Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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La réforme suédoise : des choix novateurs ?

Le contexte de ce colloque est un peu particulier car il y a de plus en plus d’acteurs partisans d’importer la méthode des comptes notionnels à cotisations définies en France : Alain Madelin et Jacques Bichot dans un livre publié il y a quelques années mais aussi plus récemment certains parlementaires, ainsi que Thomas Piketty et Antoine Bozio à travers une nouvelle étude. Ces personnes citent en général un certain nombre d’avantages supposés d’une telle option : un meilleur pilotage du système à long terme  ; une plus grande équité ; un meilleur partage des risques entre salariés ; une meilleure lisibilité dans l’acquisition des droits  ; une meilleure transparence...

Bref, beaucoup d’aspects importants sur lesquels le système français est effectivement critiquable et améliorable.

Je voudrais revenir sur certains des avantages attendus, et mettre la réforme suédoise en perspective par rapport aux réformes menées en France, en Italie ou ailleurs.

L’idée principale  que je veux développer concerne la nouveauté apportée par le système suédois, la technique utilisée qui est vraiment originale. Mais au-delà de la technique et de la fascination  qu’elle exerce, les contraintes auxquelles fait face le système suédois sont assez similaires à celles affrontées par d’autres systèmes de retraite. Les choix effectués en France présentent d’ailleurs des similitudes avec les choix suédois. Les deux pays s’inscrivent  de ce point de vue dans un mouvement international plus large.

Contrainte de financement et choix

Tous les systèmes de retraite doivent s’adapter en fonction des évolutions démographiques et économiques. Pour maintenir l’équilibre budgétaire des retraites par répartition, on peut agir sur les recettes et/ou sur les dépenses.

Au niveau des modalités, agir sur les recettes signifie en fait augmenter  les taux de cotisation.

Comme on l’a vu, la Suède a fait le choix explicite de geler son taux de cotisation. Mais la France a fait, finalement, un choix identique. Les taux de cotisation pour les retraites n’ont quasiment pas bougé depuis le début des années 1990. Même si le choix est effectivement moins explicite et peut apparaître moins définitif.

La fixation du taux de cotisation doit-elle et peut-elle être définitive ?

Mais on peut se poser la première question suivante : « doit-on geler le taux de cotisation de manière définitive  ? ».

Beaucoup d’auteurs  sont fascinés par les propriétés d’automaticité, d’autorégulation du système suédois. Si des mécanismes d’ajustement automatique présentent certains avantages, par exemple pour améliorer la programmation, ils posent aussi certains problèmes. Dans son principe même, l’idée de système autorégulé revient à admettre la fin de l’histoire, à défaut d’une histoire sans fin sur les choix. Est-il souhaitable de mettre hors débat public, hors délibération politique et sociale, la possibilité d’une société de décider, ultérieurement, d’augmenter les cotisations de retraite ? Moi je ne pense pas.

Autre question : le gel du taux de cotisation peut-il être définitif en pratique ? Le mécanisme institué dans les comptes notionnels fonctionne bien quand la situation est favorable. Le système suédois a bénéficié de conditions favorables pour pouvoir programmer le gel de ses taux à moyen-long terme, qu’il s’agisse par exemple des conditions financières, des réserves préalables accumulées par le système, mais aussi des facteurs liés à l’évolution démographique des personnes âgées. La France ne bénéficie pas aujourd’hui de conditions aussi favorables. Lorsque les réserves seront épuisées en Suède et/ou que les conditions  économiques  et démographi ques changeront, rien ne dit que la Suède ne décidera pas démocratiquement de relever son taux de cotisation. Les mécanismes  « automatiques » fonctionnent en fait tant que tout va bien, comme le montre a contrario l’exemple de l’Italie. Alors que le nouveau système mis en place en 1996 prévoit une révision décennale automatique des coefficients de transformation (de conversion) des points en fonction de l’évolution de l’espérance de vie, les problèmes et le contexte politique et économique ont déjà conduit l’Italie à repousser la première révision qui aurait dû intervenir en 2006.

Si on n’agit pas sur les taux de cotisation, les ajustements vont porter forcément sur les dépenses. Dans la plupart des pays européens, les réformes engagées depuis le début des années 1990 ont eu pour objectif de limiter les futures dépenses de retraites par répartition.

En corollaire et à des degrés variables selon les pays, ces réformes visent aussi à encourager le développement des retraites par capitalisation ou d’autres formes d’épargne longue.

En matière de limitation des dépenses, au-delà des apparences, il me semble que les choix faits en Suède et en France ne sont pas si différents. Au niveau des modalités concrètes, limiter les dépenses  consiste  à mixer diminution du montant des retraites servies – à travers la baisse du taux de liquidation mais aussi une moins bonne indexation des retraites liquidées et relèvement de l’âge de liquidation.

On sait que l’option consistant à augmenter l’âge de départ effectif à la retraite est difficile, et que cette option est très dépendante du fonctionnement du marché du travail, fonctionnement sur lequel le système de retraite a quand même peu de prise.

Clauses d’indexation des retraites liquidées  : de fortes similitudes

Il existe une autre façon de limiter les dépenses qui consiste à indexer moins favorablement les retraites. En France, nous sommes passés d’une indexation sur les salaires  à une indexation sur les prix. La Suède, comme cela a été dit, a adopté un système sensiblement similaire. Au final, les effets semblent  être identiques comme le montrent les travaux du comité de protection sociale de l’Union européenne sur l’évolution des pensions dix ans après leurs liquidations.

Baisse du taux de remplacement après 10 ans de retraite

(pour un départ à 65 ans après 40 ans de carrière au salaire moyen)

 

 

 

Taux de remplacement brut

 

Taux de remplacement net

France

-10%

-12%

Suède

-9%

-10%

source : commission européenne et comité de la protection sociale (2006)

Baisse des taux de liquidation des retraites  : de fortes différences en apparence sur les moyens utilisés…

Les taux de liquidation ont également fait l’objet d’adaptation en vue de les diminuer.

D’un côté, la Suède et l’Italie ont effectué des réformes systémiques  avec l’introduction très progressive d’un tout nouveau système. De l’autre côté, en France et dans la plupart des autres pays, les réformes ont consisté à modifier les paramètres du système.

Un tour d’horizon des réformes effectuées en Europe depuis une quinzaine d’années montre que la France se caractérise pour avoir joué sur de nombreux paramètres du système

En France, on a joué sur deux leviers essentiels : d’une part, on a augmenté le nombre d’années de cotisation en deçà duquel de fortes pénalités s’appliquent et, d’autre part, on a diminué très fortement le salaire à partir duquel la retraite est calculée, à travers l’allongement du nombre d’années de salaires pris en compte mais aussi à travers une revalorisation plus défavorable de ces salaires, en fonction de l’inflation et non plus de l’évolution des salaires. Pour les régimes complémentaires, les modalités sont techniquement différentes puisqu’on a joué sur le coût d’achat et sur la valeur du point, mais le principe et les effets sont semblables.

…mais des effets comparables dans les deux pays

En terme de baisse des taux de liquidation des retraite, les réformes du système français conduiront à des résultats comparables à ceux de la Suède comme le montre le tableau suivant tiré des travaux du Comité de protection sociale de l’UE qui retrace l’évolution des taux de remplacement pour des carrières complètes au salaire moyen.

évolution du taux de remplacement des retraites par répartition entre 2005 et 2050

(pour un départ à 65 ans après 40 ans de carrière au salaire moyen)

 

Brut

Net

France

-25%

-22%

Suède

-18%

-21%

source : commission européenne et comité de la protection sociale (2006)

On peut aussi prendre les chiffres fournis par l’OCDE sur l’évolution du taux de remplacement brut avant et après réforme(s). La conclusion est claire : la Suède, la France, l’Allemagne et l’Italie figurent parmi les pays où les baisses de taux de remplacement après réformes sont les plus importantes.

évolution du taux de remplacement brut (avant et après réformes)

(carrière complète, salaire moyen)

Italie

-25%

France

-21%

Suède

-21%

Allemagne

-18%

source : ocDe (2007)

Le renforcement du caractère contributif du système par répartition dans les deux pays et les conséquences sur l’évolution des éléments non contributifs, la distribution des retraites par répartition et les inégalitésintragénérationnelles.

a France et la Suède présentent aussi comme forte similitude d’avoir accentué le caractère contributif de leur système. Je ne reviens pas sur les modalités en France qui sont connues.

Dans un système de comptes notionnels à cotisations définies, la séparation entre le contributif et le non contributif est poussée à l’extrême. Ce système donne le sentiment d’une  épargne individuelle obligatoire garantie par l’État. Ce qui peut accroître la confiance et la légitimité de cette composante contributive.

Mais à l’inverse, cette séparation pourrait aboutir, à terme, à affaiblir le soutien, et donc l’acceptabilité, des prélèvements destinés à financer les composantes non contributives du système. Surtout si ces dernières sont ciblées sur une minorité de la population. En effet, la déconnexion entre « assurance » et « solidarité » ou « redistribution » présente un risque de délitement des droits non contributifs. Ces derniers, a fortiori s’ils sont ciblés sur les plus pauvres, risquent  de perdre leur légitimité dans le temps. Il n’y a qu’à voir l’évolution du minimum vieillesse en France qui, depuis 25 ans a perdu plus de 20 % de sa valeur par rapport aux salaires et aux retraites.

Les retraites  par répartition à prestations définies reproduisent  logiquement  les inégalités de carrière et de salaires mais en les atténuant un peu, elles ont des effets de réduction des inégalités de niveau de vie. Les analyses empiriques  montrent que les réformes renforçant le caractère contributif vont conduire à ce que ces retraites atténuent un peu moins ces inégalités à l’avenir. Dit autrement, en comparaison de ce qu’il en aurait été sans les changements,  les inégalités intragénérationnelles dans la distribution des retraites par répartition vont augmenter. Par exemple, des chercheurs finlandais ont simulé l’application du système suédois à la Finlande. Ils ont trouvé assez logiquement que, à côté de la baisse du taux de remplacement moyen en raison du gel du taux de cotisation, la baisse serait beaucoup plus forte pour les 1ers déciles que pour les plus hauts déciles de la distribution.

Changement du mix répartition-capitalisation, augmentation des inégalités intragénérationnelles et prise en compte des « nouveaux » risques de carrières incomplètes ou à temps partiel.

Les inégalités intergénérationnelles des revenus des personnes âgées vont aussi être accentuées par la modification des parts respectives des composantes en répartition et en capitalisation. Les retraites par capitalisation, et plus généralement toutes les formes de revenus d’épargne, vont voir leur part augmenter dans les ressources des personnes âgées. Or, les études empiriques montrent qu’à l’inverse des retraites par répartition, les retraites par capitalisation accentuent fortement les inégalités de carrière et de salaire, même dans des pays comme les Pays-Bas, le Danemark ou la Suède où ces dispositifs couvrent presque tous les travailleurs.

Les dispositifs capitalisés sont  très impitoyables  au regard de toute « faiblesse   » pour les individus aux carrières accidentées et / ou à salaires modestes, parce qu’ils ne disposent pas en général – la Suède étant une exception – d’éléments redistributifs.

Comme par ailleurs les systèmes par répartition vont devenir relativement moins généreux et, rendus plus contributifs, vont davantage pénaliser ces situations, au total les réformes s’orientent donc vers une pénalisation accrue de ces situations.  Elles vont accroître les inégalités intragénérationnelles  et les inégalités entre hommes et femmes (en comparaison de ce qu’il en aurait été sans les réformes).

Dans ce contexte, une question va se poser de manière accrue en France, en Suède et ailleurs ; c’est celle de la prise en compte des carrières incomplètes ou caractérisées par des périodes de chômage, de temps partiel, etc.

Expliciter les objectifs d’un système de retraite

Je voudrais revenir sur d’autres questions liées à l’idée d’importer la technique suédoise à la France. Dans un système à prestations définies, la retraite est calculée en pourcentage du salaire. L’objectif est donc celui d’un maintien relatif du niveau de vie qui, je crois, correspond aux aspirations sociales. L’aspiration majoritaire des personnes est bien de maintenir un flux de revenu suffisant pour faire face au niveau de dépenses auquel on est habitué. La formule de calcul d’un système à prestation définie rend cet objectif très explicite. Doiton abandonner cet objectif  ? Doit-on abandonner le caractère explicite de cet objectif  ?

Expliciter les objectifs d’un système de retraite est important. Et cette question renvoie à celle de la lisibilité du système. Il convient selon moi de distinguer la lisibilité ou compréhension des droits, au niveau individuel, pour chaque salarié, de la lisibilité ou transparence des enjeux et des conséquences  des réformes,  même si ces deux aspects sont liés.

Compréhension et lisibilité des droits de retraite pour chaque individu

Un système à prestation définie me semble, dans l’absolu, plus apte qu’un système à points à répondre à des objectifs de compréhension et de lisibilité du système pour le citoyen lambda, puisque la formule de calcul informe en principe directement sur le niveau relatif de la retraite. Mais les formules  de calcul des retraites  sont parfois compliquées, peu lisibles pour le non spécialiste.

Le système français offre d’ailleurs à la fois un bon exemple de lisibilité, avec la retraite de la Fonction publique, dont la formule est assez compréhensible. Et un mauvais exemple avec les retraites par répartition des salariés du secteur privé, du fait notamment de la juxtaposition d’un régime de base en annuités et de retraite complémentaire en points, l’ensemble étant vraiment peu lisible pour les salariés. J’en témoigne à titre personnel, je ne sais pas si mes points acquis aux différentes caisses ARRCO, à ma caisse AGIRC me complèteront ma retraite de base à hauteur de 10, 20 ou bien 30 % de mon salaire.

Mais pour rendre le dispositif plus lisible dans le système français, la solution n’est pas forcément de créer un nouveau système, mais de réformer l’existant pour en améliorer la compréhension.

J’en viens, pour terminer au problème de la lisibilité ou de la transparence des enjeux et des conséquences des réformes, en particulier sur le niveau des retraites.

Pour faire passer des réformes difficiles dans les pays d’Europe depuis le début des années 1990, on les a présentées comme inévitables et, surtout, on en a rendu les effets sur les montants peu perceptibles au moment où les décisions ont été prises. Cette opacification des conséquences sociales des réformes est caractéristique de la réforme du régime général de 1993, en France. Il en va de même des changements très restrictifs des régimes complémentaires  entre 1996 et aujourd’hui qui ont été décidés sans avoir fait l’objet d’une large publicité. Quels  sont  les salariés qui savent, même aujourd’hui,  que ces changements  vont conduire à terme à une baisse de 30 % du rendement des retraites complémentaires, de 30 % des droits ?

 contrario, les travaux du COR ont permis de rendre plus transparentes  les conséquences des réformes passées et des options ouvertes pour l’avenir.

Les systèmes à cotisations définies présentent l’inconvénient d’opacifier les conséquences des changements sur le niveau des retraites. Car dans de tels systèmes, la formule de calcul ne se présente plus sous la forme d’un taux de remplacement, ce qui permet de reporter la discussion sur d’autres  critères, et fait disparaître plus facilement le débat de la question du montant des futures prestations. De ce point de vue-là, la réforme italienne est pour nous une bonne illustration.

 

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