Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Rapport Attali : vive la finance !

La principale nouveauté du second rapport de la commission Attali  tient dans la nette affirmation de son objectif politique : engager la France dans un plan sur dix ans, donc bien au-delà de l’échéance de 2012, construit sur « un socle commun de réformes que tout gouvernement quelle que soit son orientation politique devra mettre en œuvre ». Quant au contenu de ce second rapport, il suffit de relever combien Sarkozy s’est félicité de « la convergence » de ses conclusions avec la politique qu’il conduit, notamment en matière d’« assainissement des finances publiques ».

épouvantail de la dette contre le modèle social

Le rapport Attali-2 part d’un constat volontairement dramatisé à propos de la dette publique :« Si rien nest fait pour corriger la trajectoire, la dette [publique] dépassera les 100 % du PI B, et le potentiel de croissance descendra à 1,2 % ». Rappelons que le premier rapport, publié en janvier 2008, et qui n’avait pas vu venir la crise financière et la récession les plus graves d’après-guerre, postulait un potentiel de croissance descendant à 1,9 %.Cette dramatisation vise à empêcher tout débat sur l’utilisation des fonds empruntés par l’État pouvant ouvrir sur des préconisations alternatives à ce qui s’est fait jusqu’ici, en alternance, depuis plus de vingt ans. On pense, notamment, aux propositions avancées par le PCF d’une utilisation des fonds publics versés aux entreprises permettant de mobiliser, via des Fonds publics régionaux et national constitutifs d’un pôle financier public, le crédit bancaire de façon sélective. Il s’agirait de favoriser d’autant plus les investissements matériels et de recherche des entreprises, par modulation du taux d’intérêt, que ceux-ci programmeraient plus d’emplois et de formations.

Cette dramatisation, qui vise à faire peur et à culpabiliser les salariés et les populations, est bien en ligne avec les orientations que l’Allemagne a fait adopter les 9 et 10 mai derniers en contrepartie de son accord pour un plan de stabilisation financière de 750 milliards d’euros engageant l’Union européenne et le FMI. Ce plan, conçu dans la foulée d’un traitement à la tronçonneuse de la crise de la dette souveraine grecque, est assorti de conditions drastiques permettant aux dirigeants des États membres de justifier le passage de plusieurs crans supplémentaires dans les politiques d’austérité en conformité avec l’exigence du maintien d’un euro « fort ».

Il marque un tournant des politiques économiques des pays membres de l’Union après les mesures sans précédent de sauvetage publique des banques, sans changement des critères du crédit, face à la crise financière et qui ont débouché sur un surendettement public. Il témoigne de la volonté de faire reculer la part des prélèvements publics et sociaux, nécessaires au financement des services publics et de la protection sociale, dans les richesses produites, afin de laisser s’accroître la part des prélèvements financiers (intérêts et dividendes). Et cela sous injonction des marchés financiers et des agences de notation qui les servent, chaque État étant sommé de réduire le plus et le plus vite possible, en taillant dans les dépenses publiques et sociales, l’écart entre le taux d’intérêt dont sont assortis ses titres de dettes publiques et celui payé par l’État allemand (spread).

Aussi, le premier impératif que souligne le rapport Attali-2 est-il celui de ramener le déficit public sous le seuil de 3 % du PIB en 2013 et viser l’équilibre en 2016, année inscrite par l’Allemagne dans sa loi fondamentale dans le même but. Il s’agit, ce faisant, de créer les conditions pour un « basculement du financement de la protection sociale vers limpôt » et « un allègement du coût du travail ».

Pour atteindre ce but, le rapport Attali-2 propose cinq mesures emblématiques :

• le gel du point d’indice dans la Fonction publique jusqu’en 2013, ce qui permettrait de diminuer de 4 milliards d’euros la rémunération des personnels ;

• l’extension de la règle du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite aux collectivités locales et à la Sécurité sociale (une économie de 2 milliards d’euros) ;

• la mise en place d’une TVA sociale (26 milliards d’euros prélevés de façon aveugle sur la consommation);

• la mise sous condition de ressources des allocations familiales ;

• le gel de certaines prestations sociales comme les aides au logement.

Ces mesures seraient très peu populaires, à un point tel que, même à l’UMP, certains ont émis quelques réserves. Aussi, le rapport Attali s’efforce-t-il de présenter les arguments susceptibles de les faire vendre de façon consensuelle, à droite et à gauche, en cherchant à y intégrer, notamment, le mouvement syndical.

On mesure, dans ces conditions, combien ce rapport, qui ne dit pas un mot de la BCE, du rôle des banques et du crédit, s’inscrit en contre du mouvement social sur les retraites en France. D’ailleurs, il note de façon alarmiste, que « la conjonction du vieillissement démographique en cours et du déséquilibre de nos finances publiques place en effet la France sur une pente très dangereuse dendettement croissant et de perte de compétitivité », et c’est pour cette raison qu’il propose de substituer au système français de retraite par répartition le système suédois de comptes notionnels défendus par T. Piketty (1), économiste proche du PS.

Mais il prend à rebours aussi toutes les luttes engagées en Europe contre les plans d’austérité et pour la défense et la promotion du modèle social européen qui préconisent, ensemble, de faire reculer la BCE, la Commission de Bruxelles et les dirigeants de l’Union européenne.

Dix ans daustérité budgétaire

Ce plan à dix ans mettrait l’accent sur deux grandes urgences : le désendettement et l’emploi.

Il faut mesurer ce que peut avoir de démagogique et trompeur l’association, dans ce rapport, de ces deux objectifs :

L’essor de l’emploi en quantité et qualité est effectivement une condition impérieuse d’une croissance réelle régulière susceptible de produire les recettes nouvelles nécessaires en impôts et cotisations pour réduire durablement les déficits et les dettes.

Mais les conditions envisagées pour le désendettement conduiraient à un rationnement tel des dépenses de services publics, y compris celui de l’emploi et de la formation, que la croissance réelle risque de beaucoup en souffrir, entraînant, au contraire, une insuffisance grandissante des rentrées d’impôts, taxes et cotisations, ce qui accentuerait les déficits et les dettes publics.

La première urgence, donc, « est de ramener au plus vite, cest-à-dire en 2013, le déficit public sous le seuil de 3 % du PIB ».

Le rapport souligne que « le programme de stabilité français […] doit être respecté ». Et il chiffre la contrainte qui en découle pour la France : si le pays connaît une croissance moyenne de 2 % sur la période, l’effort à accomplir par rapport à l’évolution spontanée des finances publiques serait de 25 milliards d’euros chaque année, soit un « ajustement » de 75 milliards d’euros d’ici à 2013. C’est évidemment considérable, quoique inférieure au chiffrage présenté par Woerth en janvier dernier (100 milliards d’euros) et très en deçà des 172 milliards d’euros de niches fiscales et sociales dont bénéficient chaque année les entreprises.

Le rapport propose de réaliser cet ajustement via des économies de dépenses pour 50 milliards d’euros et un élargissement des assiettes fiscales et sociales, mais seulement celles qui concernent les particuliers, « cestà-dire une hausse des impôts » sur les particuliers, pour 25 milliards d’euros.

Sur ces bases, il promet que si cette « stratégie à dix ans »   est mise en œuvre, la France sera capable d’atteindre une croissance moyenne d’au moins 2,5 % par an, contre plus de 3 % dans le premier rapport !

Au-delà de 2013, insiste le rapport, « la poursuite du désendettement passe par la poursuite dun très profond effort de modernisation des institutions, dans un sens juste et durable, et dune réforme des règles budgétaires ». Il s’agit d’atteindre « un niveau dendettement voisin de 60 % » en « renforçant lefficacité des services publics et la maîtrise budgétaire » avec, bien sûr, les moyens dont on s’est doté pour cela, tels la RGPP et une informatisation des services conçue, avant tout, pour réduire fortement l’emploi public et la masse des salaires versés pour les services publics.

S’agissant de la protection sociale, il s’agit, prétend-il, de donner la priorité aux plus démunis tout en visant « un rôle plus grand confié aux complémentaires santé et à lassurance dépendance complémentaire obligatoire » !

S’agissant du « système fiscal », il s’agit de le rendre   plus efficace et plus juste » (sic) « fondé sur une meilleurerémunération finale du travail et de la création, avec, encontrepartie, de nouvelles ressources fondées sur trois assiettes : les dégradations de lenvironnement, la consommation et les patrimoines ».

Cette présentation quelque peu trompeuse annonce, en fait, la diminution drastique des impôts pesant sur les entreprises et des cotisations sociales patronales avec la création de la TVA sociale et d’une taxe carbone. Le rapport note que cela « accroîtrait de manière importante la compétitivité des secteurs exposés à la concurrence internationale », tandis que « la hausse des prix engendrée […] et les pressions à laugmentation des salaires et à lindexation pourraient être limitées à court terme du fait de la conjoncture ».

Il conclut : « Ce redressement des finances publiques au service de la croissance doit pouvoir sappuyer sur une Europe forte. » Et, pour cela, « la France doit semployer à renforcer le Pacte de stabilité et de croissance […] ».

La seconde urgence est de « créer des emplois et redonner un avenir aux jeunes ». Que préconise le rapport pour réaliser un objectif aussi séduisant ?

Il pose, « dabord », pour postulat que « tout ce qui améliore la compétitivité des entreprises est favorable à lemploi », étant entendu que seul « le coût du travail trop élevé » serait en cause.

À cette fin, la Commission Attali « recommande de préserver lessentiel des allégements de charges (sociales), et de transférer une partie des charges sociales sur la TVA », bref de mettre en place une TVA sociale.

Pour cela, « une mise en œuvre simple de la mesure consisterait en un transfert des cotisations au titre de la branche famille, qui relève encore plus que les autres branches de la solidarité nationale ». Cette baisse de cotisations, « qui représente 5,4 points (ou 26 milliards deuros), pourrait être compensée par une hausse de 3,2 points de TVA ». Le rapport propose de l’étaler sur trois ans, « au rythme denviron 1,8 point de cotisation et 1,1 point de TVA par an ».

Il préconise aussi « le développement de la concurrence, notamment dans le secteur des services (télécommunications, banques et assurances, énergie…) ». Avec une amplification des déréglementations et privatisations, l’hyper-concurrence ainsi engendrée permettrait assure-t-on, de « contrebalancer leffet potentiellement inflationniste de la hausse de la TVA» !

Une flexisécurité à la française

La seconde grande voie préconisée vise explicitement à capter la revendication syndicale de sécurisation des parcours professionnels en mettant en place une « flexisécurité à la française » tant défendue par Ségolène Royal en 2007.

Il s’agit d’abord de créer « un cadre efficace, cohérent et valorisant pour la recherche demploi à travers la mise en place dun contrat dévolution ». Le rapport est très explicite en préconisant « le déploiement à grande échelle dun mécanisme similaire au contrat de transition professionnelle (CTP), mais mieux ciblé ». Le contrat d’évolution serait ainsi « un contrat dactivité à durée variable » passé, « en contrepartie dengagements forts de la part du chercheur demploi dont le respect serait contrôlé », avec Pôle emploi, le dernier employeur du demandeur d’emploi ou les Conseils généraux.

Rappelons que le CTP a été créé pour faciliter les suppressions d’emploi avec une déresponsabilisation totale des entreprises et l’obligation, en réalité, pour l’intéressé, dans ce cadre, de finir par accepter un emploi ou une activité à faible coût salarial, les dépenses pour la formation, l’accompagnement et le retour à l’emploi étant extrêmement insuffisantes.

C’est toujours pour récupérer l’aspiration à une sécurisation de l’emploi et de la formation tout le long de la vie de chacun-e que le rapport Attali préconise d’« utiliser la formation professionnelle pour sécuriser les transitions professionnelles », mais sans qu’aucune de ses dispositions ne permettent de laisser envisager un quelconque essor de la création d’emplois stables et correctement rémunérés, notamment par une autre utilisation des fonds publics et du crédit bancaire. Et cela dans un contexte de rationnement du financement des services publics, notamment celui de l’emploi et de la formation.

À cet effet, il est proposé de modifier « profondément le fonctionnement » de la formation professionnelle, sans doute dans le sens de tout ce qui est en cours, notamment la privatisation de l’AFPA et la main mise du patronat, via les OPCA, et des officines privées sur les fonds de la formation professionnelle. On notera ici, particulièrement, l’adjonction proposée au Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels de fonds régionaux sur les ressources desquels rien n’est dit, ni d’ailleurs sur leurs critères de financement, sur leurs pouvoirs ou leur saisine.

La Commission Attali se prononce aussi pour une modulation des cotisations d’assurance chômage selon la durée du contrat de travail qui serait articulée à la mise en place d’un « contrat à droits progressifs » dans le sens de ce qu’ont préconisé les économistes néolibéraux O. Blanchard et J. Tirole (2). Ceux-ci ont bâti leurs propositions avec le souci de substituer au financement actuel de l’assurance chômage par « des cotisations sociales qui augmentent le coût du travail » (3), un financement contributif libérant les entreprises de toute responsabilité sociale et facilitant les suppressions d’emplois. Simultanément, le contrat à droits progressifs serait assorti d’un montant de charges sociales (charges chômage) qui serait dégressif en fonction de la durée dans l’emploi, tandis que les salariés concernés

« accumuleraient des droits progressifs dans le temps (en terme dindemnisation du chômage, de protection juridique, de formation..)». Et, bien sûr, les modalités de mise en œuvre de ce nouveau contrat, appelé à devenir « le contrat de référence sur le marché du travail », seraient définies par les « partenaires sociaux ».

L’ancrage à l’Europe de Maastricht

Le rapport Attali est ancré à une préoccupation f o n d a m e n t a l e : l a construction européenne et « l’euro fort » sacrément mis en difficulté par l’exacerbation de la crise systémique du capitalisme en 2008-2009 et ses développements récents jusque dans la crise de la dette souveraine d’États du sud de l’Europe.

C’est aussi ce qui fait qu’il cherche à se présenter comme un « vade mecum » à usage bipartisan pour une gestion de ces difficultés qui soit conforme aux exigences des marchés financiers et compatibles avec les rapports de domination intra-européens.

D’ailleurs, le rapport, qui ne dit pas un mot de la politique monétaire de la BCE, affirme qu’il est « dans lintérêt de la France et de lensemble de lUnion européenne que, collectivement, les pays européens organisent la mise en œuvre de la discipline budgétaire nécessaire à la réduction de lendettement public ».

Il en appelle, dans ce but, à « accroître la surveillance collective » et « renforcer le pacte de stabilité et de croissance et lappliquer ». Il en appelle à une « mutualisation des dettes des états membres jusquà un certain niveau » avec la création d’une « agence de la dette de la zone euro ». Il propose « lémission dobligations européennes » et de « définir avec lAllemagne une stratégie commune de finances publiques et de croissance », laquelle serait indexée – mais ce n’est pas dit – sur les priorités des capitaux allemands largement dominants dans la zone.

Bien sûr, rien n’est dit sur les risques d’assujettissement encore plus étroit des pays de l’Union européenne aux exigences des marchés financiers que cela entraînerait, ni sur les risques très envenimés de guerre monétaire avec le dollar.

Surtout, rien n’est dit sur la BCE, sa politique monétaire, ses rachats sur les marchés secondaires de titres de dettes publiques, sans création monétaire, décidés dans le cadre d’une « stratégie de sortie de crise » qui s’avère particulièrement inefficace du point de vue des intérêts sociaux et économiques des populations européennes.

De même, rien n’est dit du caractère antagoniste des décisions prises le 9 mai dernier avec la mise en place d’un Fonds européen de stabilité financière alimenté par des emprunts effectués sur les marchés financiers. Comme le propose Paul Boccara (4), la BCE pourrait, au contraire, par création monétaire, acheter des titres de dette publique avec des taux très bas, voire nuls.

Elle interviendrait en liaison avec un Fonds de développement, se substituant au Fonds de stabilité financière. Ce nouveau Fonds, contrôlé démocratiquement, organiserait les attributions de l’argent provenant des rachats des titres de dettes. Il viserait systématiquement une expansion des services publics pour une croissance durable d’efficacité sociale, en privilégiant les pays en difficulté. Il serait aussi alimenté par des taxations des flux financiers. Et des obligations de prise de titres publics à bas taux d’intérêt seraient imposées aux banques et établissements financiers, aux sociétés d’assurances, aux fonds d’investissement.

Ensuite, la BCE aurait un autre rôle, de refinancement des banques pour un nouveau crédit pour l’emploi et la formation dans les entreprises. Ce crédit, depuis des fonds régionaux jusqu’à la BCE, en passant par un pôle financier public, offrirait des taux d’intérêt, pour des investissements matériels et de recherche, d’autant plus abaissés que l’on fait de l’emploi et de la formation. Le rapport Attali confirme à sa façon qu’il n’est pas possible de concevoir une Europe sociale sans mettre en cause la dictature des marchés financiers, pour une tout autre utilisation de l’euro et des pouvoirs de la BCE. Mais il confirme aussi qu’il y a incompatibilité entre la prétention à défendre des acquis sociaux fondamentaux en France, comme la retraite par répartition et les « 60 ans », et l’ancrage à la construction européenne actuelle.

C’est précisément cela qui fait que, côté PS, on parle de maintenir les « 60 ans » sans, cependant, mettre en cause la tendance actuelle à l’allongement de la durée de cotisation… ce qui est trompeur.

Le grand mouvement social en France, parti de l’enjeu des retraites et qui soulève désormais des questions de civilisation, peut faire jonction avec toutes les luttes engagées en Europe contre les politiques d’austérité, bousculer tous les conservatismes et populismes et poser en pratique à toutes les gauches la nécessité d’une réorientation profonde de l’Europe. 

(1) A. bozio et t. piketty: « retraites : pour un système de comptes individuels de cotisations  propositions pour une refonte générale des régimes de retraites en France », 7 avril 2008.

(2) « protection de l'emploi et procédures de licenciements », rapport d' o. blanchard et J. tirole pour le conseil d'analyse économique (cAe), 2006.

(3) Ibid. p. 10.(4) Interview à L'Humanité, mercredi 19 mai 2010

 

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