Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Le SUCRE face au dollar

C’est en date du 3 février dernier, l’anniversaire de la naissance du célèbre libérateur Antonio José de Sucre, que s’est effectuée la première opération du Système Unitaire de Compensation Régionale de Paiements (SUCRE) fondé par les pays de l’Alliance Bolivarienne pour les Peuples de Notre Amérique. Une vente de riz du Venezuela à Cuba pour

108 000 sucres (100 000 euros) a permis d’inaugurer l’unique réelle alternative qui ait été présentée face à la crise économique mondiale que nous sommes en train de vivre.

Toutes  les initiatives  énoncées par les sommets du G-20 ont jusqu’à présent versé dans l’immobilisme le plus vain. On y a « parlé de tout changer pour ne rien changer ». Mais, la crise continue à dévaster les appareils productifs et les emplois et à propager inégalité et pauvreté de par le monde, laissant nombre d’économies à la merci absolue des marchés financiers internationaux.

En Amérique  latine la crise a exacerbé les conséquences de grande faiblesse de ses économies :

 une spécialisation productive et commerciale dans les matières premières ou dans les produits manufacturés à faible valeur ajoutée, à la difficulté de développer des appareils productifs suffisamment solides ;

 une dépendance envers les monnaies étrangères (le dollar en particulier) et les marchés internationaux des devises et de la dette, condition sine qua non pour satisfaire leurs nécessités externes ;

 le manque d’une représentation de poids au sein des organismes internationaux, à l’heure de décider de la reconfiguration de l’économie et des finances mondiales.

Face à cette problématique, le SUCRE s’est érigé en une source d’espoir pour les pays de l’ALBA. Grâce à lui, ceux-ci cherchent à transformer leurs économies pour les repositionner  au sein de la division internationale du travail pour mieux affronter la crise mondiale.

Le Système se compose de 4 éléments fondamentaux : de l’Unité de Compte, le « sucre », de la Chambre de Compensation des Paiements, du Fonds de Réserve et Convergence Commerciale et du Conseil Monétaire Régional. Son fonctionnement se centre sur la compensation semestrielle des positions résultantes des flux commerciaux (encore modestes) entre la Bolivie, Cuba, l’équateur, le Nicaragua et le Venezuela. Ces flux seront valorisés en « sucres », la monnaie commune, composée d’un panier des diverses monnaies nationales. Bien qu’il n’y ait pas d’émission physique (à l’instar de l’Ecu, en son temps), le « sucre » servira  de moyen de paiement entre les banques  centrales  et le Conseil Monétaire Régional chargé de leur assignation aux pays et de la régulation globale du système.

Initialement, ces institutions seront les seules à utiliser la monnaie, et devront convertir leurs positions marginales en dollars en fin de semestre. De cette manière, les pays pourront oxygéner leurs balances de paiements, une garantie de confiance envers de possibles risques de spéculation. Le système de compensation permettra une diminution du besoin de dollars au sein des bilans des banques centrales. Il permettra aussi aux agents commerciaux de payer en leur propre monnaie les importations provenant d’autres pays de la zone, au lieu de recourir au dollar comme ils le font actuellement. Cela devrait se traduire par un encouragement à ce que les pays réorientent leurs achats vers la zone SUCRE, en particulier en cette époque de crise ou l’accès aux devises se complique  sensiblement.

Recentrer les échanges sur la zone est en réalité l’un des principaux objectifs du Système : et ce, en stimulant les appareils productifs internes de ses économies,  grâce au développement de leur complémentarité productive. Les deux processus fondamentaux qui devront y contribuer sont les suivants :

En premier lieu, la croissance équilibrée des échanges entre les pays de la zone au SUCRE : un commerce qui, malgré sa forte augmentation depuis que l’ALBA s’est constituée, reste résiduel. Au début, le caractère presque symbolique du milliard de dollars (800 millions de sucres) qui seront canalisés par le SUCRE permettront de tester le Système sans présenter de risque majeur. À partir de là, l’expansion des échanges se réalisera en fonction de deux principes se différenciant des traditionnelles logiques du libre-échange : premièrement, les produits échangés devront répondre aux besoins fondamentaux des pays membres ; et deuxièmement, les échanges devront favoriser leur complémentarité. Il sera naturellement  nécessaire de réaffirmer le rôle de l’état en matière de planification commerciale.

L’autre pilier du Système, qui devrait consolider les appareils productifs de ces économies,  sera l’investissement croisé entre les unes et les autres. On appliquera un principe de solidarité entre les pays excédentaires et les déficitaires, en utilisant une partie de la marge excédentaire des uns pour investir chez les autres, et ce, moyennant le Fonds de Réserve et Convergence Commerciale qui agira comme intermédiaire. De cette manière, les pays seront conviés à veiller au développement des uns comme des autres, contribuant à réduire les asymétries commerciales et productives qui les caractérisent aujourd’hui.

À mesure que le commerce intrarégional s’intensifiera et que l’appareil productif complémentaire  se développera, le SUCRE gagnera en poids et crédibilité. Cela lui permettra notamment d’espacer ses liquidations en dollars dans le temps et d’établir un moyen de paiement alternatif au sein de l’ALBA, voire de le proposer à d’autres économies. Cette initiative hors des dogmes libéraux pourrait en inspirer d’autres. 

(1) économistes et membres de la Fondation cePS (centre d’etudes Politiques et Sociales, valence, espagne). Ils ont tous trois participé à la création du SUCRE.

 

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