Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Rapport Camdessus : Moins de démocratie plus d’austérité

La crise financière et la récession de 2008-2009, sans précédents depuis la guerre, et la grave crise de l’euro en 2010 auraient du conduire à une mise en cause de toutes les pratiques et règles actuelles. Il s’agit, notamment, des règles de la construction européenneL Les gigantesques interventions publiques (états et BCE) qui ont été consenties pour sortir de la crise financière n’ont visé qu’à remettre le même système à flot, au lieu de répondre aux énormes besoins contrariés de développement des populations. Cela entraîne un surendettement public qui effraye d’autant plus les marchés que ces interventions, loin de ramener une croissance dynamique, développent tous les facteurs de chômage, d’insuffisance des qualifications, des revenus et une croissance durablement anémique. Le choix fait par les dirigeants est de redoubler dans les exigences d’un « euro fort » et d’une BCE au service de la domination des marchés financiers, alors même que ce sont ces orientations qui ont précipité les difficultés. Cette fuite en avant amène les dirigeants européens à prétendre faire intérioriser ces contraintes dans les pratiques politiques et les institutions de chaque pays en pariant sur une alternance entre majorités politiques qui, au-delà de différences à la marge, seraient liées par un pacte de fer sur les conditions de réductions des déficits et des dettes publics. C’est dans cette visée que s’inscrit le rapport du groupe de travail « Réaliser l’objectif constitutionnel d’équilibre des finances publiques » présidé par M. Camdessus.

Un vade-mecum technocratique bipartisan

Il se présente comme un vade-mecum technocratique bipartisan pour la mise en œuvre d’une  disposition essentielle de la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui a fait ajouter à l’article 34 de la Constitution que « les orientations  pluriannuelles  des finances publiques sont définies par des lois de programmation. Elles s’inscrivent  dans  l’objectif d’équilibre des  comptes desadministrations publiques ».Ce rapport s’inscrit aussi dans l’intention présentée par le président de la République, en mai 2010, d’introduire une « règle d’or » des finances publiques à la française, faisant écho à ce qui a été décidé en Allemagne l’an passé. Celle-ci a inscrit dans son texte fondamental une disposition qui lui donne jusqu’en 2016 pour limiter son déficit structurel (hors impact de la conjoncture économique) à 0,35 % du PIB et proscrit à partir de 2020 tout déficit dans les läinder.   Le rapport Camdessus a une préoccupation obsessionnelle : l’endettement public et l’évolution de son rapport au PIB à partir de scénarios catastrophiques, indépendamment de toute interrogation et proposition alternative sur l’utilisation de l’argent obtenu à partir de l’endettement public. Ces scénarios, qui cherchent à épouvanter, montrent que, même dans un « contexte macro-économique  favorable [...] les efforts à accomplir pour stabiliser la dette publique à un niveau de 90 % du PIB à l’horizon de 2020 » exigent  que l’on poursuive « une gestion budgétaire  rigoureuse pendant  les dix prochaines années et un effort d’ajustement  de l’ordre de 1 % du PIB par an qui nous amènerait à atteindre l’équilibre structurel en 2016-2017, c’est-à-dire à une date sensiblement voisine de l’horizon retenu parl’Allemagne (2016) ».Et les autres scénarios vont jusqu’à envisager un rapport dette publique/PIB devenu supérieur à 120 %.Au total, il s’agit, au minimum, que les élections de 2012 et celles de 2017 débouchent sur la mise en place de gouvernements qui conduisent le même type de politique inscrite dans une « rigueur » d’ajustement budgétaire pluriannuel aux contraintes imposées par les marchés financiers.

On retrouve ici les termes du dernier rapport Attali (voir dans ce numéro p. 11).

Restreindre la démocratie : le prix à payer pour la confiance des marchés

Dès l’introduction, en effet, le rapport affirme : « Un renforcement du cadre institutionnel ne sera crédible qu’à condition  d’être accompagné d’un programme de redressement dont, en retour, il renforcera les chances, contribuant ainsi de façon décisive au rétablissement de la confiance des agents économiques,  à la sortie de crise et à la reprise de croissance. ».  Il s’agit de mettre en place un dispositif, relevant de notre loi fondamentale, qui traduise « la détermination effective des pouvoirs publics à ramener  les finances publiques sur la trajectoire de l’équilibre […] » et qui soit susceptible de montrer « notre capacité de riposte à une nouvelle  crise de grande ampleur,  toujours possible dans un univers globalisé ». La riposte dont il est question ici serait bien évidemment financée par de nouveaux appels au marché financier, comme le détermine  la mise en place, le 9 mai dernier, par les dirigeants européens d’un « mécanisme européen de stabilisation financière » portant sur 750 milliards d’euros.

La seule véritable ambition du rapport Camdessus est de doter la France d’un dispositif qui, prétend-il, serait susceptible de lui lier les mains en matière de politique budgétaire, au niveau national et local, et en matière de protection sociale. Et cela, de façon telle que, audelà des alternances d’équipes au gouvernement, soit respectée une norme de limitation à même de rassurer les marchés financiers auprès desquels sont émises des dettes publiques. Sans une règle claire adoptée par tous, souligne le rapport, « le double langage, en dautres termes l’écart de la parole aux actes, continuera  d’être une tentation à laquelle la classe politique ne pourra résister », ce qui mettrait en cause « la crédibilité de nos intentions » face à nos créanciers sur le marché financier.

Et il s’agit  de « maintenir durablement » l’équilibre structurel, une fois atteint, « tout en continuant l’effort de réduction de notre endettement compte tenu, en particulier, des évolutions  démographiques  de notre pays et de notre engagement  de faire nos meilleurs efforts pour ramener notredette publique  sous le plafond de 60 % du PIB ».

Cela confirme combien les dirigeants français ont décidé, pour développer la capacité d’attraction financière de l’euro, de s’étalonner sur les résultats de l’Allemagne qui constitue la principale source de nos déficits commerciaux et qui est devenue notre principal créancier.

On  répète d’ailleurs,  sans arrêt, que les  marchés financiers surveillent étroitement, depuis la « crise grecque », l’évolution de l’écart entre le taux d’intérêt que doivent offrir les titres d’emprunt à 10 ans de la République française nouvellement émis et celui des titres de son équivalent allemand (le Bund à 10 ans) : plus ce « spread » est important et plus la confiance des marchés s’étiolerait.

Il est évident que le dispositif institutionnel envisagé ne s’imposerait comme la « loi fondamentale » aux gouvernements  successifs que si, et seulement si, ceux-ci s’inscrivent dans une simple alternance politique.

Chacun sait, en effet, que la Constitution peut être amendée par le Parlement réuni en Congrès.

Endiguer les prélèvements obligatoires pour plafonner les dépenses publiques et sociales

Le rapport plaide pour que soit introduit dans notre législation « un instrument assurant la primauté  sur les lois financières annuelles de lois pluriannuelles organisant le cheminement vers un objectif d’équilibre » des finances publiques.

Ce serait la loi-cadre de programmation des finances publiques (LCPFP) qui fixerait, en euros constants (c’est-à-dire  hors prise en compte de l’inflation) et pour chaque année de la période de programmation considérée :

Un plafond du niveau des dépenses de l’État (loi de finances) et un plafond du niveau des dépenses de la sécurité sociale (LFSS) ; Un plancher des recettes de l’État  et de la Sécurité sociale résultant de choix nouveaux concernant, particulièrement, les prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales).

La LCPFP bénéficierait de la primauté par rapport aux lois de finances (LF) et aux lois de financement de la Sécurité sociale (LFSS). Ainsi, sur le papier, pour chaque année de la période de programmation,  le législateur ne pourrait augmenter le plafond du niveau des dépenses ou diminuer le plancher des mesures nouvelles en recettes que si, et seulement si, respectivement, il augmente au moins à due concurrence  les mesures nouvelles en recettes ou diminue au moins à due concurrence le niveau des dépenses.

C’est ce que le rapport Camdessus appelle la « fongibilité entre plafonds des dépenses et mesures nouvelles en recettes ». Celle-ci fait suite au principe de « fongibilité asymétrique  des fonds »  de la LOLF, conçu de façon consensuelle entre la droite et le PS, soi-disant pour laisser aux acteurs directement  concernés la faculté de définir l’objet et la nature des dépenses au sein d’un même programme, mais sous une contrainte générale de diminution des dépenses  et des emplois.

Le rapport Camdessus  est explicite : cette nouvelle règle permettrait de « préserver l’effort global de redressement des finances publiques  fixé pour chaque exercice par la LCPFP tout en offrant au législateur une liberté d’utilisation  des instruments  à cette fin, en dépenses ouen recettes ».

C’est dans ces conditions  qu’il propose qu’en cours ou à l’issue de l’exécution des LF et des LFSS, « tout écart négatif entre la maîtrise  des dépenses et/ou  des mesures nouvelles en recettes constaté en exécution  et la trajectoire prévue pour l’année  considérée  par la LCPFP devrait être corrigé et compensé, soit avant le terme de l’exercice [...], soit sur les deux exercices suivants ». Et il se sent obligé de préciser que « cette obligation  de rattrapage aurait  des effets analogues à ceux d’un compte notionnel de contrôle des déviations,  tel qu’adopté par exemple en Allemagne ».La portée solennelle et les engagements  que traduit la LCPFP impliquerait alors qu’elle ne soit jamais l’objet de modification, « sauf en cas de changement de majorité parlementaire ou de circonstances exceptionnelles telles que tension internationale impliquant  un accroissement majeur  de l’effort de défense, récession économique  d’uneampleur exceptionnelle ou catastrophe naturelle ».

Le rapport assume pleinement un recul de démocratie délégataire que serait ce « sacrifice temporaire  de flexibilité (qui est le prix de la réalisation de l’équilibre à une date certaine) ». Ce sacrifice serait aussi « le prix de la garantie durable de notre indépendance face aux marchés pour la préparation de notre avenir ».

Bref, sacrifier la démocratie et la souveraineté populaire aux marchés financiers serait la meilleure façon de rendre la France indépendante face à ces marchés !…

C’est  dans  ces conditions  que le rapport propose d’amender les article  34, 47 et 61 de la Constitution. Pour réduire durablement les dépenses publiques et sociales, en vue, nous dit-on, de diminuer le déficit et le recours à l’endettement public, il faut contenir le plus possible la part des prélèvements obligatoires (impôts et cotisations) dans les richesses produites. L’objectif est de rassurer en permanence les marchés financiers, à l’heure  où, précisément, il est envisagé explicitement de faire encore plus appel à eux, ce qui signifie que la part des richesses produites appelée à être absorbée par les prélèvements financiers du capital (intérêts et dividendes) va continuer de croître beaucoup et rapidement.

Pour cela, il serait décidé de conférer aux lois financières, les LF et les LFSS chapeautées par la LCPFP, « une compétence exclusive pour l’adoption de toutes  les dispositions relatives aux prélèvements obligatoires ». Dans ces conditions  ce ne serait plus la loi qui fixerait l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures (article 34 alinéa 5 de la Constitution), mais les lois de finances et de financement de la sécurité sociale, « sous les réserves prévues par une loi organique ». Et cette compétence exclusive engloberait l’ensemble des prélèvements obligatoires destinés au financement des politiques  publiques, c’est-à-dire y compris les cotisations de sécurité sociale entrant dans le champ de la LFSS, dont les taux sont aujourd’hui fixés par la voie réglementaire.

Ceci est présenté dans le rapport comme une extension des pouvoirs du Parlement. On a vu précédemment de quelle extension il s’agirait.Le projet d’un endiguement des prélèvements obligatoires qui financent les dépenses publiques et sociales marche de pair avec celui, consensuel entre les dirigeants actuels du PS et la droite, de rapprocher les projets de LF et les projets de LFSS.

L’enjeu est ici, au nom d’une soi-disant nécessité technique de bonne gestion des fonds, d’aller vers une fiscalisation du financement de la sécurité sociale permettant de diminuer encore et toujours  plus les cotisations sociales patronales  des entreprises présentées comme autant d’entraves à leur compétitivité. Simultanément, les autorisations  annuelles  d’emprunt  de trésorerie données par la LFSS à l’ACOSS et à d’autres régimes verraient leur montant plafonné par la LOLFSS.

 C’est ainsi que le débat sur les prélèvements obligatoires prévu par l’article 52 de la LOLF ne serait plus optionnel mais systématique,  tant à l’Assemblée  nationale qu’au Sénat.

Le souci est identique s’agissant des collectivités locales en faveur desquelles « leffort  financier  de l’état  reste fort élevé ». Le rapport affirme « la nécessité d’infléchir la dépense locale dans les mêmes conditions  que celle de l’état ».

Enfin, au nom de la sincérité des comptes et de l’information fournie en appui des délibérations budgétaires, afin de garantir, « autant que possible », l’objectivité des discussions budgétaires – le rapport se permettant à cette occasion de critiquer « l’optimisme  des perspectives économiques  retenues par les gouvernements  » il est proposé de construire un « dispositif  d’expertise », une instance « indépendante ».

Cette instance émettrait un avis public sur la pertinence des prévisions, sachant que cet exercice renvoie à des fondamentaux théoriques qui sont largement partagés dans ce que l’on peut appeler le « consenssus de Washington ».

Surtout, les membres de cette instance « pourraient aussi exprimer un avis sur la conformité et la crédibilité [des documents budgétaires] et des efforts envisagés pour respecter la trajectoire retenue afin de parvenir  à l’équilibre et respecter une trajectoire d’endettement  conforme à nos engagements ».      Intégrer aux règles du Traité de Maastricht Bref cette instance aurait, en réalité, pour mission, sur la base d’avis « d’experts indépendants », de contribuer à intégrer toutes les parties qu’elles soient politiques, syndicales ou associatives, à l’exigence de respecter une trajectoire d’endiguement des prélèvements publics et sociaux (prélèvements  obligatoires)  pour réduire les dépenses publiques et sociales afin de sécuriser une part croissante des richesses revenant aux prélèvements financiers.

Enfin, une loi organique devra déterminer la date du retour à l’équilibre des finances publiques, un débat ayant opposé au sein du groupe de travail les plus ultras aux autres (qui le sont déjà pas mal), les premiers exigeant que soit tout de suite mentionnée dans le rapport Camdessus une date précise.

Le rapport, cependant, souligne « qu’atteindre l’équilibre ne suffira  pas, loin  s’en faut,ramener la dette des administrations publiques en dessous du plafond de 60 % du PIB prévu par nos engagements communautaires ». Et il ajoute qu’une fois l’équilibre atteint il faudra que Gouvernement et Parlement :

‒ Précisent  les modalités  de maintien de l’équilibre « en cohérence avec les stipulations  du Pacte de stabilité et de croissance » ;

‒ Déterminent « les conditions de réduction de l’endettement de la France compte tenu de ses contraintes démographiques et de l’engagement de situer  les perspectives budgétaires sur une pente compatible  avec le retour à la norme du Traité de Maastricht ».

En conclusion, le rapport précise que « ces propositions ont réuni,  pour l’essentiel, un large consensus.

Elles fixent des règles qui, sans imposer à une nouvelle majorité politique  les choix politiques de la précédente [...] établissent  cependant un cadre rigoureux de progression vers l’objectif d’équilibre ». Autrement dit, la différence entre ces majorités  politiques devrait être de l’ordre d’amendements très à la marge d’un vaste bloc consensuel et réputé intouchable sur la rentabilité et les marchés financiers.

 

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