Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Fonderie de Fumel : l’émergence d’une nouvelle conception de la gestion d’entreprise

Etrange égocentrisme que celui qui pousse le patronat, essentiellement le grand, à vouloir à lui tout seul représenter «l’entreprise». Si cela avait été le cas, pour ne citer qu’elle, la fonderie de Fumel, dans le Lot-et-Garonne, de son nouveau nom Metaltemple Aquitaine (MTA), aurait été rayée de la carte. Elle n’existerait plus.

Aujourd’hui, Gianpiero Colla, qui dirige le groupe B4 Trading UK repreneur de la fonderie en avril 2009, peut déclarer à propos de

l’activité de l’entreprise (1) : « Nous sommes partis avec un budget 2010 autour de 15,5 M€ et l’on va finir l’année avec un chiffre d’affaires autour de 20,5 M€. […] Dans le futur, on pense réaliser 23 M€ de chiffre d’affaires en 2011, 24 M en 2012 et 26 M en 2013, ce qui correspond à une croissance de 8 % par an en moyenne ».  L’entreprise a traversé bien des tempêtes, mais elle est toujours là, même si elle est affaiblie.

La fonderie de Fumel revient de loin. « C’est sûr qu’au fil des années, l’actionnariat  n’a pas été terrible », reconnaît le cadre commercial de l’entreprise, Michel Lacautre, À tout le moins !  Créée au xixe  siècle, l’entreprise  a changé régulièrement d’actionnaire  et de nom. Elle est devenue une filiale de Pont-à-Mousson en 1970 et comptait encore 2 000 salariés en 1980. Le groupe Saint-Gobain, qui en avait hérité lors du rachat de Pont-à-Mousson, a contribué à la reconvertir dans la fonderie automobile, délocalisant d’autres productions en Espagne, avant de la céder à la Financière du Valois de Michel Coencas pour un franc symbolique. Celui-ci, conseillé par l’avocat, spécialiste des faillites, Jean-Louis Borloo, rachetait alors des fonderies à tour de bras, avec le soutien des constructeurs automobiles qui lui refilaient bien volontiers leurs propres installations.

Mais, la Financière du Valois est venue à Fumel pour réaliser un « coup ». En 1989, elle revend l’entreprise au groupe Valfond, filiale de l’Union  des banques suisses, réalisant au passage une belle plus-value. En avril 2003 a lieu le premier dépôt de bilan. Presque toutes les fonderies travaillant pour l’automobile ont déjà été liquidées dans l’Hexagone. Celle de Fumel est alors reprise par ses salariés et ses cadres, mais elle n’a plus que 380 emplois. En 2006, elle est à nouveau cédée, cette fois à un groupe ukrainien, Motordetal, qui ne trouve rien de mieux que de dérober en catimini des moules de fabrication de la fonderie afin de transférer la production du côté de Kiev. Les salariés  réagissent et empêchent la délocalisation de l’outil de production. En 2008, en raison de cette politique de la terre brûlée du repreneur, l’entreprise est à nouveau en dépôt de bilan.

Pour les salariés  de la fonderie, la main aveugle du marché n’a donc pas été si anonyme que cela. Pour agir, elle a eu le soutien des pouvoirs publics qui ont facilité tous les coups financiers contre l’emploi. « Des PME comme les nôtres, ne sont pas soutenues », déclare un autre cadre avec un certain sens de l’euphémisme. Lors des trois derniers redressements judiciaires, la collectivité publique, le fisc, les administrations de la sécurité sociale, ont dû s’asseoir sur 30 M€ de dettes laissées par les repreneurs successifs. L’histoire de la fonderie témoigne sans aucun doute, à son échelle, d’une part de la crise du système de délégation de la gestion des entreprises aux propriétaires du capital et à leurs affidés, caractéristique du capitalisme et de la civilisation occidentale, et, d’autre part, du besoin de le dépasser.

En avril 2009, donc, la fonderie est reprise par Gianpiero Colla, un dirigeant patronal qui découvre « avec surprise », reconnaît-il aujourd’hui, des travailleurs très attachés à leurs emplois, à leurs métiers. Lors des discussions sur ce projet de reprise, les salariés de Fumel, avec leurs organisations syndicales, se sont battus pour sauver le plus grand nombre d’emplois et ont obtenu la garantie pour les 145 salariés licenciés d’une rémunération équivalente à 80 % de leur salaire brut pendant deux ans dans le cadre d’un parcours de professionnalisation. Habituellement, les laissés-pour-compte des plans de restructuration bénéficient au mieux d’une garantie de ressources d’une année. Les fondeurs ont également obtenu la préservation d’une des activités non reprises par le groupe de Gianpiero Colla, la fonderie centrifugée. L’accord conclu est inédit, la législation sociale bousculée.

«Beaucoup pensaient que ce protocole était une façon de tirer en touche », de se débarrasser de l’épineux problème des licenciés en les aiguillant comme trop souvent vers une voie de garage, commente  José Gonzales, le secrétaire CGT du comité d’entreprise. Dans l’esprit des syndicalistes, le dispositif est conçu à l’opposé : former plutôt que licencier et former pour réembaucher. « Notre originalité,  assure José, a été de nous battre constamment pour avoir un avenir industriel, même en 2009 où nous n’avons jamais  été aussi proches de la liquidation. Nous avons toujours été force de proposition ».

À la fin octobre 2010, MTA comptait dans ses effectifs 217 salariés, dont 5 CDD et un contrat d’apprentissage. 29 personnes ont été embauchées ces derniers mois, dont 20 sont d’anciens salariés licenciés issus de la cellule de reclassement. Cependant, à la mi-novembre 2010, seulement 6 d’entre eux étaient en CDI. Il faut donc consolider et développer à la fois l’activité et l’emploi et faire reculer la précarité. On cerne ainsi ce que peut être une mixité conflictuelle au sein de l’entreprise entre salariés, dirigeants et actionnaires, à l’opposé du consensus mou de la cogestion. Une mixité qui, cependant, ne se cantonne pas à l’entreprise. Les salariés sont en effet confrontés à la fois à une gestion patronale mais aussi à un marché capitaliste mondialisé.

Comment l’aborder ? Les marchés de MTA ce sont ceux des fabricants de gros camions de chantier notamment pour les exploitations minières, de moteurs marins ou pour l’exploitation des plateformes pétrolières. L’entreprise est également présente sur le marché des gros tubes centrifugés qui servent à des applications dans la sidérurgie, dans l’aluminium. Elle est sur des secteurs en expansion à l’international : pétrole, mines,… Son champ d’activité s’étend au monde entier. Elle n’est pas confrontée à des producteurs installés en zone dollar, ses concurrents sont Allemands, Japonais. Aux États-Unis, son premier marché à l’exportation, elle n’a pas de concurrent sur place. Ses clients ce sont, indirectement, la marine américaine, les mines d’Arizona. Tous les composants  majeurs de ces gros moteurs diesel utilisés viennent d’Europe. Le moteur diesel industriel est une spécialité européenne.

Y compris   vis-à-vis  de la toute récente concurrence chinoise, l’entreprise a des atouts, tant au niveau des coûts que de la qualité. Les coûts matière sont les mêmes et l’énergie en France est l’une des moins chères. « Certes, l’ouvrier français est mieux payé mais cela ne veut pas dire qu’au total les coûts salariaux soient supérieurs, affirme Michel Lacautre, le responsable commercial. La productivité et la qualité  sont supérieures ici ». MTA ne craint donc pas trop la Chine. La preuve par l’exemple de Scania. En concurrence avec une entreprise chinoise pour la livraison de chemises de poids lourds, MTA a décroché plus de la moitié du marché pour un contrat de 3 ans.

Ces atouts que les salariés de MTA ont réussi à préserver, comment les mettre au service d’une démarche de promotion de l’emploi et des hommes ? Les  militants CGT et les communistes  insistent sur le besoin de pousser les feux dans deux domaines, celui de la technicité de l’entreprise et celui de la formation. En dépit du pillage effectué par les différents repreneurs, la fonderie lot-et-garonnaise dispose encore d’une avance technologique dans certains domaines. Elle est ainsi propriétaire de brevets sur la technologie des chemises bimétal qui lui donnent une position unique en Europe, voire dans le monde. Pour consolider et élargir cette avance, la CGT propose la création d’un bureau de recherche sur le site. La direction lui oppose à la fois l’existence d’une unité de ce type au sein du groupe en Allemagne, le coût du projet et la difficulté à constituer des équipes dans des domaines aussi pointus.

Second atout à cultiver : la formation. La direction a pris du retard en ce domaine tout comme en matière d’embauche tant et si bien qu’une partie des commandes n’ont été satisfaites que de manière différée. « Maintenant  que la charge monte, explique José Gonzalès, il faut se battre pour la réintégration du personnel licencié et l’embauche de jeunes. Nous avons besoin de lancer des formations qualifiantes de 800 heures sur des métiers d’usineurs et de fondeurs. 46 personnes en cellule de reclassement ont confirmé leur volonté de faire  ces formations avec la possibilité de réintégrer l’usine ». Le savoir-faire de ces ouvriers de Fumel, qui est pour une bonne part dans la renommée de la fonderie, pourra ainsi être transmis.

La recherche, la technicité, la formation sont seules à même d’assurer l’avenir de l’entreprise d’autant qu’elle a besoin d’étendre son champ de production. Les syndicalistes de Fumel ont réussi à obtenir dans le protocole d’accord de 2009 que l’une des activités non reprise par le groupe de Gianpiero Colla, la BMD, unité qui fait de la fonderie à plat, contrairement au reste du site qui pratique la fonderie centrifugée, soit préservée. L’installation d’un four électrique et la modernisation de la ligne de production permettraient de remettre la BMD en capacité de produire des semelles de frein pour la SNCF dans de bonnes conditions. L’entreprise ferroviaire serait d’ailleurs prête à revenir à Fumel si la fonderie lui propose des prix et une qualité conformes au marché. Une nouvelle étude est en cours afin de valider les premières appréciations.

Comment financer l’ensemble  de ces projets ?  La banque de l’entreprise, la Société générale refuse de débloquer des fonds, la Banque de France, qui pourtant est à même de constater l’amélioration de la situation financière de l’entreprise, ne dit mot. Déjà, lorsqu’en  2003 les salariés ont repris l’entreprise, les banques ont refusé de la financer, ce qui l’a contrainte à vendre son site de production d’électricité hydraulique !

La CGT de la fonderie, pour sa part, demande au conseil régional à direction socialiste de financer les nouvelles formations nécessaires et de contribuer au redémarrage partiel de la BMD. Les élus PS affirment attendre les conclusions  d’une étude de faisabilité en cours pour prendre une décision. Qui doit payer, les banques, l’institution régionale, quel rôle les institutions publiques doivent-elles jouer ? Pour sa part, le Parti communiste français appelle à renforcer la pression sur la Société générale, sur les autres banques implantées dans le département, sur la Banque de France et sur les pouvoirs publics pour que Métaltemple Aquitaine puisse bénéficier d’un crédit bancaire de 900 000 euros à 0 %, à échéance de cinq ans, pour la mise à niveau de son équipement de fonderie BMD.

Au cas où ces pressions aboutiraient, il demande que la région contribue au succès du projet en apportant sa garantie à l’investissement financé et en prenant en charge une partie des intérêts. Par ailleurs, le Fonds stratégique  d’investissement (FSI), ou le Fonds de modernisation des équipementiers automobiles (FMEA), deux institutions publiques, ne peuvent-ils pas intervenir en l’affaire et contribuer à « dégeler » les banques ?

(1) Interview à L’Humanité du 7 décembre 2010.

 

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