Le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), organisme rattaché à la Cour des comptes, a rendu public, dernièrement, un rapport décapant sur les exonérations fiscales et sociales dont bénéficient les entreprises. Selon l’étude, ces dispositifs représentent un manque à gagner pour les finances publiques de la bagatelle de 172 milliards d’euros en 2010. Un montant colossal qui n’a cessé de grimper. Entre 2002 et 2010, près de douze niches fiscales ont été créées chaque année. Leur montant global atteint 35Md€, soit 14 % des recettes fiscales nettes de l’état. S’y ajoutent 71 Md€ au titre des mesures dérogatoires déclassées (1). S’agissant des niches sociales, pas moins de 91 dispositifs concernent les entreprises « pour une efficacité qui reste parfois à démontrer », précise le CPO. Leur montant s’élève à 66 Md€ dont 31,5 Md€ accordés sous formes d’allègements généraux et d’exonérations ciblées. La désactivation des dispositifs dits de niches fiscales et sociales dont elle bénéficie, est urgente. L’efficacité de ce coup d’arrêt suppose une mise à plat simultanée du bloc de la fiscalité des entreprises avec le double objectif de justice sociale et d’efficacité économique.
Le CPO précise que cette «inflation considérable n’apparaît pas maîtrisée et contraste fortement avec les efforts engagés en matière de dépenses budgétaires». De plus, ces niches bénéficient souvent aux grandes entreprises, qui pratiquent systématiquement l’optimisation fiscale et l’expertise.
Les cercles vicieux des exonérations sociales patronales
Au premier plan, la niche sociale sur les bas salaires qui, en 2010 a coûté 22,1 milliards. Ce dispositif exonère les entreprises qui embauchent à des salaires jusqu’à 1,6 fois le Smic. Un instrument qui pour la Cour des comptes « favorise l’emploi des salariés les moins qualifiés, par deux canaux : un effet “demande”, qui permet une réduction du coût de production dans son ensemble et donc du coût du travail et un effet “substitution”, qui permet une baisse relative du coût du travail par rapport au coût du capital et conduit l’entreprise à substituer du travail au capital ». Selon l’organisme cette niche aurait permis de créer ou de sauver 800 000 postes depuis 1993, sans toutefois bénéficier aux principaux secteurs exposés à la compétition mondiale et encore moins au risque de délocalisation, comme l’industrie manufacturière. Mais le CPO oublie de mentionner l’effet dramatique de cet instrument sur les salariés. Cette exonération maximum au niveau du Smic décroît quand le salaire augmente jusqu’à disparaître à 1,6 Smic. Elle incite ainsi les patrons à remplacer au maximum des salariés qualifiés et reconnus comme tels par des salariés sous-payés et dont on nie ou n’encourage pas la qualification ! Au total ces deux dizaines de milliards d’euros perdus chaque année servent non seulement à pousser à la baisse le niveau des salaires de ces mêmes salariés, mais ils contribuent à alimenter les cercles vicieux dépressifs : freinage de tous les salaires, insuffisance de demande et, faute de qualifications, de celle de l’offre productive des entreprises, tandis que les profits qui ne sont pas utilisés à l’effort d’investissement réel alimentent les investissements, spéculations et placements financiers. De telles aides, en relançant l’accumulation financière, ont fortement contribué au déclenchement et à l’intensité de la crise financière de 2008.
Alors que ces fonds pourraient être utilisés autrement. Les économistes du PCF proposent de les affecter dans un Fonds national pour l’emploi et la formation régionalisé qui bonifierait de façon sélective le taux d’intérêt des crédits attribués aux entreprises pour financer leurs investissements. Plus ceux-ci programmeraient d’emplois et de formations et plus le taux d’intérêt des crédits à moyen et long termes servant à les financer serait abaissé.
Passant en revue cette panoplie de dispositifs, le CPO pointe la baisse de la TVA, les exonérations sur les heures supplémentaires ou encore sur les plus-values, les retraites chapeaux. Ainsi, les taux réduits de TVA à 5,5% pour les secteurs intensifs en main-d’oeuvre (logement, restauration, hôtellerie) ont « un impact limité, pour un coût élevé » (10 milliards d’euros). Il propose d’augmenter le taux entre 10 % et 12 % pour ces secteurs, ce qui rapporterait 3,2 à 4,6 milliards. Le CPO se montre plus sévère avec l’exonération d’impôts et de cotisations sur les heures supplémentaires. Le dispositif « travailler plus pour gagner plus », cher à Nicolas Sarkozy, a un « effet sur la croissance qui reste inférieur au coût (4,1milliards) », observe l’institution, ajoutant que leur « effet sur l’emploi est ambigu », car « l’accroissement de la durée du travail » peut « inciter les
entreprises à substituer des heures de travail aux hommes». Autre niche ciblée : l’exonération des plus-values à long terme sur la cession de titres de participation, plus couramment appelée la « niche Copé ». Un dispositif coûteux, 6 milliards d’euros en 2009 au lieu du un milliard d’euros prévu au départ grand maximum par an, et de 22 milliards sur trois ans. Il s’agit d’une sorte de bouclier fiscal pour les entreprises, où les entreprises défiscalisent progressivement des plus-values sur les cessions de titres de participations détenus depuis plus de deux ans, dans le but officiel d’éviter que les sociétés françaises et leur holding ne s’expatrient vers des paradis fiscaux. Grâce au dispositif, Danone a pu économiser en 2008 500 millions d’impôt sur les sociétés (IS) sur la cession de Danone-Biscuit réalisée en 2007 (l’IS étant payé avec un an de décalage) (1). Pour Suez, à l’époque pas encore marié à GDF, la ristourne a été de 800 millions.
Autres grands bénéficiaires : les fonds de LBO (leveraged management buy out), qui achètent des sociétés pour les revendre quelques années après.
Il en va de même pour le coût des avantages fiscaux et sociaux liés à la participation, à l’intéressement, à l’épargne salariale (25 milliards d’euros) et à la protection sociale complémentaire (12 milliards). Pour ne prendre qu’un exemple, l’épargne salariale, qui entraîne un manque de recettes à hauteur de 9 milliards d’euros, a une efficacité « considérablement amoindrie en raison d’une substitution probable de l’épargne salariale à des hausses de salaire brut », note le CPO. Le PCF propose de faire cotiser au même titre que le salaire cette forme de rémunération.
Poursuivant la liste noire, les experts dénoncent également les retraites chapeaux qui ne sont pas soumises à cotisations sociales et proposent de les « moraliser » en faisant cotiser les rentes dès le premier euro (ce que prévoit le projet de loi sur les retraites) et de relever leur taux de prélèvement au même niveau que celui des salaires. En plein débat sur les retraites, les conclusions de cette étude montrent qu’un autre financement est possible puisque les niches sociales représentent 15 % des recettes de la Sécurité sociale.
Au-delà de la gabegie des niches sociales et fiscales, les aides publiques aux entreprises d’un montant de 65 milliards d’euros, selon le dernier rapport publié en 2006, sont autant scandaleuses. Selon l’audit réalisé par les cinq hauts fonctionnaires, représentant les ministères des Finances, des Affaires sociales, pas moins de 6 000 dispositifs d’aides ont été recensés, dont 90% sont financés par l’État. En ordre de grandeur, cela représente en masse monétaire « un peu plus que le total du budget de l’Éducation nationale, près de deux fois le budget de la Défense, le même ordre de grandeur que le total des dépenses hospitalières, plus de trois fois le budget de l’Enseignement supérieur et de la recherche ». Mais surtout ces 65 milliards d’euros correspondent, selon ce rapport, au produit de l’impôt sur les sociétés et de la taxe professionnelle, c’est-à-dire la totalité des impôts que sont censées payer les entreprises. Ce qui signifie que les entreprises ont reçu au moins autant, au titre des aides, de la part de l’État et des collectivités locales, que ce qu’elles payent sous forme d’impôts. Pour quel résultat ? À aider la croissance des profits et des gâchis financiers des grands groupes, des marges bancaires, de la spéculation. C’est donc une tout autre intervention qu’il faut créer avec une implication accrue des salariés et des citoyens, avec leurs élus, afin de mieux répondre aux besoins sociaux et culturels de développement sur tous les territoires en coopération. Dans chaque Région, au travers des luttes, les acteurs syndicaux et politiques doivent œuvrer afin d’obtenir la création de « Fonds régionaux de sécurisation de l’emploi et de la formation », alimentés, pour commencer, par une réorientation d’une partie des crédits d’action économique des Régions.
Autre combat, celui du contrôle et de l’évaluation des aides. Depuis que la droite a abrogé, en 2002, la loi d’initiative communiste organisant leur contrôle et l’évaluation de leur efficacité, le patronat n’a plus de comptes à rendre : ni aux salariés qu’il refuse d’informer et empêche d’intervenir sur son utilisation, ni aux populations et à leurs élus. C’est pourquoi les élus communistes proposent dans leur région de mettre en place des instances démocratiques de proximité visant à contrôler et évaluer l’efficacité réelle de l’utilisation de ces fonds pour sécuriser et promouvoir l’emploi et la formation. Dans plusieurs Régions : Pays de la Loire, Rhône-Alpes, Centre, Provence-Alpes-Côte-d’Azur des commissions où siègent des représentants de salariés sont en place. Elles peuvent être saisies par les salariés en cas d’irresponsabilité sociale de leur entreprise afin de pouvoir geler, voire faire rembourser, les aides publiques. Or, une fois mise en place, faire changer les modalités d’attribution de ces aides devient un combat politique. Comme le rappelait Benoît Bouvier, syndicaliste à la CGT et membre de la commission en Rhône-Alpes dans L’Humanité : « Une véritable bataille de chiens ! C’est là qu’on voit que nous touchons à quelque chose de sensible. »
Le dogme du trop d’impôt, un des fers de lance de l’idéologie ultralibérale, a atteint pour une large part son objectif d’allégement des prélèvements fiscaux et sociaux sur les entreprises et le capital. C’est sans doute en matière de fiscalité que les feux ont été poussés le plus loin et ce n’est pas un hasard si après le domaine fiscal, l’offensive est maintenant dirigée contre la sphère sociale. Un tel tour de force a été rendu possible grâce à la bienveillance d’une majorité bien-pensante dépassant largement le carré des seuls idéologues de droite. C’est ainsi qu’à la baisse des prélèvements a été conjuguée, sous formes d’aides et d’interventions publiques, une restitution quasi totale des sommes prélevées au titre de l’impôt restant dû, faisant entrer la France dans le cercle des pays à faible taux de fiscalité réelle sur les entreprises. Ainsi, alors que le taux apparent de l’impôt sur les sociétés est de 33,33 % son taux réel moyen est pour les grandes entreprises et les groupes de 13 % à 14 %.
Au risque de soustraire l’entreprise c’est-à-dire la richesse qui y est produite grâce au travail humain, à tout financement social pour n’alimenter que le profit capitaliste, la désactivation des dispositifs dits de niches fiscales et sociales dont elle bénéficie, est urgente. L’efficacité de ce coup d’arrêt suppose une mise à plat simultanée du bloc de la fiscalité des entreprises avec le double objectif de justice sociale et d’efficacité économique. La législation fiscale des entreprises doit tendre à établir une véritable égalité de traitement entre l’ensemble des acteurs économiques, quelles que soient leur taille et leur activité. Elle doit également intégrer une fonction incitative nouvelle afin de renouer avec une croissance saine et dynamique. Un contrôle fiscal aux moyens humains et juridiques renforcés coopérant avec ses homologues européens en constituerait le garde-fou.
Le Parti communiste avance en ce sens deux propositions. La première concerne l’impôt sur les sociétés. Il s’agirait de rendre cet impôt progressif. Plusieurs tranches seraient instaurées en fonction du chiffre d’affaires. L’objectif est la prise en compte de la diversité des entreprises (TPE, PMI, PME, grandes entreprises, groupes). Cette progressivité serait complétée par un mécanisme de modulation de l’impôt dû en fonction de l’utilisation des bénéfices (investissements réels et recherche ou dividendes et boursicotage) et de l’utilité de ces investissements au regard du développement de l’emploi, de la formation, des salaires et de l’environnement.
La seconde proposition concerne la taxe professionnelle. Elle serait réinstaurée à partir d’un nouveau mode de calcul de sa base reposant sur la prise en compte des trois éléments constitutifs du capital des entreprises : les bâtiments et les terrains, les équipements matériels (machines et outillages) et les actifs financiers (portefeuille de valeurs et de dividendes d’un montant actuel de 1 500 Md€).
(1) Dispositifs dérogatoires : par exemple les mécanismes d’exonération totale ou partielle) d’impôts locaux compensépar l’état, mais également impact de certaines mesures sociales sur la taxe sur les salaires et certains dispositifs permettant de déroger à la tvs, à la csG, etc.
(2) Le magazine Marianne du vendredi 13 novembre 2009.
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