Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Le projet de loi gouvernemental sur les retraites : imposer son retrait et construire l’alternative

Nous avançons ici, une analyse technique des articles du projet de loi, tel qu’il est soumis aux parlementaires, après avis du Conseil d’État, visant à fournir des arguments précis pour les résistances et l’élaboration d’une réforme alternative.

Le projet de loi institue dans son article 1er un Comité de pilotage des régimes de retraites, en partant de l’idée selon laquelle notre système de retraite ne serait pas lisible et qu’il n’y aurait pas de supervision, pas de pilotage. L’objectif serait, sous prétexte d’harmoniser, de dresser les uns contre les autres et d’aligner les droits et prestations vers le bas. La mission  de ce comité de pilotage est le rationnement comptable, sous couvert de veiller à la pérennité financière des régimes de retraite par répartition,  à la dite équité, au prétendu maintien d’un niveau de vie satisfaisant des retraités.

L’article 2, sous couvert d’information, de transparence et de pédagogie, tend à imposer les principes de la réforme en Suède, avec une information et des pressions individualisées  ; on vise à contraindre le salarié à repousser  l’âge de sa retraite, en l’incitant à souscrire des plans d’épargne retraite individuels.

Dispositions applicables à l’ensemble des régimes

Le report de l’âge d’ouverture du droit

Article 3 et s.

Sous couvert d’assurer la pérennité  des régimes de retraite, l’âge légal est porté  de 60 à 62 ans, en 6 ans, à raison de 4 mois par an. Les assurés de la génération 1951 qui pouvaient partir au 1er  juillet 2011, devront retarder leur départ de 4 mois ; la génération 1952 de 8 mois, et ainsi de suite, jusqu’à la génération 1956, dont le départ initialement prévu en 2016 n’aura lieu qu’en 2018.

Tandis  que l’âge garantissant une pension à taux plein, même lorsqu’on n’a pas toutes les années de cotisations requises, est repoussé de 65 à 67 ans.

Ce sont les mesures les plus douloureuses ; la majorité des assurés qui partent actuellement à la retraite à l’âge de 60 ans, se verront voler leurs deux meilleures années de retraite, et imposer, y compris à ceux qui sont soumis à la pénibilité,  les deux années de travail les plus dures. Alors que, actuellement 6 salariés sur 10 sont éjectés du marché du travail bien avant l’âge de départ en retraite. Le report de l’âge légal pénalise particulièrement les salariés  ayant commencé à tra- vailler tôt. Le report de l’âge à taux plein, sans décote,

sanctionne tous ceux qui ont eu des carrières hachées, incomplètes, notamment les femmes. Ces mesures représentent un prélèvement de 20 milliards d’euros sur les 30 milliards d’euros du plan de financement censé rééquilibrer les comptes. Alors que les politiques menées aggravant les destructions d’emplois sont au cœur du déséquilibre financier des retraites, bien plus que le fameux déséquilibre démographique, pourtant invoqué pour justifier une telle purge pour le système de retraite par répartition.

L’accroissement de la durée d’assurance ou de services

article 4

Chaque génération  d’assurés connaîtra la durée d’as- surance pour le taux plein exigible pour elle, quatre ans avant d’atteindre  l’âge  de 60 ans. Cette durée d’assurance doit monter à 41 ans en 2012, 41 ans et un trimestre pour les générations  1953 et 1954. Elle devrait atteindre 41,5 ans en 2020.Le gouvernement applique ici la règle imposée par la loi Fillon de 2003, organisant un partage prétendu inéluctable et éternel entre la durée de cotisations et la durée de la retraite. Pour 6 ans d’accroissement présumé de l’espérance de vie ce serait 2/3 pour le travail et 1/3 pour la retraite soit 44 ans au travail et seulement 2 ans de plus pour la retraite. Une règle statistique parfaitement contesta- ble, et qui fait silence sur les insupportables  inégalités d’espérance de vie, selon les catégories socio-profes- sionnelles. L’assuré aurait la bizarre compensation de connaître à l’avance, par décret, de combien serait relevée la durée d’assurance requise pour avoir droit à une pension à taux plein.

Dispositions applicables aux différentes catégories de fonctionnaires

Les infirmiers

Le report de l’âge légal à 62 ans et du taux plein à 67 ans ne sera pas appliqué aux infirmiers (article 13) qui, dans le cadre de la réforme récente tendant à mieux reconnaître leur niveau de formation, opteront pour le passage de la catégorie B de la fonction publique à la catégorie A ; ce passage leur vaut ainsi une meilleure rémunération mais aussi la perte du bénéfice du droit au départ anticipé à 55 ans qui reconnaissait la pé- nibilité de leur travail. Le gouvernement craignant de dissuader  les infirmiers  d’opter  pour le passage en catégorie A et voulant surtout éviter de nouvelles mobilisations dans ce secteur, a décidé, pour l’instant, de ne pas rallonger encore de deux ans leur durée d’activité obligatoire.

Pour les différentes catégories de fonctionnaires  : report de l’âge de liquidation de la pension

De nombreux articles précisent les modalités de report de l’âge de liquidation de la pension pour les fonction- naires bénéficiant de divers dispositifs de départ anti- cipé. Notamment les agents appartenant aux catégories dites actives, dont le métier représente une pénibilité reconnue, et qui pouvaient liquider leur pension à 50,53, 54 ou 55 ans, ils devront travailler deux ans de plus. La limite d’âge ou âge du taux plein où la décote ne s’applique plus, est décalée de deux ans tant pour les fonctionnaires sédentaires que pour les catégories dites actives. La durée du service, actuellement à 15 ans (25 ans pour les militaires) exigée pour pouvoir liquider la pension est aussi majorée de 2 ans. Comme pour le privé, les agents aux carrières longues ou incomplètes sont les plus pénalisés. Les salariés relevant des régimes spéciaux (cheminots, électriciens et gaziers…) verront aussi la majoration de 2 ans de la durée d’assurance, les conditions  de cet alignement seront fixées par voie réglementaires,  sans discussion  avec les syndicats, afin d‘aller plus vite vers cet alignement vers le bas. L’objectif est de vider ces régimes des avantages liés aux statuts et missions des personnels, d’aller vers leur privatisation. En même temps, le décalage de la mise en œuvre de ces réformes concernant ces régimes, vise à éviter la mobilisation massive de ces salariés, avec les autres assurés sociaux.

Mesures dites de rapprochement entre les régimes de retraite

Tous les régimes sont dans le colimateur pour réduire leurs retraites avec une règle : stigmatiser et diviser les catégories les unes contre les autres.

Augmentation du taux de cotisation des fonctionnaires  : ce sont bien les seuls concernés Article 21

Cet article comme l’ensemble des articles concernant la Fonction publique vise à stigmatiser les fonctionnaires, sous couvert d’égalité, on cherche un alignement vers le bas, pour faire passer les mesures régressives appliquées au privé. Le taux de cotisation des fonctionnaires sera bien le seul taux de cotisation à être augmenté, tandis que la contribution de l’état employeur restera gelée, à son niveau de 2008. À terme l’objectif est de réduire la part cipation de l’état employeur au financement des retraites ; L’augmentation de la cotisation du fonctionnaire, laquelle passerait de 7,85 % à 10,55 % en dix ans, s’effectue dans un contexte de gel du relèvement des traitements.  Le point d’indice, qui sert à calculer les traitements a déjà perdu 9 % sur l’inflation depuis 2000 tandis que le gouvernement écarte toute compensation par un relèvement des traitements. L’amputation des rémunérations serait de 250 millions d’euros par an, et de 3 milliards d’ici

2020. Dans le cadre de la rigueur, le gouvernement entend imposer un gel sur 3 ans de la valeur du point d’indice : ce serait une perte sans précédent du pouvoir d’achat des 5 millions de fonctionnaires.

Une pléthore d’articles concernant les fonctionnaires

Article 22

Ces articles pléthoriques le plus souvent incompréhen- sibles, tendent à modifier toute une série de dispositions pour y intégrer les principales dispositions de la réforme des retraites, les mesures d’âge. Le code des pensions des fonctionnaires est ainsi truffé de renvois à la loi sur les retraites ou au code de la Sécurité sociale modifié par cette nouvelle loi, ou aux textes concernant les Fonctions publiques. Cela rend toute cette partie pratiquement illisible. Cela vise à permettre de s’attaquer au code des pensions.

Feu sur les mères de 3 enfants fonctionnaires

Article 23

Au prétexte de favoriser le maintien des fonctionnaires en activité, on liquide, à compter de 2012, le droit des agents, mères de 3 enfants, et ayant 15 ans de services, à un départ anticipé ;

15000 femmes en bénéficiaient chaque année. Le gouvernement  se justifie en faisant valoir que la moti- vation nataliste à l’origine de cette mesure (1924), n’a plus lieu d’être, d’autres dispositions ayant été mises en place depuis, alors qu’il ignore les raisons nouvelles de l’utilisation de ce dispositif : beaucoup de femmes dans l’enseignement et dans la santé (aides soignantes, infirmières) la mettaient à profit pour échapper à la pénibilité de leur travail et les difficultés à articuler vie professionnelle et vie familiale. Au lieu de chercher d’autres mesures pour traiter ces problèmes, le gou- vernement les supprime brutalement.

Le minimum garanti dans la Fonction publique

Article 24

C’est l’équivalent du minimum contributif existant dans le privé. Actuellement 35 000 fonctionnaires, dont beaucoup de femmes appartenant à la catégorie C, bénéficient de ce dispositif. Leur pension normale est si faible, reflétant des salaires faibles et des carrières incomplètes, qu’elle doit être relevée au niveau du minimum garanti. Au motif d’« équité », le projet de loi aligne les règles du minimum garanti sur celles du minimum contributif : il faut avoir une carrière compète, ou attendre l’âge du taux plein, porté à 67 ans. Les fonc- tionnaires vont devoir choisir : partir comme prévu, mais avec une pension amputée jusqu’à 200 euros par mois, ou travailler plusieurs années de plus, s’ils le peuvent. Cette mesure lourde pour les assurés serait  d’un  faible apport : entre 20 et 30 millions d’économies. évidemment  le gouvernement refuse le relèvement du minimum contributif dans le privé qui plafonne à 650 euros par mois, 850 avec les régimes com- plémentaires ; la CGT, pour sa part revendique un minimum de pension égal au SMIC : 1 055 euros.

Le refus de reconnaître la pénibilité

Article 25

La traçabilité des expositions aux divers risques professionnels est une condition essentielle pour tout dis- positif de départ anticipé pour travaux pénibles. Mais l’institution d’un dossier médical en santé au travail conduirait, non seulement à retracer les expositions auxquelles sont soumise le salarié mais aussi les informations sur son état de santé. Ceci pourrait être utilisé par l’employeur pour ne pas embaucher un salarié. La reconnaissance limitée et individualisée de la pénibilité est renvoyée à l’expertise d’un médecin du travail, juridiquement dépendant de l’employeur. On assimile la reconnaissance  avérée de la pénibilité à l’état de santé du salarié, faisant glisser cette notion vers la procédure de reconnaissance du handicap ou de l’invalidité, mais de façon encore plus draconienne (cf. art 26). Si le II reprend la définition de la pénibilité re- tenue par la négociation de 2008 : contraintes physiques, environnement agressif, rythmes  de travail ; il faudra attendre les décrets pour connaître les facteurs de risques reconnus. Si l’on institue une nouvelle obligation pour l’employeur de consigner les expositions professionnel- les et la durée de ces expositions,  pour chaque salarié, ce serait en prévention de la pénibilité mais il n’y a pas trace dans le texte des actions de prévention. En outre il n’y a aucune précision sur une éventuelle augmentation des cotisations d’employeur, et pour cause.

Le vœu du patronat est exaucé

Article 26

Seuls auront droit à un départ à 60 ans, donc anticipé face au report de l’âge de la retraite à 62 ans, les salariésjustifiant d’une incapacité permanente, résultant d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle. Ce taux d’incapacité  sera fixé par décret mais l’exposé des motifs indique que ce sera 20 % soit un taux très élevé. Cela écarterait le plus grand nombre de travailleurs exposés à la pénibilité : 15 % au total, qui ne présentent pas nécessairement des atteintes à la santé avant d’avoir atteint la retraite, mais dont l’espérance de vie, et parti- culièrement l’espérance de vie en bonne santé, sont plus faibles. On relève l’absence de dispositions concernant la prévention et la reconnaissance de l’exposition à un environnement agressif : produits toxiques notamment cancérigènes (voir notamment l’amiante).

Tenter d’amadouer les agriculteurs

Article 28

Les conjoints  travaillant sur l’exploitation  familiale notamment des femmes, et les aides familiaux, souvent les enfants du couple, ne bénéficiaient pas de la RCO (retraite complémentaire obligatoire). Celle-ci créée en 2002 par le gouvernement Jospin visait à porter à 75 % du SMIC les pensions des chefs d’exploitation.  Elle a permis à 465 000 retraités de toucher pratiquement 1 000 euros de plus par an. La droite a toujours refusé de l’étendre aux conjoints et enfants. En acceptant son élargissement, limité à ceux qui accèderont au statut de conjoints collaborateurs et d’aides familiaux (1) l’objectif est de faire accepter le report de l’âge de la retraite à 62 ans.

Minimum vieillesse et récupération sur succession pour les agriculteurs

Article 29

Alors qu’en général lorsqu’un bénéficiaire du minimum vieillesse décède l’état se rembourse cette allocation en ponctionnant l’héritage  transmis aux successeurs lorsque celui-ci dépasse la valeur nette de 39 000 euros. Le projet de loi stipule que le capital d’exploitation agricole sera exclu de cette récupération  sur succession, car en effet le capital agricole est l’outil de travail des paysans ; Cependant cette mesure s’adosse à une aide sociale qui ne bénéficie qu’à un nombre réduit de personnes. En effet pour prétendre au minimum vieillesse, un couple ne doit pas cumuler plus de 1157,46 euros par mois, seuil que beaucoup dépassent de quelques euros. Cela ne règle en aucun cas le problème de fond : la pension d’un retraité agricole n’excède pas, en moyenne, 420 euros par mois pour une femme soit 40 % du SMIC et 750 euros pour un homme : 72 % du SMIC. Ce qui se situe très en dessous des 85 % du SMIC requis dans la loi Fillon de 2003.

Une prétendue correction des inégalités Les inégalités entre hommes et femmes seront aggravées

Les indemnités journalières maternité (article 30). Celles-ci n’étaient pas prises en compte dans le salaire de référence qui sert de base au calcul de la retraite, cela tendait à baisser le niveau de pension des femmes. Dans la réforme de 2010, ces indemnités  journalièresmaternité vont être assimilées à du salaire mais cette   mesure applicable seulement en 2012 ne permettra pas de compenser  les insupportables  inégalités deretraite entre les hommes et les femmes. Et surtout le     relèvement de l’âge légal et de celui du taux plein vont pénaliser surtout  les femmes aux carrières incomplètes, soumises aux basses retraites et au poids de la décote.

Le diagnostic de situation comparée hommesfemmes dans les entreprises

L’article 31 affiche l’intention  de « lutter plus activement contre les inégalités salariales au cours de la carrière ». En effet, depuis 1983, les entreprises  sont tenues par la loi d’établir  un diagnostic de situation comparée des femmes et des hommes, mais seule une sur deux respecte cette obligation. Il est prévu ici une sanction avec un prélèvement supplémentaire de 1 % sur la masse salariale affectée au financement des retraites. mais cette mesure ne sera applicable qu’à compter de 2012. Tandis qu’aucun engagement précis n’est pris pour réduire les écarts et que le non-respect  des objectifs n’est toujours pas sanctionné financièrement. le projet de loi va au contraire aggraver la condamnation d’un grand nombre de femmes aux basses retraites.

Les seniors  : des  exonérations   de cotisations patronales pour les employeurs, mais pas de mesure précise contre l’éviction du marché du travail des travailleurs vieillissants.

Article 32

Avec l’article 32, le gouvernement prétend s’attaquer à l’éjection des seniors du marché du travail avant d’avoir atteint l’âge de la retraite. Mais il est à craindre que cette mesure aura aussi peu d’effet que les mesures de la réforme de 2003 ; d’autant que ce qui est envisagé rejoint les multiples  exonérations  de cotisations  patronales, si inefficaces par rapport à l’emploi.

 

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