Faut-il que de vieilles idées refassent surface pour que le débat sur l’énergie s’enrichisse quelque peu ? Avant que de foncer, à coup d’investissements lourds, sur les dits KWh renouvelables, le premier pas ne serait-il de s’interroger sur la façon dont on utilise l’existant, gaspillé ou ignoré bien qu’à portée de main .
Voici bientôt 40 ans, dans la foulée du premier « choc » pétrolier, une minorité d’ingénieurs osèrent s’étonner des gaspillages énergétiques d’une société où l’on avait remplacé en deux décennies le charbon séculaire par un pétrole facile. En Belgique, comme dans bien d’autres pays de l’Europe industrielle de la fin des années 1960, les monopoles pétroliers étaient les mêmes que ceux de la houille. Et par la suite, ils seraient aussi les mêmes que ceux du gaz naturel et de l’atome. Si bien que, quel que soit le vecteur énergétique élu, la France faisant partiellement et temporairement exception, les holdings de l’énergie maintenaient leur emprise sur un secteur économique clé. Avec la même constance pour imposer leurs prix de vente de la calorie ou du KWh, agitant à toute occasion le spectre de la pénurie d’une ressource face à une autre, « nouvelle », tout en poussant à une consommation débridée, histoire de consolider les chiffres d’affaires et les profits. Dans la plupart des pays de l’OCDE, Westinghouse imposa sa filière nucléaire. On retrouva rapidement les sept sœurs qui, contrôlant le marché du pétrole, s’assurèrent celui du gaz puis, parfois, celui de l’électronucléaire. Le meilleur exemple étant le capitalisme français via le groupe Suez. Depuis son OPA sur la Société générale de Belgique en 1987, le groupe dispose d’une panoplie énergétique héritée en grande partie de son ancrage belge. Le tandem Mestrallet-Frère « fait » dans le pétrole, le gaz et le terminal méthanier de Zeebruges, l’électronucléaire, les non-ferreux dont les semi-conducteurs destinés au photovoltaïque. Ajoutons-y la collecte et la valorisation des déchets ménagers, agricoles, les agrocombustibles, bientôt l’éolien et un BTP lorgnant sur l’hydroélectrique en voie de privatisation. On aura ainsi compris qu’actuellement, toute diversification énergétique est censée passer sous les fourches caudines de l’un ou l’autre monopole. En résulte, quels que fussent les choix technologiques, verts, roses ou pas, l’acceptation obligée des critères capitalistes. à savoir payer plus cher, consommer si possible plus, faire financer, par les budgets collectifs et très discrètement par les consommateurs, les mutations dans l’origine du KWh comme les séquelles sanitaires ou environnementales de l’abandon de telle ou telle filière énergétique. La facture du démontage du nucléaire succèdera à celle de l’assainissement des bassins charbonniers et des ravages humains de la silicose. On serait étonné d’apprendre que les monopoles des hydrocarbures se préparent à assumer financièrement le démontage des oléoducs et autres gazoducs terriens et sous-marins. Ou celui des futurs champs éoliens ou photovoltaïques lorsque les gisements ou les fonctionnements viendront à terme. On retrouve le bon vieux capitalisme monopoliste d’état : la privatisation des profits et la collectivisation des pertes ! à mettre dans le débat énergétique et dans l’usage du mot durable !
Revenant à la première crise pétrolière de 1974, des ingénieurs pré-indignés firent valoir le fait qu’une centrale électrique, tous combustibles confondus, rejetait plus de calories dans l’environnement que celles utilement transformées en KWh fournis au réseau. De fait, 60 % des énergies primaires consommées partaient dans l’atmosphère et dans les cours d’eaux voisins en pure perte bien qu’il fût possible de les distribuer par des réseaux de chauffage urbain pour alimenter l’habitat. Cette technologie était, à l’époque, largement maîtrisée dans le nord de l’Europe, dans le camp socialiste. Les bâtiments du centre parisien étaient chauffés par l’incinération des ordures de la capitale. Ce faisant, on doublait le rendement thermique des centrales et on réduisait les pollutions diverses dont celles du chauffage individuel. On diminuait sensiblement les importations d’énergies primaires. On rééquilibrait les balances commerciales. On tempérait la dépendance des spéculations internationales sur les hydrocarbures. Les projets alternatifs des promoteurs du concept d’URE posaient aussi des questions gênantes sur le rendement ridicule global, tel qu’utilisé (*), du moteur à explosion comparé à celui des transports en commun électrifiés. Ils se risquaient aussi dans le périlleux domaine de la faible durée de vie voulue de l’outillage ménager ou dans celui des coûts dispendieux du traitement des emballages imputés intégralement aux consommateurs via les collectivités locales. Les prémices d’une réflexion cohérente sur la politique énergétique, bien avant que le mouvement écologique naquît, furent « calmés » par le lobbying des monopoles auquel souscrivait la social-démocratie. Donc, bien des projets chiffrés passèrent à la trappe ou stagnent toujours dans divers tiroirs.
Le département du Lot comme bien d’autres zones du Sud-Ouest, du Sud est voire de l’Ile-de-France font l’objet d’un nouvel appétit de multinationales des hydrocarbures. Vu la hausse phénoménale des prix pétroliers, dont la pénurie n’est pas vraiment établie
– mais ceci est un autre débat –, émerge la volonté d’exploiter le gaz de schiste. En fait, les gisements souterrains voire affleurants de schistes sédimentaires bitumineux dont l’exploitation est connue de longue date dans les zones désertiques du Canada. Les États-Unis s’y sont mis plus récemment. Motif : la hausse des prix pétroliers justifierait le recours à des technologies extractives coûteuses et devenues de ce fait « rentables». Et l’argument d’une autonomie énergétique européenne fait partie du bouquet médiatique utilisé par Total, Toréador, etc., pour justifier les permis d’exploration. Rappelons brièvement les arguments plus que fondés des associations détractrices : la fracturation du sous-sol profond et d’éventuelles déstabilisations mécaniques induites ; les injections de composés chimiques susceptibles de polluer les nappes phréatiques ; les déprédations environnementales en surface ; le fait que le gaz de schiste participe de la production de gaz à effet de serre (GES).
Cette opposition méritait de reprendre le vieux projet de l’URE. En le couplant à six besoins actuels. Le renforcement réel de l’autonomie énergétique nationale avec des dimensions régionales. La défense de l’activité agricole rurale qui devrait faire partie intégrante d’une nouvelle politique énergétique. La construction d’une politique de l’eau en qualité. La valorisation du potentiel forestier largement à l’abandon en France. Le développement de l’emploi dans les zones rurales pour réduire les phénomènes migratoires historiques. La maîtrise des coûts de l’énergie. On retrouve les préoccupations actualisées de la politique d’URE. On peut les synthétiser par le concept de cogénération, soit la production combinée de chaleur et d’électricité. Ce qui permet d’atteindre des rendements de 85 %, largement plus que celui de la centrale thermique et que des chaudières industrielles classiques à bois que l’ADEME compte éparpiller dans l’hexagone.
La question du gaz de schiste méritait plus qu’une opposition : un contre-projet énergétique ! Pourquoi aller fracturer le sous-sol profond à la recherche d’hypothétiques calories, de surcroît polluantes, alors qu’en surface la forêt est à l’abandon et que les résidus agricoles sont épandus de façons très discutables et au détriment de la qualité des eaux de surfaces ? D’où l’analyse du gisement départemental des biomasses et l’inventaire des technologies disponibles pour valoriser celles-ci. Objectif : développer des pôles de méthanisation des lisiers, fumiers, boues d’épuration de stations d’épuration des eaux usées, déchets de fruits, de légumes, de céréales, de luzernes. La fermentation anaérobie produit du méthane. Celui-ci alimente une chaudière produisant de la vapeur laquelle est détendue dans une turbine entraînant un alternateur. L’installation ou ses variantes (turbine à gaz, moteur) produit donc de l’électricité vendue au réseau ou consommée par des entreprises locales. Elle produit également de la vapeur basse pression ou de l’eau chaude, lesquelles sont distribuées dans des canalisations isolées assurant le chauffage de bâtiments divers. La production combinée : c’est 85 % de rendement énergétique, la réduction drastique de la pollution due aux chauffages individuels à combustibles fossiles (fioul, gaz) par les GES puisque le méthane obtenu dérive, par la fixation chlorophyllienne végétale, du CO² atmosphérique. La combustion du méthane issu de la biomasse constitue donc une opération blanche. Le dioxyde de carbone produit est absorbé par le renouvellement végétal dont il est antérieurement issu. L’unité de cogénération sollicite des exploitations agricoles locales auxquelles elle achèterait les déchets à un prix de l’ordre de 15 à 20 euros la tonne. On peut considérer que ces fournisseurs puissent récupérer gratuitement le compost issu de la fermentation et utilisé par eux comme amendement, remplaçant ainsi des engrais de synthèse de plus en plus coûteux et dont la fabrication génère des GES. L’opération se traduit par une réduction des composés azotés passant dans les eaux de surface, par une consolidation des revenus des PME agricoles, par l’augmentation de l’indépendance énergétique des départements et par la baisse du recours aux combustibles fossiles. La méthanisation-cogénération agricole concerne des unités de production de dimensions très variées. Une ferme et quelques utilisateurs voisins de chaleur et d’électricité pour une puissance installée de l’ordre 0,5 MW voire moins. Une zone urbaine et ses bâtiments publics de plus d’un millier d’abonnés. Là on parle en plusieurs MW.
Le domaine forestier lotois représente près de la moitié du territoire. Il est largement inexploité car on n’exploite pas 30 % du renouvellement. En cause, la privatisation et le morcellement du domaine. 40 000 propriétaires se partagent 120 000 ha ! Des agriculteurs exploitants occasionnels, des héritiers disséminés dans l’hexagone dont bon nombre ne savent pas localiser leurs biens. Une administration est chargée d’aider et de conseiller ces propriétaires quant à l’exploitation rationnelle de parcelles. Il faudrait la redimensionner à la hausse. Le Centre régional de la propriété foncière (CRPF) du Lot, c’est deux fonctionnaires. Il en faudrait 10 à 15. Pour regrouper, par échanges ou rachats, les parcelles et les rendre exploitables. Pour organiser le traitement du taillis sous futaie, la sélection des espèces destinées au bois d’œuvre, lutter contre les maladies dont celles du châtaignier… Bref, un vide administratif, juridique à combler avec des incitants voire des pénalisations fiscales à concevoir. Dans le registre du « produire français » et des suites du Grenelle de l’environnement, il est des claques qui se perdent ! La France importe massivement des bois provenant de la déforestation planétaire. Mais elle délaisse bien de ses forêts qui constitueraient à la fois une relocalisation énergétique, industrielle, agricole avec un plus pour la gestion des territoires et l’emploi rural. La gestion forestière permet, par broyage du taillis, la production de plaquettes destinées, après séchage, soit à la combustion directe en chaudière industrielle alimentant un pôle de cogénération. Par exemple, l’université de Liège (Belgique) chauffe et éclaire 70 % de ses 800 000 m² de locaux de cette manière pour un investissement de 15 millions d’euros. Une autre technique vise à produire un gaz de synthèse, un mélange CO-H² servant de combustible
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S’inscrivant pleinement dans les directives de l’ADEME nationale, le syndicat de communes du Lot qui en gère les déchets, le SYDED, s’est lancé en 2005 dans un programme d’implantation de petits réseaux de chauffage bois dans 21 bourgs. Le tout pour un investissement de 37 millions d’euros subventionnés à 70 % par le département, la région, l’ADEME, le FEDER européen, donc par les contribuables non informés. Pas question de production combinée de chaleur-électricité ni de rendements énergétiques décents. 60 % contre les 85 % possibles ! Pas de valorisation des résidus agricoles dans un département où les PME rurales en difficultés mériteraient d’être consultées et surtout associées. Pas question non plus d’une étude préalable du gisement forestier et des modalités d’exploitation, un problème toujours pendant. La dispersion de mini-réseaux n’est pas indemne d’un électoralisme verdâtre dans l’air du temps. Les réseaux chauffage bois ne fonctionnent que 7 mois l’an. Ils desservent principalement des bâtiments publics souvent non isolés et des particuliers venant en ordre dispersés car peu incités au raccordement vu une tarification faiblement engageante et, qui plus est, indexée sur les combustibles usuels (fioul, gaz, électricité). L’arrêt du réseau cinq mois l’an oblige au recours d’installations d’appoint pour les eaux domestiques. Pour réduire la longueur des réseaux calorifugés distribuant l’eau chaude, le SYDED implante ses chaufferies en plein centre des bourgs, semblant ignorer la toxicité des fumées. Pour motif purement « budgétaire », car la filtration prévue de celles-ci est techniquement insuffisante – bien que réalisable – en regard de normes européennes non respectées par la France, quitte à voir l’état payer plus de 200 millions d’euros d’amendes l’an. Contrairement aux idées reçues, la combustion du bois, hors l’économie en GES, ne vaut guère mieux que celle du diesel et du charbon étant donnée l’émission de nanoparticules cancérigènes et responsables de maladies cardio-vasculaires. Les RCB doivent intégrer au minimum des électro-filtres éliminant les suies de dimensions inférieures à 10 microns. La méthanisation élimine cet obstacle.
En Midi-Pyrénées, le Lot fait figure de département test pour les RCB. Le PCF, outre l’opposition radicale au gaz de schiste, réclame un moratoire des projets « énergies renouvelables » du Conseil général. Ceci pour remettre à plat les choix, démocratiser un processus bureaucratique. En question, les options de l’ADEME qui semble hermétique aux expériences de nombreux états de l’UE en matière de biomasses et de cogénération. Pas question, évidemment, pour les tenants d’une alternative de développer les biocarburants au détriment de la ressource alimentaire. Mais obligation d’intégrer agriculture et sylviculture aux politiques de l’énergie et de l’eau. Et à la politique des transports. Car les projets du SYDED multiplient à souhait le fret camion pour acheminer résidus bois et boues de station d’épuration vers ses pôles de transformation et de chauffe. S’y ajoutent les décisions de la SNCFRFF et du département concourant à la destruction de lignes ferroviaires à rénover en sacrifiant, par exemple, la ligne Cahors-Capdenac à la construction d’une piste cyclable !
D’où une volonté militante de construire, dans un cadre d’intervention citoyenne, un contre-projet. Il s’agit d’abandonner le saupoudrage des RCB villageois teintés d’électoralisme pour concentrer sur les cinq ou six pôles urbains et industriels principaux de vrais réseaux de chauffage collectifs de plusieurs MW chacun, donc concernant des milliers de Lotois, alimentés par des centrales de cogénération fondées sur la valorisation des sous-produits forestiers et agricoles. Cela suppose une concertation, actuellement inexistante du fait du Conseil général, avec les organisations progressistes paysannes. Mais également un dialogue indispensable avec les cheminots qui font valoir tous les atouts du réseau ferré existant pour assurer le transport, le stockage des biomasses ainsi que l’implantation urbaine des unités de production combinée chaleur-électricité. Par ailleurs, une approche départementale de cette fraction de politique énergétique doit nécessairement élargir la réflexion à la qualité du bâti urbain. Une démarche d’utilisation rationnelle de l’énergie ne peut se limiter à valoriser efficacement des dérivés de la biomasse si le parc des locaux desservis est dans un état précaire. On pose dès lors la question de la rénovation-isolation immobilière en centre-ville comme celle de la densification de l’habitat. Enfin, la sollicitation des investissements pour 70 % de subventions publiques, d’où qu’elles viennent, paraît excessive en rapport à bien des réalisations similaires dans l’UE. La question du financement renvoie non seulement aux mauvais choix technologiques du département mais aussi à la création d’un pôle public soutenant des projets de réindustrialisation des zones rurales, de développement de l’emploi, d’amélioration des conditions de vie de la population.
Peu à peu, pour des agriculteurs, sylviculteurs, cheminots, consommateurs, PME du BTP, cadres du CRPF, des chambres agricoles et de nombreux services publics ou apparentés, le débat énergétique dans le Lot ressemble à une pelote de ficelle dont on n’a pas encore vu le bout ! Les compétences diverses existent. Elles peuvent être mobilisées pour une belle avancée démocratique. Et qui ne demandera qu’à s’étendre à la région et au-delà.
(*) Le moteur à combustion interne a un rendement de 40 %. Un véhicule de 800 kg transportant une personne de 80 kg a un rendement de 10 %. Bilan : moins de 5% du combustible consommé a une utilité sociale. Le solde sert à mouvoir de la ferraille, à chauffer l’atmosphère et à polluer. Pis, si le véhicule est une 4x4.
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Bravo
Excellent article, mériterait une version courte dans l'HD. Suis assez sceptique sur les rendements mais bon, la ligne reste correcte.
Par Ivan, le 04 January 2013 à 17:53.