Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Les banques sous pression

Les épisodes de la crise financière et économique se succèdent à un rythme accéléré. A chaque fois, ils mettent en lumière le rôle central des banques dans les origines de la crise, et aussi dans les choix à opérer pour en sortir.

Ainsi, alors que la crise est loin d’être terminée, transformant profondément l’économie telle qu’elle est, et exigeant surtout des transformations de la banque, de nouvelles normes bancaires apparaissent. Or ces nouveautés, présentées dans le cadre de Bâle 3, auront des conséquences importantes, y compris sur ce que sera la banque demain. Cette remise à plat d’une activité décriée représente une opportunité pour que les peuples décident ce que sera cette banque de demain.

Fragilisées, les banques sont la cible de nombreuses attaques, spéculatives notamment. Mais de par leur rôle de financeur, par leur crédit, par leur rôle d’acteur sur les marchés financiers, les banques sont aujourd’hui au cœur de la crise économique. Alors, si les banques sont encore une fois au centre des préoccupations, c’est qu’au temps de la finance débridée, les banques sont les organes vitaux de notre système économique. Faillites d’établissements, prédation sur les Etats, prises de positions dont les risques sont assumés par les autorités publiques et les épargnants, la planète bancaire est instable et en position de levier de l’économie. Or, la question du contrôle pour changer le sens de l’utilisation de ce levier n’est pourtant pas posée par les autorités de régulation françaises ou européenne.

En effet, si la profession bancaire est encadrée, c’est par ceux-là même qui décrient toute intervention des États. Ainsi, des autorités économiques, comme le comité de Bâle (qui rassemble les représentants des banques centrales et des autorités de surveillance des banques des principaux pays capitalistes), tissent des corsets pour permettre aux banques de s’émanciper des autorités politiques, sans remettre en cause le soutien qu’elles apportent à la domination des marchés financiers et de la rentabilité. Les propositions de Bâle 3, qui entreront en vigueur à partir de 2013, vont dans ce sens, en imposant aux banques d’augmenter leur ratio de fonds propres par rapport aux actifs, notamment. De fait, plusieurs questions se posent, comme celle de savoir comment trouver les fonds qui permettront d’augmenter ce ratio. Ou celle, plus importante encore, de savoir quelles activités les banques seront amenées à réduire, mettant ainsi en péril les futures conditions d’accès des entreprises et des collectivités publiques au crédit. En même temps, la situation actuelle, (crise économique majeure et refonte partielle du système bancaire), doit aussi être vue comme une occasion historique de transformer les critères de gestion des banques et l’utilisation de l’argent.

Les travaux de Bâle 3 ont surtout porté sur la question du niveau des fonds propres des banques rapportés à leurs actifs. En schématisant, le raisonnement du comité de Bâle est que le niveau actuel des capitaux et réserves est insuffisant en cas de problème de solvabilité d’un emprunteur, il importe donc de l’augmenter, pour s’assurer d’être moins exposé en cas de difficulté. Problématique cohérente en temps de crise aiguë, et notamment après la chute d’établissements comme Fortis ou Lehmann Brother. Ensuite, si les fonds propres augmentent, la rentabilité pour les actionnaires baissera mécaniquement, provoquant en réaction des recherches de baisse de coûts (suppressions de postes notamment) et une guerre entre les banques pour les profits, tout comme une pression plus importante sur les entreprises et sur les ménages, accompagnée de possibles restrictions de crédit (PME, ménages).

Mais au besoin réel de sécuriser la solvabilité des opérations bancaires, une autre alternative que la fuite en avant de Bâle 3 est possible : l’orientation du crédit vers des investissements moins rentables mais plus efficaces car gagés sur la création d’emploi, donc plus sûrs et créateurs de plus de valeur ajoutée. Et dans ce sens, on peut imaginer des normes de fonds propres modulées selon le type de crédit : plus élevées pour les crédits les plus spéculatifs, plus faibles pour les crédits porteurs d’emploi et de création de richesse.

Si l’on se penche plus précisément sur la situation des banques européennes, une distinction apparaît par rapport aux banques anglo-saxonnes. En effet, les banques anglaises et américaines ont depuis longtemps cherché à entraîner leurs concurrentes européennes et japonaises dans une surenchère en matière de renforcement des fonds propres. Cette différence ne change a priori pas la solvabilité des banques mais induit une tension plus grande qui pèse sur celles d’Europe dans le cadre de Bâle III. Par ailleurs, il faut noter que si les institutions bancaires participent à hauteur de 80% au financement de l’économie en Europe, aux États-Unis les entreprises ont plus souvent recours directement aux marchés financiers. L’un des effets prévisible des nouveaux ratios de fonds propres est donc de pousser les grandes entreprises vers les marchés financiers pour se financer, dans un contexte où la contraction des crédits et leur renchérissement est prévisible. De même, le levier des ratios de fonds propres est une contrainte particulièrement vicieuse, puisque les taux de rendement (Return on Equity, RoE) sont calculés sur la base de ces fonds propres. Les augmenter induit donc d’accroître les charges financières sur les entreprises pour maintenir des taux de rendement autour de 15%. Tel quel, l’augmentation des fonds propres induit un effet d’éviction du crédit, plus important qu’aujourd’hui, contre les entreprises dont les taux de rendement sont jugés insuffisants.

Enfin, les banques de la zone euro sont plus exposées à des risques de solvabilité du fait même de leurs positions en Grèce, Italie et Espagne. L’augmentation des capitaux peut alors être vue comme une solution à ces risques, mais elle risque de ne pas être à la hauteur de la gravité de la situation, les montants engagés étant démesurés. Par ailleurs, la question ne doit pas seulement être de savoir si les établissements résisteront, comme les autorités financières essaient de le démontrer avec les « stress tests », mais bien de savoir comment est utilisé l’argent : des crédits visant à financer des créations d’emplois dans l’économie réelle et leur sécurisation sont par essence moins risqués. Si le degré de risque régnant dans l’économie en général était moins élevé (donc une croissance plus forte et moins de chômage), les banques auraient moins besoin de fonds propres pour se protéger des risques de non-remboursement des crédits qu’elles accordent. Par ailleurs, le besoin de provisionner les pertes éventuelles sur les dettes souveraines aura un effet à double tranchant : d’une part la perte en elle-même, de l’autre la sortie des critères de Bâle III puisque les fonds propres serviront à provisionner ces pertes. Ainsi, outre les pertes, la notation de la banque en question risque d’être dépréciée, conduisant à de nouvelles pertes. On accentue ainsi la transmission entre problème de solvabilité et problème de liquidité, avec un accroissement de l’exposition des banques européennes, risquant d’inciter celles-ci à rechercher des placements hautement spéculatifs.

Les banques européennes vont donc être affaiblies vis-à-vis de leurs consœurs américaines, dans un contexte de lutte entre l’euro et le dollar qui prend de l’ampleur à mesure que la crise s’approfondit, allant jusqu’à mettre en cause l’hégémonie monétaire américaine. On peut donc aisément anticiper une guerre bancaire interzones dans les prochaines années, avec des attaques venues d’outre Atlantique et une concentration plus poussée encore des établissements européens, sachant que les titres bancaires assez massivement détenus par les marchés financiers, et échangeables sur eux, sont eux aussi soumis à évolution spéculative à la hausse comme à la baisse.

Autre question : qui va payer pour augmenter ces fameux ratios. En effet, le besoin de recapitalisation se confirme, qui sera prêts à mettre au pot ? Les actionnaires ou les États ? Dans les faits, même si les banques françaises prétendent aujourd’hui le contraire, il n’est pas exclu qu’elles soient finalement forcées de faire appel à des fonds publics, ce qui renforce la nécessité d’une maîtrise publique et sociale sur les activités des établissements bancaires. Et comme on l’a vu, même si ce sont les actionnaires qui font la part mise de fond, ils feront tout pour se « refaire » sur le dos des peuples par leurs conditions de crédit (taux, politiques salariales exigées des entreprises,…) pour que ce soient in fine les peuples qui paient. Car elles détiennent encore la « liberté » de choisir leurs conditions de crédit et à qui elles le font.

La crise actuelle démontre, l’échec du modèle bancaire actuel. Plus important, dans ce contexte réside à la fois le problème et la solution, puisqu’en face du constat d’échec des critères de gestion de la richesse actuels, l’entrée des États dans le capital des banques peut offrir une opportunité nouvelle d’imposer des changements structurels dans ces critères de gestion. Ainsi, il faut porter le combat politique, économique et social autour des questions de l’emploi, de la formation, de la maîtrise de la monnaie, et forger les outils d’une nouvelle coopération internationale. Dans ce cadre, l’action sur les banques est un levier majeur de transformation sociale, compte tenu de leur force, mais surtout de leur place dans l’économie. Mais attention : une prise de contrôle publique serait plus coûteuse qu’efficace si la question des critères d’attribution des crédits est laissée de côté.

Cette analyse s’inscrit donc dans un cadre où les salariés des entreprises et des banques, ainsi que les élus (en tant que force politique) agissent en partenariat avec les citoyens, et pour eux, pour atteindre des objectifs sociaux ambitieux. Dans ce triangle vertueux, les banques ne constituent pas le seul outil, mais demeurent un axe stratégique de lutte. Il est temps de réinventer la banque, en travaillant sur ses missions, mais aussi en profondeur, sur son fonctionnement, en s’attaquant aux critères de gestion et de financement.

L’action de la banque centrale doit être un outil puissant pour y contribuer en privilégiant le refinancement des créances créatrices d’emploi. Il s’agit, à ce niveau également, de changer la vision même de la banque : participer à la création de richesse par l’emploi, et non plus ponctionner l’économie réelle.

Les moyens existent, c’est un fait, les outils aussi. Des propositions telles que celles avancées par le PCF sur un pôle financier public, une nouvelle régulation monétaire qui s’appuierait notamment sur un autre rôle de la BCE par son refinancement des banques, d’autres normes de fonds propres bancaires, une monnaie commune mondiale, les Fonds Régionaux pour l’emploi et la formation, la sécurité d’emploi et de formation, permettraient de disposer d’un cadre pour développer de nouvelles logiques de gestion dans les banques et les entreprises. Bien sûr, au-delà de la baguette magique, ces outils supposent d’être appropriés par les citoyens, et surtout en relais des luttes et aspirations des travailleurs et des populations.

De fait, la crise telle qu’elle se développe aujourd’hui présente de nombreuses contraintes, mais permet de mettre en lumière les défaillances intrinsèques au capitalisme, malgré toutes les sirènes de la finance. La période actuelle est celle des transformations sociales, ou plutôt doit être des transformations sociales, puisque tout dépendra des choix faits par les peuples. Soit continuer la fuite en avant, symbolisée par ces accords de Bâle, soit saisir l’opportunité qui se présente pour sortir de ce système en le dépassant, c’est-à-dire tirer profit de sa force pour améliorer vraiment la vie de chacun et chacune. L’heure est donc plus que jamais à la lutte : théorique pour convaincre, sociale pour lier, politique pour gagner.

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