Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Résister à la dictature de la finance Reconquérir la démocratie et les droits sociaux !

Réunie les jeudi et vendredi 29 et 30 mars dernier, à Bruxelles, la « Conférence sociale de Printemps » ( JSC) composée d’une vingtaine de syndicats européens et de mouvements sociaux a, en discussion avec la Confédération européenne des syndicats, posé des pistes pour une convergence des forces syndicales et sociales à l’échelle européenne sur la construction d’une alternative politique concrète aux politiques libérales européennes et nationales.

Point d’appui supplémentaire pour la construction d’un rapport de forces social et politique en France visant à peser sur la politique qui sera menée durant le prochain quinquennat, nous publions en intégralité la déclaration du JSC dans les colonnes d’économie et Politique.

D’où nous venons

L’année passée, la JSC posait son diagnostic de la crise. Elle mettait en évidence le caractère systémique de celle-ci : financière, économique, sociale, écologique et politique. Cette crise montre l’échec d’un modèle de développement et de deux décennies de néolibéralisme. La JSC dénonçait aussi le caractère néolibéral de la réponse des gouvernements. Les manifestations européennes (comme celle du 29 septembre 2010) n’avaient pas réussi à inverser le rapport de forces. Nous allons donc continuer  à construire ce rapport de forces, par tous les moyens et en alliance la plus large possible avec les forces sociales, syndicales, intellectuelles, associatives et politiques.

Nos constats aujourd’hui

L’année qui s’est écoulée a connu une accélération de la crise en Europe.  Les sommets européens  se multiplient, mais échouent à atteindre leurs objectifs annoncés, à savoir « restaurer  la confiance  des marchés financiers  » et résoudre la crise de la zone euro. Une seconde crise bancaire s’amorce en Europe ; les politiques  d’austérité menées conjointement dans tous les pays sont en train d’aboutir à une récession généralisée, voire en Grèce et dans d’autres pays, à une véritable dépression. La dette publique, le chômage, la pauvreté et les inégalités y augmentent à une vitesse alarmante.

La leçon qu’en tirent les dirigeants européens, ce n’est pas que les politiques d’austérité sont socialement destructrices et économiquement suicidaires, c’est qu’elles ne vont pas encore assez loin. Depuis un an, les dirigeants européens travaillent sur le chantier de la « gouvernance économique » et font preuve d’un activisme institutionnel sans précédent. Par couches successives, les dirigeants européens veulent rendre l’austérité plus forte et plus irrévocable. Après l’adoption discrète du « Six Pack  » qui introduit le vote à la majorité inversée, le principe de la « règle d’or » budgétaire,  inscrit dans le « Two Pack », est en cours d’adoption dans le plus grand silence. Deux traités dangereux liés l’un à l’autre sont en cours de ratification (le traité sur le mécanisme européen de stabilité et le traité budgétaire). Ce dernier durcit les règles et procédures budgétaires adoptées ou en cours d’adoption et les rend encore plus contraignantes. Aux dires de Madame Merkel, « l’objet du pacte budgétaire est d’insérer des freins permanents à l’endettement dans les législations nationales. Ces freins auront donc une validité obligatoire et éternelle ! ». Le président de la Commission, J.-M. Barroso, parle d’une « révolution  silencieuse ».

L’accélération de l’agenda européen révèle que la crise change de nature. Les gouvernements  et les instances européennes profitent du choc de la « crise de la dette souveraine  » pour redessiner l’économie européenne selon une vision néolibérale et monétariste radicale. Selon cette vision, les leviers économiques (monétaires, budgétaires, salariaux…) devraient être de plus en plus placés hors de portée des parlements et des citoyens, ceux-ci étant a priori jugés incapables de faire les bons choix ; à l’encontre  de toute idée démocratique, ils veulent confier le gouvernement aux technocrates (BCE, Commission, FMI…) et à d’aveugles règles antisociales (pacte de stabilité, gouvernance économique, règle d’or, MES…). Avec la gouvernance économique,  les néolibéraux sont en passe de réaliser leur rêve : une politique économique ancrée dans les Constitutions et soumise à la logique des marchés et aux intérêts des détenteurs de capitaux. Dans ce cadre, la Cour européenne de justice qui, dans plusieurs arrêts, a déjà soumis les droits des travailleurs aux « libertés économiques  » est amenée à jouer un rôle encore plus important, devenant la juge suprême des politiques budgétaires des États.

Les changements  décrits ci-dessus résultent en particulier des liens étroits qui unissent le pouvoir économique des multinationales aux pouvoirs financiers et aux pouvoirs politiques de l’UE et des gouvernements nationaux. Ces multinationales jouent un rôle majeur dans la destruction des droits sociaux et syndicaux (négociation collective, liberté d’action syndicale, conditions de travail…), dans la baisse des salaires et de la part salariale dans le PIB (que la nouvelle surveillance économique, avec le contrôle des « coûts salariaux unitaires  », va aggraver) et dans la précarisation des emplois (retour du travail journalier, explosion du travail temporaire, faux indépendants…).

Les politiques d’austérité, en détruisant les services publics et sociaux, frappent tout particulièrement certains-es citoyens-nes :

 les femmes, qui occupent les emplois les plus précaires et assument l’essentiel du « travail  de reproduction sociale » que  les politiques d’austérité re-transfèrent massivement vers la sphère domestique ;

 les jeunes, qui souffrent d’un taux de chômage très élevé ;

 les migrants-es, qui subissent racisme et répression, et dont les droits humains et de travailleurs sont menacés.

Dans notre combat historique pour la démocratie, nous sommes confrontés depuis de nombreuses années à un processus de concentration et de confiscation du pouvoir. Les évolutions  de ces deux dernières années précipitent le passage vers l’oligarchie, avec y compris la nomination de technocrates  issus du monde bancaire à la tête de gouvernements ! Nous sommes favorables à l’unité des peuples européens. Mais nous constatons que le projet de l’UE est de plus en plus dominé par un petit nombre de dirigeants nationaux et européens, agissant en fonction des intérêts d’une élite financière et économique. Nous dénonçons la corruption organisée et l’inertie volontaire des gouvernements vis-à-vis de la fraude et des paradis fiscaux. Cette Europe-là ne peut qu’échouer et favorise la résurgence de nationalismes xénophobes et de lois liberticides.

Que faire  ? Nos alternatives…

La JSC réclame un arrêt des politiques d’austérité – les droits sociaux et les services publics doivent au contraire servir de base à un modèle de développement – et une autre approche de la question de la dette. L’adoption de politiques d’austérité en période de grande crise économique est le pire des choix politiques. Elle entraîne une énorme souffrance sociale sans apporter aucune réponse aux problèmes économiques qui ont provoqué la crise.

Nous estimons que le principe même du remboursement de la dette doit être questionné. Celui-ci ne peut en aucun cas primer sur la souveraineté des États, le bien-être des populations ou la préservation de l’environnement, comme c’est le cas actuellement  dans les pays soumis au diktat de la Troïka (BCE, Commission, FMI) et du Conseil des chefs d’États. Nous réclamons dans tous les pays européens un audit de la dette publique sous contrôle citoyen pour évaluer la part de la dette qui est illégitime et dont le remboursement et la charge ne doivent pas reposer sur les populations. Dans les pays européens  les plus endettés, nous demandons d’abord de stopper l’hémorragie du service de la dette, au besoin par une suspension des remboursements ou toute autre solution favorable aux intérêts des peuples.

La question de la dette pose avec encore plus d’acuité celle de la fiscalité. Nous réclamons une stratégie fiscale concertée au niveau européen et favorable aux citoyensnes : accroissement de l’impôt des sociétés et des hauts revenus ; taxation de la fortune ; taxation de toutes les transactions  financières pour collecter des revenus et freiner la spéculation ; lutte coordonnée contre la fraude et l’évasion fiscale.

La politique monétaire devrait jouer un rôle essentiel de protection des États vis-à-vis du chantage des marchés financiers et des agences de notation. Le statut et les missions de la BCE doivent être revus. Le soutien à l’emploi et à l’investissement  (notamment ceux nécessaires à la transition écologique et à la protection sociale), le contrôle  efficace des opérateurs  financiers, la protection des États contre la spéculation financière…, doivent rentrer dans les missions de la BCE, au même titre que la stabilité des prix. La BCE et les banques centrales nationales doivent pouvoir prêter aux États sous contrôle démocratique européen (1). L’indépendance de la BCE doit être remise en question. Dans l’immédiat, l’action de la BCE doit être orientée vers la création d’emplois et les services publics.

La négociation collective constitue un élément central de la démocratie. Depuis deux décennies, on assiste à un démantèlement de la négociation et de l’action collectives. Le dogme de la compétitivité pousse tous les pays à réduire les droits  sociaux et syndicaux, à limiter la liberté de négociation et d’action collectives. Le chantage à l’emploi dont les multinationales  usent et abusent pour forcer les travailleurs à accepter la réduction de leurs droits et la dégradation de leurs conditions de travail n’est plus tolérable ! Nous réclamons une harmonisation sociale par le haut de tous les pays européens.  Les pays qui accumulent des excédents commerciaux par des politiques de dumping social doivent être rappelés à l’ordre.

Historiquement, une part de la prospérité de l’Europe a reposé sur l’exploitation des richesses et du travail du reste du monde, du Sud en particulier.  Les politiques commerciales de l’UE contribuent à maintenir cette exploitation. Il est possible de définir un autre mandat pour la politique de commerce extérieur. Nous soutiendrons  l’alliance qui se constitue en ce sens, et nous nous opposons aux accords de libre-échange en cours de négociation, qui ne sont favorables qu’au big business, pas aux peuples du Sud ni aux travailleurs d’Europe.

Nous réclamons un nouveau modèle de développement écologique, industriel, social et démocratique :

 Dans la décennie à venir, nos économies et nos sociétés seront forcées de se transformer  pour s’adapter à la raréfaction du pétrole, pour sortir du nucléaire et pour prévenir une catastrophe climatique. Il faut profiter de cette crise, non pour remettre en selle un néolibéralisme nocif et dépassé, mais pour opérer un changement radical de nos structures économiques et de la manière dont nous consommons ;

 Les technologies  numériques, qui sont en train de transformer profondément nos sociétés, permettent de concevoir un nouveau modèle de production qui pourrait être basé non plus sur la compétition et la consommation,  mais bien sur une économie de la contribution entre acteurs ;

 Un nouveau modèle social doit nécessairement être fondé sur la satisfaction prioritaire des besoins sociaux, avec le développement d’une protection sociale de hauts niveaux et de services publics (enfance, santé, logement, éducation, dépendance…) ;

 Nous souhaitons entamer une réflexion sur des alternatives démocratiques à l’échelle de l’Europe, exigences portées dans les mouvements et luttes qui se développent aujourd’hui. Nous voulons opposer ce renouveau démocratique au traité sur le « pacte budgétaire », et au pouvoir énorme des multinationales et de leurs lobbys  sur les institutions européennes. Ce nouveau modèle démocratique doit évidemment affirmer l’égalité entre femmes et hommes.

Les campagnes et actions à mener

Avec la crise actuelle, le néolibéralisme a subi une défaite théorique et économique. Celle-ci ne s’est pas traduite, jusqu’à aujourd’hui, par une défaite politique. Ni la crise, ni les mobilisations  massives dans les pays les plus touchés par la crise n’ont à ce jour porté au pouvoir des gouvernements résolus à inverser le cours de ces politiques  ; c’est pourquoi nous avons d’urgence besoin d’une convergence transnationale de nos luttes.

Nous ne pourrons remettre en cause cette nouvelle pensée unique qu’en faisant la preuve de notre capacité d’action. Nous le disions déjà l’an passé : « Face  à des pouvoirs politiques très bien articulés, notre action politique et sociale a trop souvent souffert d’approches “étanches” entre les 2 niveaux de pouvoir (européen et national). […] un point central de notre approche est donc que pour tous les enjeux nous voulons une approche d’emblée “bi-level”, tant pour l’analyse que pour la réflexion.  » Nous passons donc des paroles aux actes : l’assemblée de la 2e  JSC a décidé de soutenir les actions [...] qu’elles soient initiées par nous ou par d’autres mouvements  sociaux, et d’appeler d’autres à les rejoindre.  

(1) Cela est dès aujourd’hui possible car l’alinéa 2 de l’article 123 du TFUE permet que les établissements publics de crédit soient refinancés par la BCE ou les banques centrales nationales.

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