Même si le gouvernement ne cesse de répéter qu’aucune hausse généralisée de l’impôt n’aura lieu en 2011, faisant ainsi écho à un des engagements du Président Sarkozy : « je ne serai pas le président de la hausse des impôts », les prélèvements fiscaux et sociaux, particulièrement ceux qui pèsent sur les ménages, vont bel et bien augmenter en 2011. Cette tendance devrait se poursuivre au cours des années suivantes dans le seul objectif de réduire la dette publique, sans aucun effet de relance réelle sur l’économie du pays, donc sans perspective d’amélioration de la situation sociale des gens (voir tableau).
le passage de la TVA à 19,6 % sur les offres internet triple play ;
une taxe de 3,5 % sur les contrats d’assurances maladies complémentaires ;
le relèvement de la contribution au service public de l’électricité qui va se traduire par une hausse de 3 % des factures d’électricité ;
une réduction des bonus-malus automobile ;
la suppression de la possibilité de faire trois déclarations l’année du mariage, du pacs, ou du divorce ou de la fin du pacs ;
la disparition de la demi-part supplémentaire pour parent isolé (applicable en 2013) ;
le passage du taux de la tranche supérieure du barème de l’impôt sur le revenu de 40 % à 41 % pour les revenus annuels supérieurs à 70 830 € ;
l’instauration des prélèvements sociaux sur l’assurance-vie et les plans épargne logement ;
la fin du crédit d’impôt sur les intérêts d’emprunt. La principale caractéristique de ces mesures est leur ciblage sociologique. Pour une très large part, elles vont s’appliquer aux revenus modestes et moyens, tendant vu l’évolution quasiment nulle des rémunérations à dégrader leur situation économique et participant ainsi à une paupérisation relative de la couche moyenne. En termes d’impact budgétaire, ces mesures vont représenter plus de 50 % des prélèvements nouveaux de 2011, les autres prélèvements concernent les entreprises parmi lesquelles les PME-PMI seront assez largement mises à contribution.
La campagne menée fin 2010 sur le thème du rabotage des niches fiscales aura fait son œuvre idéologique. Au prétexte de raboter 22 niches, c’est le citoyen moyen qui va payer l’essentiel de l’addition. Car qu’on ne s’y méprenne pas. Qu’y a-t-il réellement de changé dans la loi de finances 2011 pour les revenus du capital et du patrimoine, notamment les plus gros ? Rien ou presque rien.
On attend encore la remise en cause de l’avantage Copé sur les plus-values de cession de parts sociales d’entreprises détenues depuis plus de deux ans et totalement exonérées (12 milliards d’euros). Quels moyens dissuasifs ont été envisagés contre la course aux dividendes des entreprises du CAC 40 qui vont encaisser au titre de 2010 plus de 80 milliards d’euros, c’est-à-dire quasiment ce qu’elles empochaient avant la crise de 2008 ? Quels dispositifs sont mis en œuvre pour s’attaquer à l’accumulation financière des entreprises : 5 000 milliards d’actifs financiers apparaissent au bilan des sociétés résidant en France ? Globalement les entreprises auront réalisé 165 milliards de profits financiers, à quelle fin ? De façon quasi exclusive, cet argent n’est destiné qu’à retourner aux marchés financiers via la spéculation, les OPA et autres opérations du même ordre. Enfin une autre question se pose que la loi de Finances n’a même pas daigné aborder : quels moyens de contrôle nouveau des banques et des assurances pourraient être proposés ?
Car à ce niveau, il ne s’agit plus de niches mais de plaies béantes. Et ce sont des plaies qu’il faut cautériser. Car elles sont la marque profonde de l’exacerbation de la dérive financière du système capitaliste qui lamine les budgets publics et sociaux, qui jette dans la précarité des millions de citoyens et qui n’en finit pas de tailler dans la dépense publique pour satisfaire l’avidité des prélèvements financiers.
Dans la situation de crise profonde que nous traversons, les mesures fiscales d’une loi de finances qui se serait fixé un réel objectif de redressement des comptes publics auraient dû porter une tout autre ambition, un tout autre contenu. La politique fiscale étant un des éléments de la politique économique, le premier objectif dans une période de crise dont une des causes est la raréfaction de la demande populaire est de favoriser la relance de cette demande. Mais une demande saine, construite à partir de nouveaux critères d’efficacité sociale et environnementale avec, en pointe, le développement de nouveaux services publics.
Or c’est tout le contraire que nous proposent les choix budgétaires de 2011. C’est à nouveau une saignée de l’emploi public accompagnée d’un rabougrissement des missions publiques, ce sont de nouvelles économies sur les dépenses sociales et particulièrement de santé, c’est le refus d’engager une vraie politique de reconquête de l’emploi au prétexte d’allègement des charges des entreprises et de compétitivité. Ainsi, non seulement les plus faibles vont devoir payer plus mais ils recevront moins de l’effort de répartition nationale du fait de services publics mis dans l’incapacité de répondre à leurs attentes et de prestations sociales de plus en plus allégées.
Comme si cela ne suffisait pas, la fiche de route fiscale tracée par N. Sarkozy pour la future loi de finances n’est ni plus ni moins que d’en finir avec l’ISF. Feignant d’accéder à la forte demande de suppression du bouclier fiscal, la voie tracée serait d’abandonner à la fois, le bouclier fiscal et l’ISF. Cela relève d’une logique certaine puisque le bouclier fiscal avait été principalement instauré pour atténuer l’impôt des redevables de l’ISF, ce qui pour certains revenait à supprimer l’effet de ce prélèvement.
Avec la volonté de créer une fiscalité verte beaucoup plus lourde, la suppression de l’ISF serait le second volet d’un profond changement de cap fiscal dans notre pays. Derrière la disparition de l’ISF se dessine en effet un remodelage de l’ensemble de la fiscalité du patrimoine dans une période où chacun sait que de nombreux patrimoines vont changer de mains, se recomposer et cela, pas seulement à l’échelle nationale mais aussi au plan européen.
Derrière une question qui peut apparaître de pure technique fiscale, voire d’équité, ce sont des enjeux colossaux qui vont se nouer et de dénouer. Pour Bercy comme pour Bruxelles, il s’agit à nouveau et cette fois-ci en matière patrimoniale, de lever le maximum d’obstacles juridiques et fiscaux pour permettre aux fortunes de se recomposer avec, à la clé, d’énormes fusions-concentration dans l’objectif vraisemblable d’aboutir à une réduction du nombre de leurs détenteurs. D’où les risques d’une nouvelle fiscalité du patrimoine qui débouche sur un dispositif relativement beaucoup plus lourd à supporter pour ce qu’on appellera les plus petits possédants.
Évolution de la dette publique/taux de prélèvements obligatoire
2010 | 2011 | 2012 | 2013 | 2014 | |
Dette publique (en % du PIB) | 82,9 | 86,2 | 87,4 | 86,8 | 85,3 |
Taux de prélèvements obligatoires (en % du PIB | 41,9 | 42,9 | 43,2 | 43,7 | 43,9 |
Source projet de loi de finances 2011
Les simulations effectuées par l’Inspection Générale des Finances quant aux conséquences de la suppression de la taxe professionnelle et notamment de la compensation qu’aurait à effectuer l’état auprès des collectivités territoriales semblent avoir été particulièrement optimistes. D’un milliard d’euros, on atteindrait aujourd’hui les 2,5 milliards. Il est vrai que dans leur estimation, ces hauts fonctionnaires n’avaient pu intégrer l’annulation de la taxation des professions libérales du fait de la suppression par les députés du principe de la taxation sur les recettes (770 millions d’euros). Cependant, il semblerait que le montant du cadeau global accordé aux entreprises avait aussi été largement sous-estimé. Nombreuses sont en effet les entreprises qui ont pu constater une baisse de l’ordre de 40 % du montant de leur cotisation globale 2010 au titre de la CFE et de la CVAE (2) par rapport à la contribution qu’elles avaient acquittée en 2009 en matière de taxe professionnelle.
Mais là ne s’arrête pas le bilan de la suppression de la taxe professionnelle. Nous le disions au moment de la préparation de la loi de finances 2010. Avec la disparition de la taxe professionnelle, s’engageait une réforme de la structure même de la fiscalité locale et de son poids relatif sur les différentes catégories de contribuables. Cette analyse se trouve aujourd’hui totalement corroborée par les faits. D’une structure de prélèvements fiscaux locaux qui reposaient en 2009 à 47 % sur les ménages et à 53 % sur les entreprises, nous sommes aujourd’hui passés à un rapport totalement inversé. Ainsi en 2010, 53 % des recettes locales proviennent des ménages et seulement 47 % ont pour origine les entreprises.Enfin lorsqu’il est question de compensation de l’état, il est un point que celui-ci se garde bien d’aborder, c’est le tour de passe-passe réalisé à l’occasion de la mise en place de la CVAE. Cette contribution des entreprises varie selon le niveau de chiffre d’affaires de celles-ci entre des taux appliqués à leur valeur ajoutée, situés entre 0,5 %, 0,7 % et 1,5 % alors que le montant du produit de cette taxe devant revenir au budget des collectivités territoriales est calculé sur le taux unique de 1,5 %. Cela pourrait représenter un montant supplémentaire à compenser pour l’état de l’ordre de 4,5 milliards d’euros sur un produit total estimé au titre de la CVAE 2011, de 16 milliards d’euros.
Cerise sur le gâteau, l’instauration de la CVAE aura finalement permis de faire tomber le plafonnement valeur ajoutée des entreprises qui était jusque-là de 3,5 % à 1,5 %.
Ces premiers éléments de bilan chiffré de la suppression de la taxe professionnelle montrent à quel point il est nécessaire de poursuivre le débat sur une autre réforme de la taxe professionnelle. Une réforme tendant à faire de cette taxe un véritable impôt sur le capital des entreprises assis sur leurs actifs immobiliers, mobiliers et financiers avec l’objectif de désintoxiquer leur gestion de la finance et de lutter contre les gâchis, notamment contre les investissements matériels réalisés afin d’économiser sur l’emploi et la formation. Cette nouvelle taxe permettrait de recréer une véritable responsabilité sociale et territoriale des entreprises en faisant des communes et de leur situation spécifique le cœur d’un nouveau dispositif de péréquation.
(1) données tirées du rapport « Durieux » de mai 2010 : « évaluation des effets de la suppression de la taxe professionnelle sur la fiscalité des collectivités territoriales et sur les entreprises ».
(2) CFE et CVAE : contribution Foncière des entreprises et contribution sur la valeur Ajoutée des entreprises.
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