Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Pour un Euro fort : L’Europe en difficulté

LUnion européenne est sortie difficilement de la dernière récession et dans des conditions plus précaires que les Etats-Unis.

C’est ce que traduisent les prévisions, pour 2010, du Fonds monétaire international (FMI), publiées le 8 juillet dernier : les États-Unis croîtraient de 3,3 %. Par contre, ce serait 1,4 % seulement pour l’Allemagne et la France.

Ces difficultés renvoient, fondamentalement, à la façon dont les dirigeants européens ont géré les suites de la crise financière et de la récession de 2008-2009.

Leur souci prioritaire aura été de rassurer les marchés financiers, de veiller, le plus possible, à ne pas décrédibiliser l’engagement anti-inflationniste de la BCE, malgré les sorties forcées des clous du pacte de stabilité.

Les plans de relance contre la récession en zone euro n’auront totalisé que 200 milliards d’euros, alors qu’Obama a engagé, lui, un plan trois fois plus important.

Obsession de l’inflation et du défaut de paiement

Cela a marché de pair avec une bien plus grande prudence de la BCE dans la conduite de sa politique monétaire que son homologue américaine (1) en écho à des différences importantes de priorités : Pour la BCE c’est la stabilité des prix en dessous de 2 % par an (2) ; pour la Fed c’est le plein-emploi, la stabilité des prix et la modération des taux d’intérêt à long terme.

Cette dernière, précisément, en est venue à pratiquer une politique de quasi-taux zéro et à procéder à des achats massifs de bons du Trésor américain pour soutenir, par création monétaire, l’activité et maîtriser le rapport des taux à long terme avec le taux de croissance de l’économie, malgré l’envolée de la dette publique.

La BCE, elle, a consenti à baisser son taux directeur jusqu’à 1 % seulement et elle a refusé tout soutien de la dépense publique au sein de la zone euro.

Pourtant, comme  l’a proposé  P. Boccara (3), ciblée sur l’achat de titres publics avec des taux d’intérêt très bas, voire nuls, servant de façon contrôlée à un grand essor, en coopération, des services publics en Europe,  une telle politique aurait contribué à une nouvelle croissance fondée sur un développement  social et écologique, à l’opposé des restrictions du pacte de stabilité.

L’institution de Francfort s’est contentée de favoriser l’accès des banques à sa liquidité, mais sans du tout changer les critères de distribution du crédit.

Pourtant, un changement des conditions de refinancement aurait joué un rôle considérable. La BCE aurait pu introduire une sélectivité visant à soutenir d’autant plus les crédits bancaires qu’ils serviraient à financer des investissements matériels et de recherche programmant plus d’emplois  et de formations, tandis qu’auraient été pénalisés les crédits pour des opérations purement financières et/ou spéculatives.

En effet, les banques ordinaires assurent près de 70 % du total des financements externes des sociétés non financières dans la zone euro, contrairement aux États-Unis où les financements de marché constituent près de 80 % des financements externes des sociétés (4).

Cette orientation de la BCE, qui a fait croître au total son bilan de plus de 70 %, a largement permis aux banques ordinaires de se refaire des marges confortables en jouant sur la transformation des échéances : refinancées à bas taux (1 %), sans aucune sélectivité incitative, elles ont massivement racheté des titres de dette publique, grecque notamment, offrant des rendements autrement plus élevés et moins risqués que leur activité de prêts demeurée largement inaccessible aux PME.

Au total, la sortie de récession de la zone euro a été beaucoup plus difficile et hésitante qu’ailleurs.

Cependant, le Conseil des gouverneurs de la BCE a commencé, dès le second semestre 2009, à vouloir, « dénouer progressivement les mesures non conventionnelles qui ne se justifieraient plus » (5). cherchant à donner aux marchés le signal d’une capacité à « normaliser » plus rapidement la politique monétaire que ne peuvent le faire les Etats-Unis.

Cette tentative de « sortie  rapide » des mesures  non conventionnelles  a été mise en échec, dès la fin avril 2010, avec la rétrogradation par l’agence américaine Standard & Poors de la note de la dette souveraine grecque en catégorie « spéculative » (BB +).

Le modèle social européen sacrifié

L’épisode de crise aiguë qu’a connu alors la zone euro exprime l’ampleur des contradictions de cette construction dominée par la rentabilité financière.

Grâce à l’euro,  en effet, les pays d’Europe  du Sud, Grèce en tête, ont pu emprunter à des taux d’intérêt proches des taux allemands, les plus bas de la zone car supportés par l’économie réputée la plus solvable. Il ont pu, ainsi, accroître leur dette beaucoup plus qu’ils n’auraient pu le faire en gardant leur propre monnaie nationale qui, à un moment ou un autre, sous une pression spéculative, aurait été obligée de dévaluer vis-à-vis du mark.

L’euro a donc favorisé le surendettement de la Grèce, de l’Espagne ou du Portugal, pour acheter principalement des produits  à l’Allemagne,  très dominante commercialement en Europe, sans servir à développer massivement les populations  confrontées au chômage et à l’austérité salariale.

Simultanément, l’euro, qui avait permis à l’Allemagne d’opérer sa très coûteuse réunification sans avoir à en passer par une dévaluation du mark, a favorisé les exportations  massives de capitaux allemands vers les PECO, nouveau « pré-carré » du grand capital d’outre-Rhin, et vers les États-Unis.

Dans  les pays d’Europe  du Sud, les dettes  ont pu s’accumuler ainsi bien au-delà de leur capacité réelle de rembourser.

Mais cette situation est apparue intenable après le tournant de la crise de 2008-2009, si bien que les agences de notation ont dégradé les notes  des plus fragiles, l’état grec en tête.

Le déchaînement de la spéculation qui s’ensuivit plaça ce dernier dans l’impossibilité de refinancer sa dette sur les marchés financiers avec le creusement  des  « spreads » (6) entre le taux dont elle est assortie et celui des obligations allemandes de même durée.

Les risques d’une contagion à toute l’Europe du Sud ont fini par mettre en péril l’euro lui-même fortement attaqué sur les marchés, notamment par les fonds spéculatifs nord-américains (7).

Cela a amené les dirigeants européens, après un long chantage de l’Allemagne, à mettre en place un dispositif de crise beaucoup plus considérable.

En contradiction avec les promesses que l’euro permettrait de s’émanciper du dollar et toute honte bue, ils ont fini par faire appel au Fonds monétaire international (FMI) pour ficeler un plan dit de « sauvetage » de l’état grec. Assorti de conditions extrêmement brutales tendant à détruire l’« état social », il entend imposer aux Grecs un ajustement budgétaire structurel d’environ 11 % du PIB en termes cumulés jusqu’en 2013 au prix de deux années, au moins, de récession.

Simultanément, la BCE a été contrainte d’être moins regardante sur la qualité des obligations d’état grecques apportées par les banques, françaises et allemandes (8) en particulier, dans le cadre de ses opérations de refinancement.

Au lieu de calmer les marchés, ces mesures les rendirent encore plus nerveux.

Le 9 mai, les dirigeants européens décident alors  de créer un  « méca nisme européen  de stabilisation financière » comportant trois volets : Une facilité de prêt de l’Union européenne à la disposition de tous les états membres jusqu’à 60 milliards d’euros ; un accord intergouvernemental de fournir pendant 3 ans jusqu’à 440 milliards d’euros  de soutien financier à travers un Fonds européen de stabilisation financière (FESF) bénéficiant d’une garantie au prorata des états membres participant au mécanisme ; un apport du FMI, là encore, de 250 milliards d’euros par le biais de ses facilités habituelles.

Le FESF voit son siège fiscal localisé au Luxembourg, paradis fiscal largement  satellisé par les capitaux  allemands et critiqué, en novembre 2008, par N. Sarkozy devant le Parlement européen.

Selon son directeur, K. Regling (9), ancien haut fonctionnaire allemand des Finances, le FESF est « d’abord là pour  rassurer les investisseurs  [...] » sur les marchés financiers où il empruntera les fonds nécessaires. Le FESF y bénéficiera de la meilleure notation (AAA) parce qu’il disposera des « réserves qui proviendront  des pénalités qu’on applique aux États demandeurs par rapport au taux auquel le Fonds emprunte » (10). Dans le cas grec, précise Regling, ce taux de pénalité est d’environ 300 points de base !

Ce Fonds, géré donc dans un but de rentabilité financière, s’appuiera sur l’agence en charge de la dette allemande (la Deutsche Finanzagentur) qui siège à Francfort, comme la BCE, et qui « va assurer les procédures de levées de dette pour le compte  du FESF, exactement comme  elle le fait pour l’État allemand » (11).

Ces mesures annoncent un appel possible très accru de la zone euro aux marchés financiers sous l’étendard allemand, en concurrence avec les États-Unis.  Elles ont été immédiatement accompagnées d’une multiplication de plans d’austérité et de l’accélération des réformes structurelles  régressives en Europe.

L’enjeu est celui d’une diminution radicale de la part, dans les richesses produites,  des prélèvements publics et sociaux (impôts, cotisations) finançant la protection sociale et les services publics.

En effet, dans sa rivalité d’attraction  financière avec les États-Unis, l’Europe est confrontée à deux handicaps : D’abord, la dette publique des États-Unis n’est détenue qu’à hauteur de 28 % par des non-résidents, contre plus de la moitié pour la France ou l’Allemagne, ce qui la rend plus volatile en cas de tensions. Mais, surtout, comme il y a relativement peu de protection sociale et de services publics  outre-Atlantique, les grandes entreprises, les capitaux monopolistes y supportent des prélèvements publics et sociaux autrement plus faibles.

Aussi, la valeur ajoutée disponible pour les prélèvements financiers du capital, en intérêts et dividendes, y est sans doute beaucoup plus importante qu’au sein de la zone euro.

Celle-ci est devenue le théâtre d’une  confrontation d’une rare violence entre les deux types de prélèvements, l’envolée des endettements publics relativement aux PIB laissant augurer d’une nouvelle poussée sensible de la part prélevée par la finance.

Les comptes non financiers de la zone euro (12) indiquent ainsi qu’en 2009, année de la plus grave récession d’après-guerre, les charges  d’intérêts et les dividendes versés auront représenté 33,27 % du produit intérieur brut, contre 31,76 % en 2005. Ils avaient atteint 41,84 % en 2008, juste avant l’explosion des difficultés.

Pour ce qui concerne  les seules sociétés non financières (13), le total des intérêts et loyers payés et des revenus distribués aux actionnaires en 2008 a représenté 30,11 % de leur valeur ajoutée brut e ,  c o n t r e 2 8 , 8 %  e n  2007     et    24,03 % en 2003. En 2009, ils en représentaient encore 26,3 %.

Les 9 et 10 mai, les dirigeants européens, pour faire brutalement reculer la part des prélèvements publics et sociaux, ont décidé de réduire, ensemble, les dépenses publiques et sociales.

Mais rien n’est  joué car, de partout en Europe, se développent des luttes importantes, alors même que la construction  européenne actuelle se voit infliger de très graves déconvenues  confirmant le besoin d’une profonde réorientation.

Déconvenues et fuite en avant

Le 10 mai 2010, la BCE a opéré, en effet, un revirement spectaculaire en s’engageant dans un programme sur les marchés de titres (Securities Market Program) via des rachats, sur les marchés, d’obligations souveraines de la zone euro.

Cela ressemble au dispositif mis en place, dès janvier-février 2009, par la Fed. Il y a cependant trois différences essentielles.

D’abord, les rachats de titres publics européens se feront sur les marchés secondaires où s’échangent des titres déjà émis, et non à l’émission, sur les marchés primaires, comme  c’est le cas pour la Fed. Par ailleurs, la BCE s’est engagée à « stériliser » ses rachats  de titres publics (14).

Cependant, malgré ces restrictions importantes confirmant l’obsession anti-inflationniste,  la BCE a été obligée de « manger son chapeau » (15), avec la transgression de tabous fondateurs de l’euro tel qu’il a été lancé.

Faites sous la pression des contradictions  de l’actuelle construction européenne et des luttes sociales, ces transgressions ouvrent le champ des possibles et crédibilise l’ambition d’une alternative radicale à l’appui de ces luttes.

Cependant, asservies aux buts de rentabilité financière et de domination, elles accompagnent une fuite en avant très dangereuse des dirigeants européens.

Ceux-ci savent qu’ils vont se heurter aux luttes sociales, alors que les banques affichent à nouveau des profits insolents et que les autorités monétaires se sont laissé rassurer, à bon compte, par les tests réussis de résistance (stress tests) organisés cet été. Aussi, parle-t-on de taxer les banques, mais pour abonder des Fonds de garantie, sans toucher aux critères du crédit, juste pour mutualiser les risques que font encourir leurs pratiques à l’économie.

Et, au nom de la recherche d’une « autre gouvernance de l’Union », sont  entrepris  des efforts considérables pour que, au-delà des alternances politiques,  les équipes aux commandes s’astreignent à garder le cap d’une « ferme détermination à accélérer l’assainissement budgétaire » (16).

 C’est sur ces bases que, en France par exemple, J. Attali, président de la « Commission pour la libération de la croissance française », mise en place par N. Sarkozy en 2007 (17) et ancien conseiller de F. Mitterrand, n’a pas hésité à déclarer : « Nous avons devant nous, non pas trois ans de rigueur, mais dix. Il faut une mobilisation générale du pays.  Sinon nous courrons à la catastrophe » car « il faut s’attendre  désormais à voir, si rien n’est fait, la dette atteindre 90 % du PIB en 2013 et dépasser 100 % en 2020, si ce n’est pas 120 % » (18).

Il s’agit, précise le président de « Planète-Finance », de « définir le programme commun  minimum qui devra être appliqué,  quoi qu’il arrive, sans interruption  pendant les dix ans qui viennent et quelle que soit la couleur politique des Présidents de la République » (19). Au sommaire de ce programme il y aurait la compétitivité salariale, la réduction des dépenses publiques et sociales, le recul  des retraites, de nouveaux impôts (fiscalité environnementale et hausse éventuelle de la TVA)…

(1) De lucia C. et j.M. lucas : « BCe et Réserve fédérale : Portraits croisés sur fond de crise financière », Conjoncture, juin 2010, p. 3-24.

(2) y. Dimicoli : « Pas d’europe sociale sans réorientation de la BCe »,

La Pensée, n° 359, juillet-septembre 2009.

(3) P. Boccara, L’Humanité, 18 mai 2010.

(4) trichet j.C. : « the eCB’s enhanced credit support », Münich,

13 juillet 2009.

(5) BCe, Rapport annuel, 2009.

(6) le spread (ou marge actuarielle) d’une obligation (ou d’un emprunt) est l’écart entre le taux de rentabilité actuariel de l’obligation et celui d’un emprunt considéré comme le moins risqué, dans un pays ou une zone régionale, de durée identique. C’est, en quelque sorte, une prime de risque. le spread est d’autant plus faible que la solvabilité de l’émetteur est perçue comme bonne sur les marchés.

(7) Paul Boccara soulignait dès le 18 mai (L’Humanité) : « En outre, il est possible que la spéculation américaine ait visé la défense du dollar et des  titres publics américains, afin de reporter les difficultés sur l’euro dans la confrontation avec l’Europe, avec la Chine. »

(8) Selon les chiffres de la BRi (septembre 2009), les banques européennes ont prêté à cette date plus de 252 milliards d’euros à l’économie grecque, les établissements français étant les plus exposés (75 milliards de dollars), devant les établissements suisses (63 milliards de dollars) et allemands (43 milliards de dollars).

(9) interview accordée au quotidien économique français Les échos, jeudi 15 juillet 2010.

(10) Op. cit., ibid.

(11) Ibid.

(12) BCe, bulletin mensuel août 2010, annexes statistiques S30S31.

(13) Ibid., S33.

(14) Pour chaque euro d’obligation publique acheté, elle absorbe, la semaine suivante, un euro sur le marché, en prélevant sur l’argent  des  banques ordinaires en  dépôt  auprès d’elle, afin que  ces opérations ne se traduisent pas par une augmentation de la masse monétaire en circulation.

(15) Selon l’expression d’un analyste reprise dans Le Monde du 5 août 2010.

(16) Déclaration du conseil  Ecofin du 9 mai 2010.

(17) Son rapport présentait « 316 décisions pour changer la France » et devait servir de base à un nouveau consensus entre ultra et sociaux-libéraux.

(18) interview aux échos, jeudi 22/08/2010.

(19) Ibid.

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