Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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L’enjeu fiscal

Si l’appétit vient en mangeant, il semble que l’appétence fiscale se développe au rythme où s’égrène le temps qui nous sépare de l’échéance présidentielle.

L’heure de la publication des projets fiscaux a sonné. Plusieurs partis, organisations et personnalités politiques ont choisi de rendre public un certain nombre de propositions (1). S’interroger sur le rôle de l’impôt et de l’ensemble de la législation fiscale est nécessaire et compréhensible. Depuis des années, avec une nette accélération sous l’ère Sarkozy, la politique fiscale suivie n’a cessé d’organiser le rétrécissement de l’assiette et des taux des prélèvements fiscaux sur le capital, les entreprises et la fortune. La contrepartie est un important transfert de la charge fiscale sur les ménages modestes et moyens ainsi que des plans massifs de rationnement de la dépense publique. La conjugaison de ces deux critères a conduit à une aggravation du caractère injuste de l’impôt et à la ruine de son effet de levier économique.

Ils n’y sont en effet pas allés avec le dos de la cuillère. En 2010, du fait des allégements d’impôts décidés depuis 7 ans,  les recettes  fiscales du budget de l’Etat  auront été amputées de quelque 40 milliards d’euros (2), montant auquel il faut ajouter l’effet de la suppression de la taxe professionnelle, soit 12 milliards d’Euros  supplémentaires. Si on intègre les mesures ayant précédemment concerné la réduction de l’impôt sur les sociétés (baisse de son taux et réduction de son assiette – report indéfini des déficits, amortissements exceptionnels) à ce jour, la perte de recettes fiscales peut logiquement être estimée à une soixantaine de milliards d’euros. Les résultats de l’exercice 2009 du contrôle fiscal externe, en baisse pour la seconde année consécutive, traduisent à leur niveau, l’ampleur des dégâts.

Nous y reviendrons dans un prochain numéro.

Quelle place pour la fiscalité dans les transformations révolutionnaires à opérer ?

Dans un tel contexte, quoi de plus logique et de plus salutaire que de vouloir revisiter un ensemble de dispositions qui, dans la plus pure des logiques ultralibérales, a singulièrement participé à déséquilibrer  les finances publiques de notre pays et à mettre à mal le principe d’égalité  du citoyen devant l’impôt,  disposant que chacun acquitte l’impôt  en fonction de ses facultés contributives.

Une réforme fiscale est donc nécessaire. De cela beaucoup en conviennent. Mais encore faut-il s’accorder sur la nature de cette réforme et sur les objectifs qu’on souhaite assigner à une fiscalité nouvelle.

Sans en venir au détail de propositions sur le contenu d’une alternative fiscale (3), les deux piliers d’une réforme progressiste de la fiscalité sont la justice sociale et l’efficacité économique, objectifs que nous pourrions réunir sous le vocable unique de nouvelle efficience fiscale. Cela exige de poser les termes d’un nouveau rôle de la fiscalité tant sur le plan de l’égalité devant l’impôt (justice) qu’en matière d’incitation (impulsion  économique) et de contrôle. Dans cet ensemble, la question de la fiscalité locale doit être traitée en tenant compte de la spécificité administrative  et budgétaire des collectivités territoriales.

In fine, la fiscalité n’est pas autre chose qu’un outil de gestion, certes aux retombées importantes, mis au service d’une politique économique. À ce titre, la législation fiscale (droit fiscal), pas plus que le droit civil ou le droit public n’existe ex-nihilo. Elle n’est pas non plus le bras armé d’une justice immanente. L’organisation et la structure de la fiscalité et par conséquent la nature, la répartition et le rendement  des prélèvements fiscaux, résultent d’un rapport de forces social qu’est censé représenter le pouvoir politique.

Il est clair qu’aujourd’hui ce rapport de forces n’est pas en faveur du salariat et des couches populaires mais plutôt à l’avantage  des détenteurs  du capital et des grosses fortunes. Changer la fiscalité est donc étroitement imbriqué à un projet plus global de changement de politique dont un objectif fiscal de transformation à partir de propositions suffisamment précises et radicales, constitue un élément clé.

Mais cela suppose de ne pas verser dans la démagogie, de ne pas attribuer à une réforme de la fiscalité un rôle surdimensionné et surtout de ne pas limiter les interventions d’ordre économique au seul volet fiscal.

La fiscalité ne représente pas l’alpha et l’oméga d’une politique économique alternative, bref d’une économie débarrassée du joug de la finance. Pas plus qu’en d’autres domaines, il ne serait bon de créer l’illusion fiscale.

À lire diverses publications  et à entendre plusieurs interventions, un tel risque existe. Au menu que nous propose-t-on ? L’arrivée   en force de la fiscalité verte, un saupoudrage de quelques tranches d’impôt sur le revenu, la réduction des niches fiscales, la baisse de la TVA sur certains produits de consommation courante, l’imposition  des revenus au quasi premier euro, la fusion IR/CSG. La création d’un impôt européen est également dans l’air, renvoyant au fédéralisme fiscal et à l’illusion d’une harmonisation de sommet. Pour le moins, une analyse sérieuse des résultats (taux et produit) de la fiscalité unique des EPCI mériterait d’êtreréalisée avant de reproduire un système similaire au niveau européen.

La fiscalité, moteur au service d’une économie tournée vers la satisfaction des besoins sociaux, n’est ni une question abstraite, ni l’affaire d’une élite. Interférant dans la gestion de l’ensemble de la société, son efficience dépend largement de son interactivité avec les autres leviers de la politique économique au rang desquels sont le crédit et le rôle des banques. Toute réforme de la fiscalité doit incarner une réforme de la politique fiscale, d’une part en  tant qu’instrument

direct de l’élaboration budgétaire, de l’autre en tant qu’instrument de mobilisation d’une politique monétaire tournée vers le développement des capacités humaines. Il y aurait un vrai danger à faire croire qu’il suffirait de réorienter quelques prélèvements fiscaux pour en finir avec les injustices et rompre avec les conceptions  qui nourrissent la crise systémique. Le projet gouvernemental de remise en cause pour environ 10 milliards de certaines niches fiscales, vient renforcer ce propos. S’il faut attendre le détail des mesures pour en apprécier la nature et la portée réelles, n’avons-nous pas ici un exemple des acrobaties que les forces du capital peuvent réaliser, sous couvert de justice sociale, pour conforter et renforcer leur système ?

Et c’est  avec cela qu’on  ferait la révolution fiscale, mieux qu’on amorcerait la révolution tout court ? Les solutions proposées risquent d’apparaître bien légères pour remédier à une dérive droitière caractérisée de la planète fiscalité, voire d’aggraver la fracture fiscale. Quels effets réels en attendre face à la problématique que posent les besoins considérables de financements publics et sociaux  ? Au mieux elles permettraient d’atténuer la régression mais vraisemblablement pas de répondre aux exigences sociales et aux aspirations des populations  en termes de services publics  et de maîtrise collective.

Le niveau atteint par la crise systémique et la dégradation de l’ensemble de la structure sociale ne peut être résolu par l’application d’une simple réforme de la fiscalité à plus forte raison s’il ne s’agit que de réformettes. Le cancer financier qui ronge la société nécessite l’intervention combinée  de divers leviers économiques. Et parmi ces leviers, il en existe un tout aussi essentiel que la fiscalité : le crédit. Comment en effet répondre aujourd’hui  aux énormes besoins de financements publics sans l’intervention des banques à partir d’un nouveau rôle du crédit ? Le produit fiscal s’il résulte d’une meilleure répartition des prélèvements et/ou de l’application de plus justes taux dépend tout autant de l’assiette sur laquelle il est adossé. Et la taille de l’assiette correspond à la masse de richesses produites, phénomène intimement lié aux capacités d’investissement, c’est-à-dire à l’argent du crédit

La nécessité d’une réforme de la fiscalité n’est  pas contestable, mais son objectif doit être le dépassement du système capitaliste. Pour cela, elle doit être interconnectée à d’autres réformes structurelles. Et, ses objectifs, son contenu doit être l’affaire de tous, à commencer de tous ceux dont c’est la mission jusqu’à l’ensemble de la population. n

Une fiscalité pour inciter à la création d’emplois et de richesses

La fiscalité si elle n’est pas partie prenante d’un ensemble de mesures économiques radicales peut produire des effets contradictoires. D’une part, pour se sauver, le capitalisme peut tout à fait consentir une augmentation de certains prélèvements fiscaux surtout s’il sait qu’il pourra ensuite aisément les répercuter. D’autre part pour le pouvoir politique, il est toujours tentant d’user de l’outil fiscal sur la totalité des contribuables plutôt que d’une façon sélective, surtout lorsque la catégorie concernée, est la moins nombreuse. C’est, derrière le tintamarre sur les niches fiscales, le piège tendu aux couches moyennes préfigurant une aggravation de leur appauvrissement. À elle seule, une réforme fiscale pourrait rapidement montrer ses limites transformatrices alors que la crise actuelle pointe clairement le besoin de changements profonds visant au dépassement du système capitaliste lui-même. Ce caractère inopérant serait d’ailleurs renforcé par la dimension de sommet, de ce type de réforme qui très largement coupée de l’intervention des citoyens n’en serait que plus fragile et aléatoire.

(1) Projet du PS, déclarations de M. valls, diverses expressions syndicales de la CGt, du SNui, ou d’organisations comme attaC.

(2) allégement et baisse des droits de mutations à titre gratuit, crédit d’impôt immobilier,  bouclier  fiscal  et  son  extension, réduction de l’iSF pour investissement, baisse du prélèvement forfaitaire libératoire sur les dividendes, exonération des heures supplémentaires, réformes successives de l’impôt sur le revenu, plafonnement de la taxe professionnelle et exonération de fait des plus values de cessions de titres.

(3) voir différents articles parus dans économie et politique y compris l’article de  ce  numéro sur  l’analyse  du projet  fiscal du PS  et la loi de finances 2011.

(4) EPCi : etablissements Publics de Coopération intercommunale.

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