Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Pétrole : Le débat énergétique emplois et stratégies

Les travailleurs du pétrole et de la pétrochimie, sur le site de Berre-L’étang comme à Dunkerque ou Petit-Couronne, ont mené et mènent une lutte courageuse et déterminée pour la sauvegarde de leur emploi et plus largement pour la préservation de nos outils industriels face à une stratégie de démantèlement de notre industrie du raffinage.

Dans ce combat ils sont amenés à analyser les objectifs stratégiques en jeu pour avancer avec pertinence des solutions ayant un avenir.

De longue date, alors qu’ils contrôlaient la presque totalité de la production mondiale du pétrole, les majors avaient scindé leur activité en quatre centres de profit.

La recherche et la production de pétrole brut géraient, en plus de l’aspect technique et industriel, les relations financières (taxes et royalties) avec les états où ils avaient leurs concessions, sur la base de prix de référence internationaux (prix affichés) fixés par eux-mêmes :

le transport,

le raffinage,

la distribution.

Chaque secteur était censé dégager la meilleure marge possible. Cela fonctionna jusqu’en 1973 qui vit le début de la prise en main par les pays producteurs  de leur richesse pétrolière.

Ce fut un bouleversement progressif dans chacun des quatre domaines.

Recherches et production

Les prix du pétrole brut, bien que dans l’ensemble inspirés des prix affichés, furent alors avancés par l’OPEP et négociés en fonction de l’importance et de la pérennité des contrats. à cela vint se superposer la création de marchés à terme qui introduisirent à travers la spéculation une nouvelle référence internationale reflétant ces deux influences. Les majors acceptèrent cette situation d’autant mieux qu’elle établissait  un nouveau système de références dans un système international globalisé où tous les intéressés, pays producteurs, majors, spéculateurs, trouvaient leur compte. Ce marché, à l’abri des contraintes nationales, écologiques ou de limites sociales s’ajoutant à une fiscalité collectrice d’importants revenus, s’imposait comme centre de profits idéal pour les grandes compagnies pétrolières.

Transport

L’optimisation dans ce domaine ne posa pas de problème : elle se régla en faisant sauter presque tous les verrous et par l’utilisation sur une grande échelle de flottes enregistrées sous des pavillons de complaisance.

Raffinage

C’est dans ce domaine que les pétroliers  rencontrent le plus de difficultés. Alors qu’aux états-Unis il existe, pour le raffinage, une tradition d’intervention de raffineries indépendantes, en Europe, pratiquement, tous les pétroliers privés ou publics avaient leurs propres unités. Après une décision de désengagement de Conoco et de Marathon, même les majors américains étudient aujourd’hui leur position par rapport à ce secteur d’activité.

Une première crise du raffinage intervint avec le coût des transformations pour des productions aux nouvelles normes (teneur en soufre, disparition des additifs d’élévation de l’indice d’octane pour l’essence).

Surcapacité ou mauvais choix stratégique ?

Mais c’est surtout la sur capacité relativ e, notamment en France, liée à un marché moins porteur qui précipite aujourd’hui des décisions qui ont une connotation sociale importante.

Mais cette surcapacité relative, les travailleurs l’ont bien souligné, a pour origine une consommation qui a vu une explosion du gazole alors que nos raffineries avaient été prévues à la fois pour l’essence et le fuel (qui a subi l’effet du nucléaire) et pour traiter les bruts classiques du Moyen-Orient. Sur la base des statistiques du CPDP (Comité professionnel du pétrole) de 2009, on a traité 72,5 millions de tonnes pour un marché intérieur de 81 millions auquel il faudrait ajouter 5 millions de tonnes d’avitaillements maritimes. Compte tenu des pertes de raffinage et de la consommation  intérieure des raffineries, une capacité de distillation de 98 millions ne constitue pas une surcapacité excessive.

En fait dans la pratique nous aurions une situation presque normale. Nous avons compensé le manque de gasoil par des importations souvent au départ des excédents du grand centre des raffinages de Rotterdam, équilibrées par des exportations notamment d’essence. Le marché de ce produit est actuellement moins porteur. L’augmentation du prix de l’essence est très mal perçue aux états-Unis.

Pour la France, c’est donc, globalement, un problème commercial plutôt qu’un problème d’outil. En 2010 la capacité de distillation aura diminué de quelque 10 millions de tonnes en raison de la fermeture de la raffinerie de Dunkerque avec une baisse probable de la consommation. Grosso modo c’est donc le coût d’une éventuelle réadaptation de l’outil de raffinage qui poserait le vrai problème.

Dans d’autres pays, l’Italie par exemple, le problème de surcapacités réelles ou relatives a, en partie, été résolu par un partenariat avec la Russie dans une raffinerie indépendante en Sicile. Association ou raffinage à façon, chacun y aurait trouvé son compte.

Dans le contexte actuel il est logique que les travailleurs se préoccupent  de la pérennité de la solution qui devra être trouvée. Il en va également de notre politique industrielle. Les Lyondellbassel impliqués dans le site de Berre (déjà par la Shell), des Klesh, des Carlyle, des Petroplus (qui n’avait aucune attache avec le brut ou la distribution) sont des spécialistes du « private  equity  » comme on nomme cette activité aux États-Unis (achat d’entreprises en difficulté, moyennant souvent un prêt bancaire, restructuration de l’entreprise pour la revendre ensuite. Entretemps jouer le marché).

N’oublions pas qu’en France la marge de raffinage calculée par l’administration est établie en comparant le prix du pétrole brut de Brent augmenté du fret, de l’assurance et du raffinage, d’une part, à la valorisation des produits finis en fonction des rendements du traitement et des prix à Rotterdam d’autre part. Rotterdam est un marché très volatil qui varie quotidiennement en fonction des excédents et des déficits des raffineries européennes et des opérations des négociants en gros. C’est sur un tel marché qu’évoluent ces sociétés comme elles évoluent également sur les marchés à terme de Londres et de New York en attendant le dénouement de leurs opérations. La marge dite de raffinage reflète mal la réalité ; elle pourrait tout aussi bien en cas de hausses à Rotterdam justifier une tension sur les carburants à la pompe. Cette référence serait peut-être valable sur le long terme si l’on considère un raffinage voué au négoce et non au ravitaillement d’un réseau de distribution.

Distribution

Ce dernier domaine a connu, en France, des changements notables. L’intervention des grandes surfaces a modifié la structure du marché. Ces dernières, ravitaillées par les majors ou par l’importation négociante, représentaient en 2009 (statistiques du CPDP) 59 % du marché contre 37 % pour les majors qui, fournisseurs ou concurrents, perdent une partie de leur marge surtout lorsque les grandes surfaces ne considèrent que le côté « produits d’appel  » de leurs carburants. Alors que les hausses sont, de plus en plus, mal acceptées et que l’état veut sauvegarder les apports de la fiscalité pétrolière (en 2009 – statistiques du CPDP – avec 34 239 millions d’euros elle représentait 16 % des recettes nettes du budget général), il n’est pas étonnant de voir la Shell suivie par BP, avec d’autres partenaires et d’autres conditions, céder une partie de son réseau de distribution notamment à l’enseigne AVIA pour ne garder, sur les grands axes, que des stations de prestige et de grande rentabilité.

Les choix des groupes pétroliers

La situation française, avec ses caractéristiques propres, semble bien donner une image assez fidèle des orientations stratégiques actuelles des majors :

 S’efforcer, dans l’optique d’une financiarisation poussée, de se désengager de toute activité ne dégageant pas les taux de rentabilité souhaités par les marchés. ESSO France avait déjà donné un premier exemple de cette politique en cédant ses gisements de pétrole brut en Aquitaine. Rappelons les cessions de stations de ravitaillement par Shell et BP. Rappelons la cession ou la fermeture de raffineries ou de sites pétrochimiques.

 Orienter les nouvelles disponibilités financières en priorité vers la recherche et la production de pétrole brut qui, compte tenu de la puissance financière, technique et politique d’intervention des majors et de la tension à prévoir sur ce marché avec la disparition progressive des ressources fossiles, est la plus susceptible d’assurer une rentabilité certaine jusqu’à une sortie du pétrole dans les meilleures conditions.

Pour consolider ce qui précède, il s’agit donc, pour celles-ci, de transformer une situation semi-concurrentielle avec les pays producteurs par des partenariats durables, notamment dans les domaines de l’attribution de concessions, de la production et du raffinage et de la pétrochimie, susceptibles d’accéder à leur revendication de mieux valoriser leur patrimoine. Cela est en cours non seulement avec les pays du Moyen-Orient (raffinage, pétrochimie notamment les matières plastiques) mais aussi avec la Russie dans la production de pétrole brut. La seule difficulté est politique, elle concerne l’Amérique latine. Cette avancée aurait l’avantage pour les majors de les rapprocher  des lieux de forte progression de la consommation et de permettre des solutions d’appoint plus favorables économiquement à leur intervention en Europe dans le cadre tant de leur désengagement que des à-coups de politiques nucléaires ou écologiques incertains.

Dans cette conjoncture complexe, un pôle national de l’énergie favoriserait, en France, l’élaboration, le choix démocratique d’une politique qui tiendrait compte de notre « savoir  faire  » et qui définirait la part, le poids et la durée possible du pétrole et veillerait à sa mise en œuvre. 

 

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