Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Pour une nouvelle industrialisation de coopération

Il faut partir d’un constat assez simple, si on se prononce non pour l’idée de « décroissance », mais pour un nouveau type de croissance et de développement  social et durable en France, en Europe et dans le monde.

Puisque la productivité globale est appelée, encore, à beaucoup augmenter avec les changements techniques très rapides à venir, il est indispensable d’accroître beaucoup la demande à ces trois niveaux.

Il faut voir désormais, pour cela, l’enjeu fondamental du développement de tous les êtres humains, de leurs capacités pour faire progresser les débouchés tout en transformant l’offre dans un but d’efficacité sociale et environnementale, ce qui est précisément le contraire d’une tentative pour pérenniser la société productiviste et consumériste du capitalisme.

Cela invite à bien prendre la mesure du caractère fondamental des services publics, y compris pour promouvoir de nouveaux modes de production et de consommation, vers un dépassement progressif, mais effectif, du capitalisme.

La question concerne, bien évidemment, l’exigence d’une nouvelle répartition des richesses beaucoup plus favorable aux salariés et à leurs familles.

Mais cet objectif ne saurait être atteint sans chercher à changer profondément les conditions de la production de richesses et de son financement avec, notamment, le besoin de nouveaux rapports entre industrie et services, y compris les services financiers avec les banques  et le crédit. Et cela, du niveau régional et national jusqu’aux niveaux européen et mondial.

C’est pour cela que l’enjeu ne saurait être seulement celui d’une ré-industrialisation, mais bien d’une nouvelle industrialisation. Cette grande affaire ne requiert pas un « retour de l’État », mais une nouvelle intervention publique et citoyenne, non pour corriger les marchés, mais pour chercher à les maîtriser avec des pouvoirs effectifs d’intervention  des salariés et populations sur les choix quotidiens  des acteurs qui dominent sur ces marchés : les entreprises et les banques.

Vers une nouvelle maîtrise sociale nationale de la production et des services

1. La sécurisation de l’emploi, de la formation et du revenu des salariés (1)

C’est particulièrement  nécessaire dans l’industrie, au lieu de céder aux sirènes de la « flexicurité » recommandée par le pacte de l’euro plus.

Pour cela, en liaison avec un effort de relance des filières et la mise en œuvre d’une planification stratégique, on pourrait réunir chaque année une Conférence nationale, préparée par des Conférences régionales, réunissant  les représentants de salariés, des employeurs, des banques, de l’État avec les représentants  des associations, des services publics et des élus.

à partir d’un inventaire fin des besoins d’emplois et de formation  associé à des gestions prévisionnelles démocratiques dans les entreprises, il s’agirait de définir des objectifs chiffrés annuels d’emplois et de formation pour lesquels on mobiliserait les moyens nécessaires.

Cela appelle la conquête de pouvoirs décisionnels des salariés dans le traitement et l’anticipation des difficultés.

Les comités d’entreprise, les délégués du personnel devraient disposer d’un droit de veto suspensif des décisions de restructuration afin de vérifier la réalité des difficultés invoquées par les employeurs.

Ils devraient pouvoir contre-proposer un autre traitement à partir, non pas de la baisse des coûts salariaux, mais des coûts en capital supportés par les entreprises : intérêts et dividendes payés, prélèvements des donneurs d’ordres et de la grande distribution, gâchis d’équipement…

Et pour crédibiliser ces contre-propositions,  ils devraient disposer du pouvoir de saisine d’un Fonds public régional susceptible de mobiliser des crédits bancaires pour l’investissement dont le taux d’intérêt serait d’autant plus bonifié par une aide régionale que le projet concerné programmerait plus d’emplois et de formations correctement rémunérés.

Si ces contre-propositions  sont rejetées par le patron, alors il devrait y avoir un arbitrage de ce conflit sur l’emploi, comme il y a un arbitrage possible des conflits sur le travail avec les prud’hommes.

A l’appui de l’exigence de ces nouveaux pouvoirs de maîtrise nationale, il faut mobiliser autrement le crédit et les banques.

Il s’agit de développer un nouveau crédit pour les investissements matériels et de recherche des entreprises. Il serait assorti d’un taux d’intérêt pouvant être abaissé jusqu’à zéro, voire moins.

Cette baisse serait d’autant plus importante que les investissements ainsi financés programmeraient  plus d’emplois, plus de formation correctement rémunérés et contrôlés et plus de progrès environnementaux.

Pour amorcer la pompe de ce nouveau crédit, on pourrait créer un Fonds public national qui recueillerait, notamment, les quelque 30 milliards d’euros accordés aux entreprises en exonérations de cotisations sociales patronales pratique qui, ainsi, prendrait fin.

Cette dotation publique permettrait à ce Fonds national, sous maîtrise démocratique, de prendre en charge, de façon sélective, tout ou partie des intérêts versés aux banques par les entreprises pour leurs crédits à l’investissement sur la base des mêmes principes que les Fonds régionaux.

Ce Fonds serait partie prenante d’un Pôle financier public chargé de développer largement le nouveau crédit. Il serait constitué autour de la Caisse des dépôts, de la Banque postale, d’Oséo, avec les banques mutualistes et coopératives (dans le respect de leurs statuts) et avec des banques re-nationalisées.

Sans attendre que les conditions politiques requises pour créer un pôle financier public soient réunies, et pour commencer à rassembler dans l’action des salariés et des populations sur cet objectif, on peut tout de suite exiger, comme nous le mentionnons ci-dessus, la création de Fonds publics régionaux qui pourraient être saisis par les salariés et dotés par chaque Conseil régional. Ils fonctionneraient  selon les mêmes modalités que le Fonds national.

2. Construire une appropriation sociale de l’appareil productif et de services pour un nouveau type de croissance et de développement durable

Il faut absolument avancer dans l’appropriation sociale des groupes-clés. Il ne suffit pas de changer la propriété du capital. Le changement de propriété doit être impérativement articulé à l’avancée de nouveaux critères de gestion d’efficacité sociale, opposés à la rentabilité financière, et à des pouvoirs effectifs des salariés et des populations pour ce faire. Autrement il ne sera pas possible de faire prendre forme à un nouveau type de croissance et de développement permettant de promouvoir les capacités humaines en économisant les moyens naturels, matériels, et financiers.

Simultanément, il est nécessaire de réorienter toutes les aides publiques dans le but de pénaliser les placements financiers, les délocalisations, les investissements contre l’emploi et encourager, au contraire, les investissements créateurs d’emplois et accompagnés de formation.

Cela devrait marcher de pair avec une très profonde réforme fiscale et des prélèvements obligatoires visant, à la fois, à procurer des recettes publiques nouvelles pour développer les services publics et la protection sociale, et à inciter les entreprises à adopter  des choix de gestion favorables à l’essor de l’emploi en quantité et qualité, avec les investissements  réels nécessaires.

C’est dire, à ce propos et à titre d’exemple, l’importance de revenir sur la décision très coûteuse et antiéconomique de supprimer la taxe professionnelle. Il s’agirait au contraire d’aller vers l’instauration d’un impôt territorial pour l’efficacité du capital, par l’élargissement de l’ancienne taxe professionnelle aux produits financiers des entreprises et des banques.

De même, on mesure la nécessité d’une réforme des cotisations sociales patronales avec une mise à contribution des revenus financiers des entreprises et avec un nouveau calcul du taux de cotisation variant en fonction d’un ratio qui rapporterait les salaires versés dans l’entreprise à sa valeur ajoutée, les cotisations restant calculées sur la base des salaires versés.

Au-delà, L’État, à travers ses participations  publiques, doit cesser d’être un partenaire dormant au service de la rentabilité financière.

L’agence des participations de l’État doit être démocratisée et veiller, dans les entreprises qu’elle contrôle, à la réalisation d’objectifs chiffrés d’emplois, en liaison avec des objectifs de promotion des filières industrielles.

Dans les secteurs clés de l’économie, les grands acteurs publics nationaux devraient être incités à contribuer à l’émergence de véritables réseaux européens d’entreprises publiques assumant en commun une mission de sécurisation et de promotion de l’emploi, de la formation et de la recherche.

Au-delà des secteurs traditionnels comme l’eau, l’électricité et le gaz, les transports ferroviaires, les télécommunications, dans lesquels doit être affirmé, réaffirmé ou consolidé le caractère public des principaux opérateurs et réseaux, d’autres secteurs appellent le développement de pôles publics d’impulsion et de coopération comme l’audiovisuel, l’environnement, le traitement des déchets, les industries culturelles et de santé… Il faudrait que la France propose à ses partenaires européens de créer un statut de l’entreprise publique en Europe.

Une relance concertée de l’effort de recherche devrait être organisée. De grands programmes de coproduction devraient être impulsés au plan national et recherchés au plan européen. Ils viseraient à promouvoir l’efficacité sociale et la cohérence des filières industrielles et de services. Cela concernerait particulièrement les industries de la révolution informationnelle.

Il s’agirait aussi de pousser encore plus le recours aux technologies de l’information et de la communication dans les industries traditionnelles, particulièrement celles de la métallurgie, du textile-habillement, des cuirs et chaussures, de la construction navale, des industries du bois et du papier, de l’agroalimentaire, des équipements électriques et électroniques, des composants et des produits minéraux, en visant notamment les PME-PMI. Et cela exigerait des plans massifs de mise en formation choisie des salariés.

Il faudrait établir, pour cela même, une responsabilité publique,  sociale et territoriale des grands groupes têtes de filières et faire que les Pôles de compétitivité soient très démocratisés, transformés en Pôle de coopération pour la réalisation non seulement de brevets, mais simultanément d’objectifs  chiffrés d’emplois  et de formation dans les bassins et territoires concernés.

Transformer l’utilisation de l’euro et non en sortir (2)

Face à l’ampleur de la crise des dettes publiques européennes, c’est une autre utilisation de l’euro qu’il faut exiger, contre la politique de la BCE favorisant une dictature des marchés financiers sans équivalent sur le social et le public.

Sortir de l’euro, se replier, reviendrait à déserter les terrains de bataille essentielle pour transformer la BCE et l’Union européenne  avec une convergence des luttes nationales et des luttes européennes à construire contre l’austérité.

Outre ses effets négatifs enfonçant les pays endettés avec le renchérissement des dettes et du coût des importations, avec la rivalité accrue entre Européens à coups de dévaluations compétitives et la spéculation,  ce sont surtout les importants potentiels positifs dont elle nous priverait qui fait rejeter une telle préconisation.

Une création monétaire commune avec l’euro pourrait en effet financer des émissions de titres publics, en opposition au traité de Lisbonne, mais pour une expansion des services publics, faisant reculer l’endettement avec une nouvelle croissance.

Pour cela, comme le proposent le PCF et le Parti de la gauche européenne, on peut exiger que des titres publics nationaux pour le progrès social soient achetés par la BCE, à l’émission.

Cette création monétaire, au lieu de l’appel au marché financier, serait dédiée à un Fonds social et solidaire de développement européen qui la répartirait démocratiquement, à un taux d’intérêt nul, selon les besoins propres de chaque pays, pour les services publics nationaux et leur coopération et avec l’objectif d’un rattrapage  des pays et régions en retard de développement.

Simultanément, la BCE pourrait refinancer des crédits pour des investissements des entreprises  à taux d’intérêt d’autant plus abaissé, jusqu’à zéro, que seraient programmés plus d’emplois, de formations et de progrès environnementaux. Il serait relevé pour pénaliser les placements financiers, les délocalisations et la spéculation.

Enfin, la sortie de l’euro reviendrait à conforter le statut mondial dominateur du dollar, alors qu’il commence à être mis en cause en Chine, en Russie, en Amérique latine.

Il faut au contraire réorienter la construction  européenne pour se rapprocher de ces pays contre le dominateur commun, les États-Unis et le dollar, en exigeant la création d’une monnaie commune mondiale de coopération à partir des droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI qu’il faudrait radicalement transformer.

C’est cela que devrait viser la revendication d’une conférence monétaire internationale allant bien au-delà d’un « nouveau Bretton Woods », en même temps que le démantèlement des paradis fiscaux et la promotion de biens publics mondiaux

Face aux délocalisations, des protections communes pour les salariés et les populations

Il ne faut pas céder à l’illusion dangereuse du protectionnisme.
Le repli derrière les barrières douanières, et, qui plus est, comme le propose Le Pen, avec des préférences nationales sur l’emploi.
En fait, cela reviendrait à déserter le terrain de la bataille pour construire un autre monde et s’enfermer dans ce qui serait, au nom prétendu de l’intérêt national, une union sacrée protégeant des profits capitalistes et des rentes.
Prétendre protéger des salariés, l’emploi, le modèle social en France, sans s’attaquer aux prélèvements financiers du capital, sans toucher aux critères des entreprises et des banques et à ceux des services publics, c’est une démagogie dangereuse poussant les divisions et les oppositions graves.
Il s’agit, au contraire, de donner des pouvoirs d’intervention aux  salariés sur les choix des entreprises et des banques.

Simultanément, pour faire respecter des normes sociales et environnementales communes aux Européens, et en progrès, on pourrait :

– Établir des prélèvements sur les réimportations de productions délocalisées dont le produit alimenterait un Fonds de co-développement des peuples ;

– Encourager le respect des normes par des crédits préférentiels, ce qui ne s’opposerait pas au développement nécessaire des échanges,

Il s’agit, inséparablement,  d’exiger une maîtrise nouvelle des échanges mondiaux.

Cela pose la nécessité d’une refonte de l’OMC et l’arrêt de la course au moins-disant  social, avec un suivi des stratégies des multinationales et le développement, dans le cadre de l’ONU et de l’OIT, de pouvoirs d’intervention concertée des salariés permettant de maîtriser le contenu des échanges entre groupes,  avec les comités de groupe.

Cela pose la nécessité d’exiger de l’Union européenne que, dans les secteurs industriels sinistrés par la guerre concurrentielle, soit décrété un véritable « cessez-le-feu » et l’organisation systématique d’une maîtrise commune des marchés.

Cela nécessite, surtout, que l’Union européenne assume ses immenses responsabilités face aux « printemps arabes » et saisisse les opportunités, sans précédent, de coopération pour un co-développement  qu’ils font saillir.

Pourquoi ne pas exiger un véritable plan de type Marshall sans domination pour ces pays ?

Il s’agirait particulièrement  que la BCE fasse des dons en euros aux Banques centrales de ces pays, pour leur permettre de se construire un accès favorable au crédit pour s’industrialiser et se former.

Cela pourrait se faire dans le cadre de protocoles favorables à l’expansion de l’emploi et des qualifications de toutes les parties prenantes,  lesquelles réserveraient leurs achats d’équipements, accompagnés de transferts de technologie et de formation, aux pays de l’Union européenne. 

Face aux délocalisations, des protections communes pour les salariés et les populations

Il ne faut pas céder à l’illusion dangereuse du protectionnisme. Le repli derrière les barrières douanières, et, qui plus est, comme le propose Le Pen, avec des préférences nationales sur l’emploi.

En fait, cela reviendrait à déserter le terrain de la bataille pour construire un autre monde et s’enfermer dans ce qui serait, au nom prétendu de l’intérêt national, une union sacrée protégeant des profits capitalistes et des rentes.

Prétendre protéger des salariés, l’emploi, le modèle social en France, sans s’attaquer aux prélèvements financiers du capital, sans toucher aux critères des en-(1) On se reportera à l’ouvrage déjà cité de Paul Boccara sur ce sujet, ainsi qu’à : Économie et Politique, Revue Marxiste d’Économie, 2007, n° 632-633.

(2) On se reportera aux derniers ouvrages de Paul Boccara. Voir aussi :

– Dimicoli Y. : « Transformer l’utilisation de l’euro et non en sortir »,

Économie et Politique, n° 682-683, mai-juin 2011, p. 5.

– Dimicoli Y. : « à propos de la dette publique », Économie et Politique, n° 684-685b, juillet-août 2011.

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