Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Sécu : budget 2011 lourd de menaces pour l’avenir

La santé est malade*

[…] « Le déficit prévu cette année sera le second plus important de l’histoire de la sécurité sociale, après celui de l’an dernier ; toutes les caisses sont dans le rouge et ont unanimement rejeté votre projet de loi, ce qui est exceptionnel.

Pour tenter de contenir ce déficit, vous présentez de ridicules mesures de maîtrise des dépenses qui, si elles n’ont qu’un effet homéopathique  sur les déficits, sont autrement plus dommageables en ce qui concerne l’accès aux soins de nos concitoyens.

[… Ils] ont de plus en plus de mal à faire face aux dépenses de santé […]. Le reste à charge a considérablement augmenté, notamment depuis 2005. À partir de cette date sont en effet venus s’ajouter au forfait hospitalier : la participation forfaitaire de 1 euro pour chaque acte réalisé par un médecin ou analyse de biologie médicale ; la participation forfaitaire de 18 euros sur les actes supérieurs à 91 euros ; la pénalité pour les consultations  hors parcours de soins ; la baisse du remboursement,  voire le déremboursement total, d’un certain nombre de médicaments ; les franchises médicales ; et, cette année, de nouveaux déremboursements de médicaments et de dispositifs médicaux.

Le mensuel Que choisir a calculé que les dépenses  en volume […] à la charge des ménages ont augmenté de 50 % sur la période courant de 2001 à 2008, quand, dans le même temps, le revenu disponible des ménages ne progressait que de 29 %. […]

Encore ce calcul n’intègre-t-il ni le prix des mutuelles ni les dépassements  d’honoraires.  Ainsi, […] en transférant 500 millions d’euros de dépenses supplémentaires aux complémentaires, les nouvelles mesures de déremboursement prévues par ce PLFSS pourraient représenter,  si elles étaient intégralement reportées sur les consommateurs,  un surcoût annuel des primes d’assurance santé de 22 euros par personne. Quant à la taxe sur les contrats d’assurance elle pourrait entraîner un surcoût de 26 euros par an de ces mêmes primes d’assurance.

Il faut encore ajouter les dépassements d’honoraires que vous refusez de plafonner dans la loi […]. Ils sont particulièrement lourds pour les actes chirurgicaux  [… par exemple] : 1 142 euros à la charge d’une femme ayant dû subir une hystéroscopie avec curetage, et cela après déduction des remboursements de sa mutuelle ;612 euros pour une opération de la prostate ; et jusqu’à 4 500 euros de dépassement pour la pose d’une prothèse de la hanche dans une clinique huppée dont je tairai le nom […].

Une étude du CREDOC  publiée en juillet dernier montre que le sentiment d’être mieux soigné lorsque l’on a de l’argent ou des relations et de vivre dans un système de soins à deux vitesses s’est diffusé  dans la société française. La proportion de nos concitoyens qui déclarent avoir renoncé à des soins pour des raisons budgétaires est ainsi passée de 3 % en 1980 à 13 % aujourd’hui,  avec une forte dégradation à partir de 2005. […]

La pénurie médicale, contre laquelle vous ne faites pas grand-chose, vient encore aggraver ces difficultés d’accès aux soins. » […]

Hôpital, danger !

« C’est dans les hôpitaux publics que l’asphyxie de notre système de santé est la plus forte et la plus visible. La généralisation de la tarification à l’activité vous donne la possibilité de réduire de façon drastique les budgets des hôpitaux. À force de supprimer des postes et des services, ça craque de tous côtés et nous sommes parvenus aujourd’hui à un point de rupture.

La situation à l’AP-HP en fournit une édifiante illustration. La réduction du personnel […] soumet ceux qui restent à une formidable pression, à des cadences de travail infernales, voire au harcèlement de leur direction, jusqu’au moment où le dévouement fait place à la fatigue, au découragement et à l’arrêt maladie qui finit de dégrader la situation. C’est ce qui s’est passé au début du mois dans le service des urgences de l’hôpital Tenon qui a dû fermer, faute de personnel. Nous n’avions encore jamais vu ça !

Beaucoup de témoignages nous parviennent, montrant que la situation est tout aussi tendue à Lariboisière, à la maternité de Bichat, à Beaujon, à Jean-Verdier, à Henri-Mondor ou à Louis-Mourier de Colombes. Quant aux hôpitaux de ma circonscription – Max-Fourestier à Nanterre ou l’hôpital Foch de Suresnes, qui ne font pas partie de l’AP-HP –, ils sont dans la même situation.

Cet état des lieux catastrophique ne vous empêche pas de répéter que 67 % des établissements  hospitaliers sont à l’équilibre ou en excédent pour l’exercice 2009. Ce n’est  pas  l’avis de la Cour des comptes.  [Si elle reconnaît la baisse du déficit total des] établissements de santé, [… elle] s’empresse d’ajouter que ces chiffres sont à manier avec prudence, car, selon elle, l’ampleur des déficits est camouflée par des reports de charges, des provisionnements et autres artifices comptables. La Cour estime ainsi […] que, « au total, les établissements non déficitaires sont l’exception ».

Je recommande la lecture de ce chapitre du rapport de la Cour des comptes, qui poursuit en détaillant les raisons du déficit. J’en citerai quelques exemples.

La première raison est le mirage de l’ONDAM et des MIGAC. Vous vous félicitez de la progression des enveloppes MIG – mission d’intérêt général – et AC – aide à la contractualisation –, censées mieux prendre en compte la spécificité et les missions de service public des hôpitaux. Elles ont effectivement augmenté de

41 % entre 2006 et 2009. Mais cette progression se fait dans le cadre d’une enveloppe fermée : l’ONDAM hospitalier, qui inclut l’incidence de la progression de l’activité, les revalorisations tarifaires et les dotations accordées par la tutelle, notamment les MIGAC. Or, écrit la Cour des comptes, « toute progression de l’un de ces trois termes a vocation à être compensée par les autres ». Ainsi, concrètement,  si les établissements  de santé augmentent leur activité, le Gouvernement diminue les tarifs hospitaliers, avec toutes les conséquences qui s’y attachent.

Encore cette mauvaise solution touchait-elle jusqu’ici tous les établissements  de santé, publics et privés. Mais depuis deux ans, vous faites pire, puisque, pour financer les éventuels dépassements de dépenses, vous gelez les enveloppes servant à financer les missions de service public, ainsi réduites à des variables d’ajustement de l’ONDAM hospitalier, ce qui est inadmissible. Ainsi 400 millions ont été gelés cette année, pour assurer cet équilibre. L’utilisation des services publics comme variable d’ajustement résume, hélas, assez bien votre politique.

Une autre cause du déficit des hôpitaux est l’évolution tarifaire : comment pouvez-vous demander aux directions hospitalières d’établir des budgets sur plusieurs années et en équilibre, si les tarifs des différentes activités, et donc leurs recettes, évoluent sans cesse ? […] S’ajoutent […] les fluctuations de la demande de soins et la concurrence des cliniques privées, qui ne cesse de s’accroître du fait de vos choix. Il est clair que votre logique marchande  pénalise jusqu’à les détruire toutes les activités publiques.  […]

Vient ensuite la façon dont le plan Hôpital 2007 a été conduit. Un trop grand nombre de projets mal dimensionnés ont été acceptés dans le cadre de ce plan, alors même que l’enveloppe de l’état, qui s’élevait à 6 milliards d’euros,  n’était  pas revalorisée en conséquence, ce qui a réduit le taux de subvention, rapidement ramené de 100 % à 43 %, le reste étant financé par des emprunts. La façon dont a été financé Hôpital 2007 constitue, écrivent les rapporteurs de la Cour des comptes, « l’explication essentielle – même si ce n’est pas la seule – de la progression remarquable de l’endettement du secteur ».

[…] Quant aux pertes de recettes liées aux insuffisances de la chaîne de facturation dues notamment aux nombreuses évolutions réglementaires et tarifaires, elles seraient, toujours selon la Cour des comptes, comprises entre 5 et 15 % du budget des hôpitaux.

Si l’on ajoute à tout cela vos décisions concernant la progression de l’ONDAM, qui, chaque année, est inférieure à l’évolution naturelle du budget des hôpitaux, calculée en prenant en compte les revalorisations salariales, l’augmentation  du prix des médicaments, des charges d’énergie – il vient d’être  annoncé une augmentation de 3 % des tarifs de l’électricité – ou celle des cotisations retraite pour le personnel de la fonction publique hospitalière, on peut dire que le Gouvernement décide, de fait, de faire voter sciemment l’insuffisance budgétaire des hôpitaux publics. Pour 2011, […] la Fédération hospitalière de France a estimé à 3,23 % la progression du budget des hôpitaux, compte tenu de ces contraintes.  Madame la ministre, vous décidez de fixer l’ONDAM hospitalier à 2,8 %. Encore une fois, vous faites voter sciemment le déficit des hôpitaux publics. D’ailleurs, la Cour des comptes indique qu’« une partie de la réponse au déficit des hôpitaux est entre les mains de la tutelle ». Il ne s’agit donc nullement d’une épidémie qui, curieusement, ne frapperait que l’hôpital public, ni de la responsabilité des directeurs qui seraient tout aussi curieusement devenus brusquement  incompétents,  incapables de gérer le budget de leur établissement. Il s’agit bien de choix politiques et stratégiques.

Le comble est que vous utilisez ce déficit organisé pour faire pression sur l’activité des médecins et des soignants, pour diminuer les personnels et les services offerts, qui seraient trop coûteux. C’est une véritable spirale de démantèlement progressif des établissements publics de soins. Il s’agit, je le répète, de choix délibérés, instaurant, chaque année un peu plus, la privatisation des soins.

Vous faites souvent référence à ce qui se passe dans d’autres pays, notamment en Allemagne. C’est effectivement un bon exemple des objectifs que vous poursuivez, car, dans ce pays, deux CHU, dont celui de Hambourg, viennent d’être vendus au secteur privé. C’est un bel exemple de ce que vous envisagez de faire. […]

Des maternités au rabais

Alors que vos discours prétendent défendre  l’accès aux soins de qualité pour tous […], tous vos gestes font le contraire.

Le dernier en date est cette disposition présentée à l’article  40 du PLFSS, instaurant  des « maisons de naissance » pour, paraît-il, « démédicaliser » la grossesse et l’accouchement, qui « ne sont pas des maladies », comme vous dites. C’est vrai, ce ne sont pas des maladies, ce sont même des moments  heureux […], à condition que tout se passe bien : sinon, ce sont des drames. Si un suivi rigoureux permet de détecter les grossesses à risque, il ne permet pas de dire à l’avance si l’accouchement sera normal. Personne ne peut prévoir une souffrance fœtale grave nécessitant l’intubation immédiate du nouveau-né, encore moins une hémorragie de la délivrance exigeant transfusion sanguine massive et geste chirurgical immédiat, car, dans ces circonstances, le pronostic  vital se joue en quelques minutes.

Pour nous rassurer, on nous explique que ces « maisons de naissance » démédicalisées  seront  adossées à des hôpitaux hautement équipés. Mais pourquoi ne pas proposer l’expérimentation de nouvelles pratiques souhaitées légitimement par les mères et les couples au sein même de l’environnement sécurisé des maternités ?

Vous faites au contraire le choix de fermer, plutôt que de moderniser les petites maternités publiques de proximité, en prétextant de leur danger. Mais les maisons que vous envisagez, elles, ne sont pas dangereuses ? En réalité, là encore, votre démarche est de privatiser tout ce qui peut l’être et de transférer aux hôpitaux publics « adossés » comme vous dites, les cas graves, trop dangereux et trop coûteux pour intéresser le privé.

Cet article 40 n’est pas seulement inacceptable par la démarche qui le sous-tend, il l’est aussi par le danger qu’il représente. Il a d’ailleurs été majoritairement  repoussé par la commission  des affaires sociales qui, dans le cadre d’un échange sérieux, a su prendre ses responsabilités. » […]

Quel projet pour la Sécu ?

« La sécurité  sociale est au bord du gouffre, et avec ce PLFSS, vous faites un nouveau pas en avant. [Votre] projet final, [c’est] celui du grand patronat, celui de Denis Kessler, membre du Conseil national des assurances et ancien vice-président du MEDEF. Denis Kessler veut en finir avec l’héritage du CNR dont vous vous réclamez, mais les mesures que vous prenez sont révélatrices et tous vos amis disent clairement ce que vous ne dites pas. Claude Bébéar, président d’honneur du groupe AXA, voit dans chaque assuré social un client. Dans une note de l’Institut Montaigne qu’il dirige, il milite pour « la suppression des cotisations patronales, remplacées par des cotisations salariales susceptibles de se transformer ensuite en primes d’assurance ». C’est, précise-t-il, « le changement stratégique central à mettre en œuvre ». Je pense qu’il sera très satisfait de constater ce que vous faites. C’est aussi votre feuille de route.

L’objectif à terme, lorsque les déficits que vous construisez deviendront insupportables, est d’imposer le passage d’une assurance-maladie solidaire et universelle à un système d’assistanat pour les plus pauvres, le reste de la population – ceux qui peuvent encore payer – étant orienté vers les assurances privées. C’est ce que vous tentez de mettre en œuvre avec votre réforme des retraites, et que vous voulez poursuivre dans quelques mois avec la dépendance.

Votre problème, c’est que nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à voir où vous allez et à en mesurer la gravité. C’est ce qui explique la résistance acharnée et durable à laquelle vous vous heurtez avec votre réforme des retraites, qui, ajoutée à toutes les autres, montre la cohérence de votre projet résolument tournée contre les peuples.

La même politique menée dans tous les pays d’Europe conduit aux mêmes souffrances populaires et aux mêmes révoltes en Grèce, en Espagne, en Allemagne, et j’en passe.

Il est temps en effet d’imposer d’autres choix de société tournés vers l’utilisation  des richesses produites pour répondre aux aspirations de tous et non aux intérêts égoïstes de quelques-uns. Les moyens existent aujourd’hui en France, en Europe et bien au-delà, de financer une sécurité sociale universelle et solidaire où chacun cotise selon ses moyens, les plus aisés participant davantage, et où chacun reçoit selon ses besoins que l’on soit riche ou pauvre.

Les moyens existent et nous le montrons dans notre proposition de loi sur les retraites que vous n’avez pas dû lire, puisque vous allez répétant que nous ne proposons rien. C’est un mensonge de plus. Il faut dire que dans cette matière, au point où vous en êtes, un de plus, un de moins…

[…] Nos idées vous dérangent, vous et vos amis fortunés […]. Qu’il s’agisse de taxer les revenus du capital au même niveau que ceux du travail – ce qui ne serait que justice – ou de moduler les cotisations  des entreprises en fonction de leur politique sociale et salariale, pour ne citer que ces deux exemples. Ces pistes de financement originales, pérennes et crédibles sont de plus en plus comprises et partagées par nos concitoyens qui mesurent chaque jour davantage ce que votre modèle de société envisage de leur faire subir. C’est bien là votre cauchemar. 

* extraits de la motion de procédure de renvoi en commission de Jacqueline Fraysse (apparentée PcF-Gdr).

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