Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Que faire face à la crise de l’euro

Face à l’extrême profondeur de la crise européenne, la fuite en avant des gouvernements de l’Union dans la logique de Maastricht, super-austérité et privatisations redoublées à l’appui, vise essentiellement à rassurer les créanciers des états sur-endettés sur les marchés financiers, en brisant les modèles sociaux.

Cela bride la croissance de l’Europe,  devenue « l’homme malade » du monde, et y accentue le chômage et la précarité, en même temps que s’y creusent de très graves dissymétries.

On trouve en effet l’Allemagne en tête, loin devant, suivie par ses satellites de l’ex-zone mark. Puis, loin derrière, les pays  « périphériques »  comme la Grèce ou le Portugal et l’Espagne, crucifiés ; puis, dans un entre-deux, quelques rares pays dont, principalement, la France, poids lourd de la construction européenne et mondiale.

D’où l’importance de ce qui va se passer en France dans les mois et les années qui viennent

. soit, nous nous rapprochons des exigences et des luttes des peuples d’Europe du sud, et, au-delà, de ceux de notre « Sud », comme la Tunisie ou l’Algérie qui connaissent aujourd’hui de grands mouvements populaires, pour la défense et la promotion du modèle social avec, pour cela, la nécessité d’une autre construction européenne ;

 soit, les yeux vrillés sur le verdict des agences de notation financière, nous nous alignons dans la marche vers une « Europe allemande », au service de la domination de la Finance.

Ces enjeux vont peser très lourdement pour 2011 et 2012. Ce qui va se jouer, en effet, c’est la suite de la bataille engagée contre le traité de Lisbonne et pour une autre Europe.

Une fausse alternative

Ce nouvel épisode  exige un grand déploiement des idées communistes novatrices, à l’appui des luttes, à un moment où, face à la précipitation des événements et de la crise de l’euro, tout est fait, en effet, pour enfermer le débat dans une fausse alternative :

 Une première option consisterait à affirmer qu’il faut rester dans l’euro et, pour cela, défendre et renforcer la logique de Maastricht. On y trouve aussi bien la droite que les dirigeants actuels du PS, d’accord sur le pacte de stabilité et une BCE « indépendante » au service de la domination des marchés financiers, d’accord aussi sur les « partenariats public-privé » conçus pour une nouvelle vague de privatisations,  d’accord enfin sur la « flexisécurité » et la promesse illusoire du retour au « plein-emploi ». Et, sur ce socle commun considérable,

la droite parle « efficacité et responsabilité », tandis que le PS parle, lui, « égalité »  et « partage   des  richesses ». L’alignement des dirigeants du PS sur les principes de Maastricht explique leur choix, pendant le conflit sur les retraites, de défendre le principe d’un allongement de la durée de cotisation. Le fait que, à cette occasion, la gauche du PS, en la personne de B. Hamon, ait été obligée de dire que le débat là-dessus n’est pas clos prouve, a contrario, l’ampleur de la contradiction qui traverse l’électorat socialiste et le PS lui-même entre le besoin d’objectifs sociaux nationaux ambitieux, d’une part, et, d’autre part, la nécessité, pour les financer et les crédibiliser, de rompre avec la logique de Maastricht pour une autre logique de l’euro et de la construction européenne.

 La seconde option consiste à prôner une « sortie de l’euro ». C’est une illusion mortifère. Elle déboucherait sur un scénario aux couleurs de catastrophe pour la France et pour l’Europe,  avec la perspective d’une dévaluation violente du franc, l’accentuation des pressions du marché financier, l’explosion de l’Europe et la mise en concurrence à mort entre européens. Cela reviendrait à opérer une double désertion :

• Face au défi historique de construction européenne posé par les enjeux des révolutions informationnelles, démographiques, écologiques et militaires ;

• Face au défi historique de construction mondiale nouvelle émancipée de la domination des états-Unis et du dollar, avec la promotion d’une monnaie commune de coopération. C’est folie que de prétendre vouloir quitter l’euro à un moment où sa transformation devient nécessaire pour le monde entier.

Dépasser les termes de ce débat en forme de fausse alternative est indispensable.

Au-delà de ces considérations, qui renvoient aux enjeux politiques franco-français, on mesure la portée d’un tel débat pour l’avenir du monde et l’essor si nécessaire d’une nouvelle civilisation.

Une Europe de co-développement…

Cela concerne les rapports aux états-Unis et aux pays émergents, Chine en tête.

Il y a une ambivalence de l’irruption de la Chine sur le théâtre européen :

- soit elle entre dans le système tel qu’il est et elle participe au dépeçage de l’Union européenne

.soit, au contraire, elle rivalise avec les états-Unis en liaison avec les Européens pour une nouvelle enten plan mondial bâtie sur la promotion conjuguée des modèles sociaux et culturels de chacun.

De même, il y a en Europe un énorme défi de la relation France-Allemagne, au travers d’elle, de la relation entre Europe du Nord et Europe du Sud, et, au-delà, avec les pays émergents  et en développement situés aux marches de l’Europe.

Les capitaux dominants allemands veulent construire une « Europe allemande ». Ils sont prêts pour cela à jouer sur la mise en avant des courants nationalistes et xénophobes en Allemagne, et jusque dans le précarré de l’Allemagne à l’est, en Hongrie par exemple à laquelle échoit la nouvelle présidence de l’Union, mais aussi en Estonie qui vient de rejoindre l’euro, grevée de considérables dettes privées.

Les dirigeants allemands ne veulent pas qu’on touche à leur domination commerciale, devenue aussi financière avec les créances accumulées sur la France et l’Europe du Sud. Or, il y a un rapport fondamental entre cette domination et la crise des dettes publiques européennes.

C’est dire le défi pour le PCF dont les idées novatrices sont en mesure de rassembler comme jamais, comme le prouve le dernier congrès du PGE qui, avec l’élection de Pierre Laurent comme président, a vu aussi avancer la proposition initiée par Paul Boccara (1) d’un Fonds social de développement européen (FSDE) stimulant une tout autre intervention de la BCE.

La BCE prendrait, avec sa création monétaire, des titres de dette publique à des taux très bas, voire nuls pour une grande expansion des services publics visant une croissance durable d’efficacité sociale, en privilégiant les pays en difficulté.

Le FSDE, qui remplacerait le FESF, serait aussi alimenté par des taxations de flux financiers. Il organiserait les attributions d’argent provenant des rachats par la BCE des titres de dettes, tandis que des obligations de prises de titres publics à très bas taux d’intérêt seraient imposées aux banques,  assurances et fonds d’investissement.

Simultanément, la BCE aurait un autre rôle de refinancement des banques pour un nouveau crédit sélectif pour l’emploi et la formation dans les entreprises.

Ce crédit, depuis des Fonds publics régionaux jusqu’à la BCE, en passant par un pôle financier public, offrirait des taux d’intérêt, pour les investissements matériels et de recherche, d’autant plus abaissés que seraient, en même temps, programmés plus d’emplois  et de formation.

Il faut mesurer à quel point il est possible et nécessaire désormais de faire prendre en main, à l’appui des luttes tout le long de l’année 2011, et jusque dans les urnes, en 2012, ces orientations  précises, au lieu de les refouler.

En effet, il y a un consensus Droite-PS pour ne pas toucher à la BCE, au crédit, aux relations banques-entreprises et fuir en avant dans le type de construction actuelle avec, au cœur, au nom de la compétitivité dans la mondialisation, le recul de la part des prélèvements publics et sociaux (impôts et cotisations) dans les PIB afin de faire plus de place aux prélèvements financiers (intérêts et dividendes), au marché financier, dans la  rivalité avec le dollar et Wall Street, pour attirer les capitaux volatiles.

Cela se traduit par une volonté consensuelle de canaliser le débat sur la cohérence de la zone euro vers un débat sur la fiscalité, le modèle allemand de compétitivité, en contrepoint du recul visé de la dépense publique et sociale, de l’avancée de la privatisation et, au nom de la solidarité européenne, d’un renforcement de la domination de la finance.

Cette question va venir par le bout européen et par le bout national.

…Contre la fuite en avant financière Européen d’abord : le journal allemand Süddeutsche Zeitung a révélé, jeudi 23 décembre, un projet d’initiative allemande visant à donner un contenu précis au Mécanisme européen de stabilité (MES) dont le principe a été décidé les 16 et 17 décembre dernier, au-delà de 2013.

Ces « réflexions de travail » parlent d’un « Fonds européen de stabilité et d’investissement dans la croissance » (FESIC). L’intitulé peut rassurer ceux qui trouvent que les dirigeants  de la zone euro ne se préoccupent  que de stabilisation financière et pas assez de croissance réelle.

Le FESIC aurait une gestion « indépendante ». Il remplacerait la BCE dans son rôle actuel de rachat d’obligations d’états membres en difficulté.L’octroi d’une aide par le FESIC serait soumis à de strictes conditions,  comme le souhaite Berlin : Les pays demandeurs devraient fournir des garanties, sous forme de réserves d’or ou de participations au capital d’entreprises pour un montant correspondant à 120 % de la somme empruntée.

En contrepartie, Berlin ne mettrait plus en avant l’idée de faire participer automatiquement des créanciers privés à un plan de sauvetage qui a fait beaucoup s’émouvoir les états où les banques sont le plus fragilisées.

C’est au Conseil européen du 17 janvier que ce projet pourrait être soumis à discussion.

Ce serait là une fuite en avant gravissime. Sous le fallacieux prétexte de vouloir assurer un avenir de croissance à l’Europe, et pas seulement de rassurer les créanciers :

 On ferait un bond en avant dans le fédéralisme à partir d’un mode de traitement des problèmes de dette souveraine visant à structurer, derrière l’emprunt phare allemand (Bund) un marché obligataire européen aussi liquide et profond que celui des obligations américaines, pour rivaliser avec lui ;

 On ferait un bond en avant dans la privatisation d’entreprises  publiques et mixtes,  d’infrastructures aussi, avec la visée du développement d’un ensemble de marchés d’actions  interconnectés, rival de celui de Wall-Street,  derrière le marché allemand, avec l’accumulation  sous-jacente de fortunes  financières européennes.

Simultanément, on lâcherait sur la mise en cause des créanciers privés.

Mais le débat va venir aussi par le bout national.

En effet, à Fribourg, Merkel et Sarkozy ont promis de travailler dès les premières semaines de 2011 à plus d’harmonie franco-allemande sur les plans budgétaire, économique et social.

A été établi le principe prioritaire d’une convergence entre les fiscalités française et allemande qui pourrait marcher de pair avec l’introduction, dans la loi fondamentale française, d’un frein aux déficits et dettes publics, comme c’est déjà le cas dans la constitution allemande.

Le piège du débat fiscal franco-allemand

Sarkozy a lancé le débat en France avec l’idée d’une réforme de la fiscalité du patrimoine qui pourrait notamment associer, a-t-on dit, la suppression du bouclier fiscal à celle de l’ISF.

Et on voit comment, à gauche, du PS jusqu’au NPA, on ne parle que de réforme de la fiscalité et de « nouvelles répartitions des richesses ».

Or, il faut voir ce que recouvre de régressif un tel enfermement du débat dans la fiscalité, déconnecté des enjeux monétaires et du crédit, déconnecté de la nécessité de pouvoirs nouveaux des salariés pour transformer les gestions d’entreprises, les yeux vrillés sur la notation de la dette publique française et sur la compétitivité allemande.

En Allemagne, la part des prélèvements publics et sociaux (impôts et cotisations sociales) sur les richesses produites est de trois points inférieure à celle de la France. De plus, en France la part du PIB absorbée par les prélèvements financiers (intérêts et dividendes) est très importante et augmente d’autant plus vite que le « spread » (écart de taux d’intérêt) France-Allemagne s’accroît.

Prélèvements publics et sociaux et prélèvements financiers en France

  2002 2008 Accroissement
  CSP/VA   14,92% 15,20%     + 0,33 point
RPE/VA 25,30%         36,20%        + 10,9 poin

   Source : Comptes de la Nation Sociétés non financières

CSP : Cotisations sociales patronales ; RPE : intérêts + dividendes ; vA : valeur ajoutée produite

Il s’agit alors de tenter de diminuer la part du PIB revenant aux prélèvements publics et sociaux (et ainsi, faire reculer les services publics et la protection sociale) pour laisser croître celle absorbée par les prélèvements financiers.

L’argument  d’une  harmonisation avec l’Allemagne s’inscrit dès lors dans une tentative d’alléger massive ment le poids des prélèvements publics et sociaux sur les profits.

Qu’impliquerait une harmonisation par le bas de la fiscalité avec l’Allemagne ?

1. Une forte augmentation de l’impôt sur le revenu (IR)

En France l’IR ne pèse que 2,9 % du PIB, alors qu’en Allemagne cet impôt équivaut à 9,1 % du PIB avec un taux maximum d’imposition de 45 %, contre 40 % en France. Une fusion de l’IR et de la CSG, comme on le préconise tant à droite qu’au PS, réduirait l’écart, mais cela ne ferait, cependant, que 6,9 % du PIB.

 

2. Des cotisations sociales patronales très allégées et une fiscalisation du financement de la protection sociale

En France elles pèsent  10 % du PIB contre 6,3 du PIB, en Allemagne pays dans lequel les salariés et leurs familles sont obligés, en contrepartie, de dépenser beaucoup plus qu’en France en matière d’assurances privées.

Un alignement de la France sur l’Allemagne entraînerait une diminution de 90 milliards d’euros  de cotisations sociales à la charge des entreprises. Cet argent irait directement  gonfler les profits disponibles pour la croissance financière des capitaux (y compris les exportations de capitaux et délocalisations) et le paiement des intérêts et des dividendes.

On sait que, sur cet enjeu, il y a un consensus droite-PS pour alléger les cotisations  sociales patronales (exonérations) avec, derrière, la recherche des voies et moyens permettant de faire avaler par les Français une fiscalisation du financement de la protection sociale (au détriment de son financement mutualisé à partir des richesses produites  par le travail et la créativité des salariés dans les entreprises). Cela ouvrirait la voie à l’institution  de quelque chose qui ressemblerait à la TVA sociale pour laquelle plaident aujourd’hui aussi bien l’UMP Coppé que l’économiste socialiste D. Cohen.

3. Une réforme rétrograde des systèmes de retraites par répartition

Ce n’est pas seulement la réforme Sarkozy des retraites, contre laquelle ont lutté des millions de salariés, de jeunes et de retraités en France, qui est en cause. Il s’agit aussi de la réforme proposée par l’économiste socialiste Piketty (2) visant à introduire en France un système à la suédoise (retraite par points), sans parler des enjeux concernant la dépendance qui font jaillir, tout au contraire, le besoin d’un  service public des personnes âgées.

L’articulation d’ailleurs des questions nationales, européennes et mondiales sur les financements (crédit, monnaie, fiscalité, budgets…) aux enjeux de promotion de services publics sécurisant tous les moments de la vie de chacun et de biens publics communs à toute l’humanité est décisive pour une issue à la crise systémique et un apport nouveau de civilisation à partir de la France et de l’Europe au monde entier. 

(1) Paul Boccara, « crise de l’euro ou europe sociale », L’Humanité, mercredi 19 mai 2010

(2) A. bozio & T. Piketty (2008), « Pour un nouveau système de retraite  Des  comptes individuels  de cotisation financés par répartition », cepremap.

 

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