Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Rapport au Conseil national du 23 mai 2008 - Daniel Cirera

le 23 mai 2008

De la Présidence française aux élections européennes de juin 2009 Changer en France Changer en Europe

La présidence française de l'Union européenne qui commence ce premier juillet arrive à un moment charnière pour l'Europe. Charnière au plan institutionnel et politique entre le choc qu'a représenté le rejet du traité constitutionnel par les français et l'élection d'un nouveau parlement européen en juin 2009.

Concernant le traité de Lisbonne imposé au pas de charge, si l'on en croit les sondages tout est encore ouvert avec le référendum en Irlande, le 12 juin. Les pressions exercées sur le peuple irlandais sont à la mesure des inquiétudes des dirigeants européens. Charnière parce qu'aucune réponse n'a à ce jour été apportée à la crise que traverse le projet européen. En outre cette présidence s'annonce dans un climat marqué par des luttes sociales d'ampleur, durables et massives. Au plan européen le contexte est marqué par des succès électoraux de la droite, radicalisée et sur des bases populistes, avec des reculs et des défaites significatives à gauche, notamment en Italie et en Grande-Bretagne.

Les partisans du Traité constitutionnel n'ont pas caché qu'il n'avaient qu'une hâte : tourner la page du Non au référendum, ne reculant pas devant le déni de démocratie qu'a représenté le passage au forceps sans référendum le traité dit de Lisbonne. Ceci étant, aucune des inquiétudes exprimées, et des questions posées à travers le rejet du traité constitutionnel n'a trouvé de réponse à ce jour. Ainsi le rapport du Conseil économique et social sur l'Europe et la mondialisation relève avec lucidité que « sans une forte volonté politique conjuguée à une toute aussi forte adhésion des sociétés civiles européennes et des opinions publiques, ce nouveau cadre institutionnel risque de demeurer plus virtuel qu'effectif ». Le chantier de refondation qu'appelle la crise de légitimité qui mine le projet européen est plus que jamais devant nous.

Nicolas Sarkozy souhaitait faire de cette présidence un grand moment d'autocélébration, du « retour de la France en Europe ». Le contexte social et politique en France et en Europe après les élections du printemps, les tensions persistantes avec l'Allemagne, le contraignent à un profil plus modeste. La menace réelle d'un échec sur la réforme des institutions pèse sérieusement sur son autorité politique [1]. En outre un discours lénifiant sur les bienfaits du « grand marché » se heurtera aux colères des marins-pêcheurs ou des salariés du secteur portuaire, aux conséquences de l'euro fort au plan industriel et dans la vie quotidienne. La convergence de la réduction drastique des dépenses et des emplois publics avec les pressions de la Commission sur les déficits publics ne manqueront pas d'alimenter le débat sur ce qu'il faut changer en Europe.

C'est dans ce contexte que nous abordons, nous aussi, la présidence française. Les grandes priorités sont fixées sous le thème de « l'Europe protection » : l'immigration, le changement climatique et l'énergie, la défense européenne, à quoi se sont ajoutées la réforme de la PAC et l'Union pour la Méditerranée. Il faut bien être à l'offensive sur l'agenda officiel, sans s'y laisser enfermer.

Nous ne nous réjouissons pas de la crise profonde qui traverse le projet de construction européenne. Au contraire, nous avons la conviction que s'il n'est pas apporté des réponses de gauche, fortes aux attentes, aux impatiences et aux déceptions, le champ est ouvert à un repli sans perspective et à tous les populismes. « Que change l'Europe dans ma vie, en mieux ? Que fait l'Europe pour me protéger dans ce monde instable et incertain, et si possible contribuer à affronter les grands défis planétaires du XXI° siècle ? » On ne rétablira pas la confiance des peuples et des citoyens envers l'Europe si on ne répond pas par des mesures politiques concrètes à ces questions.

I. L'Europe dans le monde.

L'actualité met en évidence le rôle qu'elle devrait jouer et les changements de politiques qu'appelle une telle responsabilité. La crise alimentaire, la crise financière, la situation dramatique au Proche-orient.

- La crise alimentaire

Avec les émeutes de la faim a explosé à la face du monde le scandale d'une crise qui touche à un des premiers des droits humains : celui de se nourrir. Alors que le drame de la faim est récurrent, ce qui est nouveau, c'est qu'on ne peut invoquer la fatalité. Les prix des denrées de base ont en moyenne doublé en un an. Les raisons sont multiples sans doute (démographiques, climatiques, la demande nouvelle des pays émergents, les biocarburants). C'est d'abord le constat de faillite des politiques imposées depuis des décennies par les institutions internationales, au nom du dogme du marché global avec le sacrifice des agricultures locales. Pas de fatalité dans la dimension structurelle de la crise liée au repli des capitaux spéculatifs vers les matières premières y compris agricoles. la solution n'est pas humanitaire mais politique. On redécouvre aujourd'hui sous la pression des émeutes ce que nous disions avec les progressistes africains : l'agriculture n'est pas une question du passé mais une question d'avenir et au coeur du développement. C'est un tournant.

L'Europe en tant que telle est directement impliquée dans le problème et donc dans la solution, à travers la PAC, les négociations de l'OMC et dans les coopérations avec l'Afrique.

La politique agricole est un enjeu majeur. Sarkozy n'a pas manqué de promesses pour flatter le monde paysan. Il est maintenant au pied du mur. Le bras de fer est engagé sur la réforme de la PAC : les milieux dirigeants européens se saisissent de la crise pour pousser plus loin les feux de la déréglementation et de la libéralisation, pour justifier la suppression des aides, réduire le budget de la PAC, afin d'obtenir un accord à l'OMC. Les récentes propositions de la Commission sonnent comme une provocation.

Mais la crise et le contexte d'insécurité alimentaire est propice pour s' opposer à cette dérégulation, au démantèlement des politiques publiques agricoles, prenant en compte que l'agriculture n'est pas une activité économique comme les autres. A travers cette crise et les drames humains qu'elle engendre se trouve posée avec une force nouvelle la redéfinition d'un partenariat Europe-Afrique, qui justement dégage les échanges et les coopérations de la logique glacée et implacable de la concurrence et du tout-marché. Cela vaut aussi sur les orientations d'une politique méditerranéenne de l'UE. Et comment ne pas faire le lien avec la question de l'immigration ?

Avec le débat sur la PAC, la présidence française va être traversée par l'enjeu agricole et alimentaire.

Je propose que nous faisions un des axes de notre intervention sur l'Europe et la mondialisation, pour des réponses effectives s'opposant aux pressions de la Commission, et qui ne concernent pas que le monde paysan.

- La crise financière

Tout laisse penser que la crise financière n'épargnera pas l'Europe. Des éléments d'instabilité apparaissent en Grande-Bretagne, en Espagne, en Irlande. La France ne sera pas et n'est déjà pas, à l'écart de la tourmente. A cette menace que répondent les dirigeants des 27 ? Ils appellent les « acteurs des marchés financiers à s'auto-discipliner ». Surtout pas question de toucher aux politiques monétaires ni à la Banque centrale européenne. Or il s'agit d'une crise structurelle, qui menace l'ensemble de l'équilibre bancaire et du système de crédit. Si la construction d'un ensemble européen, y compris dans sa dimension économique et monétaire peut avoir une utilité, ce doit être pour protéger les pays, les populations des ravages de l'argent-fou, par des mesures propres en Europe et dans les institutions financières internationales.

Et il n'y aurait rien à dire sur la responsabilité de ceux qui prétendent n'avoir rien vu venir et qui continuent à laisser faire !

Quand la BCE a pu injecter 250 milliards de liquidités qui prétendra qu'il n'y a pas d'argent pour une relance économique, pour des investissements productifs ? Des propositions existent, et la présidence française est un moment opportun pour faire grandir le débat sur la redéfinition des missions de la BCE, sans attendre un nouveau traité, et n'en déplaise à Angela Merkel. N'est-ce pas un moment opportun - je pense particulièrement aux élus - pour contester la politique monétaire et de crédit à l'échelon des régions, des territoires, à partir des besoins des populations, des besoins d'emploi et de qualification ?

- La crise du Proche-orient

Le sommet d'Annapolis avait fixé comme échéance pour la constitution d'un Etat palestinien la fin de 2008. Depuis, non seulement aucun pas significatif n'a été fait, mais la situation n'a cessé de se détériorer. L'absence d'initiative efficace pour l'arrêt de la colonisation, pour l'arrêt des violences et la reprise d'un dialogue et d'une négociation est injustifiable. Pourtant les européens ont une partie de la solution entre leur main. Les bases d'une discussion sérieuse et acceptables existent, avec les propositions de la ligue arabe ou le document des prisonniers rappelé encore récemment par Marwan Barghouti dans son message pour les 30 ans de La paix Maintenant. Il faut entendre l'appel lancé hier par le Président Mahmoud Abbas à l'Europe à jouer à un rôle politique actif pour le processus de paix : « Elle est la plus proche géographiquement du Moyen-Orient et la mieux à même de comprendre cette région. » Entre l'attentisme envers un président américain sans stratégie ou son successeur encore virtuel, et l'attente d'un accord entre les 27, il y a place avec la présidence française pour une impulsion et un engagement plus déterminé et cohérent combinant pressions et action politique. Sinon comment parler sérieusement d'un nouvel élan pour les coopérations politiques en Méditerranée ?

II.- La France en Europe : pour un nouveau modèle social, écologique et solidaire.

1.Le social au coeur.

Redonner un sens positif à la construction européenne implique de remettre le social au coeur du projet. Non seulement le sujet est totalement absent de l'agenda présidentiel, mais le calendrier intérieur des « réformes » a tout pour attiser la colère et les mécontentements, alimenté par les admonestations de la Commission et de la BCE. Un cap est franchi avec les avis de la Cour de justice européenne entérinant les pratiques de dumping social, contre les législations nationales et les organisations syndicales. Pourtant ce qui est au coeur des inquiétudes, c'est le démantèlement des systèmes de protection et la concurrence généralisée, y compris dans l'espace européen lui-même. Consultés sur la présidence française, majoritairement les français considèrent négative l'influence du marché intérieur européen sur l'emploi et le pouvoir d'achat (Sondage Ifop - Janvier 2008). C'est à cela qu'il faut répondre.

- Les salaires.

Le 5 avril à Ljubljana c'était le thème central de la manifestation européenne des syndicats. Constatant que la part de la richesse accordée au travail ne cesse de se réduire, la Confédération européenne lance cette année une campagne pour l'augmentation des salaires. C'est dans tous les pays que la question prend de front la « modération salariale » qui pèse depuis de longues années. En Belgique encore cette semaine dans les transports, en Allemagne depuis des mois avec des conflits très durs et très suivis. Lancée par Die linke la proposition de salaire minimum est devenue un sujet de tension politique dans la grande coalition, et au sein du SPD. Le problème a pris une dimension européenne et politique. Elle met en cause très directement les dogmes de la compétitivité par la baisse du coût du travail. Elle marque une résistance nouvelle au chantage à la délocalisation. Cette dimension politique, et européenne, est amplifiée par les appels menaçants à ne pas céder, de la Banque centrale européenne et de la Commission, contre toute hausse des salaires. Fait nouveau, la grève des salariés de Dacia en Roumanie, et son impact, avec une solidarité particulièrement chez les salariés de Renault France. C'est un tournant : les solidarités établies entre luttes salariales des pays les plus riches et des nouveaux entrants porte un coup au coeur de la logique de concurrence au coeur du marché intérieur et institutionnalisée dans les traités. On mesure combien avec la question des salaires sont posées des questions centrales du rapport de forces, des choix sociaux et budgétaires, et dans une dimension jusque là inédite. Ce doit être un des axes de visibilité de l'intervention des communistes pendant la présidence française.

- La flexibilisation du marché du travail.

La commission et le patronat européen ont une grande priorité : généraliser la flexibilisation du marché du travail. On connaît le sens des « réformes » du marché du travail, partout. La France n'est pas en reste. Mais les résistances font tache d'huile. La lutte contre la précarité et la mise en cause des garanties sociales est devenue un thème pour les grandes mobilisations, que ce soit en France - on se souvient du CPE - en Italie, au Portugal, en Espagne. D'où une offensive de grande ampleur pour promouvoir la « flexicurité ». Une proposition sera faite avant la fin de l'année, par la commission, pendant la présidence française. Mais il apparaît de plus en plus qu'il s'agit avant tout d'imposer plus de flexibilité en réduisant les garanties. Cette bataille contre la banalisation de la précarisation, contre la mise en concurrence, et qui touche tout particulièrement, les femmes, les jeunes et les immigrés doit aussi être un marqueur de notre vision européenne. En France des idées ont grandi, qui aiguisent la contradiction entre sécurité et flexibilité, au nom de la sécurisation de vie professionnelle, non pas comme palliatif au chômage, mais comme réponse aux besoins de développement humain. C'est un terrain d'affrontement sur la conception même de l'efficacité sociale et économique. Ce sera le thème de l'université d'été du PGE en juillet et de la caravane qu'il organise cet automne.

- Pour la défense du service public.

Le service public est au coeur d'une certaine conception de l'égalité des citoyens, au service du public en France. Inutile ici d'insister sur la profondeur de sa mise en cause. Mais la résistance est considérable, ancrée au plus profond du pays. La présidence française sera un moment très opportun pour contrer les politiques de démantèlement et de privatisations, pour s'opposer aux directives de libéralisation pour faire grandir encore l'exigence de renforcement des garanties pour le maintien, le développement des services publics, et particulièrement les services publics de proximité.

- Retraites, protection sociale.

Le discours officiel sur « L'Europe protection » ne tiendra pas longtemps devant le poids de la réalité vécue. Mais ne devons-nous pas relever le défi d'une « Europe qui protège et sécurise » par un nouveau progrès social ? Pour la droite et le patronat, il s'agit de démanteler le « fameux modèle français » fait de droits et de solidarité. Or la question est posée aujourd'hui dans tous les pays, d'une manière ou d'une autre. Dans cet espace commun du marché unique, face aux mises en concurrence, au dumping social et fiscal, aux chantages aux délocalisations, les convergences et la conscience d'intérêt ne posent-elles pas l'exigence de nouveaux droits « protecteurs » à partir des acquis du mouvement ouvrier, des luttes sociales, d'un certain sens de l'intérêt général.

Prenons le cas des retraites et de la protection sociale. Elles font l'objet en France ces jours-ci de mobilisations d'une ampleur exceptionnelle qui peuvent faire reculer le gouvernement et le Medef. Or dans les autres pays, les questions soulevées sont les mêmes : allongement de la durée de vie au travail, travail des seniors, capitalisation contre répartition... Les résistances sont variables, mais elles convergent. Comme convergent les débats sur les financements, sur le niveau des dépenses de santé et de protection sociale. Or la sécurité sociale est un des piliers d'un certain modèle commun à la plupart de pays d'Europe. En ce sens il n'y pas d'étanchéité entre luttes sociales sur les retraites, pour les dépenses de santé et la mise en cause des orientations libérales des politiques européennes. Elles se nourrissent les unes les autres. Peut-être le moment est-il venu de franchir une étape dans la polémique sur une conception innovante, porteuse de progrès social et démocratique, d'un nouveau modèle de développement, social, écologique et solidaire.

On l'aura compris, il ne s'agit pas d'un modèle extérieur au mouvement réel de la société. Il s'agit d'un ensemble de réformes structurelles à partir des contradictions et et de ce mouvement, et qui permettent de changer la vie. Ainsi les luttes pour l'égalité effective des genres, les luttes féministes et contre les discriminations sont au coeur d'un tel mouvement. Elles ont d'ores et déjà une dimension européenne. Elles doivent être et elles seront présentes dans la présidence française.

2. L'enjeu écologique et énergétique.

Pour les Français la défense de l'environnement est un des points forts de l'Europe. C'est pour eux à cette échelle que peuvent être traités les enjeux. Les tensions avec les américains sur Kyoto ont crédibilisé cette position. Avec l'énergie, c'est une des priorités de la présidence française, en relation avec la discussion du « 3° paquet énergie-climat » et le rendez-vous en Allemagne de l'automne sur le processus de Kyoto.

Nous pourrions en faire aussi un des axes de visibilité de notre positionnement pendant la présidence française. Non pas dans un consensus tiède, mais en relation avec les enjeux sociaux, industriels. De ce point de vue la politique énergétique est exemplaire en terme de réponse aux besoins, au changement climatique, de stratégies communes politiques et industrielles, de l'articulation entre nucléaire et énergies renouvelables, des finalités de la recherche, du rôle d'un secteur public puissant. Ce débat est traversé par le bras- de fer sur la fusion Gdf-Suez, les affrontements sur la séparation que prétend imposer Bruxelles entre production et distribution. Juste un rappel : « Seule l'existence de marchés intérieurs assurera aux citoyens et aux entreprises de l'UE tous les bienfaits de la sécurité d'approvisionnement et de prix bas.' » (Livre Vert de la Commission, 2006). Il y a une crédibilité, à partir des rapports de forces en France, à poser une Europe de l'énergie face à l'Europe de la concurrence généralisée, à avancer sur des structures de coordination politique et industrielle face à la logique dévastatrice des fusions-acquisitions. Voilà un thème d'avenir donnant à voir une certaine conception du développement et de la croissance intégrant la dimension européenne et écologique.

3. La paix.

Dans un monde incertain, la paix est un des piliers de la justification d'une construction commune en Europe. La paix entre les peuples en Europe et la paix dans le monde. L'immense mouvement d'opposition à la guerre d'Irak et à la politique de Bush a marqué une rupture. Le refus de s'engager dans l'aventure impérialiste de Bush a identifié les contradictions d'intérêt entre les européens et l'allié protecteur de la guerre froide. L'alignement atlantique de Sarkozy, avec l'envoi de renforts en Afghanistan et le retour au commandement intégré de l'Otan, est ressenti légitimement comme une rupture grave, un retour en arrière. L'évocation de la guerre à propos de l'Iran par Bernard Kouchner avait déjà marqué cette rupture.

La paix et l'indépendance de l'Europe devraient être les fils rouges de notre intervention sur la présidence française, signifié dans l'opposition à l'engagement derrière la bannière étoilée en Afghanistan, contre la pérennisation de l'Otan et son renforcement, contre le déploiement du système antimissiles en Europe centrale, et contre l'augmentation des dépenses militaires inscrite dans le Traité de Lisbonne.

Notre feuille de route est et reste l'opposition à une militarisation de l'Union européenne sous l'égide de Washington. Si la construction européenne a un sens en matière de sécurité collective, c'est dans son émancipation envers la tutelle américaine. La non capacité des européens de mener des guerres n'est pas un handicap. C'est un atout, au moment où la stratégie de guerre américaine conduit à l'isolement, pour porter l'exigence de multilatéralisme et contribuer à la solution politique des conflits. L'enjeu du désarmement n'est pas désuet. Au contraire, la crise iranienne et les risques réels de prolifération relancent l'urgence d'une reprise des discussions sur le désarmement nucléaire.

Ce choix de la primauté de la solution politique des conflits ne nous fait pas ignorer le débat sur la défense européenne. Elle est déjà une réalité, traversée par la contradiction des relations avec les Etats-unis. La France participe avec d'autres européens à des opérations sous drapeau bleu au Liban, au Proche-orient ou en Afrique. La commission défense de notre parti a ouvert des pistes de réflexion sur les problèmes que cela soulève et sur les conditions dans lesquelles des forces militaires européennes pourraient être engagées dans des opérations. Le sujet est légitimement d'une extrême sensibilité. Il est un des éléments de la confrontation sur les conditions de la paix et de la sécurité en Europe et de la conception de la place et du rôle de l'Europe dans le monde.

- L' Union pour la Méditerranée.

Il s'agissait au départ pour Nicolas Sarkozy de contourner l'adhésion de la Turquie et de disposer d'un cadre de concertation, pour enrayer et contrôler l'immigration. Par la force des choses, l'idée a pris de l'ampleur, mais dans le même temps elle s'est trouvée progressivement vidée de sa substance. N'en restons pas ce constat. L'enjeu méditerranéen est fondamental, pour nous, comme communistes, et comme européens. Alors que le processus euroméditerranéen lancé à Barcelone en 1995 s'est enlisé, les ratés et les ambiguïtés du projet présenté par Nicolas Sarkozy ne ruinent pas l'exigence d'un nouvel élan des coopérations politiques, d'un partenariat ambitieux, d'institutions nouvelles impliquant les états, les régions, les peuples, à opposer à une Europe repliée sur elle-même.

4.- L'immigration

Sous couvert « d'Europe protection », Sarkozy a fait de l'immigration une des priorités de la présidence. Son « pacte européen » concerne l'arrêt des régularisations générales, et le contrôle du droit d'asile et les accords de réadmission. Instrumentalisée à des fins de politique intérieure, la situation des travailleurs immigrés et la question de l'immigration est traitée exclusivement en termes sécuritaires, de contrôle, d'illégalité. Le durcissement de la politique de répression, déjà considérablement renforcée en France, se verrait conforté au plan européen. Ainsi vient en discussion au Parlement européen une directive sur « le retour » durcissant les normes de rétention et d'expulsion. Sarkozy peut se sentir encouragé par la poussée xénophobe en Italie, jusqu'aux violences contre les ROM. Dans le même temps, la circulaire de la honte peut être repoussée à Strasbourg, et la lutte des salariés sans-papier en France a modifié la perception chez beaucoup. En matière de migrations, la politique européenne est un monument d'hypocrisie, ainsi que soulignait le député européen Giusto Catania : « d'un côté on sait très bien qu'on a absolument besoin de migrants des pays tiers, et de l'autre rien n'est fait pour légaliser ceux qui sont déjà là. » L'hypocrisie et l'indignité sont à leur comble avec « l'immigration choisie » réduisant les êtres humains à leur force de travail, et participant du pillage des cerveaux. Restaurer la dignité et les droits des migrants, telle doit être la priorité de l'approche de l'UE. Avec la mise en place d'une véritable politique de développement. Le traitement de l'immigration, des migrations, est au coeur de la conception du projet européen. C'est un défi majeur qui appelle la mise en synergie au niveau européen les expériences et les propositions, avec les luttes qu'appelle la politique indigne et dangereuse de Berlusconi, Sarkozy et Hortefeux.

Dans sa « Grammaire des civilisations », l'historien Fernand Braudel appelait à choisir entre « une Europe qui acceptera de jeter son poids dans la solution du sous-développement mondial (dont dépend la vie de tous)(...) et une »nation Europe« prenant la suite d'ambitions désuètes. Bref concluait-il »une Europe inventive, facteur d'apaisement, ou une Europe routinière, facteur de tensions que nous ne connaissons que trop." C'était en 1963.

Le travail a été engagé dans le collectif Europe, avec les différents groupes de travail, dans des fédérations et avec des élus, avec le PGE. Il a permis de fixer des priorités, un cadre et une perspective. Ils seront enrichis et précisés, notamment avec les élections européennes, mais aussi dans les débats publics, à l'Université d'été. Des initiatives sont prises ou en préparation, sur la crise financière, l'agriculture et la crise alimentaire, l'école, la défense et la paix, l'immigration [2]. Des coordinations à l'échelle européenne se réunissent ou se mettent en place sur l'école, l'université et la recherche, contre les discrimination avec le réseau LGTB, sur les droits de femmes, sur la flexicurité. D'ores et déjà nous mettons dans le débat public l'état de notre réflexion, avec notre disponibilité à travailler à toutes les convergences utiles, avec les autres forces de gauche, avec les organisations du mouvement social, pour contribuer à des rassemblements qui s'opposeront efficacement aux choix antisociaux que Sarkozy et la droite prétendent imposer au pays à travers la présidence française. Les concertations sont engagées. Un calendrier commence à se mettre en place avec notamment une grande Journée le 7 octobre à l'initiative de la Confédération syndicale internationale. Fin septembre le FSE se réunit à Malmö en Suède. Le grand rendez-vous politique de la rentrée que constitue la Fête de l'Humanité donnera assurément le ton.

III.- Face à la crise de légitimité, ouvrir une perspective nouvelle.

L'objet immédiat de notre discussion porte sur la présidence française. Il ne s'agit pas d'élaborer un programme ou une plate-forme pour les élections de 2009. Mais les priorités que nous nous fixons tracent de grandes lignes, s'inscrivent dans un cadre et des luttes qui marqueront le débat proprement électoral. Nous le faisons à partir d'un acquis commun, populaire, accumulé dans la dernière période-, notamment dans ce grand exercice de démocratie que fut la campagne sur le Traité constitutionnel. Pourtant, comme tout est en mouvement, nous sommes confrontés à l'exigence de pousser notre réflexion sur les questions nouvelles qu'impliquent les conditions du combat politique de classe jusque dans ses dimensions européennes. C'est notre rapport à la construction d'un ensemble européen plus ou moins intégré, comme communistes et communistes français, qui est en permanence mis en question.

Ce qui se joue n'est pas conjoncturel. C'est la relégitimation populaire du projet européen. Les tentatives de le relégitimer sans rompre avec les politiques menées des dernières décennies ont échoué. Elles se heurtent aux réalités vécues. Peut-on parler de l'Europe comme socle de progrès social, quand la pauvreté touche des millions de personnes, que progressent les inégalités, que le pouvoir d'achat et les salaires sont devenus le problème numéro un, quand la précarisation est présentée comme une contrainte inévitable imposée par la concurrence mondiale. Le thème de l'Europe comme garantie de la paix validé au lendemain de la guerre par la réconciliation franco-allemande sous la houlette américaine est désormais traversé par les oppositions au sein même de l'Union sur la guerre en Irak, et sur la relation avec les Etats-unis. Quant à la protection contre la mondialisation, elle est contredite par les faits, alors que le discours dominant accumule les contradictions entre les appels à s'adapter et les mérites de la concurrence.

De ce point de vue, la crise européenne est une crise du compromis social hérité de la deuxième guerre mondiale dont le Parti communiste a été un des principaux acteurs en France avec son apport spécifique. A ce titre toutes les forces politiques en France sont confrontées à des questions nouvelles. Tous les grands courants politiques ont été traversés depuis les origines par le débat sur la nature de la construction européenne et ses rapports contradictoires avec la souveraineté, la République, la transformation révolutionnaire. Pour tous, l'opposition ou l'adhésion à l'Europe a été structurée par les tensions de la guerre froide et les rapports de forces issus de la guerre.

Or nous ne raisonnons plus dans le même monde. Nous vivons dans une Europe à 27, issue de l'élargissement et de l'effondrement des pays socialistes et de l'Union soviétique, avec une Allemagne unifiée. La nature même de la construction en est bouleversée ; plus largement encore nous sommes immergés dans un monde en voie de multipolarisation, où domine le marché capitaliste, et avec l'émergence de nouvelles puissances économiques, et la constitution d'ensemble régionaux. Ces derniers jours s'est tenu un sommet UE-Amérique latine à Lima, sans avancées, ce qui est révélateur des contradictions de l'UE, enfermée dans ses dogmes libre-échangistes. Il y a aura un sommet Europe-Chine cette année. Que peut apporter l'Europe, quel rôle peut-elle et doit-elle jouer dans ce monde-là ? La question est dans toutes les têtes. Comment nous-même concevons-nous cette place, notamment dans les domaines de la sécurité et de de la défense ?

Autre question nouvelle, ou posée en des termes nouveaux : l'intervention démocratique et citoyenne jusqu'au niveau européen. L'Union européenne s'est construite par en haut, par les institutions. Avec un certain consensus populaire, mais surtout un consensus politique qui transcendait le clivage droite-gauche. Or l'atténuation des consensus de guerre froide, la domination du marché capitaliste, l'irruption du social modifient la nature du débat politique sur l'Europe. Ainsi la contradiction se fait plus visible entre l'éloignement des lieux de décisions et la conscience qu'elles concernent toutes les dimensions de notre vie quotidienne et l'avenir du pays. Cela nous confronte aux institutions, à ce que nous jugeons nécessaire pour « démocratiser » effectivement l'Union.

C'est dans ce contexte que nous sommes confrontés à des évolutions politiques de la dernière période en Europe, et notamment aux résultats électoraux en Italie, en Grande-Bretagne, aux défis à gauche en Allemagne, sans oublier la France. La dimension nationale restent fondamentalement pertinente à mon sens . Mais quand face aux conservateurs et à la droite populiste, les forces de gauche dans leur diversité reculent ou sont battues, les causes de ces échecs deviennent une question pour tous. Aussi comment ne pas établir de rapport entre la crise du projet social démocrate avec la crise d'un certain type de construction européenne dont il a été un des piliers ? De ce point de vue une période est achevée. Et l'éloge du modèle nordique -avec au coeur la flexicurité - est risqué si on rappelle les reculs souvent historiques des partis sociaux-démocrates en Suède, au Danemark ou aux Pays-bas. Comment ne pas faire le lien aussi avec les conséquences pour toute la gauche européenne, le mouvement progressiste, « ouvrier », soit de l'absence du courant communiste démocratique, soit de sa perte d'influence dans des pays où il a compté, à gauche ?

Pour les communistes le rapport à l'Europe reste contradictoire. Le débat a considérablement évolué, et pas d'aujourd'hui. La conscience est forte de l'enjeu que représente la dimension européenne de la lutte politique aujourd'hui. Mais comment sommes-nous perçus dans de larges parties de l'opinion ? On sait bien qu'on ne résout pas ce genre de problème de façon incantatoire. Le problème n'est sans doute pas d'être moins critique, au moment même où une majorité est inquiète et s'interroge. En revanche, quels signaux pour donner à voir la nature de l'engagement européen du Pcf, qui permette d'en finir avec la perception « anti-européennne » que signalait le compte-rendu des ruches à l'AG de Nanterre ? Quels changements ? Quelle union nouvelle voulons-nous ? En outre, les élus en responsabilité, du conseiller municipal au vice-président de région ou au Président de Conseil général sont confrontés en permanence à la dimension européenne des politiques. De fait ne sommes-nous pas conduits à passer de l'Autre Europe possible à Changer en Europe ? Indissociablement avec Changer en France ? La présidence française, le Congrès, permettent de franchir une nouvelle étape dans notre réflexion. La perspective des européennes nous l'impose. Il s'agit d'affirmer la volonté de faire de ces élections un grand moment du débat démocratique, populaire, sur les enjeux européens, la décision d'en faire l'affaire de tous les communistes, et de donner à la campagne et aux listes une dimension européenne.

Parmi les questions nouvelles est posée celle des coopérations politiques dans l'espace européen. Des initiatives avaient été prises dans les années 90 et lors des échéances européennes. Avec notre participation au PGE une étape a été franchie. Il y a encore beaucoup d'efforts pour donner à voir la réalité des rapports de forces en Europe, la diversité des organisations à gauche, les différences considérables qui séparent les partis qui se réclament du communisme. De fait, le PGE n'a pas l'homogénéité structurelle ni idéologique des socialistes ou des Verts européens. Ce n'est pas un obstacle à ce qu'il soit un élément actif du rapport de forces dans l'espace politique et social européen. Il est indispensable d'élargir la réflexion sur ce qu'on doit en attendre. Peut-être plutôt que de le penser comme une structure en-soi faut-il agir pour en faire beaucoup plus le pôle d'une dynamique à gauche, ouvert et contribuant au rayonnement des forces qui le composent. Ouvert et non exclusif, dans la mesure où des forces qui comptent, qui participent du groupe de la GUE-GVN au parlement européen, n'en sont pas, ou pas encore partie prenante. Dans le contexte de la présidence française le Pcf a une responsabilité particulière qui se manifestera avec un sommet du PGE à Paris les 20 et 21 juin, et l'organisation de l'Université d'été du PGE, ici même du 10 au 14 juillet.

Dans la séquence qui s'annonce je propose que nous fassions du changement en Europe une des dimensions de notre politique, face à Sarkozy, et dans le débat à gauche. Le 19 Juin, ici à Paris, à la veille de la réunion du PGE, nous prendrons une initiative politique publique pour lancer notre campagne sur la présidence française. Le défi est posé à chaque communiste, militant, élus. Bien au-delà, à partir des réalités vécues, des attentes, il est posé à toutes celles et tous ceux qui veulent que s'ouvre une perspective de changement dans une France et une Europe ouvertes au monde.

[1] C'est pourquoi nous lançons une campagne dans tout le pays pour démystifier le projet du gouvernement et faire avancer des propositions alternatives.

[2] Une rencontre sur l'école et la recherche aura lieu à Paris le 19 juin. Une autre est prévue sur l'immigration, fin juin, à Bruxelles.