas s’opposer à la dynamique d’innovation des entreprises et d’assurer à chacune et chacun sa dignité.

Il s’agit ni plus ni moins que d’un enjeu de civilisation. 

(1) Chacun sait que  le taux de chômage français hors  fluctuations conjoncturelles oscille depuis près de 20 ans entre 9 et 10% de la population active. et d’autre part, que la création nette des 100 000 emplois en 2010 n’efface en aucun cas la perte des 500 000 emplois de 2009.

(2) La comptabilisation des demandeurs d’emploi selon Pôle emploi est déclinée en plusieurs groupements statistiques. Le premier groupe, la catégorie A, des demandeurs d’emploi recense les personnes sans emploi inscrites à Pôle Emploi en fin de mois. La catégorie B, les demandeurs d’emplois inscrits mais ayant travaillé au plus 78 heures au cours du mois. La catégorie c, les demandeurs d’emploi inscrits mais ayant travaillé plus de 78 heures dans le mois. ces 3 catégories ont en commun de regrouper des  personnes inscrites à Pôle emploi tenues de faire des actes positifs de recherche d’emploi. Politique active de l’emploi oblige ! viennent ensuite 2 catégories de personnes inscrites, mais exonérées de démonstration d’actes positifs de recherche d’emploi : la catégorie d regroupant les personnes inscrites non immédiatement disponibles et la catégorie e concentrant les personnes inscrites pourvues d’un emploi.

(3) ces facteurs sont connus et le ministère du Travail et de l’emploi les reconnaît lui-même  : les modifications  du suivi et de l’accompagnement des demandeurs d’emploi (gestion agressive des listes des demandeurs d’emploi, radiations abusives, exclusions du devoir de recherche active  d’emploi de certaines catégories inscrites à Pôle Emploi...),  les  comportements des  demandeurs eux-mêmes (découragement face  à un marché de l’emploi atone et une  mauvaise prise en charge), les politiques d’insertion dans l’emploi mises en œuvre (rSA, contrats aidés...). à quoi il faudrait ajouter les moyens de  la politique  publique  de  l’emploi. Couplée à une  réduction des dépenses publiques de la politique de l’emploi (-13,3% de dotations à périmètre constant pour le volet travail-emploi du budget 2011 qui confirme le mouvement engagé depuis 2 ans), la réforme  de l’opérateur  public de  l’emploi, sa réorganisation à l’échelle  territoriale, la baisse de  ses moyens humains et financiers (baisse de  5% du budget 2011 et suppression de 3,6% des effectifs (1 800 emplois) de Pôle emploi) et sa mise en concurrence avec les agences privées du placement ont modifié considérablement la capacité de prise en charge des demandeurs d’emploi par les agents de Pôle emploi. en particulier dans les bassins d’emploi très chargés en chômeurs, où les  conseillers emploi  de  l’ANPE se retrouvent à gérer  jusqu’à 200 dossiers de demandeurs d’emploi par personne, alors que par convention le nombre devrait être de 60 dossiers par conseiller ! (4)  La notion  de  demandeur d’emploi  inscrit  à  Pôle  Emploi  est différente de celle de chômeur au sens du BIT, elle ne couvre pas exactement la même réalité certains demandeurs d’emploi ne sont pas chômeurs au sens du bIT et tous les chômeurs BIT ne sont pas demandeurs d’emploi.

(5) on comprend mieux dès lors la stratégie de l’UMP et des sociolibéraux appelant le retour au plein emploi par une politique active de l’insertion dans l’emploi, si ce plein-emploi est celui d’un plein-emploi de la précarité et qu’il ne touche pas à la logique de réduction globale du coût du travail.

 

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