Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Hollande : cris de gauche et chuchotements de droite

Les éléments de propositions  avancées par F. Hollande au Bourget témoignent d’une double volonté contradictoire. D’une part, afficher une posture de gauche avec la mise en avant, clairement repérable, de marqueurs de gauche, sur l’argent notamment, en écho à l’aggravation de la crise et à l’exacerbation des attentes sociales et démocratiques de l’électorat de gauche. Il s’agit, ce faisant, pour le candidat PS de se différencier beaucoup plus de Sarkozy et d’apparaître vraiment comme le candidat du « vote utile » face au risque Le Pen. D’autre part, tenir des engagements et une logique sur les financements (en liaison notamment avec l’Europe) qui s’opposent, en réalité, au déploiement d’une nouvelle ambition de transformation à gauche, crédible et susceptible de faire le poids. Cela conduit, en pratique, à la visée d’objectifs sociaux et démocratiques qui ne sont guère à la hauteur.

C’est dans cette contradiction qu’il s’agit de bagarrer, non pas en tapant comme un sourd sur Hollande et le PS, pas plus en adoptant la posture d’un « Monsieur plus », mais en mettant en avant les propositions concrètes et cohérentes qui donnent à voir comment dépasser cette contradiction entre les intentions sociales et démocratiques proclamées et les moyens financiers de les tenir.

I. L’ordre des priorités et le calendrier des engagements

F. Hollande ne rappelle pas qu’il s’est prononcé pour respecter l’engagement pris par Sarkozy d’un retour du déficit public de la France à 3 % de son PIB dès 2013. Mais il confirme comme « incontournable » son engagement de revenir à l’équilibre des comptes publics (déficit/PIB à 0 %) en 2017 !

Simultanément, assurant qu’il ne promettra « que ce qu’il sera capable de tenir », il annonce des « réformes de structures » pour le début du quinquennat et « c’est ensuite que nous pourrons redistribuer ce que nous aurons créé ».

On peut comprendre, dans ces conditions, pourquoi ses propositions du Bourget ne disent pas un mot à propos des salaires et de la reconnaissance des qualifications, à propos du SMIC et des minimas sociaux, à propos aussi du recul du chômage.

De même, on voit à quelle cohérence renvoie la contradiction entre l’affichage d’une claire volonté de défendre le service public, en paroles, et le choix de gager toutes dépenses nouvelles sur des économies d’autres dépenses, de même que le refus d’augmenter le nombre d’emplois dans la Fonction publique.

De plus, un tel « timing » suggère  de grandes illusions des dirigeants socialistes à propos du devenir de la conjoncture européenne et mondiale.

II. Un sujet devenu incontournable : la réforme bancaire

F. Hollande parle de la finance comme de « son ennemi ». Il tient compte de l’aggravation de la situation, de la montée des protestations par rapport aux banques qui sont tellement aidées et continuent de tellement gâcher.

C’est nouveau car, traditionnellement, le PS limite la question des financements, et des marges de manœuvre mobilisables en ce domaine, à la seule fiscalité. Une réforme bancaire serait entreprise dès avant les élections législatives. C’est dire le poids politique acquis par cet enjeu désormais.

Mais toutes les propositions avancées ne visent en rien à modifier les critères du crédit. Pour l’essentiel il s’agit de « réguler la finance » comme en a fait le commentaire de P. Lamy. Et, quand il s’agit d’aborder l’enjeu d’une réorientation des financements, c’est pour soutenir l’investissement réel indépendamment de ses contenus et effets en emplois, qualifications, salaires.

Or aujourd’hui, avec les technologies informationnelles, sans nouveaux critères d’attribution, le financement de l’investissement réel, fut-il par le crédit bancaire plutôt que par le marché financier, se fait largement contre l’emploi.

1. La séparation des activités de crédit et d’investissement des banques

C’est bien dans l’air du temps, dans la foulée des préconisations du rapport Vickers en Angleterre. Il s’agit de prendre à rebours une évolution née en France en 1967, qui a atteint son point culminant avec la réforme bancaire de J. Delors de 1983 mettant en cause cette séparation avec la création des « banques universelles ».

Cela a facilité le déport des banques vers les activités de marché financier au détriment du financement de la croissance réelle en leur permettant de se sécuriser grace aux dépôts des salariés et de leurs familles.

Il ne s’agit pas d’une révolution, même si cela peut être vu comme un début d’auto-critique de ce qui a été fait par la gauche au profit du marché financier.

Mais cela revient à consacrer  l’existence de banques de marché financier et, surtout, à ne viser qu’une limitation de la spéculation, alors qu’il faudrait faire reculer l’appel au marché financier par la promotion d’un nouveau crédit bancaire.

Bien sûr, il est nullement question de parler ici d’appropriation sociale, de contrôle social, ou même de « mise sous tutelle » des banques (Montebourg). Surtout on laisse inchangés les critères du crédit et les relations banques-entreprises. Or, c’est là l’essentiel.

2. Une banque publique d’investissement

Elle serait le bras financier d’une politique de réindustrialisation, intronisée comme priorité, en visant particulièrement les PME et en cherchant à orienter l’épargne populaire vers ce secteur...

C’est là une vieille préconisation  du PS avec laquelle Sarkozy cherche à rivaliser. Il ne s’agit, en aucun cas, de créer un pôle financier public permettant l’essor d’un nouveau crédit bancaire pour l’investissement des entreprises.

Il s’agit, au contraire, de financer l’investissement industriel indépendamment de son contenu et de ses effets sur l’emploi et les masses salariales. Bref, il s’agit de soutenir l’accumulation de capital dans l’industrie ; ce qui, sans critères nouveaux d’attribution, se ferait au détriment de l’emploi et de la part des salaires dans la richesse réelle produite.

D’où l’enjeu de mettre en avant nos propositions pour des Fonds publics régionaux et un pôle financier public visant à développer un nouveau crédit sélectif pour l’investissement matériel et de recherche des entreprises. Son taux serait d’autant plus abaissé, jusqu’à être nul, voire négatif, que l’investissement ainsi financé programmerait plus d’emplois et de formations correctement rémunérés.

3. Stock options, taxe sur les transactions financières…

S’agissant des stock options, la mesure est, avant tout, symbolique, car le gros de cette pratique est désormais derrière nous.

Quant à la taxe sur les transactions  financières, tout le monde en défend aujourd’hui, plus ou moins démagogiquement, le principe. Y compris  Mme  Le Pen qui indique, elle, que les recettes de cette nouvelle taxe devraient servir à financer les baisses de cotisations patronales pour la compétitivité des entreprises.

Il faut rappeler que pour J. Tobin, le père de cette idée, cette taxe devait avant tout servir à une meilleure maîtrise de la politique monétaire de la Banque centrale.

4. BCE : des intentions contredites par le maintien d’obsessions et de dogmes ultra-libéraux

F. Hollande est obligé de sortir du mutisme qu’entretient le PS depuis le traité de Maastricht, sur la BCE. Il suggère, en l’espèce, que celle-ci doit pouvoir intervenir plus contre la spéculation, limitant encore ici l’ambition à une seule option de « régulation ».

C’est  nouveau et c’est  beaucoup mieux que rien… Mais d’une certaine façon, la BCE fait déjà cela en rachetant des titres de dette publique aux banques et en leur injectant d’énormes masses de liquidités à 1 %. Et on voit ce que cela donne !

En fait, pour l’heure, F. Hollande ne dit rien sur la politique monétaire de la BCE dont, à l’évidence, il entend respecter « l’indépendance », laissant en jachère la question si cruciale du refinancement des banques et de sa sélectivité favorable ou non à l’emploi et à la croissance réelle.

Il ne dit surtout rien de la nécessité de rompre avec les dogmes de Maastricht et Lisbonne interdisant à la BCE de créer de la monnaie pour soutenir les dépenses publiques nationales et casser vraiment la spéculation par monétisation d’une partie des dettes publiques.

Le refus de rompre  avec ces dogmes est cohérent  avec le silence sur les pactes de stabilité et de l’euro plus, mais aussi avec l’obsession primordiale de baisser les déficits et dettes publics comme avec le refus de changer les critères du crédit bancaire.

Cela, cependant, ouvre une brèche pour le débat à gauche sur nos propositions :

− Moduler le refinancement des banques ordinaires par la BCE pour que soient d’autant plus encouragés les crédits pour les investissements des entreprises que ces crédits programment plus d’emplois et de formations correctement rémunérés.

− Mobiliser le pouvoir de création monétaire de la BCE pour une monétisation de dettes publiques et pour financer un très grand essor des services publics nationaux et de leurs coopérations via un «  Fonds social, solidaire et écologique de développement européen »  (proposition reprise dans le programme populaire et partagé du FG).

Quels rapports entre la France, l’Allemagne et les pays d’Europe du Sud ?

F. Hollande annonce qu’il renégocierait le traité intergouvernemental dont le projet a été mis au point par Merkel et Sarkozy et adopté par le sommet européen des 8 et 9 décembre dernier. Mais il ne met pas en cause les pactes de stabilité et de l’euro plus.

Il annonce sa volonté d’aller vers un nouveau pacte francoallemand se rapprochant de ce qui avait été recherché avec le traité de l’Elysée (1963) qui était un traité bilatéral.

Certes, cela peut signifier qu’il s’agirait de rechercher une relation plus équilibrée avec l’Allemagne, alors même que Sarkozy a capitulé en rase campagne… Mais quid du rapport aux pays d’Europe du Sud ? Et comment viser une relation équilibrée avec l’Allemagne si on ne bouscule pas l’orientation de la BCE ?

Emplois, délocalisations, logements

Il est fort peu question, en pratique, de l’emploi dans le discours du Bourget. Aucun engagement n’est pris sur le chômage, alors que, naguère, le PS parlait de « retour au plein emploi » soit à un taux de chômage de 5-6 %.

De même, il n’est plus question de « flexisécurité » thème porté en 2007 par S. Royal et N. Sarkozy, et que demande à mettre en œuvre dans chaque pays le pacte de l’euro plus.

Par contre, une part importante des propositions concerne le logement, social notamment, et son financement. F. Hollande promet « un plan de grands travaux dans un million  de logements » pour améliorer l’isolation des bâtiments, qui devrait, selon lui, créer « des dizaines de milliers d’emplois »… Si un tel plan n’est pas assorti de conditions explicites et chiffrées en matière d’emplois, de formations et de rémunérations, avec, pour cela, un financement incitatif (le crédit), les emplois créés seront beaucoup moins nombreux que cela n’est dit et risquent d’être très précaires.

Attention à ce que « les grands travaux » ne servent pas à multiplier  les « petits boulots » !

F. Hollande ne s’est pas engagé, au Bourget, sur un objectif chiffré concernant le logement social. Sa proposition de mise à disposition gratuite des terrains appartenant à l’état pour les collectivités locales doit être sérieusement évaluée, y compris pour mesurer en quoi elle se différencie de ce qu’a fait le gouvernement actuel en la matière. En effet, depuis 2006, un programme de cession de terrains de l’état pour le logement est en œuvre, d’abord expérimental jusqu’en 2008.

En matière de financement, la grande mesure annoncée est celle d’un déplafonnement du Livret A dont il faut rappeler que, désormais, il est offert par tous les réseaux bancaires.

Ce déplafonnement toucherait peu de détenteurs de Livret A mais pourrait représenter des sommes importantes. Actuellement, le plafond légal du livret A est de 15 300 euros (défiscalisés) ; F. Hollande propose de le porter à 30 600 euros. Fin 2010, sur les 59,5 millions de Livrets A ouverts, seuls 9 % avaient atteint le plafond de 15 300 euros et, à l’inverse, 47 % des livrets comptaient moins de 150 euros (rapport annuel de l’Observatoire de l’épargne réglementée).

Si les Livrets A « pleins » ne sont pas très nombreux, ils représentent 40 % de l’encours total, soit environ 77,4 milliards d’euros, selon l’OER.

On sait que 65 % du montant total des Livrets A (193,5 milliards d’euros fin 2010) sont centralisés à la Caisse des dépôts et orientés en partie vers la construction et la rénovation de logement social, via des prêts de longue durée aux organismes de HLM.

Mais rien n’est dit sur le statut de la CDC, ses missions, ses critères, son contrôle démocratique. Une grande partie des sommes collectées par cette institution va en fait au marché financier. C’est dire l’importance d’en faire la tête de pont d’un pôle financier public entraînant vers de nouveaux comportements tout le système bancaire.

III. Fiscalité, protection sociale, compétitivité et baisse du coût du travail

F. Hollande n’exprime aucune intention de mettre en cause le système de baisse des cotisations sociales patronales. Il confirme, au contraire, son développement avec les « contrats de génération » qui comporteraient une double exonération de « charges » (pour le « senior » et pour le jeune embauché). On mesure que continue de prédominer ici l’idée que pour rendre compatible l’emploi avec les exigences de compétitivité des entreprises, il faut baisser le coût du travail.

Le silence sur le financement de la protection sociale en est d’autant plus problématique. On sait que F. Hollande et le PS veulent basculer d’un financement mutualisé à partir des entreprises, via des cotisations calculées sur la base des salaires versés, vers un financement par l’impôt (fiscalisation) avec, à terme, une fusion de l’IR et de la CSG.

Mais le candidat socialiste a été cependant contraint  de mettre la pédale douce sur ce projet.  C’est dire s’il faut relancer nos propositions concernant  le financement de la protection  sociale (cotisations des revenus financiers des entreprises et des banques au même taux que les salaires et réforme du calcul du taux de la cotisation sociale patronale).

Mais avec une telle faiblesse des idées alternatives sur ce chapitre du financement de la protection sociale, on comprend pourquoi, concernant la retraite, F. Hollande refuse de bouger s’agissant de la durée de 41 années de cotisations pour le droit de partir à 60 ans…

F. Hollande focalise le débat de réforme fiscale sur l’IR, avec la création d’une nouvelle tranche à 45 % au dessus de 150 000 € de revenu.

Bien sûr, la mesure a une portée symbolique non négligeable.

Quoi qu’il en soit, seuls 0,7 % des Français gagnent plus de 150 000 € par an. La mesure ne concernerait que 60 000 foyers pour un rendement annuel de 400 millions d’euros,  soit le même montant que la contribution exceptionnelle récemment décidée par la droite (de 3 % à compter de 250 000 € et de 4 % au-delà de 500 000 €).

Mais il faut faire attention à la réforme qui sera finalement retenue à propos du quotient familial.

Par ailleurs, il n’est rien dit de neuf sur la fiscalité des entreprises. Il ne paraît pas être question de revenir sur la suppression de la taxe professionnelle. Et, de ce point de vue, les silences de F. Hollande à propos du financement des collectivités territoriales ne laissent pas d’inquiéter.

Enfin, il faudra surveiller la promesse d’économiser 30 milliards d’euros  sur  les niches  fiscales. De quelles niches parle-t-on ? Celles  qui concernent les ménages, sans doute. Rappelons alors que le dernier rapport du Conseil des prélèvements obligatoires a chiffré la perte de recettes pour l’état du fait de toutes les niches fiscales et sociales accordées  aux entreprises  (y compris les niches déclassées) à 172 milliards d’euros ! 

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