Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Loi de Finances 2011 : la stratégie du « Sapeur camembert »

Le chantier de la loi de finances 2011 est lancé. Philippe Marini, sénateur, rapporteur général du débat d’orientation des finances publiques pour 2011 ainsi que le ministre du Budget dans son analyse prospective des comptes publics ont donné le ton.

À cette occasion, les propos gouvernementaux ont atteint un niveau de duplicité jusque-là inégalé. Il faut reconnaître que l’exercice auquel le pouvoir se livre n’est pas aisé. D’une part, il lui faut rassurer le citoyen et le convaincre du bien-fondé des dispositions financières prises en faveur des banques et des grandes entreprises. De l’autre, il se doit de mettre l’accent sur la précarité de la situation actuelle des finances publiques afin de pouvoir justifier de nouvelles restrictions à venir ainsi que l’augmentation des prélèvements.

Après une année 2009 dont la croissance a été fortement marquée par les stigmates de la crise de l’automne  2008, (décroissance du PIB de

2,6 %, déficit passant de 3,4 % du PIB en 2008 à 7,5 % en 2009 pour une dette totale atteignant 77,4 % du PIB), l’année 2010 devait être celle de la reprise. C’est en tout cas l’effet qui était officiellement attendu des

47,9 milliards d’euros publics injectés en deux ans au titre des mesures dites de relance dans le secteur bancaire et celui des grandes entreprises.

Une reprise qui s’essouffle

Cependant l’utilisation de cette manne essentiellement pour renflouer et rassurer  les marchés  alors qu’une forte réduction des dépenses utiles, dépenses sociales et dépenses d’investissement  réel, se poursuivait,  a continué à alimenter le creusement de la dette à tel point qu’elle devrait s’établir fin 2010 entre 83 % et 84 % du PIB. La reprise de la croissance également annoncée comme significative ne sera certainement pas supérieure à 1,2 % ou 1,4 %.

Et de Bercy à l’élysée en passant par Matignon, tous s’apprêtent à nous rejouer le même numéro en 2011. S’autoriser à parler de même numéro risque d’ailleurs de s’avérer d’un optimisme  largement exagéré au regard de la réalité de la situation économique des prochains mois. Déjà les prévisions  pour 2011 d’un taux de croissance annoncé à 2,5 % au début de l’été ont été révisées à la baisse (2 %) lors de la réunion de Brégançon alors que la rentrée politique n’avait pas officiellement sonné. Ces réajustements cachent en fait de nouvelles difficultés majeures pour les économies occidentales. Déjà la reprise aux états-Unis donne de vrais signes de ralentissement voire de faiblesse, la traduction au plan européen ne se fera pas longtemps attendre. La France n’échappera pas à ce nouveau ralentissement que d’aucuns voient déjà se transformer  en une longue période de croissance molle.

La France a d’autant moins de chances d’y échapper que les choix annoncés au travers des grandes orientations de la loi de finances 2011 n’offriront aucune capacité de résistance à une telle évolution. Il est même à craindre qu’ils n’amplifient ce phénomène pour se traduire en une nouvelle phase de dégradation sociale et d’appauvrissement de notre pays et de son peuple.

Acharnement sur les dépenses publiques utiles

Les prévisions budgétaires pour 2011 sont irréfutablement placées sous le signe d’une sévère austérité. Partout la vis est serrée de plusieurs tours. Au lieu d’annoncer une embellie sur le front des investissements utiles et de la relance d’une dépense sociale saine et efficace, la loi de finances 2011 reprend, en les aggravant, tous les choix récessifs des années précédentes.

Au menu, il y a la réforme des retraites à laquelle le gouvernement et le Président attachent une importance toute particulière. Leur argument massue est l’effet favorable que cette réforme aurait sur la croissance tablant même sur un gain de 0,3 % par an. Il y a une part de vérité dans cette argumentation car travailler plus longtemps,  c’est augmenter la quantité de travail dans l’économie, sauf que le surplus de valeur ajoutée créée et la diminution de la dépense publique occasionnée sont destinés à alimenter les marchés financiers et que pèsent autrement plus lourdement  sur le développement économique les millions de chômeurs et particulièrement le chômage des jeunes.

Au registre des restrictions budgétaires, figure la poursuite du principe du non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux dans la fonction publique, soit une nouvelle saignée de 34 000 fonctionnaires et le passage à une seconde étape de la RGPP se traduisant par le gel des rémunérations des fonctionnaires et l’application des principes de rationnement de la dépense publique aux collectivités territoriales.  Une telle orientation en sacrifiant des emplois et des qualifications et en cultivant la démotivation représente un crime contre la nation, contre ses territoires  et contre l’ensemble de la population. Elle recèle en effet une perte considérable de compétences et de connaissances dont une administration publique moderne et efficace a besoin pour garantir l’intérêt  général, c’est-à-dire un libre et égal accès de chaque citoyen à un certain nombre de services et de missions indispensables à son épanouissement. Car il ne faut pas s’y tromper, à chaque coupe dans les effectifs correspond la mise en cause de missions publiques indispensables (santé, éducation, contrôle sanitaire, contrôle fiscal, culture, sécurité, etc.) qui s’incarne très concrètement  par le jeu des restructurations et des fusions, dans la disparition, l’abandon ou la déshérence de services entiers, voire de directions entières. La casse est malheureusement déjà massive et l’exercice budgétaire 2011 se propose encore de l’amplifier.

Comme pour mieux convaincre les collectivités territoriales, le gouvernement non satisfait de les priver de 12 milliards d’euros en 2010 avec la suppression de la taxe professionnelle, a décidé de geler son concours financier. En 2011, les dotations d’état aux collectivités territoriales ne connaîtront aucune augmentation en valeur, ce qui revient à en baisser le montant. Les collectivités territoriales garrottées financièrement, particulièrement les communes qui disposent des plus importants services à la population, n’auront d’autres alternatives que celles d’augmenter massivement l’impôt local ou de réduire leurs dépenses, notamment leurs postes de fonctionnement avec, comme enjeu principal, l’emploi public territorial que de multiples rapports, dont le rapport Carrez, présentent faussement en croissance exponentielle.

Nouvelles recettes en peau de chagrin

Sur le volet recettes, le gouvernement nous avait annoncé à grand renfort médiatique le rabotage des niches fiscales et sociales dont le montant total s’élève à 75 milliards d’euros. Nous allions voir ce que nous allions voir, dix milliards d’Euros devaient être récupérés. Or il risque fort que ces 10 milliards ne se transforment en 3 à 4 milliards et que ce rabotage chute sur les seuls avantages de l’assurance-vie dont l’encours est certes détenu à 40 % par les 1 % des ménages les plus riches mais dont les 60 % restant, représentent souvent l’épargne des couches moyennes qui de fait seront encore mises à contribution. S’ajoute un projet de taxation des mutuelles de même nature que la taxe appliquée aux assurances. Celle-ci en rapportant un milliard d’euros mettrait en cause les capacités  de remboursement des mutuelles avec des risques de répercussions sur le montant de leurs cotisations.  À part cela rien ne bouge. Le paquet fiscal dont le bouclier fiscal reste intact. Le taux de l’impôt sur les sociétés reste étale alors que son produit a chuté de 57,5 % en 2009 par rapport à 2008, soit une baisse de 28,3 Mds € due en partie, aux facilités accordées aux grandes entreprises (5Mds€ au titre du report en arrière des déficits et 3,8 Mds € de restitution accélérée du crédit d’impôt recherche) dont on attend l’effet sur l’emploi, la formation et l’outil de travail. Quant au produit 2010 de cet impôt, aucune embellie significative n’est à attendre.

De même, alors que cette question est largement évoquée, aucune remise en cause de l’exonération des plus-values de cessions de titres sociaux entre sociétés dont le coût supporté par les finances publiques est de 12 milliards n’est envisagée. Pas plus d’ailleurs que ne seront revus le barème et l’assiette de l’impôt sur le revenu dont le très avantageux crédit d’impôt attaché aux revenus de capitaux mobiliers qui n’est  jamais discuté.

En matière de prestations  sociales si aucune augmentation du taux des cotisations n’est pour l’instant envisagée, (sauf pour la cotisation retraite des fonctionnaires) l’idée est de poursuivre la réduction des dépenses. On sait la tournure que cela peut prendre (déremboursement des médicaments, forfait hospitalier, transfert de compétences, etc.) surtout lorsque l’accent est mis sur les besoins  de financement croissants estimés à (, 30 milliards en 2010 pour le régime général et le FSV.

C. Lagarde recourt à la méthode Coué

Toujours encline à l’optimisme, Christine Lagarde table sur le retour de l’investissement des entreprises qui,ayant épuisé leurs stocks au plus fort de la crise, vont devoir les reconstituer.  Or elle oublie de dire que pour une large part les entreprises ont profité du premier semestre 2010 pour reconstituer leurs stocks et que celles-ci prudentes, ne les ont pas rétablis au niveau de l’avant crise. Si un certain effet est à attendre en 2010 en termes de recettes fiscales, il n’est pas assuré que cela se reproduise  en 2011.

Globalement le taux des prélèvements obligatoires qui était de 41,5 % en 2009 ne devrait pas évoluer en 2010 et en 2011. C’est le signe d’une volonté de maintenir le cap vers des allégements fiscaux et sociaux sur le capital, la fortune les hauts revenus et les grandes entreprises.

Avec les yeux rivés sur le retour à un déficit de 3 % en 2013 afin de revenir dans les clous du pacte de stabilité, véritable diktat de la BCE, le projet de loi de finances 2011continue tragiquement à tourner le dos à la prise en compte des besoins sociaux et à un objectif de relance réelle de la croissance. Par ses choix en faveur du capital financier, le pouvoir s’enfonce dans une grave logique de récession qui ne fera que creuser le trou d’une dette de plus en plus malsaine mettant à mal

l’ensemble de la structure financière publique et pardelà le développement de l’ensemble du pays. À l’instar du Sapeur Camembert, héros de bande dessinée de la fin du xixe  siècle qui creusait un trou pour y mettre la terre d’un autre, le gouvernement continue à creuser la dette en tentant de faire croire qu’il a effacé celle des exercices précédents.

 

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