Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Faut-il avoir peur de la dette publique ?

La crise, les mesures de renflouement du secteur financier et les plans de relance ont gonflé, par- tout dans le monde, les dettes publiques. Cetteconstatation sert de justification aux politiques d’aus- térité et à la casse des services publics. C’est là faire l’impasse sur un aspect essentiel de la réalité : au moins autant que le montant de la dette publique, c’est la capacité de chaque pays à créer les richesses nécessaires à son remboursement qui importe, et en particulier les conditions dans lesquelles l’économie est financée.

Figure 1 - Endettement des administrations publiques (voir le PDF joint)

Une grosse dette publique est perverse si elle place le pays dans la dépendance des marchés financiers. Ce- pendant, si le but recherché n’est pas de rentabiliser les portefeuilles financiers mais d’élever le potentiel productif et environnemental du pays en consolidant l’emploi, la formation, la recherche, la protection de l’environnement, il est parfaitement normal qu’un état finance une partie de ses dépenses par l’emprunt : par exemple, les dépenses consacrées à la formation des jeunes et des travailleurs. Les richesses supplémentaires que ces investissements permettront de créer au fil du temps engendreront les recettes publiques qui serviront à rembourser la dette lorsqu’elle arrivera à échéance.

En revanche, si la création de richesses « réelles », issues du travail des hommes, n’est pas au rendez-vous, la dette peut être dangereuse. L’accumulation des inté- rêts à payer augmentera dans ce cas plus vite que les recettes publiques, créant un effet « boule de neige » : plus  les déficits augmenteront, plus la charge de la dette s’alourdira, contribuant à son tour à aggraver les déficits…

Pour savoir si un tel phénomène menace de rendre la dette incontrôlable, il ne suffit donc pas de considérer le niveau des déficits annuels des finances publiques. Il faut aussi tenir compte de bien d’autres facteurs, en particulier :

 le taux de croissance de l’économie (plus il est élevé, moins le rapport dette/PIB aura tendance à augmenter) ;

 le montant de dette publique déjà accumulé (plus il est élevé, plus les intérêts à payer coûteront cher à l’avenir, même si les déficits futurs sont limités) ;

 le niveau des taux d’intérêt payé par l’état à ses créan- ciers. La dynamique  de la dette sera complètement différente selon que le taux d’intérêt sera supérieur ou inférieur au taux de croissance de l’économie.

En d’autres termes, les évolutions en matière de dette publique peuvent être bien différentes selon que l’économie du pays est dirigée par des objectifs de rentabilité des capitaux financiers ou des objectifs d’efficacité économique et sociale. En voici quelques exemples schématiques tirés du cadre comptable à partir duquel les économistes ont l’habitude d’analyser la dynamique de la dette publique.

Un pays soumis à des taux d’intérêt léonins et écrasé par des politiques d’austérité qui détruisent des emplois et entravent sa croissance peut voir sa dette exploser, même s’il dégage un excédent budgétaire hors charge des intérêts de la dette (ce qu’on appelle l’« excédent primaire »). Cette situation  ressemble à celle que laGrèce connaît aujourd’hui (voir Figure 2).

Figure 2 – L’explosion de la dette peut aller de pair avec l’austérité budgétaire  (voir le PDF joint)

Le même pays, s’il bénéficiait de financements à taux faibles pour des projets sélectionnés en fonction de leur contribution à la croissance réelle, pourrait au contraire maintenir sa dette à un niveau soutenable sans être obligé d’accumuler des excédents budgétaires et de comprimer brutalement ses dépenses publiques (voir Figure 3).

Figure 3 - Un financement  favorable à un fort développement de l’emploi et de l’économie réelle rendrait possible une maîtrise de la dette (voir le PDF joint)

Les deux exemples suivants correspondent plutôt au cas d’un pays comme la France, dont la situation de départ est moins dégradée. Là encore, une maîtrise de la dette dépend crucialement du taux de croissance de l’économie (donc de l’emploi) et du niveau des taux d’intérêt (voir Figure 4 et Figure 5).

Figure 4 - Avec une faible croissance, l’équilibre des dépenses hors intérêts n’empêche pas le poids de la dette de s’accroître (voir le PDF joint)

Figure 5 – Un financement de l’économie associant une dynamique de croissance à des taux d’intérêt sélectivement faibles et à un déficit public modéré permet une stabilisation de la dette (voir le PDF joint)

La crise des finances publiques européennes fait ainsi apparaître le besoin d’un financement des déficits pu- blics qui échappe aux marchés financiers et aux critères de rentabilité dont ils sont porteurs. Pour être efficace,  un tel financement devrait cibler très sélectivement les projets les plus créateurs d’emplois, associés à l’élévation de la qualification de la main-d’œuvre et au développement des nouvelles technologies. La Banque centrale européenne aurait les moyens de mobiliser dans ce sens son pouvoir de création monétaire, soit sous forme  d’avances directes aux états (mais cette procédure est, jusqu’à présent, formellement interdite par les traités européens), soit sous forme de financements apportés à un Fonds européen de développement  social (voir dans le précédent numéro de cette revue l’article de Paul Boccara « Face à la crise de l’euro : un Fonds de développement  social et une création monétaire de la BCE »). Les mêmes critères devraient présider au financement du secteur privé, particulièrement dans la période actuelle, caractérisée par la réticence des banques à financer les investissements  favorables  à l’emploi, à la formation, à l’innovation et au développement maîtrisé des territoires.

En appliquant cette formule année après année, on peut visualiser l’évolution  du ratio dette/PIB en fonction des hypothèses retenues pour le taux de croissance, le taux d’intérêt et le niveau de déficit primaire rapporté au PIB, supposés constants  au cours du temps (les graphiques reproduits dans cet article contiennent l’indication du solde primaire : c’est un pourcentage positif du PIB si les recettes sont supérieures aux dé- penses « primaires  », un pourcentage négatif s’il y a un déficit « primaire  »).

Pour simplifier l’analyse, toutes les grandeurs sont mesurées en termes « réels », c’est-à-dire qu’on suppose que les prix restent constants au cours du temps.

 

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