Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Le programme économique du FN à la loupe

Alors que l’élection présidentielle approche à grands pas, la bataille pourrait s’annoncer pleine de surprises, bonnes pour ce qui est de la dynamique Front de Gauche ou le rejet massif de la politique de Nicolas Sarkozy, mais aussi dangereuses, comme la montée et la banalisation des idées du Front national.

Aujourd’hui,  Marine Le Pen se présente comme celle qui défend la démocratie, les faibles face aux marchés financiers, celle qui aurait su faire faire au parti de son père, des nostalgiques de l’Algérie française et de la France de Vichy, un parti classique, un parti respectable, et même, un parti social. Ce tournant stratégique affiché se retrouve dans le programme économique qui proclame être du côté des travailleurs, contre les marchés financiers. Mais ce programme contient en réalité des propositions démagogiques sans moyens, comme sur la dette, le protectionnisme, ensuite des propositions malhonnêtes sur l’euro et l’Europe, et plus directement des propositions dangereuses pour les droits sociaux, comme la casse des trente-cinq heures ou les retraites.

Les vieilles lunes

Ce programme reste un programme du Front National : mélange de poujadisme et d’appel du pied aux agriculteurs, aux artisans, aux chômeurs. Mais aussi construction de rapports d’affrontement entre les citoyens de ce pays, en opposant les chômeurs,  les travailleurs, les Français dits de souche aux étrangers.

Lorsque Marine Le Pen parle, c’est pour définir les trois priorités de son programme : augmenter les moyens de la justice, de la police et les capacités d’accueil des prisons françaises. C’est aussi pour fustiger l’ouverture, mêlant le libre-échange, la fuite des capitaux ou l’immigration. C’est enfin pour muscler les attaques de la droite depuis dix ans. Ainsi, sur l’immigration, tandis que les Guéant, Besson et Hortefeux surenchérissent sur la criminalisation de l’immigration, le Front National veut limiter l’accueil de migrants légaux à 10 000 contre 200 000 aujourd’hui, et transformer la France en forteresse pour tous les autres. Cette proposition est doublement dangereuse : tout d’abord, l’immigration légale est constituée de trois flux majeurs, qui sont les étudiants étrangers, les travailleurs hautement qualifiés et le regroupement familial. Passer à 10 000 entrées par an, c’est réduire drastiquement  les trois, avec des conséquences très lourdes sur les plans humain, économique, social et démographique. C’est se couper du rayonnement international de la France au niveau de ses universités (ce qui, dans le cadre de la loi d’autonomie des universités, revient à les priver de financements importants), c’est se priver de grands chercheurs, de techniciens, d’experts.  Attaquer le regroupement familial, c’est détruire des milliers de familles et se priver d’un apport démographique majeur. Enfin, le FN chiffre la suspension de l’immigration comme une économie de 48 milliards d’euros, mais il oublie de rappeler que les immigrés créent 60 milliards d’euros de richesses par an.

De même, sur la question de l’industrialisation du pays, les propositions  du FN sont contradictoires aux intérêts de la France.

Le parti à la flamme propose par exemple de prélever 15 % du bénéfice des entreprises du CAC 40 pour financer un Fonds de réindustrialisation principalement destiné aux PME-PMI, qui leur sera restitué en fin de mandat présidentiel. Une proposition démagogique qui ne s’attaque en rien aux causes réelles de la désindustrialisation française. Elle ne dit rien des stratégie de financiarisation des actifs industriels à l’origine des difficultés de l’industrie française, ni des grandes transnationales dont il n’est fait nulle part mention dans le programme. Elle ne traite pas du rôle dominateur des banques dans leur rapport aux PMI-PME, ni des frais financiers qu’elles leur imposent et qui les étouffent.

Et en plus, elle fait semblant de ne pas voir que ces groupes, comme Total, ne déclarent aucun bénéfice en France pour échapper à l’impôt. Pire, cette proposition se fait dans le cadre de cadeaux fiscaux et principalement par la baisse des cotisations patronales.

Autre perversité, la réindustrialisation serait portée par un développement  espéré d’un tissu dense de PMEPMI, un protectionnisme ségrégationniste et une loi « Achetons français  » sans justification ni réalisme. Cette ambition autarcique aux couleurs poujadistes, le programme du FN la symbolise par la hausse de 3 % des tarifs douaniers  français, tout particulièrement pour les productions venant des pays en voie de développement. Une stratégie idéologique d’isolement pour la France sans aucun effet positif pour l’industrie française, qui n’aboutirait pas à autre chose qu’à un appauvrissement des travailleurs. Car le FN s’attaque ainsi à une pseudo-concurrence des pays du tiers monde vis-à-vis desquels le commerce extérieur français est excédentaire. Sans jamais s’opposer aux conditions concrètes de la production et des échanges commerciaux français, ce repli national menacerait directement l’emploi français et la consommation en France, et donc implicitement le tissu de PME-PMI du pays. Un relèvement des droits de douanes serait en effet directement  payé par les consommateurs français, amputant artificiellement d’autant leur pouvoir d’achat sur la production française. Il aurait pour conséquence l’entrée dans une guerre commerciale avec nos partenaires occidentaux (76 % des échanges commerciaux français), qui pèserait sur les échanges extérieurs de la France et au final sur son emploi.

Ce parti est donc clairement du côté des riches et du capital. Ce positionnement de classe se retrouve  dans tout le programme.

Il propose de développer l’apprentissage, statut précaire par essence, en l’étendant à 200 000 jeunes de plus par an, mais aussi d’abaisser l’âge légal du travail à 14 ans. Il propose de simplifier les démarches d’emploi (et donc de licenciement ?) par la mise en place d’une carte d’identité numérique de l’entreprise, la simplification des démarches administratives, visant à la réduction des cotisations. Et il propose en outre de réduire encore les impôts pour les entreprises. Cela, alors que de nombreux économistes, libéraux inclus, s’accordent à dire que la crise actuelle, comme la dette, sont en partie liées à ces cadeaux fiscaux.

Enfin, le thème de la préférence nationale dans l’emploi est complètement irréaliste. Il s’agirait de limiter les offres d’emploi en premier lieu aux Français, or les propositions  du pôle emploi sont déjà limitées en fonction des compétences des demandeurs. Parti xénophobe, le FN exige ainsi de limiter l’accès à l’emploi en France des travailleurs qualifiés qui participent à la création de richesses nationales, mais qui sont nés dans le mauvais pays.

En outre concernant la dette, le FN pense pouvoir annuler la dette française en cinq ans en réduisant les dépenses suivantes : immigration, fraude fiscale et sociale, contribution au budget de l’Union européenne, limitation des importations, tout en prétendant augmenter les recettes fiscales par la hausse de l’impôt sur les sociétés, mais sans préciser son assiette ni son volume.

De manière plus colorée, à l’aide d’une série de graphiques tout en couleurs, il affirme tout de go que la dette française sera annulée en 10 à 20 ans, avec de réels effets sous cinq ans. Les chiffres annoncés sont fantaisistes, les conditions revendiquées pour réaliser ce projet étant inatteignables. Et qui plus est, elles sont contradictoires entre elles. Typiquement, par les grandes réformes qui toucheront les emplois, par la déconstruction des conquêtes sociales, la productivité risque fort de baisser, la croissance est loin d’être assurée dans les prochaines années, a fortiori dans le contexte de crise et par les conséquences  des plans d’austérité. Or, sans croissance forte en emplois et en salaires, les mesures de réduction du déficit ne tiennent pas.

Plus grave encore, le Front National prévoit d’inscrire dans les textes une loi-cadre sur l’obligation de maintien d’un déficit nul. Cette proposition au final écrase toutes les autres. Il s’agit ni plus ni moins que d’appliquer en France aux travailleurs français, mais sans l’injonction européenne, la fameuse règle d’or de Sarkozy et Merkel. Une règle d’or construite pour forcer à la réduction de la dépense publique, qui figerait les possibilités d’investissements publics et sociaux répondant aux besoins réels des Français frappés par la crise. Cette mesure montre à elle seule que le FN n’est pas le parti des salariés, des pauvres ou des invisibles, et qu’il a bien choisi le camp du capital.

L’euro et l’Europe

Point très fortement marqué, martelé par la candidate frontiste, la sortie de l’euro et de l’Europe. Vieille thématique, chère à son père, développée par Alain Soral, l’Europe est censée être à la base de tous les maux de la France, notamment par un coût exorbitant versé pour entretenir une structure qui nie la souveraineté des États. Ici encore, si le chiffrage est aléatoire, l’alternative proposée est encore plus vaseuse. Pour l’agriculture par exemple, la candidate propose le remplacement de la Politique agricole commune (PAC) par une Politique agricole française. Cette PAF permettrait selon elle de conduire une politique plus respectueuse des besoins et de l’environnement. Mais c’est encore tronquer la réalité. Car la France est le plus gros bénéficiaire en Europe de la PAC. Or le FN ne dit pas où il trouvera les 10 milliards d’euros qu’il supprime, au moment même d’ailleurs où il clame la nécessité d’économies budgétaires ! De plus, l’argument invoqué d’un retour des fonds français affectés au budget européen dans le budget de l’État demeure simpliste. Car là encore, l’équation est incomplète.  L’Europe verse aujourd’hui nombre d’aides à la France. Par ses programmes de financement, elle cofinance le développement des territoires et de leurs services publics. Où le FN compte-t-il aller chercher l’argent que ne donnera plus l’Europe ?, dans la poche des Français ? Ou envisage-t-il sans le dire de stopper l’investissement public et d’appeler aux financements privés ?

Poussant  plus loin l’illusion sur les moyens, le FN propose alors d’utiliser le levier de la politique monétaire, en sortant du traité de Maastricht et en annulant les dispositions de la loi du 3 janvier 1973 sur l’indépendance entre Banque de France et Trésor Public. Mais la saillie s’arrête là. Car loin d’associer à ces remises en cause nécessaires les moyens d’une pression sur les banques et le système financier afin d’obliger les banques  à financer à très bas coût les investissements créateurs d’emplois et de qualifications, le FN s’en remet à l’arsenal classique des théories libérales de la monnaie. Il convoque juste la politique monétaire pour pratiquer des dévaluations compétitives, sans sélectivité, sans cibler les secteurs à aider. Et pour ce faire, il appelle à la sortie de l’euro, vu comme un démon asservissant les peuples. Mais c’est oublier que derrière ce simple instrument qu’est l’euro, il y a des intérêts économiques, de grandes familles, dont font partie les Le Pen. Car en effet, l’euro est un outil, un simple outil, qui permet d’unir et de protéger les économies européennes,  comme de les brider, de justifier des politiques d’austérité. Un outil donc, mais tenu, utilisé, orchestré au service des marchés financiers. Sachant cela, que propose le FN quant à ces marchés, aux intérêts de classe qu’ils portent ? Rien.  Si Marine Le Pen s’en prend, en parole, aux grands capitaux mondialisés, ils restent anonymes et ne sont l’objet d’aucune proposition visant à s’en débarrasser.

Si l’on s’intéresse plus particulièrement  à la thématique de la sortie de l’euro, on entre dans le discours dogmatique, ponctué de chiffres invérifiables. Le programme  du FN admet la possibilité d’une perte de valeur du franc retrouvé par rapport à l’euro, mais en la minorant. En effet, cette perte de valeur est estimée à 9,4 %, ce qui renchérirait mécaniquement le coût de la dette libellée en euros de 100 milliards. Qui seront alors facturés aux Français. Une somme qui représente dix fois ce que rapporte par an la PAC à la France, et qui sera alors facturée aux français ! Cela dans un cadre de réduction des dépenses. Une pression d’ailleurs largement minorée par le FN puisque nombre d’économistes, dont certains favorables à une sortie de l’euro, chiffrent cette perte de valeur à 20 ou 30 %, ce qui multiplie d’autant le renchérissement de la dette ! La question de l’inflation et de l’augmentation des prix à la consommation n’est d’ailleurs même pas posée, mais prouve à elle seule l’étroitesse de vue de cette soi-disant révolution macro-économique. De même, si l’on se place du point de vue de la mise en place de ce programme, la sortie de l’euro, sans remise en cause du système financier et bancaire, sans remise en cause des critères de gestion des richesses créées isolera la France face aux spéculateurs, qui pourront largement se payer sur la bête en jouant des taux de change flexibles réintroduits. Cette situation sera d’ailleurs renforcée par l’objectif de ce parti de pratiquer le dumping monétaire. Dans un contexte international de lutte entre les monnaies,  de montée des places asiatiques, l’éclatement de la zone euro revient à exposer les pays qui la composent à la domination du dollar.

À l’opposé  de cette régression avancée par la droite extrême, il faudrait porter le fer sur la mise en place d’une monnaie commune mondiale, pour faire jouer les solidarités plutôt que le sectarisme monétaire. Face à cela, le Front de Gauche propose le maintien de l’euro mais le changement de ses attributions, de son utilisation, en plaçant la BCE sous le contrôle démocratique du Parlement européen. L’euro n’est ni bon ni mauvais en soi, il n’est qu’un outil puissant qui doit être utilisé pour promouvoir  le mieux vivre en Europe, l’augmentation  des salaires et des niveaux de vie.

Des propositions dangereuses

Toutefois, au-delà des positions classiques du parti d’extrême droite, et au-delà de ce qui pourrait passer pour un programme classique en vue d’une élection présidentielle, le FN avance des propositions économiques dangereuses. Parmi celles-ci, la casse des 35 heures est avancée de manière sournoise. En effet, il n’est pas officiellement question de remettre en cause la loi Aubry mais de laisser libres les négociations entre employeur et employé(e). Une proposition qui revient à nier les accords collectifs, tout comme l’impose la droite avec ses accords compétitivité-emploi  et la loi Warsmann.

Concernant les entreprises, le programme  du FN prévoit par ailleurs de centraliser toutes les informations dans un seul ministère, placé sous la tutelle directe du Premier ministre, de numériser les informations concernant les salariés, les entreprises,  de placer sous contrôle d’une loi de préférence nationale toute embauche. C’est sans commentaire, sauf peut-être qu’on est là devant une ambition digne d’un vrai projet totalitaire.

De même, concernant les droits et la place des femmes, les propositions sont rétrogrades : vantée comme une mesure de réduction du chômage, le programme propose de créer un salaire pour les femmes au foyer, de valoriser le fait de rester cantonnée aux tâches domestiques par la création d’un statut social spécifique. Un nouvel enfermement des femmes qui s’accompagne d’ailleurs d’une volonté nataliste afin de compenser l’arrêt de l’immigration et prévoir les retraites !  Pour ce qui est de la retraite plus précisément, les deux axes sont l’emploi et une démographie « vigoureuse », pas la répartition de la valeur ajoutée. D’ailleurs, s’il prône le maintien de la retraite à 60 ans pour faire bonne figure, ce programme ne met pas en question le nombre d’annuités pour le bénéfice du taux plein et propose même la mise en place d’une retraite à la carte !  Tout comme l’UMP !  Et pour aller jusqu’au bout de l’écœurement, les étrangers n’ayant pas cotisé au moins dix ans en France ou étant rentrés au pays seront privés de retraite.

Enfin, en matière de droits syndicaux et de libertés syndicales, le FN ne réussit pas à masquer sa régression pétainiste. Considérant les syndicats comme illégitimes, le projet avance leur remplacement par des « associations de métiers » sur le modèle des corporations, qui auront toute latitude pour négocier sous domination patronale au niveau des entreprises avec pour objectif affiché le maintien en bonne santé de l’entreprise et de l’économie. Mais pas des travailleurs. Foncièrement réactionnaire, cette vision des relations  sociales dans l’économie et l’entreprise nous ramène au xixe siècle. Elle est clairement une atteinte aux droits des salariés et à leurs intérêts, autant que la négation des organisations syndicats et de la lutte syndicale, sociale, dans et hors de l’entreprise. 

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