Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

Economie et Politique - Revue marxiste d'économie
Accueil
 
 
 
 

La crise européenne au coeur des prochaines élections éléments de conjoncture

Les enjeux mondiaux et européens vont peser lourd dans les campagnes électorales à venir en France. Si le devenir de l’Europe est crucial pour l’avenir du monde, ce qui va se passer en France sera crucial pour l’avenir de l’Europe.

Face à un risque désormais crédible d’implosion de l’euro ou de recomposition de la zone euro, résultant entre autres de l’échec des tentatives capitalistes de surmonter la crise sans changer au fond les orientations de la construction européenne, la gauche a une responsabilité qui va au delà de la sphère nationale.

Christine Lagarde, directrice générale du FMI, a déclaré à Johannesburg (2) : « Nous devons clairement nous préparer à une année 2012 qui ne sera pas un long fleuve tranquille, mais une année d’efforts et de concentration avec une combinaison de problèmes, dont le premier est la crise européenne ». Zone euro, États-Unis, pays émergents… Aucun pays ou presque n’échappe à la révision à la baisse des prévisions de croissance pour 2012 du FMI (3).

L’institution table désormais sur une croissance mondiale de 3,3 % en 2012, contre 4 % lors de ses précédentes prévisions. « La reprise mondiale, qui était faible au départ, menace de caler », a commenté l’économiste en chef du FMI, Olivier Blanchard. Elle risque même de faire machine arrière si la crise s’intensifie en Europe, « le monde pourrait connaître une nouvelle récession ». Et cela, alors même que les cours mondiaux du pétrole, déjà en hausse de 41 % en 2011 pourraient lourdement peser.

Reprise américaine

Depuis la récession de 2008-2009, le PIB américain a connu une reprise plutôt poussive.

Cependant, l’économie poursuit son accélération au quatrième trimestre 2011 (+ 2,8 % en taux trimestriel annualisé), soit le rythme le plus soutenu depuis le deuxième trimestre 2010. Les premières données pour 2012 témoignent de la tenue d’une certaine vigueur. Selon l’enquête ISM, la reprise gagne en ampleur dans l’industrie manufacturière. Il semble bien que le rebond, limité dans un premier temps à l’industrie automobile, soit en train de gagner du terrain.

Les créations d’emplois dans le secteur non agricole ont été de 243 000 en janvier après 203 000 en décembre.

Elles ont été fortes dans l’industrie manufacturière (+50 000), la construction (+21 000) et les services privés (+176 000). Cette progression de l’emploi a conduit à un net recul du taux de chômage : de 8,7 % en novembre à 8,3 % en janvier, point le plus bas depuis février 2009 (4).

Selon des dernières prévisions de la National Association For Business Economies,  la croissance devrait être de l’ordre de 2,4 % en 2012 contre 1,8 % en 2011. Il en faudra cependant plus pour faire baisser le chômage sous la barre des 8 % d’ici la fin 2012 comme le président Obama en a esquissé la promesse.

Deux incertitudes planent sur ce scénario.

La première tient à la crise européenne et à l’euro

La reprise américaine a été tirée, jusqu’ici, principalement par les exportations, même si, depuis le T3 2011, on a pu assister à un certain réveil de la demande intérieure.

Or, le progrès des exportations pourrait désormais se heurter à la récession en Europe et à une correction de la donne dans le rapport €/$. Ces exportations, précisément, ont été considérablement aidées par la faiblesse du dollar qu’a clairement encouragée la politique monétaire non conventionnelle de la FED. Face à un large panier de devises, la valeur du dollar corrigée des prix se situe 10 à 15 % en dessous de sa moyenne de long terme et juste au-dessus de son point bas historique de l’été 2011. C’est ainsi que, fin novembre et par rapport à sa moyenne de long terme, le dollar valait 22 % de moins face à l’euro et 40 % de moins face au yen (5).

En 2011, selon l’agence Bloomberg, la demande des investisseurs pour les bons du Trésor américains n’a jamais été aussi importante depuis 1995. Fin décembre, le Trésor américain a vendu les 30 milliards d’euros de dette dont il avait besoin, à un taux d’intérêt record de 0 %.

Cette situation particulière est due à la conjugaison d’une utilisation massive de la « planche à billets » par la FED pour acheter directement des titres de dette publique américaine et des créances hypothécaires (2 300 milliards de dollars fin 2011) et de la crise européenne qui fait de la dette publique des États-Unis un « refuge » malgré sa dégradation par l’agence de notation Standard & Poor’s.

Tout cela pourrait prendre une configuration beaucoup plus aléatoire si l’austérité budgétaire aux États-Unis devait s’accentuer

On sait, en effet, que la loi actuelle prévoit un très sérieux tour de vis budgétaire au plan fédéral entraînant un resserrement de 2,4 points du PIB, en 2012, à quoi devraient s’ajouter, en 2013, de nouvelles coupes budgétaires à hauteur de 2,6 points de PIB.

Ce tournant, qui ferait retomber les États-Unis en récession, dépend du compromis qui pourra être trouvé par Obama au Congrès  avec les Républicains.

Atterrissage des pays émergents

Un ralentissement est à l’œuvre dans les pays émergents. Engendré, notamment, par un durcissement des politiques monétaires face aux tensions inflationnistes, aux entrées de capitaux non désirées stimulées par la politique monétaire américaine, et à la spéculation, immobilière particulièrement. Mais la récession européenne joue aussi un rôle.

Si on prend le cas de la Chine, par exemple, la croissance du PIB a poursuivi son ralentissement en 2011. Elle devrait passer sous la barre des 9 % en 2012 (9,2 % en 2011), soit la performance la plus modeste depuis mi-2009. Le commerce extérieur, dans un environnement dégradé, devrait y contribuer. La croissance des exportations chinoises  s’est tassée, en liaison avec la baisse des ventes aux pays européens (22 % du total des exportations en 2011) et, dans une moindre mesure, aux États-Unis (17 %). La croissance des importations chinoises devrait moins ralentir que les exportations.

Tout cela fait écho à la volonté des dirigeants chinois d’aller vers un régime de croissance plus centré sur la demande intérieure en liaison, simultanément à l’acceptation d’une appréciation maîtrisée du yuan, avec la perspective de lui faire jouer un rôle international plus important. Ce à quoi d’ailleurs va contribuer un récent accord, entre le Japon et la Chine, d’utilisation de la monnaie nationale de chacun des deux pays pour le commerce bilatéral (6).

Mais ces évolutions  font aussi écho à l’impact sur les exportations chinoises de la concurrence beaucoup plus aiguë des pays asiatiques à coûts salariaux plus faibles et, surtout, à l’impact de la récession européenne. Alors que l’Europe est le premier débouché à l’exportation de la Chine.

Un allongement de la récession européenne et, plus encore, une retombée en récession des États-Unis auraient de fortes répercussions sur les pays émergents,  Inde et

Brésil en tête, alors que, pour l’heure, il est toujours légitime de penser que leur atterrissage devrait se faire en douceur.

L’inquiétude des dirigeants chinois est cependant repérable, puisqu’ils ont consenti, une nouvelle fois, à une forte injection de liquidités pour soutenir le crédit et l’activité (7).

Dans ce contexte, l’Europe apparaît plus que jamais comme « l’homme malade » du monde et celui dont dépend désormais de façon cruciale le devenir de la conjoncture mondiale.

La zone euro en pleine bourrasque

La dégradation de la situation économique, déjà très perceptible à partir de l’été dernier, s’est clairement confirmée dans le courant de l’automne. Des tensions croissantes sont apparues sur le financement des dettes publiques, en Italie notamment. Elles se sont ensuite propagées à tout le système financier européen, malgré l’ampleur prise par les interventions  de la BCE pour alimenter les banques en liquidités. Désormais, elles affectent l’économie réelle avec, en écho à la multiplication des plans d’austérité budgétaire, le durcissement des conditions de crédit des banques aux entreprises et aux ménages.

Comme l’anticipe l’INSEE dans sa dernière note de conjoncture, la zone euro traverserait cet hiver un épisode récessif, d’intensité variable selon les pays. Cela creuserait encore plus les dissymétries entre pays d’Europe du Nord et pays d’Europe du Sud.

Déjà, le PIB de la zone devrait se contracter de 0,4 % environ au T4 2011 et cette contraction se poursuivrait au T1 2012, avant que ne s’enclenche une très faible croissance.

Après sa chute de septembre, la production industrielle s’est juste stabilisée en octobre : le choc violent sur l’activité du mois de septembre devrait conduire à une contraction au T4 2011, de l’ordre de 0,4 % pour l’ensemble de la zone euro. Cette récession quasi générale est particulièrement forte en Italie. Elle devrait s’amplifier au T1 2012, notamment en Espagne où l’indice d’activité a plongé dans les services.

Ce qui est le plus préoccupant dans la situation de la zone euro, c’est le chômage. Il a atteint un niveau record en janvier. Le taux de chômage de la zone s’est établi à 10,7 % de la population active, ce qui fait 16,92 millions de personnes privées d’emploi, soit 185 000 de plus que le mois précédent. De plus, les données des quatre mois précédents ont été révisées à la hausse.

Ainsi, en décembre 2011, le taux de chômage s’est élevé à 10,6 % et non à 10,4 % comme initialement annoncé. Au total, la zone euro compte désormais 1,221 million de personnes en plus au chômage qu’il y a un an. Mais cela va des taux relativement bas des pays de l’ancienne zone mark (Autriche : 4,0 % ; Luxembourg : 5,1 % ; Pays-Bas : 5,0 % ; Allemagne : 5,8 %) aux taux très élevés des pays d’Europe du Sud (Espagne : 23,3 % ; Grèce : 19,9 % ; Irlande et Portugal : 14,8 % en passant par la France à 10 %). Et cela, sans parler des pays d’Europe de l’Est.

Les mesures prises par la BCE à la fin de 2011, rééditées en février 2012, ont permis d’empêcher un effondrement du crédit dont le risque était clairement perceptible à la fin de l’an dernier. La croissance des crédits au secteur privé a fortement diminué en décembre 2011 à 1 % en glissement annuel, après avoir atteint 1,7 % (en glissement annuel) en novembre, son plus bas niveau depuis juillet 2010.

En décembre 2011, la BCE a décidé de lancer des opérations de refinancement  spécial à 3 ans (LTRO) assorties d’un taux de 1 % à l’intention de 523 banques pour un montant de 489 milliards € (montant sans précédent).

Dans un premier temps les banques se sont empressées de déposer auprès de la BCE ces liquidités  à un taux moindre (0,25 %), préférant ce placement sûr aux aléas des prêts interbancaires, du crédit aux entreprises ou de l’achat de titres de dettes publiques. Aussi, les conditions sont loin d’être revenues à la normale, les banques anticipant un nouveau resserrement des critères d’octroi des crédits au premier trimestre 2012.

La BCE a donc décidé de rééditer son opération de décembre. Fin février, 800 banques se sont présentées à son guichet pour se faire allouer une enveloppe de 528 milliards d’euros de prêt à 1 % sur 3 ans. Cela a porté à 1000 milliards d’euros le montant des liquidités que la BCE a injecté dans le système bancaire de la zone euro. Ce montant tout à fait considérable représente 72 % du total des obligations bancaires arrivant à échéance en 2012-2013. Autrement dit, ces deux opérations sans précédent de la BCE ont permis de procurer aux banques européennes des liquidités nécessaires pour faire face à leurs obligations de ratios prudentiels jusqu’en 2014.

Les responsables de la zone euro se sont réunis les 1er et 2 mars à Bruxelles pour adopter le deuxième « plan d’aide » à la Grèce. Celui-ci devrait être finalisé le 9 mars et comprendre une aide publique de 130 milliards d’euros et un effacement partiel de la dette de la part de ces banques créancières à hauteur de 107 milliards d’euros, auxquels devraient s’ajouter 35 milliards d’euros du premier programme décidé en mai 2010.

Les contreparties  exigées du peuple grec accentuent la surenchère dans l’austérité sociale et salariale. Les coupes budgétaires exigées impliquent une baisse de 20 % des dépenses d’ici 2013 avec, à la clé, la suppression de 15 000 postes de fonctionnaires. Le salaire minimum doit être réduit de 22 % et une baisse massive des pensions de retraite est programmée. Les syndicats dénoncent ce « tombeau de la société » imposé par Merkel et Sarkozy.

Ces décisions interviennent alors même que l’indice des directeurs d’achat PMI établi par l’agence Markit pour la Grèce, au 1er mars 2011, indique qu’en février la production industrielle de ce pays a connu sa plus forte chute mensuelle depuis 13 ans. Il s’agit du trentième mois consécutif de repli pour cet indice PMI. Selon les estimations  disponibles,  la Grèce, qui a perdu 10 % de son PIB de 2008 à 2011, devrait à nouveau en perdre 5 % en 2012. Du coup, le rapport dette/PIB continue de se dégrader, passant de 128 % en 2008 à plus de 160 % en 2011, alors même que ces politiques imposées sont censées le faire reculer.

Les gigantesques injections de liquidités par la BCE au taux uniforme de 1 % sans aucun changement des critères et de la sélectivité des crédits bancaires, ont certes contribué à apaiser les tensions, mais sans rien changer aux antagonismes de la crise des dettes publiques en Europe. Il en est attendu que les banques reprennent leurs activités de prêts aux États avec, à la clé, une détente des taux d’intérêt susceptible de mettre fin à la récession. En réalité, les États les plus fragiles continuent de rationner comme jamais leurs dépenses, cassant le service public et freinant la croissance, la BCE se refusant mordicus à jouer à leur intention un rôle de prêteur en dernier ressort. Aussi, les dissymétries et oppositions continuent-elles de se creuser au sein de la zone euro avec, pour l’Allemagne et elle seule, la perspective d’un possible rebond de l’activité après la contraction du quatrième trimestre 2011.

 En Grèce la situation politique et financière va de mal en pis sur fond d’accentuation d’une récession déjà considérable.

Un nouveau « plan de sauvetage »  de la Grèce a été adopté en février dernier qui oblige les Grecs à une cure d’austérité sans précédent, en échange d’une « aide » de 273 milliards d’euros. Détenteurs de 200 milliards d’euros de dette grecque, les créanciers privés (banques, compagnies d’assurances, fonds) ont accepté d’effacer 107 milliards d’euros de dettes. Cela allégera certes les besoins de financement de la Grèce jusqu’en 2014. Toutefois, si le pays ne devrait pas manquer de liquidités à moyen terme, cela ne le rend pas solvable pour autant à plus long terme. La dette grecque restera très élevée : elle demeurera de l’ordre de 120 % de la richesse nationale en 2020 au minimum. En fait, tout indique que la Grèce devra probablement en passer par un troisième « plan d’aide », au-delà de 2015.

 En Espagne, après la formidable défaite de Zapatero, on assiste à une nouvelle accentuation de la politique d’austérité, alors que l’activité se contracte sensiblement. 2012 sera une année de récession, avec un recul de 0,9 % au moins du PIB, alors que 50 % des jeunes sont au chômage dans ce pays qui compte au total, plus de 5,3 millions de chômeurs officiels, le quatrième trimestre 2011 ayant marqué une forte hausse du taux de chômage à 22,8 % contre 21,5 % au trimestre précédent (224 000 chômeurs de plus).

Le nouveau ministre de l’Économie a annoncé en effet que le déficit public de 2011 s’établirait autour de 8 % du PIB, au lieu des 6 % visés. Le dérapage serait donc de plus de 20 milliards d’euros en 2011, alors même que la cible pour 2012 demeure fixée à 4,4 % du PIB, ce qui implique un ajustement de l’ordre de 4 points de PIB.

Cependant, le Premier ministre, Mariano Rajoy, avait créé la surprise, le 2 mars dernier, en marge du Conseil européen, en déclarant que l’Espagne bâtirait son budget 2012 avec un objectif de déficit de 5,8 % du produit intérieur brut, alors que celui convenu avec l’Union européenne était de 4,4 %, pour parvenir à 3 % de déficit sur PIB en 2013.

La réaction des marchés ne s’est pas fait attendre. À la suite de ce propos, le coût d’emprunt  de l’Espagne à 10 ans a bondi à près de 5 % dépassant, pour la première fois depuis des mois, celui de l’Italie. Gardienne du futur « pacte budgétaire », la Commission européenne a condamné un « grave dérapage », brandi la menace de sanctions financières et dépêché des experts à Madrid pour évaluer la situation budgétaire du pays. L’an dernier, le déficit public espagnol s’est envolé plus que prévu pour atteindre 8,51 % du PIB, fin 2011.

Se dessine ainsi en Espagne, plus qu’ailleurs désormais, une spirale infernale où la récession accentue le déficit cyclique que l’on prétend combattre par de nouveaux tours de vis budgétaire,  lesquels accroissent les facteurs récessifs, le tout sous la pression des marchés.

Cette spirale dépressive risque d’être d’autant plus prononcée que la demande des principaux partenaires commerciaux de l’Espagne (France, Italie, Royaume-Uni) sera très insuffisante cette année.

 En Allemagne, par contre, les conditions ont été jusqu’ici différentes, mais elles sont aussi en voie de détérioration désormais.

L’activité a légèrement accéléré au T3 2011, à +0,5 % après +0,3 %, et tous les postes de la demande ont soutenu la croissance. En particulier, après une baisse marquée au T2 2011, la consommation des ménages a rebondi, l’emploi a continué d’augmenter dans le sillage de la croissance. Le marché du travail s’est même tendu, faisant craindre des pénuries de main-d’œuvre dans certains secteurs.

Au total, l’an dernier, le nombre de demandeurs d’emploi outre-Rhin a atteint 2,976 millions en moyenne, son meilleur niveau depuis 1991, en recul de 263 000 par rapport à 2010. (Bien sûr cela résulte aussi des déréglementations engendrées par la mise en œuvre des préconisations du Rapport Hartz II avec la multiplication des emplois à temps partiel).

Le PIB s’est contracté au T4 2011 (-0,2 %) par rapport au précédent. Cette première baisse depuis le T1 2009 est due essentiellement à la crise de la dette publique en zone euro vers laquelle sont destinées près de 40 % des exportations allemandes.

Au total, selon l’institut de recherche berlinois DIW, après une progression de son PIB de 3,6 % en 2010 et de 3,1 % l’an dernier, l’Allemagne ne réaliserait que 0,6 % cette année. De fait, les indicateurs d’activité (IFO, PMI) ont emprunté une orientation haussière dès la fin de l’année 2011. L’indice du climat des affaires tiré de l’enquête IFO a enregistré en janvier une troisième hausse consécutive (108,3 après 107,3 en décembre). Pour autant l’activité devrait rester hésitante au cours des prochains mois en liaison avec la faiblesse de l’activité en zone euro.

Est-ce que cela aura un effet sur le marché des dettes publiques ? On sait que l’Allemagne y bénéficie depuis l’été d’un fort effet de « fuite vers la qualité » et continue, ainsi, de pouvoir se financer à des taux particulièrement bas. Tout dépendra, sans doute, de l’intensité et de la longueur de la récession européenne.

 En France, l’activité a subi un coup de froid à partir du T4 2011.

Au T4 2011, le PIB en volume a crû de 0,2 % (+0,3 % au T3). En moyenne annuelle, la croissance aura été de 1,7 % en 2011, après +1,4 % en 2010.

La hausse surprise du PIB au T4 2011 contredit le signal récessif des enquêtes. Cette faible croissance apparaît cependant relativement robuste, avec une contribution de la demande intérieure finale de 0,3 point, soutenue par la consommation (+0,2 %) et l’investissement (+0,9 %) ainsi que les exportations (+1,2 %).

Ce chiffre du PIB masque cependant une évolution défavorable de la conjoncture au cours du trimestre. L’activité d’ensemble  (consommation + production + commandes + exportations) a accusé le coup en décembre. Le recul de la production industrielle en décembre est également prononcé (-1,4 %) et entraîne, pour la première fois depuis décembre 2009, la production en dessous de zéro (-1,3 % sur un an). Sur l’ensemble du T4 2011, la production industrielle a accusé un repli de 0,8 % et la production manufacturière de 0,5 %.

La récession de la zone euro pèse lourdement sur les exportations de la France. Au T4 2011, la demande étrangère adressée à la France, qui a reculé de 0,4 % après avoir progressé de 1 % au T3 2011, pourrait avoir ralenti plus nettement que le commerce international (0,0 % après +0,9 % au T 2011).

Il faut relever ici que cette dépendance croissante de l’activité interne au commerce extérieur se développe, dans la faible conjoncture actuelle, alors même que le mouvement de baisse de la part de marchés à l’exportation de l’économie française se serait poursuivi en 2011 (8). Dans les exportations  totales de la zone euro, la part des exportations françaises aurait reculé de 16,8 % à 12,6 % entre 1990 et 2011 et ce recul serait général.

Cela s’est accompagné  d’un nouvel accroissement du déficit de nos échanges extérieurs qui a atteint près de 70 milliards d’euros (69,6) en 2011, contre 51,44 milliards d’euros en 2010 et 44,2 milliards d’euros en 2009. Il faut souligner le poids pris par le déficit des échanges industriels qui se chiffre en 2011 à près de 40 milliards d’euros (1,5 % du PIB), alors même que ce solde était encore excédentaire de 0,7 % du PIB en 2000. Le taux de couverture des importations de produits industriels par les exportations  a chuté à 92,6 % en 2011. Il était de 103,5 % en 2000 ! Cette évolution a marché de pair avec un recul tendanciel de la valeur ajoutée industrielle créée en France relativement à celle de la zone euro.

L’avenir va beaucoup dépendre de la demande extérieure adressée à la France, mais aussi des conditions du crédit bancaire. Or, la crainte d’une raréfaction se matérialise : les encours des crédits aux entreprises se sont élevés à 1068,5 milliards d’euros en novembre selon la Banque de France. Cela ne correspond qu’à une croissance de 3,7 %, soit la plus faible depuis février 2011.

1. les PME sont particulièrement touchées :

Les encours de crédit y ont augmenté de 3,3 % sur un an, l’accélération dans les PME de groupe compensant le tassement dans les PME indépendantes. Il s’agit là de la progression la plus médiocre en 14 mois. Pour mémoire, ils avaient crû de 4 % sur 1 an en octobre et de 4,5 % en septembre.

2. l’industrie manufacturière pénalisée :

Si, en novembre, le taux de croissance demeure élevé pour les activités immobilières (+6,7 % sur un an), les crédits mobilisés ne cessent de se contracter dans l’industrie manufacturière : -1,9 % de novembre 2010 à novembre 2011. Ce recul concerne surtout les crédits à moyen et long terme, les crédits à court terme marquant une croissance de 4 % de leurs encours de novembre 2010 à novembre 2011.

Un sondage de l’association française des trésoriers d’entreprise souligne combien les PME sont frappées par le rationnement bancaire (9). Les principales victimes sont celles dont le chiffre d’affaires est inférieur à 500 millions d’euros. Plus du quart (26 %) d’entre elles ont vu leurs lignes de crédit existantes réduites, ou carrément annulées pour 20 %. Et les banques  sont plus exigeantes pour accorder de nouvelles lignes de prêts.

Bien sûr, cette contraction du crédit renvoie à la crise des dettes publiques européennes et à la façon dont leur traitement impacte la conjoncture de la zone euro.

Dans ces conditions,  tout va dépendre  de la longueur de la récession européenne.  Le pari qui prédomine est celui d’un rebond de l’Allemagne, anticipé pour l’été prochain, et qui pourrait (DIW) atteindre un rythme de 2,2 % en 2013, ce qui contribuerait à redresser légèrement, dès le premier semestre 2011, la demande étrangère adressée à la France.

Une dégradation sensible du marché du travail

La barre symbolique des 3 millions de privés d’emploi de catégorie A se rapproche à grands pas. Ils étaient 2,875 millions officiellement enregistrés en décembre 2011.

Le taux de chômage (9,3 % au T3 2011) frôle les 10 % (9,9 % au 31/12), en hausse de 0,3 point en 4 mois. Le T4 s’est soldé par 32 000 destructions nettes d’emplois dans le secteur marchand (10), première baisse depuis 2009. Ce tassement est dû, essentiellement, à l’intérim qui constitue la variable d’ajustement en cas de retournement de l’activité.

Cela devrait peser sur la consommation des ménages, les salaires réels demeurant hyper-contraints. Au S1 2012, les gains de pouvoir d’achat des salaires seraient nuls ; par contre, le taux d’épargne des ménages, qui a atteint 17,1 % au deuxième trimestre 2011, se maintiendrait à ce très haut niveau.

La croissance de la consommation des ménages serait donc très faible d’ici la mi-2012 avec +0,1 % par trimestre seulement. Dans ce contexte, l’investissement des entreprises continuerait de reculer : T3 2011 : -0,3 % ; T4 2011 : -0,5 % ; T1 2012 : -0,6 % ; T2 2012 : 0,1 %.

Bien sûr, ces prévisions sont grevées d’aléas, principalement à la baisse. Les finances publiques françaises sont désormais sous étroite surveillance, comme en atteste, le 13 janvier dernier, la dégradation du AAA par l’agence S & P à AA + (assorti d’une perspective négative) et la mise sous perspective négative par Moody’s de ce même AAA, un mois plus tard.

Tout cela nous renvoie, au total, l’image d’une conjoncture mondiale très difficile pour la zone euro en 2012. L’OCDE table sur une croissance de 0,2 % en 2012, la BCE parie sur 0,3 %, tandis que la Commission européenne prévoit +0,5 %, comme le consensus des analystes compilés par l’agence Bloomberg. L’Institut de finance internationale (IFII), qui regroupe les principales banques de la planète, voit, lui, une zone euro en franche récession cette année : l’économie s’y contracterait de 1 % après avoir connu une croissance de 1,5 % en 2011.

Quel que soit le scénario, on peut penser qu’il sera dominé par un contexte de concurrence exacerbée, à deux titres au moins :

 La concurrence sur les marchés financiers pour couvrir les besoins de financement public à moyen et long terme.

Selon les analystes d’Oddo Securities, pour le seul S1 2012, les besoins de financement des États de la zone euro (hormis les billets du Trésor qui sont des obligations à court terme) atteindraient 217 milliards d’euros.

L’Italie notamment devrait passer une échéance très difficile en février et mars où elle devra lever 80 milliards d’euros. Au total, elle devra emprunter l’équivalent de 24 % de son PIB.

Cela intervient à un moment où les banques  se portent, désormais, difficilement comme acheteurs de dette publique de la zone euro.

En 2012, les États de la zone euro vont devoir lever de 8 à 900 milliards d’euros simultanément, le Royaume-Uni devrait emprunter 300 milliards d’euros, tandis que les États-Unis devraient lever plus de 2 400 milliards € en 2012.

Parallèlement, les banques européennes devraient, elles aussi, refinancer leurs emprunts, avec des estimations pour l’année 2012 allant de 300 à 800 milliards d’euros, tandis qu’en écho au durcissement de la réglementation prudentielle, elles devront se procurer quelque 115 milliards € de fonds propres d’ici le 30 juin 2012.

Et cela, bien évidemment, sans compter les besoins propres des grandes entreprises à un moment où le robinet du crédit se resserre.

Bref, le contexte est favorable à un resserrement de l’étau des marchés qui pourraient exiger des États les plus fragiles des rendements  croissants au risque de renchérir encore le coût de leur dette.

 La concurrence sur les marchés de produits et de services face au ralentissement de la demande solvable

La pression déterminante  devrait venir des États-Unis eux-mêmes. Après le demi-échec des tentatives de réponse à la récession depuis trois ans, la priorité est désormais à ce qui est présenté comme une relance de la demande de travail par la baisse des cotisations sociales.

Cela étant, le pari des dirigeants actuels semble être le suivant :

– la demande intérieure resterait relativement dynamique aux États-Unis et au Japon début 2012 ;

– les tensions inflationnistes  s’estomperaient dans les pays émergents qui, confrontés à l’affaiblissement de la demande dans la zone euro, choisiraient alors de mobiliser les marges de manœuvre budgétaires et monétaires dont ils disposent pour stimuler leur demande intérieure ;

– de ce fait, le commerce mondial accélérerait sensiblement au premier semestre 2012 ;

– en zone euro, les moteurs internes de la croissance resteraient faibles au premier semestre 2012.

Néanmoins, comme le postule l’INSEE, « la résilience de l’activité aux États-Unis et au Japon et le rebond dans les pays émergents soutiendraient quelque peu la demande externe » (11).


En sorte que la croissance du PIB passerait de -0,2 % au quatrième trimestre 2011, à -0,1 % au premier trimestre 2012 puis 0,0 % au deuxième trimestre 2012, avec une stabilisation de l’Allemagne dès le premier trimestre 2012. L’activité continuerait à se dégrader sur l’ensemble du premier semestre 2012 en Italie et en Espagne et, en entre-deux, la France actuellement, sans doute, en récession.

Ce scénario postule, donc, que l’on pourrait passer à travers les gouttes sans rien avoir à changer sur le fond aux pratiques et aux comportements actuels. 

(1) Dans une dépêche du 8 janvier, l’agence Xinhua (Chine nouvelle) soulignait que « L’effondrement de l’euro ne serait dans l’intérêt de personne […] les États-Unis et les autres partenaires commerciaux de l’UE, auraient […] tout à perdre dans une tel effondrement […] l’abandon de l’euro, qui représente la seconde devise de réserve au monde, renforcerait la dépendance mondiale par rapport au dollar, retardant encore davantage le passage à un système multipolaire de réserves de devises ».

(2) lemonde. fr, 06.01.2012.

(3) FMI : « La reprise mondiale marque le pas et les risques baissiers s’intensifient »,  Perspectives de l’économie mondiale, 24 janvier 2012.

(4) BNP Paribas, Éco Perspective, février 2012. (5) BNP Paribas, ibid., février 2012.

(6) Le 25 décembre 2011, la Chine a signé avec le Japon un pacte prévoyant l’utilisation directe du yuan et du yen entre les deuxième et troisième économies mondiales, afin de « réduire le risque de change et les coûts de transaction », selon Pékin (Le Monde, 29.12.2011). (7) La banque centrale chinoise a injecté des liquidités pour un montant non déterminé dans le système bancaire à travers une opération  repo  (prise  en  pension  livrée)  afin  de  soutenir  l’économie, a rapporté vendredi l’agence financière Dow Jones. Par cette  opération, également appelée accord de rachat, la banque centrale achète des titres détenus par les banques commerciales. Au bout de 14 jours, celles-ci rachètent ces titres en versant à la banque centrale un taux d’intérêt de 5,50 %, selon Dow Jones. Il ne s’agit pas d’une opération de routine hebdomadaire comme la banque centrale en effectue régulièrement sur le marché monétaire mais d’une  réponse  à  la  baisse  des  pressions  inflationnistes,  précise l’agence financière. Cette opération permet aux banques d’accorder  plus de prêts aux entreprises pour soutenir l’activité. Une opérationvsimilaire avait eu lieu juste avant le Nouvel an chinois, qui tombait cette année le 23 janvier, pour répondre aux dépenses des ménages et des entreprises durant cette période de fêtes.

(8) Coe-Rexecode, « La compétitivité française en 2011 », Document de travail, n° 28, janvier 2012.

(9) LEntreprise. com, 06/01/201.

(10) Estimation préliminaire de l’INSEE.

(11) INSEE, « La zone euro marque le pas », Note de conjoncture, décembre 2011.

Il y a actuellement 0 réactions

Vous devez vous identifier ou créer un compte pour écrire des commentaires.