Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Les politiques économiques et monétaires en Europe en débat

Face à la gravité de la crise des dettes européennes et de leuro, et aux politiques réactionnaires et dangereuses de soutien des créanciers et de mesures de rigueur sociale, des économistes universitaires et chercheurs, ont lancé, ce qu’ils ont appelé un Manifeste des économistes « atterrés ». Ce manifeste a suscité un grand intérêt chez de nombreux économistes, et au-delà chez des citoyens intéressés par le débat économique. Il s’agit d’un apport commun respectant une grande diversité. Ce texte montre à la fois l’émoi, la convergence, et l’engagement croissant de nombre d’universitaires et d’économistes, mais aussi le besoin de poursuivre ce travail engagé afin d’aiguiser les questions en débat.

1 200 signataires ont soutenu ce manifeste, y compris plusieurs collaborateurs dÉconomie et Politique.

Quelques extraits du Manifeste CRISE ET DETTE EN EUROPE : 10 FAUSSES EVIDENCES,

22 MESURES EN DéBA POUR SORTIR DE L’IMPASSE

IntroductionLa reprise économique mondiale, permise par une injection colossale de dépenses publiques dans le circuit économique (des États-Unis à la Chine), est fragile mais réelle. Un seul continent reste en retrait, lEurope. Retrouver le chemin de la croissance n’est plus sa priorité politique. Elle s’est engagée dans une autre voie : celle de la lutte contre les déficits publics.Dans lUnion européenne, ces ficits sont certes élevés 7 % en moyenne en 2010 mais bien moins que les 11 % affichés par les États-Unis . Alors que des États nord-américains au poids économique plus important que la Grèce, la Californie par exemple, sont en quasi-faillite, les marchés financiers ont décidé de spéculer sur les dettes souveraines de pays européens, tout particulièrement ceux du Sud. LEurope est de fait prise dans son propre piège institutionnel : les États doivent emprunter auprès dinstitutions financières privées qui obtiennent, elles, des liquidités à bas prix de la Banque centrale européenne. Les marchés ont donc la clé du financement des États. Dans ce cadre, l’absence de solidarité européenne suscite la spéculation, dautant que les agences de notation jouent à accentuer la défiance.Il a fallu la dégradation, le 15 juin, de la note de la Grèce par lagence Moodys pour que les dirigeants européens retrouvent le terme d « irrationalité » qu’ils avaient tant employé au début de la crise des subprimes. De même, on découvre maintenant que lEspagne est bien plus menacée par la fragilité de son modèle de croissance et de son système bancaire que par son endettement public.

Pour « rassurer les marchés », un Fonds de stabilisation de leuro a été improvisé, et des plans drastiques et bien souvent aveugles de réduction des dépenses publiques ont été lancés à travers lEurope. Les fonctionnaires sont les premiers touchés, y compris en France la hausse des cotisations retraites sera une baisse déguisée de leur salaire. Le nombre de fonctionnaires diminue partout, menaçant les services publics. Les prestations sociales, des Pays-Bas au Portugal en passant par la France avec lactuelle réforme des retraites, sont en voie d’être gravement amputées. Le chômage et la précarité de l’emploi se velopperont nécessairement dans les années à venir. Ces mesures sont irresponsables d’un point de vue politique et social, et même au strict plan économique.

Cette politique, qui a très provisoirement calmé la spéculation, a déjà des conséquences sociales très négatives dans de nombreux pays européens, tout particulièrement sur la jeunesse, le monde du travail et les plus fragiles. À terme elle attisera les tensions en Europe et menacera de ce fait la construction européenne elle-même, qui est bien plus qu’un projet économique. Léconomie y est censée être au service de la construction d’un continent démocratique, pacifié et uni. Au lieu de cela, une forme de dictature des marchés s’impose partout, et particulièrement aujourd’hui au Portugal, en Espagne et en Grèce, trois pays qui étaient encore des dictatures au début des années 1970, il y a à peine quarante ans.

Quon linterprète comme le désir de « rassurer les marchés » de la part de gouvernants effrayés, ou bien comme un prétexte pour imposer des choix dictés par lidéologie, la soumission à cette dictature nest pas acceptable, tant elle a fait la preuve de son inefficacité économique et de son potentiel destructif au plan politique et social. Un véritable débat démocratique sur les choix de politique économique doit donc être ouvert en France et en Europe. La plupart des économistes qui interviennent dans le débat public le font pour justifier ou rationaliser la soumission des politiques aux exigences des marchés financiers. Certes, les pouvoirs publics ont partout improviser des plans de relance keynésiens et même parfois nationaliser temporairement des banques. Mais ils veulent refermer au plus vite cette parenthèse. Le logiciel néolibéral est toujours le seul reconnu comme légitime, malgré ses échecs patents. Fondé sur l’hypothèse d’efficience des marchés financiers, il prône de réduire les dépenses publiques, de privatiser les services publics, de flexibiliser le marché du travail, de libéraliser le commerce, les services financiers et les marchés de capitaux, daccroître la concurrence en tous temps et en tous lieux...

En tant qu’économistes, nous sommes atterrés de voir que ces politiques sont toujours à lordre du jour et que leurs fondements théoriques ne sont pas remis en cause. Les arguments avancés depuis trente ans pour orienter les choix des politiques économiques européennes sont pourtant mis en défaut par les faits. La crise a mis à nu le caractère dogmatique et infondé de la plupart des prétendues évidences répées à satté par les décideurs et leurs conseillers. Qu’il s’agisse de l’efficience et de la rationalité des marchés financiers, de la nécessité de couper dans les dépenses pour réduire la dette publique, ou de renforcer le « pacte de stabilité », il faut interroger ces fausses évidences et montrer la pluralité des choix possibles en matière de politique économique. D’autres choix sont possibles et souhaitables, à condition d’abord de desserrer l’étau imposé par l’industrie financière aux politiques publiques.

Nous faisons ci-dessous une présentation critique de dix postulats qui continuent à inspirer chaque jour les décisions des pouvoirs publics partout en Europe, malg les cinglants démentis appors par la crise financière et ses suites. Il s’agit de fausses évidences qui inspirent des mesures injustes et inefficaces, face auxquelles nous mettons en débat vingt-deux contrepropositions. Chacune d’entre elles ne fait pas nécessairement l’unanimité entre les signataires de ce texte, mais elles devront être prises au sérieux si l’on veut sortir lEurope de l’impasse.

FAUSSE ÉVIDENCE 1: LES MARCS FINANCIERS SONT EFFICIENTS(…)

FAUSSE ÉVIDENCE N°2: LES MARCS FINANCIERS SONT FAVORABLES A LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE

Mesure 5: renforcer significativement les contrepouvoirs dans les entreprises pour obliger les directions à prendre en compte les intérêts de lensemble des parties prenantes.

Mesure 6: accroître fortement l’imposition des très hauts revenus pour décourager la course aux rendements insoutenables.

Mesure 7: réduire la dépendance des entreprises vis-à-vis des marchés financiers, en veloppant une politique publique du crédit (taux préférentiels pour les activités prioritaires au plan social et environnemental).

FAUSSE ÉVIDENCE N° 3 : LES MARCHÉS SONT DE BONS JUGES DE LA SOLVABILITÉ DES ÉTATS

Mesure 8: les agences de notation financière ne doivent pas être autorisées à peser arbitrairement sur les taux d’intérêt des marchés obligataires en dégradant la note dun État : on devrait réglementer leur activité en exigeant que cette note résulte dun calcul économique transparent.

Mesure n° 8 bis : affranchir les États de la menace des marchés financiers en garantissant le rachat des titres publics par la BCE.

FAUSSE ÉVIDENCE 4 : L’ENVOLÉE DES DETTES PUBLIQUES RÉSULTE D’UN EXCES DE PENSES

Mesure 9 : Réaliser un audit public et citoyen des dettes publiques, pour déterminer leur origine et connaître l’identité des principaux détenteurs de titres de la dette et les montants détenus.

FAUSSE ÉVIDENCE N°5 : IL FAUT DUIRE LES PENSES POUR RÉDUIRE LA DETTE PUBLIQUE

Mesure 10 : Maintenir le niveau des protections sociales, voire les améliorer (assurance-chômage, logement…).

Mesure n° 11 : accroître leffort budgétaire en matière d’éducation, de recherche, d’investissements dans la reconversion écologique... pour mettre en place les conditions dune croissance soutenable, permettant une forte baisse du chômage

. FAUSSE ÉVIDENCE 6: LA DETTE PUBLIQUE REPORTE LE PRIX DE NOS EXCèS SUR NOS PETITS-ENFANTS

Mesure n° 12 : redonner un caractère fortement redistributif à la fiscalité directe sur les revenus (suppression des niches, création de nouvelles tranches et augmentation des taux de l’impôt sur le revenu…).

Mesure n°13: supprimer les exonérations consenties aux entreprises sans effets

suffisants sur l’emploi.

FAUSSE ÉVIDENCE N° 7 : IL FAUT RASSURER LES MARCS FINANCIERS POUR POUVOIR FINANCER LA DETTE PUBLIQUE

Mesure 14 : autoriser la Banque centrale européenne à financer directement les États (ou à imposer aux banques commerciales de souscrire à l’émission d’obligations publiques) à bas taux d’intérêt, desserrant ainsi le carcan dans lequel les marchés financiers les étreignent.

Mesure n° 15: si nécessaire, restructurer la dette publique, par exemple en plafonnant le service de la dette publique à un certain % du PIB, et en opérant une discrimination entre les créanciers selon le volume des titres qu’ils détiennent : les très gros rentiers (particuliers ou institutions) doivent consentir un allongement sensible du profil de la dette, voire des annulations partielles ou totales. Il faut aussi renégocier les taux d’intérêt exorbitants des titres émis par les pays en difficulté depuis la crise.

FAUSSEÉVIDENCEN°8:L’UNIONEUROPÉENNE DÉFEND LE MODèLE SOCIAL EUROPÉEN

Mesure 16 : remettre en cause la libre circulation des capitaux et des marchandises entre lUnion euro- péenne et le reste du monde, en négociant des accords multilatéraux ou bilatéraux si nécessaire

Mesure 17 : au lieu de la politique de concur- rence, faire de « l’harmonisation dans le progrès » le fil directeur de la construction européenne. Mettre en place des objectifs communs à portée contraignante en matière de progrès social comme en matière macro- économique (des GOPS, grandes orientations de politique sociale).

FAUSSE ÉVIDENCE N° 9 : LEURO EST UN BOUCLIER CONTRE LA CRISE

Mesure n°18 : assurer une véritable coordination des politiques macro-économiques et une réduction concertée des déséquilibres commerciaux entre pays européens.

Mesure n° 19 : compenser les déséquilibres de paiements en Europe par une Banque de Règlements (organisant les prêts entre pays européens).

Mesure 20 : si la crise de l'euro mène à son éclate- ment, et en attendant la montée en régime du budget européen (cf. infra), établir un régime monétaire in- traeuropéen (monnaie commune de type « bancor ») qui organise la résorption des déséquilibres des balances commerciales au sein de l'Europe.

FAUSSE ÉVIDENCE 10: LA CRISE GRECQUE A ENFIN PERMIS D'AVANCER VERS UN GOU- VERNEMENT ÉCONOMIQUE ET UNE VRAIE SOLIDARITÉ EUROPÉENNE (...)

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