Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Les collectivités territoriales sous la contrainte des marchés

Depuis plusieurs années on assiste à un double phénomène qui conduit à un dangereux effet de ciseaux de l’évolution de la situation financière des collectivités territoriales.

D’une part, on assiste à une montée des dépenses :

 La montée de la demande sociale en réponse à l’augmentation du chômage et de la précarité ;

 Le rôle nouveau des collectivités territoriales dans le développement des capacités humaines (éducation, santé, culture, recherche…) et des infrastructures ;

 La gestion des mutations économiques, les reconversions et les réindustrialisations, le soutien aux victimes des restructurations, la valorisation des atouts des territoires… ;

D’autre part, la réduction des recettes :

 La réduction relative des recettes fiscales, conséquence notamment des diverses réformes  de la taxe professionnelle jusqu’à son abandon, et des droits de mutation ;

  La déresponsabilisation  sociale et  territoriale croissante des grands groupes dont les établissements structurent souvent les bassins d’emplois (par exemple à Angoulême le groupe Schneider, à Romans-sur-Isère le groupe Areva) ;

 La limitation des dotations de l’État jusqu’à leur gel ;

 La faiblesse de la croissance qui tarit aussi la richesse locale ;

 La montée de l’endettement des collectivités territoriales, des prélèvements des banques (prêts structurés) et maintenant des grands groupes avec la privatisation des services publics et des montages financiers tels que les PPP ;

 Le transfert par l’État d’un nombre de plus en plus élevé de compétences vers les collectivités territoriales sans attribuer les moyens correspondants.  Le financement des missions transférées, lorsqu’il est compensé, l’est au coût de l’année de transfert sans aucune actualisation ;

 La difficulté du recours à l’emprunt du fait du renchérissement du crédit et de la fermeture du robinet par les banques

Les effets des mesures de deux lois de finances successives

La loi de finances 2011 instaurant  le gel des dotations d’État (gel de l’enveloppe normée) a fait entrer les collectivités territoriales dans l’ère de l’austérité. Les décisions budgétaires  de 2012 ont poursuivi cette politique en l’aggravant d’une baisse de 14,5 % des dotations de compensations fiscales et d’une demande aux collectivités territoriales de 200 millions d’euros d’économie. Pour une ville de 35 000 habitants le gel des dotations représentera en 2012 une perte de 150 000 euros.

La réforme de l’intercommunalité  fait peser des risques supplémentaires. La généralisation de l’intercommunalité (fusion de communautés) devrait se traduire mécaniquement par une augmentation de 400 millions d’euros des dotations dues par l’État aux intercommunalités. Or cette enveloppe est gelée pour la période 2011-2014. Le financement de l’intercommunalité pourrait ainsi conduire à une baisse du financement des autres communautés, voire des communes elles-mêmes. La mise en place du Fonds de péréquation pourrait aussi impliquer une ponction de la dotation de certaines communes ou intercommunalités qui ne sont pas forcément  les plus fortunées (loi de 2011).

La suppression de la taxe professionnelle qui représente un manque de recettes fiscales de 8 milliards d’euros aura des conséquences lourdes pour les collectivités territoriales avec une répercussion prévisible sur leurs investissements publics (70 % du total annuel), et la probabilité d’un transfert du poids de la fiscalité locale sur les ménages.

Les plus touchées sont les intercommunalités dont 96 % des recettes provenaient de la taxe professionnelle alors que la version Contribution économique territoriale (cotisation foncière et cotisation valeur ajoutée) n’en constitue plus que 47 %.

Cette situation intervient alors que les banques  ferment de plus en plus le robinet du crédit se trouvant ellesmêmes en grandes difficultés parce qu’entraînées dans la logique spéculative. Mais pour le capital il s’agit également de contraindre les collectivités territoriales à financer leurs investissements sur leurs « fonds propres » c’est-à-dire  à rogner sur leurs dépenses de fonctionnement. C’est ainsi que les marchés conçoivent le désendettement. Pour y parvenir les marchés ont à leur service divers instruments de coercition tels que le pacte de stabilité ou la règle d’or ou encore, véritable camisole d’austérité pour les peuples, le nouveau traité présenté sous l’appellation de Mécanisme européen de stabilité. L’objectif commun et central de ces dispositifs est de renforcer la gouvernance financière européenne pour imposer aux États de se conformer au diktat de la finance constituant, en cela, l’ossature des choix politiques du couple Sarkozy/Merkel.

Néanmoins face à la réalité des difficultés budgétaires de plus en plus prégnantes des collectivités locales, le Premier ministre a proposé au congrès de l’AMF de rallonger l’enveloppe de crédits supplémentaires aux collectivités territoriales de 3 à 5 milliards d’euros et ce dès la fin 2011 avec reconduction possible en 2012. Financée par la Caisse des Dépôts et les banques à partir des fonds d’épargne, cette rallonge est assortie d’un certain nombre de recommandations voire de menaces sur le train de vie des collectivités. Si cette décision peut offrir une bouffée d’oxygène aux collectivités territoriales, elles demeurent  plus que jamais confrontées aux questions de la charge de leur dette et de leur indépendance financière.

L’endettement  financier des collectivités territoriales qui ont contracté des prêts structurés (toxiques) proposés par la banque Dexia, aujourd’hui démantelée, constitue un autre domaine d’inquiétude pour leur devenir. Concernant quelque 5500 clients dont 400 communes et plus de 60 % des départements pour un montant total de 25 milliards d’euros fin 2009, ce type de prêts a contribué à jeter les collectivités territoriales dans les bras des marchés financiers et à les soumettre finalement aux affres de la spéculation avec tous les risques inhérents à ce genre d’activité, y compris la faillite.

Une situation dont les collectivités territoriales ne peuvent être tenues pour responsables. Par contre la responsabilité de Dexia qui termine l’année 2011 avec un déficit de 12 milliards d’euros, est écrasante. Comment imaginer que cette banque ignorait les risques encourus et surtout comment expliquer qu’elle n’en ait pas informé ouvertement  ses clients qui dans la plupart des cas ne disposaient pas des connaissances suffisantes du fait financier ? La réalité  pourrait être plus machiavélique. Les marchés n’auraient-ils pas tout simplement trouvé par ce biais un moyen de soumettre les budgets locaux à la même logique que celle administrée au budget de l’État et de la protection sociale ? La croissance des taux d’intérêts constitue un excellent levier pour capter de l’argent public normalement destiné à financer l’emploi public et les investissements  socialement utiles. Ce qui revient par une voie détournée à augmenter la part des prélèvements financiers sur la richesse créée et à faire baisser celle des prélèvements publics et sociaux.

Si un reproche peut être adressé aux collectivités territoriales  c’est de ne pas avoir assorti la signature de ces contrats de prêts d’une décision suffisamment collective, mode de gestion qui n’a d’ailleurs pas changé à ce jour et qu’il est nécessaire de faire profondément évoluer. Mais cela ne fait pas pour autant disparaître la responsabilité juridique de Dexia vis-à-vis de la situation de surendettement où se trouve précipité un certain nombre de collectivités territoriales.

L’avatar Dexia

Pour une large part, c’est la contraction de l’offre de crédit, notamment en raison des difficultés qu’ont connues les grandes banques généralistes, qui a conduit à l’accident dont a été victime la banque Dexia, numéro un mondial des établissements  spécialisés dans les prêts aux collectivités territoriales. Aux prises avec des difficultés pour se refinancer et lourdement handicapé par les énormes pertes de sa filiale américaine FSA, cet établissement a en outre été confronté aux critiques de certains de ses clients, par exemple les communes belges qui, en tant qu’actionnaires, ont dû encaisser le contrecoup de ces pertes. Des communes qui dans le même temps s’étaient laissé séduire par la promotion débridée de prêts structurés toxiques et qui se sont ainsi retrouvées en possession de véritables bombes à retardement.

En faillite, Dexia n’a dû sa survie qu’à un plan de sauvetage des États belge et français. Ces derniers ont été conduits à recapitaliser cet établissement et à en garantir les emprunts en fonction des montants des encours de leurs collectivités locales respectives. Cet événement a une portée particulièrement symbolique dans la mesure où Dexia était le dernier avatar d’un processus de privatisation engagé par la France une vingtaine d’années auparavant. En l’occurrence il s’agissait de la privatisation du Crédit local de France.

Pour autant en France, la succession de Dexia semble difficile à se dessiner autour d’un pôle composé de la Banque Postale et de la Caisse des Dépôts et Consignations. Elle pourrait même déboucher sur l’ouverture d’une nouvelle boîte de Pandore. Confrontées à des difficultés de financement auprès du secteur bancaire alors que leurs besoins se chiffrent entre 18 et 20 milliards d’euros, les collectivités locales pourraient soutenir l’idée de la création d’une agence de financement, qui leur permettrait dans un premier temps d’emprunter directement 5 milliards d’euros par an sur le marché obligataire.

Contrairement aux arguments avancés quant à la liberté de choix des modes de financement et à la capacité de contrôle que cette agence offrirait aux collectivités locales, ce processus pourrait s’avérer risqué. En effet, ne participerait-il pas à prolonger et à accentuer la soumission des collectivités locales aux marchés ? Une fois Dexia disparue, la finance se fraierait une nouvelle voie au sein de la sphère d’investissement public que représentent  les collectivités locales, les soumettant ainsi au diktat des agences de notation et autres instruments financiers au service du profit immédiat. Cela au lieu que les banques remplissent leur véritable fonction de financement de l’activité et de développement des services publics locaux ; cela au lieu de créer, au sein d’un pôle bancaire et financier public, une banque publique de financement  des collectivités locales. Pour l’heure ce projet semble au point mort d’autant plus que le chef de l’État lui-même y aurait mis un holà, voyant d’un mauvais œil s’ouvrir une nouvelle vanne de déficit.

Quant à l’idée de règle d’or appliquée aux collectivités territoriales, il convient de souligner combien cette proposition constitue une sorte de manipulation. Avancer cette hypothèse, c’est tout simplement oublier que les collectivités territoriales appliquent déjà la règle d’or, ne pouvant emprunter pour autre chose que pour financer leurs investissements. Par contre, cette fausse proposition pourrait bien cacher la volonté du gouvernement  d’inciter les collectivités locales à utiliser le surplus de ressources propres restant disponibles après le remboursement des annuités de leur dette, comme une sorte de cautionnement bancaire. Ce qui revient à empêcher l’utilisation de ces disponibilités  pour des dépenses de fonctionnement et à offrir aux marchés financiers les fruits d’une bonne gestion locale.

Dans une période où la baisse des capacités d’investissement des collectivités territoriales commence à avoir de sensibles répercussions sur le niveau d’activité de certaines entreprises et où l’accès au crédit bancaire leur est de plus en plus difficile ; la Caisse d’Épargne ne vient-elle pas en ce début d’année de bloquer sa ligne de crédit aux collectivités territoriales ? On mesure le poids que peut avoir une telle orientation dans les choix de gestion des collectivités territoriales.

Tout se passe comme si on n’était pas instruit des effets dévastateurs d’une politique qui choisit la satisfaction des marchés contre le développement des capacités humaines.  L’exemple de la Grèce n’est-il pas suffisant ? Partout, la seule victime de la récession est le peuple.

Quelles issues face à cette crise du surendettement des collectivités locales ?

Toute chose étant égale par ailleurs, il convient de ne pas tomber dans une sorte de démagogie qui consisterait à proposer d’effacer totalement l’ardoise des collectivités surendettées. Cela conduirait à engendrer des difficultés sans doute encore plus importantes :

 Danger pour la survie de certaines banques faisant courir des risques à l’ensemble du système.

 Inégalité de traitement entre collectivités.

Par contre nous pouvons proposer comme voies possibles de sortie de crise :

 La limitation du taux des intérêts des prêts toxiques remboursables par les collectivités territoriales et autres établissements, au niveau de celui qui devrait être normalement pratiqué dans le cadre de prêts « classiques ». On pourrait ainsi en fixer la limite à 3,5 %, niveau proche de celui servi actuellement  par l’État pour ses emprunts à 10 ans (3,6 %).

 La mise en place au sein du pôle bancaire et financier public d’une banque publique de financement des collectivités territoriales.

 La limitation du taux d’intérêt pratiqué par cette banque à 2,5 % avec un abaissement jusqu’à 0 % en fonction de l’utilité sociale des investissements réalisés. Ces taux seraient ainsi d’autant plus abaissés que ces investissements sont à la fois utiles socialement pour les citoyens et porteurs d’emplois, et de salaires accrus (rappel : une collectivité territoriale n’a pas le droit d’emprunter pour financer son fonctionnement).

Ces mesures doivent être articulées à une politique de promotion massive en France et en Europe des services publics pour installer un autre type de croissance fondé sur le développement des capacités humaines. Il s’agit également  de faire le choix d’une vraie réindustrialisation, et d’une nouvelle démocratie appuyée sur de nouveaux droits et pouvoirs d’intervention des populations, des salariés et des élus de terrain. Dans le même temps des mesures doivent être prises pour faire reculer la domination et la loi des marchés et des grandes groupes de services (Suez-Lyonnaise, Valéo...) pour qui les collectivités territoriales sont une manne juteuse.

Ces pistes sont naturellement à relier à nos propositions pour une autre utilisation de l’argent, posant la nécessité d’un changement profond des critères de gestion des banques et en premier lieu de celui de la BCE ainsi que de la politique du crédit. 

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