Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Reprise mondiale : freins, dettes, disparités

Persistant à soutenir les marchés financiers et la soif de rentabilité financière des actionnaires, plutôt qu’un développement social, le dispositif exceptionnel mis en place, les 9 et 10 mai derniers, par les dirigeants européens, face à une grave crise de l’euro, semble avoir satisfait les marchés cet été. En fait, l’Europe se trouve dans l’œil du cyclone : le calme apparent retrouvé, alors que la conjoncture mondiale devient plus incertaine, avec un freinage de la croissance des pays émergents et une anémie des États-Unis, annonce un futur épisode de crise bien plus violent encore. Cela renforce l’exigence et la légitimité de transformations radicales de progrès social rompant avec les fuites en avant actuelles.

Une reprise mondiale lourde de dettes et de rivalités financières

Une reprise mondiale effective  se développe depuis la seconde moitié de l’année  2009 dans un contexte dominé par le surendettement public des pays avancés.

On sait que cette situation inédite est le produit d’interventions  colossales des états, des banques centrales et du Fonds monétaire international (FMI) pour sauver le système capitaliste après l’éclatement, en 2008, d’un surendettement privé considérable, puis d’une crise de suraccumulation réelle qui a fait plonger le PIB mondial en 2009 de 0,9 %, après une croissance de 5,7 % en 2007 et de 2,8 % en 2008 (1).

Comme l’a montré Paul Boccara (2), les phénomènes qui ont conduit à cette exacerbation de la crise systémique ont des causes très profondes qui font grandir le besoin, et rendent possibles, des changements du type même de régulation d’ensemble.

Gains de productivité contre l’emploi

C’est, d’abord, la révolution monétaire du décrochement des monnaies par rapport à l’or qui permet aux états-Unis, particulièrement, une création monétaire débridée en dollar, monnaie nationale disposant d’un statut de monnaie mondiale depuis 1971-1973.

C’est aussi la révolution technologique informationnelle qui permet d’énormes économies de facteurs par rapport à la production de richesses nouvelles et dégage un surplus disponible croissant qui sert à spéculer, alors qu’il pourrait servir à promouvoir  les services publics et les biens communs à l’humanité.

Ces économies de moyens, mobilisées pour la rentabilité financière, renforcent l’insuffisance de la demande mondiale solvable, avec l’extension du chômage massif et sa pression sur les taux de salaire.

Jusqu’ici, cet effet dépressif fondamental a été compensé par un endettement privé et public. Mais, ne servant, au bout du compte, qu’à soutenir la rentabilité financière des capitaux suraccumulés, cet endettement finit par devenir excessif et s’effondre.

Alors, où en est-on aujourd’hui, maintenant qu’il apparaît que la montagne de discours et de promesses sur la « régulation du capitalisme » des lendemains de crise, dans des enceintes comme le G-20, accouche d’une souris ?

La situation est très contrastée entre les pays avancés, en difficulté, et les pays émergents plus dynamiques, alors que, simultanément à un chômage massif (212 millions en 2009), grandissent les pénuries de main d’œuvre qualifiées et que de nouvelles tensions se profilent sur les prix mondiaux de matières premières.

La dette publique agrégée des pays avancés devrait passer de 76 % du PIB en 2007 à plus de 100 % en 2011 (3). Or, le coût total de l’assainissement des bilans des institutions financières, toujours vulnérables aux chocs, n’est toujours pas connu, alors même que, au-delà de 2011 se profilent  les formidables défis financiers engendrés par la révolution de la longévité (retraites, dépenses de santé) ou par les révolutions informationnelles et écologiques. Et cela sans parler des défis monétaires avec la crise à venir du dollar.

Disparités entre pays avancés et émergents

Dans cet ensemble, les situations  sont  elles-mêmes contrastées. Les états-Unis et le Royaume-Uni, pour soutenir le système financier, ont engagé des montants représentant, respectivement, 11,9 % et 7,4 % du PIB de 2009, contre 6,2 % en moyenne dans les économies avancées. Leur rapport de la dette au PIB devrait dépasser 90 % en 2011 (4), sans compter l’énorme endettement privé qui perdure. Cette dynamique paraît intenable à moyen terme.

De leur côté, les économies des pays émergents,  Chine en tête, sont entrées dans la crise financière avec une situation budgétaire généralement plus solide et elles en sont ressorties relativement indemnes.

Le ratio agrégé de leur dette publique, à environ 35 % du PIB fin 2009, reste donc faible comparé à celui des pays avancés. Il ne devrait pas augmenter significativement du fait de la croissance rapide retrouvée par les émergents, d’Asie particulièrement. La Chine, par exemple, croîtrait cette année de 10,5 %. Elle affichait, dès le premier semestre 2010, une croissance si rapide (11,1 %) et parasitée  par la spéculation, que l’annonce d’un freinage au deuxième trimestre (10,3 %), après des mesures de refroidissement, a pu rassurer face au risque de surchauffe.

Pour autant, les pays émergents ne constituent pas, eux-mêmes, un ensemble homogène, ceux d’Europe (PECO) demeurant souvent confrontés à des difficultés que la croissance insuffisante de l’Union  européenne tend à envenimer.

Cette situation place les dirigeants des pays avancés devant un dilemme : Quand et comm e n t  s o r t i r  d e s  d i s p o s i t i f s exceptionnels mis en place en 2008-2009, afin de prévenir toute embardée inflationniste, sans briser la reprise mondiale ? Et cela, dans un contexte où la rivalité pour attirer les capitaux va s’accentuer  entre les états-Unis et les pays membres de la zone euro pour recycler les excédents des pays émergents dont, par ailleurs, tout le monde se dispute  les débouchés.

Aussi, chacun garde les yeux rivés sur l’évolution  de la conjoncture mondiale immédiate et ses tendances à moyen terme.

Les facteurs de sortie de récession qui ont joué pour les étatsUnis (relance budgétaire massive et reconstitution  des stocks) et que la Réserve fédérale (Fed) n’a pas hésité à accompagner, jusqu’à l’automne 2009, avec, au-delà de la baisse jusqu’à près de zéro de son taux directeur, le rachat à grande échelle de titres de dette publique, sont appelés à s’épuiser.  Et la demande finale n’arrive  pas à se redresser suffisamment sous l’impact d’un chômage massif qui perdure d’autant plus que les investissements nouveaux des entreprises économisent énormément l’emploi.

Etats-Unis : croissance anémique ou «double deep»

Rappelons que le « Recovery  Act », adopté en février 2009, qui a injecté 784 milliards de dollars dans l’économie américaine, visait à créer 3,7 millions d’emplois en dix-huit mois. Mais, seuls 749 142 ont vu le jour entre le 1er avril 2009 et le 30 juin 2010.

Fin juillet 2010, le président de la Fed, Ben Bernanke, avait relevé devant le Congrès des « perspectives inhabituellement incertaines ». De fait, le PIB des états-Unis. n’aura progressé que de 2,4 % au deuxième trimestre 2010, contre 3,7 % au premier (en rytme annualisé).

Face au risque d’un  ramolissement prolongé de la croissance, la Fed a alors décidé, le 10 août dernier, de maintenir son taux directeur inchangé, et cela « pour une période prolongée ». Surtout, elle a annoncé  la reprise d’achats directs d’obligations d’état (5).

Si l’hypothèse  d’une  retombée rapide en récession (double deep) n’est pas la plus probable,  le risque d’une anémie durable se précise. Cela va exacerber les problèmes de financement des déficits et des dettes américains mettant à rude épreuve, à moyen terme, la confiance internationale dans le dollar.

Or, avec un taux directeur proche de zéro, les marges de manœuvre dont disposent les dirigeants américains semblent étroites. Les taux d’intérêt, maintenus ainsi uniformément bas, encouragent les gâchis financiers des banques (levier), sans du tout permettre, dans ces circonstances, un desserrement vertueux du crédit. énormément de liquidités ont été déjà injectées dans l’économie et le bilan de la Fed s’est considérablement dilaté. Les sommes gigantesques du plan de relance ont été, pour l’essentiel, dépensées, tandis que l’effort ruineux de guerre américain se poursuit.

Dès lors se posera, tôt ou tard, la question de l’évolution des taux d’intérêt réels (inflation déduite) à long terme sur le stock de dettes publiques et privées des états-Unis relativement à celle de leur taux de croissance  macro-économique (6). Face à une population très mécontente sur l’emploi et à la nécessité éventuelle de lancer un nouveau « Recovery Act », pourrait progresser, alors, le doute sur lacapacité de Washington à tenir une ligne suffisamment anti-inflationniste pour rassurer les marchés financiers et continuer d’importer massivement des capitaux.

Les dirigeants  européens  spéculent-ils  là-dessus, en pariant que la rivalité d’attraction imposée au dollar par l’euro  finira par obliger Washington,  dans ces circonstances, à accepter un partage de sa domination financière sur le monde avec le dollar et ses « privilèges exorbitants » ?

Montée des rivalités et des risques

Précisément, on peut penser que l’épisode de crise que vient de connaître l’euro s’inscrit dans ce qui pourrait devenir une ligne de défense plus agressive des états-Unis face à ces risques.

Il s’est produit, en effet, à un moment où la question d’une éventuelle diversification en euro, contre le dollar, du placement des excédents commerciaux chinois a pu faire grandir quelques inquiétudes outre-Atlantique, tandis que Pékin a proposé de substituer au billet vert les droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI comme nouvel instrument de réserve international.

Or, avec la chute des notations de dettes souveraines en Europe, la dépréciation de l’euro et l’incertitude persistante sur les marchés d’actions et immobiliers, il y a eu un large mouvement de « fuite vers la qualité » dont ont largement pu profiter les obligations et les bons du Trésor américains aux états-Unis, malgré l’accumulation insoutenable des dettes.

Il est clair que les dirigeants américains ne resteront pas l’arme au pied dans la rivalité d’attraction exacerbée des capitaux mondiaux qui se profile entre les pays avancés.

Les pays émergents apparaissent plus que jamais comme le nouvel eldorado pour les capitalistes, tant leurs perspectives paraissent dynamiques. Pourtant, ils sont déjà obligés de freiner, à cause des lourdes contradictions de leur croissance, extravertie, dominée par les multinationales et la spéculation, insuffisamment riche en emplois, qualifications et pouvoir d’achat, malgré une montée nouvelle des luttes sociales.

Et peuvent-ils tenir durablement des niveaux élevés d’activité  si les pays avancés  s’enfoncent,  eux, dans une croissance molle ? Du coup, les flux de capitaux qu’ils vont polariser ne risquent-ils pas d’y relancer la suraccumulation jusqu’à un futur éclatement ?

Au total, si le même cap continue d’être gardé, de graves confrontations ultérieures et une nouvelle crise mondiale d’une profondeur inouïe se produiront. C’est dire s’il est important de mesurer si l’Europe contribue à l’avancée de ces antagonismes  ou à leur desserrement ?

(1) oCDe, Perspectives économiques, juillet 2007.

(2) Boccara P., Transformations et crise du capitalisme mondialiséQuelle alternative ?, ed. le temps des Cerises, coll. eSPeRe,  2e édition 2009.

(3) BRi, 80e Rapport annuel, p. 64.

(4) Ibid., op. cit., p. 65.

(5) Par le réinvestissement d’intérêts encaissés sur des obligations hypothécaires arrivées à échéance.

(6) en effet, si les taux d’intérêt réels sont élevés et la croissance en volume faible, le surplus qu’il faut dégager pour réduire le taux d’endettement tend à devenir de plus en plus important, diminuant d’autant les ressources disponibles pour la croissance réelle. on peut se reporter à artus P. : « la question de la réduction du taux d’endettement total, public et privé en europe », Flash economie, Natixis, 328, 28 juin 2010.



 

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