Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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La réforme de la sécurité sociale et retraite : dépendance selon l’UMP : chacun pour soi et marché pour tous !

En 2007, le candidat Sarkozy avait fait de la réforme de la dépendance un engagement se prétendant civilisationnel. Incluse en bonne place dans son programme présidentiel, elle portait en germe la création d’un 5e risque, ajouté à la protection sociale.

En juin 2010, l’UMP vient de révéler les termes de cette réforme au travers du rapport d’une mission d’information de l’Assemblée nationale. Et le voile est tombé. Pour la première fois, de manière nette et précise, la prise en charge solidaire, intergénérationnelle et collective des personnes en situation de dépendance est abandonnée au profit d’une prise en charge strictement individualisée, privatisée, marchande et assurantielle.

Piloté par la députée UMP de Meurthe-et-Moselle, Valérie Rosso-Debord,  le rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale pour une réforme de la prise en charge de la dépendance n’est pas un coup de tonnerre dans un ciel serein. Il poursuit le mouvement de réforme de la dépendance engagé depuis 2004 avec la création de la Caisse nationale pour la solidarité pour l’autonomie (CNSA) et s’inscrit dans le cadre des réformes en cour visant la réforme de notre système de sécurité sociale (réforme des retraites et réforme de l’offre de soins (loi Bachelot), celle de l’Etat, ainsi que la réduction de la dépense publique. Quant à ses 17 propositions,  elles agrègent et synthétisent les pistes dégagées par les rapports Gisserot de 2007 (rapport de la Cour des comptes) et Vasselle de 2008 (rapport du Sénat), dans lesquels on trouvait déjà la volonté de faire financer la dépendance par l’ensemble de ses bénéficiaires potentiels  et d’instituer une assurance obligatoire (1).

Pour autant, ce rapport n’est pas qu’un rapport de plus. Socle de la future réforme de la dépendance annoncée par le Président pour octobre prochain, juste après la réforme des retraites (2), il avance d’un pas supplémentaire dans le programme de réforme du gouvernement Sarkozy visant à remettre en cause au nom de la compétitivité des entreprises et des équilibres comptables de l’Etat, l’ensemble des acquis du Conseil national de la Résistance et du gouvernement provisoire de 1945.

En matière de réforme de l’organisation du secteur médico-social et de la prise en charge de la dépendance, le rapport milite pour l’inscription ferme des établissements d’hébergement des personnes âgées dans le cadre des Agences régionales de l’Hospitalisation (ARH), et pour le transfert total à la CNSA du pilotage national de la dépendance et des politiques  médico-sociales (propositions 2, 3, 4, 5, 6, 8, 9 et 17 du rapport).

Cette volonté de rationalisation apparente du secteur médico-social consiste concrètement à renforcer l’encadrement des dépenses de ces établissements par l’institutionnalisation d’audits de bonnes pratiques gérés par les ARS (3) et la CNSA, et à réduire la contribution publique à ces établissements.  Elle porte à la fois sur la gestion des établissements et sur les protocoles médicalisés et sanitaires de prise en charge des personnes dépendantes.

Ni plus ni moins, le rapport propose au gouvernement d’achever  la transposition  des dispositions de la loi Bachelot au secteur médico-social en général et en particulier de la dépendance.

Dans la même veine de recherche d’économie budgétaire sur le dos des usagers, la proposition de suppression du bénéfice de l’APA pour les personnes  reconnues GIR 4 (4) (proposition 15) au motif qu’il faudrait concentrer le bénéfice de l’allocation sur les personnes âgées les plus dépendantes (GIR 1 à 3) aboutira à la perte de l’allocation pour près de 600 000 bénéficiaires actuels, soit près de la moitié des bénéficiaires de l’APA. Si elle devait être transposée dans la loi, cette mesure aurait des conséquences redoutables dans le quotidien de ces personnes âgées.

Mais le diable étant dans le détail, c’est le transfert à la CNSA du pilotage de la dépendance qui indique clairement l’esprit du rapport.

Conçue comme un outil de réduction de la dépense publique, notamment en matière sociale dans la mesure où la sécurité sociale est actuellement  le financeur principal (85 % des financements) de la prise en charge de la dépendance, le glissement de la gouvernance de la politique nationale de la dépendance vers la CNSA ouvre la voie à l’adoption d’un nouveau dispositif de financement de la perte d’autonomie. D’un financement public et solidaire, la prise en charge de la dépendance laisserait une large place aux financements privés et au marché de l’assurance prévoyance.

Il s’agit d’ailleurs de l’axe principal du rapport dont les propositions phares consistent à :

- instaurer une assurance privée obligatoire dès 50 ans contre la perte d’autonomie  (proposition 12 du rapport),

- instituer pour les bénéficiaires de l’APA possédant un patrimoine de 100 000 euros au moins, un droit d’option entre une APA réduite de moitié n’ouvrant pas sur un recours sur succession et une allocation à taux plein autorisant un recours sur succession plafonné à 20 000 euros (propositions 10 et 11),

- augmenter à 7,5 % le taux de CSG applicable aux retraités (proposition 13).

Ces trois propositions précises sont en effet symptomatiques des ambitions du rapport. Elles entérinent l’abandon de la création d’une 5e  branche de la sécurité sociale visant à faire face aux aléas de la perte d’autonomie, et redéfinissent surtout très clairement un nouveau cadre très libéral de la prise en charge de la dépendance.

Elles opèrent le glissement d’une prise en charge de la perte d’autonomie organisée et assurée par la puissance publique, sous la forme d’un droit, dans le cadre d’un financement socialisé et solidaire, où chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins, vers un niveau de la prise en charge proportionné à la capacité de cotisation (ou de prévoyance) de chacun, défini par contrat sur la base d’une classification des risques devant la dépendance distinguant « petits risques » et « gros risques ».

C’est évident en ce qui concerne le principe d’une assurance prévoyance privée obligatoire, dans la mesure où chacun sait que les assurances privées ou les mutuelles, même labellisées par la CNSA, n’offriront de niveau de couverture dépendance que proportionnée à la cotisation de leurs clients.

Et cela l’est aussi pour ce qui concerne le recours sur succession. Le montant moyen annuel de l’APA à domicile étant de 4 908 euros et la durée de versement moyenne étant de 4 ans. La fixation du plafond à 20 000 euros dans le rapport montre bien que l’intention est de faire en sorte que les bénéficiaires de l’APA se paient eux-mêmes leur allocation dépendance, en excluant toute participation financière publique.

Et le relèvement de la CSG des retraités reste dans le même esprit : les individus ayant un risque le plus élevé de dépendance se financeraient ainsi eux-mêmes et plus que les autres le risque.

Ce rapport est sur le fond une tentative de remise en cause complète de l’universalité de la prise en charge du risque dépendance et de l’égalité devant ce risque. Un pur produit de l’idéologie libérale.

Enfin, il ne doit pas être négligé non plus que les propositions de ce rapport constituent aussi un outil formidable de consolidation du marché assuranciel de la prévoyance assurant une très forte rentabilité des investissements financiers du secteur (5). Avec une rente évaluée à près de 11 milliards d’euros selon les termes du rapport, il ne faudrait pas moins que la création d’une  assurance prévoyance  obligatoire pour les plus de 50 ans, tout en sachant que seule 1 personne sur 5 est susceptible en moyenne de subir le risque dépendance, et l’assurance d’un coût réduit à sa plus simple expression par un niveau réduit de la prise en charge du risque. Le tout visant à redonner un coup de fouet à un secteur de l’assurance qui peine à s’imposer en France.

Reste que le rapport Rosso-Debord n’est encore qu’un rapport. Le projet de loi du gouvernement visant la réforme de la prise en charge de la dépendance n’est pas encore paru. Il ne sera rendu public qu’en octobre.

La bataille de la dépendance ne fait que commencer.

(1) les orientations inscrites dans les conclusions du rapport Gisserot sont sans équivoques : Afin de répondre à l’évolution des besoins de financement liés à la dépendance, quelque soit le scenario retenu de cette évolution « il pourrait ainsi être procédé à l’harmonisation progressive des taux de GSG applicables aux revenus de remplacement actuellement assujettis sur ceux applicables aux revenus d’activité et à l’extension de la CSA aux revenus des non salariés, ce qui serait conforme à la logique de suppression d’un jour férié ; la charge sur les finances publiques pourrait en outre être allégée si ce choix s’accompagnait, ce qui n’est pas incompatible, d’un développement de l’assurance privée sous les formes les plus diversifiées possibles : contrats individuels, contrats collectifs, aménagement des contrats d’épargne retraite… La Fédération française des sociétés d’assurance est prête à engager ses adhérents dans cette voie. Il convient de l’y encourager en sensibilisant les futurs retraités sur le niveau de prise en charge de leur dépendance auquel ils pourront prétendre en fonction  de leurs ressources. Le bénéfice d’une aide fiscale n’est pas non plus à exclure mais à condition de résulter de la réaffectation d’aides existantes, dont l’utilité ne serait plus justifiée, et non de la création d’une niche fiscale supplémentaire. Il convient en effet de souligner que, s’agissant d’un risque long, l’assurance offre l’avantage de permettre la constitution des provisions nécessaires. Le développement privé devra être pensé en liaison avec l’évolution progressive du barème de l’APA en fonction des revenus. » quant au rapport vasselle, le 3e  volet des principales orientations ne permet pas plus le doute : « Une  articulation à définir entre  le socle  solidaire  et  l’étage  de  financement  assurantiel :  – instituer un processus conjoint administrations publiques/assureurs pour le déclenchement  desprestations  en  cas de  dépendance ; – garantir la « portabilité » des contrats pour les souscripteurs qui souhaiteraient changer d’assureurs ; – permettre la déductibilité  fiscale  des cotisations complémentaires dépendance sur un contrat épargne retraite, dans les mêmes conditions que les cotisations de base aux  régimes d’épargne (PERP) ; – ouvrir la possibilité  de  convertir des contrats d’assurance vie en contrats dépendance, sans que cette  transformation ne  soit  considérée comme une  novation  fiscale, c’est-à-dire  sans coût ou pénalité  pour l’assuré ; – réfléchir au développement de mécanismes facilitant pour les personnes à bas ou moyens revenus la souscription, sur une base volontaire, d’un contrat de prévoyance ».

(2) il n’est pas inutile de rappeler que valérie Rosso-Debord sera le rapporteur principal de l’uMP pour le débat sur la réforme des retraites. Ce qui n’est pas anodin à la mesure de l’ouverture aux fonds  de pensions et aux opérateurs financiers de l’assurance du marché de la prévoyance proposé dans ce rapport. la réforme de la dépendance pourrait en effet devenir le cheval de troie des marchés financiers pour  le financement des  retraites, en  ouvrant  aux investisseurs financiers les  premiers éléments concrets et solides sur lesquels ils pourraient s’appuyer pour inciter à la financiarisation des pensions.

(3) agences régionales de santé.

(4) Groupes iso-Réssources.

(5) Peut-être faudrait-il sur cette question rapprocher ce rapport et le travail de lobbying de la fédération française des sociétés d’assurance (FFSa) piloté par Guillaume Sarkozy membre actif de la FFSA et haut responsable du Medef section assurance aux côtés de Denis kessler haut responsable d’aXa, ancien n° 2 du Medef et grand pourfendeur des acquis de 1945.

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