Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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La crise des dettes publiques : causes et remèdes

Le thème de la dette publique est utilisé dans les entreprises et les services publics comme une arme idéologique pour essayer de convaincre les salariés du caractère inéluctable d’une austérité aggravée. La CGT équipement-environnement a ainsi publié à l’attention de ses militants, dans la revue de son OFICT, l’article ci-dessous de Frédéric Boccara, légèrement remanié ici.

La crise des dettes publiques  prend sa racine dans la politique de crédit menée par les banques, au service de la rentabilité des grands groupes capitalistes, et dans le pouvoir donné aux

marchés financiers sur le financement des dépenses et des services publics. Son envolée récente est le résultat de cet état de fait, avec le sauvetage public des banques sans conditions et les moyens de chantage exorbitants dont disposent les marchés financiers sur les états et dépenses publiques.

Des réformes profondes sont nécessaires mais les bonnes  !

Les voies de sortie sont à la fois simples et très ambitieuses, car elles se doivent d’être au niveau de la gravité de la crise actuelle. De petites transformations ne suffiront pas, il faut prendre les choses à la racine. Mais il est possible de le faire graduellement et radicalement, à partir de la situation actuelle. D’ailleurs les dirigeants français et européens ont opéré dans l’urgence des réformes profondes et massives. Avec tout particulièrement le Fonds européen de stabilité financière (le FESF, doté de 440 Mds€ de capacité d’intervention), au service de l’austérité renforcée et du fédéralisme, et la mise sous tutelle non seulement des budgets nationaux par la Commission,  mais aussi la mise sous tutelle des politiques économiques des pays par ce même FESF. Mais on voit qu’elles ne permettent pas de sortir durablement de cette crise. Il est indispensable de changer enfin le crédit bancaire, au-delà de simples nationalisationsétatisations. De changer ses critères  et la façon dont il se relie à ses utilisations  réelles, c’est-à-dire son lien aux travailleurs des entreprises, aux agents des services publics, aux gens et aux territoires. Pour cela, de nouveaux pouvoirs sont nécessaires. Mais il s’agit aussi de changer le rôle de la Banque centrale européenne et de sa politique monétaire, institution publique qui tient le « robinet du crédit ».

Un Fonds européen de solidarité sociale et de développement économique

Sans nécessiter dans l’immédiat  une hasardeuse refonte des traités européens, la CGT propose un Fonds européen de solidarité sociale et de développement économique. Celui-ci, financé avec le concours de la création monétaire de la BCE, pourra financer le développement des services publics des pays et, d’autre part, pousser à un autre crédit aux entreprises, en favorisant les investissements développant  l’emploi, les salaires et les qualifications (ce second point devrait impliquer aussi les banques, leur crédit et leur refinancement sélectif par la BCE). La « gouvernance » de ce fonds associerait non seulement des représentants parlementaires mais aussi des représentants syndicaux. Je pense qu’il faudrait aussi qu’il puisse être « saisi » depuis le terrain, à l’appui de projets de développements de services publics, de productions nouvelles, ou pour défendre des emplois mis en cause. La situation nécessite en effet de mettre en cohérence les besoins sociaux, les moyens financiers et les pouvoirs sur ces moyens. Cela peut se faire par une transformation radicale du FESF.

Des convergences syndicales en Europe, jusqu’en Allemagne

Et la CGT n’est pas seule en Europe. En Allemagne même, le puissant syndicat de l’industrie, le DGB, formule des propositions très similaires. La CES (Confédération européenne des syndicats) a dû aussi adopter des positions assez avancées, inimaginables il y a 5 ans. Elle refuse le pacte « euro+  » adopté par les gouvernements. Mais, en réalité, elle hésite encore dans les propositions  entre prôner des « euro-obligations  », qui sont une forme de fuite en avant dans la titrisation sur les marchés financiers et dans l’intégration européenne accrue, et des solutions plus proches de celles de la CGT ou du DGB.

Du « mauvais » crédit pour expliquer la crise La crise de dettes publiques a ses facteurs de déclenchement et ses causes profondes.  Elle a éclaté en Europe suite au surendettement des administrations publiques (état, collectivités territoriales, organismes de sécurité sociale). Ceux-ci sont venus financer les banques sans conditions et ont dû panser les plaies sociales élargies par cette crise, s’ajoutant aux autres, tout en assumant le soutien de l’activité mise à mal par la crise financière.

Mais les causes profondes, sous-jacentes, ne sont pas qu’il y a eu trop de crédit « en soi ». Après tout, les besoins sociaux sont énormes. Elles sont que, massivement, le crédit bancaire a été fait contre l’emploi et la croissance des richesses réelles (la valeur ajoutée, dont le total macro-économique constitue le PIB), au service du profit, de la valeur des capitaux et de la rentabilité (cf. graphiques). Le crédit bancaire a en effet été de plus en plus accordé prioritairement, et moins cher, aux exportations de capitaux, à la spéculation, aux fusions acquisitions d’entreprises accompagnées de plans dits « sociaux  » supprimant des emplois et débouchant sur très peu de valeur ajoutée supplémentaire (1). Le crédit est allé aussi aux délocalisations sans engagements réels de croissance de l’emploi et de la valeur ajoutée, aux dé- localisations, voire à des modernisations économiques au détriment de l’emploi. Tout cela a miné la base de tous les revenus, donc celle des recettes publiques.

L’endettement des entreprises (Crédit + marchés financiers)  s’accroît sans faire suffisamment de Valeur Ajoutée

L’endettement des entreprises fait encore moins d’emploi que de VA

Source : Insee (PIB et Emploi) et Banque de France (endettement des entreprises)

Un recours croissant des entreprises aux marchés financiers


Tel est le fondement de cette crise. En outre, les aides publiques sont allées dans le même sens, poussant à la baisse du coût du travail (exonérations de cotisations sociales), minant la base de revenus, de consommation salariale et pesant sur les facteurs décisifs d’efficacité productive que sont les qualifications. La fiscalité a elle aussi appuyé toute cette politique, en allégeant le poids des prélèvements publics sur les entreprises  et sur les revenus du capital et en augmentant le poids sur les ménages, moyens et modestes. Ainsi, la première mesure de N. Sarkozy après la grande manifestation intersyndicale interprofessionnelle du 29 janvier 2009 a été de supprimer  la taxe professionnelle, seul impôt portant sur le capital des entreprises et finançant presque directement les services publics (des communes, départements et régions).

Dépenses  publiques : le corps social résiste Tout cela, tandis que les besoins de dépenses pour les besoins des gens, pour les services publics utiles, continuent à croître. Conséquence des luttes comme de la pression quotidienne du corps social, ils n’arrivent pas à faire reculer les dépenses publiques – qu’il faut bien financer. C’est pourquoi la TVA, impôt très injuste car son montant est le même quel que soit le revenu de celui qui l’acquitte, est devenue l’impôt dominant. Il représente aujourd’hui avec 130 Mds€ presque trois fois le produit de l’impôt sur le revenu (48 Mds€), pourtant par nature plus juste, bien que de nombreux revenus du capital n’y sont pas soumis.

Dépenses publiques Létat s’offre aux marchés financiers

Ainsi les dépenses plus élevées que les recettes amènent à un endettement de l’état – que celui-ci n’a plus le droit d’obtenir de la banque centrale depuis la loi Giscard de 1973, puis la dérégulation bancaire des années 1983-85 de J. Delors et ensuite les différents traités européens instaurant la Banque centrale européenne. Au lieu de se financer à bas taux, voire à taux zéro, auprès de la BCE ou auprès des petits épargnants, les administrations publiques sont tenues de se financer auprès des marchés financiers, avec des titres vendus et revendus, soumis à la spéculation.

On voit aujourd’hui le pouvoir que cela a conféré à ces fameux marchés financiers. Ils financent près de 90 % de la dette, en France, contre 64 % en 1979. Sur ces marchés financiers les banques sont des agents dominants, où règnent les fameuses agences de notation avec leur note AAA+ ou B-, basée sur les critères de la rentabilité financière la plus froide et la plus égoïste (2).

Aberrant. Aberrant à un tel point que la BCE a dû

quand même acheter les titres des états « dégradés  » par ces agences, faisant entorse à ses principes mais pas aux règles formelles des traités, pour préserver les intérêts supérieurs du système. Mais elle les a achetés sans mettre en jeu sa création monétaire, comme si des titres spéculatifs en remplaçaient d’autres. Et les banques ont spéculé de plus belle en prêtant très cher (à 10 %, parfois 20 % ou plus) aux états  attaqués par la spéculation comme la Grèce ou le Portugal, un argent qu’elles obtenaient à 1 % ou 1,5 % auprès de cette même BCE. Car celle-ci continue à ne s’intéresser qu’à la quantité de monnaie qu’elle délivre, pas à son utilisation – pour la spéculation ou pour l’emploi.

Et les prélèvements  financiers parasitaires versés aux marchés financiers pèsent très lourd. Y compris en France. à elles seules, les charges d’intérêt de l’état français s’élèvent à 43 Mds€, soit à peu près autant que le budget de l’éducation nationale ! Ils pèsent aussi très fort sur les entreprises,  qui paient aux actionnaires et aux marchés financiers plus du double de ce qu’elles paient en cotisations sociales (plus de 300 Mds€ par an de dividendes et charges d’intérêt contre 120 Mds€ de cotisations sociales).

La dette en soi : non coupable  !

Ce n’est pas à cause de la dette en soi, mais à cause de la façon dont elle est utilisée et à cause du coût auquel la délivrent ceux qui la financent. Car il en va de la dette comme de beaucoup de choses, il y a de la mauvaise et de la bonne dette.

Pour en sortir, il serait en effet illusoire de croire qu’il suffit de quelques correctifs fiscaux, tout nécessaires qu’ils soient. Ils porteraient sur quelques dizaines de Mds€, dans des recettes d’environ 300 Mds, là où le crédit bancaire représente près de 2 000 Mds€ d’encours et a un effet démultiplicateur  considérable.

Bien sûr, il faut des mesures limitatives, d’encadrement ou de limitation des activités bancaires spéculatives, tout particulièrement  la taxe dite Tobin sur les mouvements de capitaux. Mais elle ne fait surtout qu’écorner la même logique sans la changer et son produit serait limité. Le fait que N. Sarkozy, A. Merkel et W. Schaüble soient pour, montre bien certaines de ses limites et qu’elle peut être « récupérée  ». Une transformation de la fiscalité est nécessaire et utile, mais au sein d’un ensemble portant une autre logique qu’elle peut alors venir appuyer.

Expansion sociale en Europe, au Sud et à l’Est !

Il s’agit d’engager les moyens d’une nouvelle expansion sociale en Europe (et aussi avec les pays émergents,  à commencer par  les plus proches de nous comme la Méditerranée sud, l’Amérique latine, l’Afrique et l’Est). Et cela ne peut se faire que par une création monétaire massive, un crédit nouveau, pour le développement des services publics et sociaux, utiles et développant les capacités humaines, dans tous les pays d’Europe. L’autre élément est le crédit aux entreprises elles-mêmes, et pas seulement aux services publics.

La proposition  du Fonds européen

Le Fonds européen que propose la CGT, impulsant et organisant ce crédit, pourrait avoir plusieurs caractéristiques.

Financé par la création de monnaie par la BCE en contrepartie de titres des états (des titres non négociables, c’est-à-dire qui ne circuleraient pas sur les marchés financiers), il pourrait organiser l’affectation de ces fonds aux états, via leurs banques centrales nationales par exemple, et veiller à leur utilisation en faveur des services publics et de l’emploi. Cela permettrait de conjuguer initiative par les états, voire par le terrain, maîtrise nationale, voire décentralisée, et une solidarité européenne s’appuyant sur la surface économique de mutualisation que représente l’euro.

Dans un service public, il n’est pas interdit de proposer

Les domaines d’action de notre ministère [celui de l’écologie, équipement, Logement NDLR] sont bien évidemment très étroitement concernés par un fonds de ce type qui pourrait venir appuyer, de façon démocratique, un nouveau développement de l’action publique au service d’un équipement du territoire conçu dans un souci d’écologie et de réponse aux besoins des gens. Peut-être n’est-il pas interdit de s’essayer dans quelques domaines bien précis à formuler des projets, voire des chiffrages, de ce qu’un tel Fonds européen pourrait permettre de financer. Il faudrait imaginer ce que cela peut signifier comme nouveau type de fonctionnement, de rôle et d’organisation du service public, y compris sur les formes d’élaboration  des projets en relation avec les besoins exprimés par les gens ou par nos interlocuteurs (collectivités territoriales,  notamment), mais aussi sur le pilotage des moyens financiers (et sur le rôle de Bercy) en relation avec les entreprises

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