Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Pic(s) et épuisement des ressources pétrolières : où en est-on?

Aujourd’hui, les réserves pétrolières seraient estimées à près de 1 000 milliards de barils, soit l’équivalent de 35 années de consommation mondiale de l’année 2009…Que penser de telles prévisions ? Qu’en est-il réellement de l’état des ressources pétrolières aujourd’hui ? Par  quel mystère les réserves en pétrole augmentent régulièrement d’année en année sans qu’il y ait réellement de découvertes majeures ? Focus sur des estimations qui recouvrent des domaines aussi variés que la géologie, l’économie, l’état des techniques d’extraction du pétrole et la géopolitique…

Dans les années 1970 on annonçait la fin du pétrole dans 40 ans.

Tout d’abord, pour traiter de ce sujet il est important de s’entendre sur quelques définitions.

Réserves prouvées: pétrole dont on est sûr à 90% qu'il existe et qu'il sera possible d'extraire avec les conditions technico-économique du moment, et avec les puits déjà existants ou en cours de construction. Pour les réserves probables et possibles, les probabilités sont respectivement de 50 et 10%. 

Les ressources : le pétrole a été découvert, mais pour l'instant pas d'investissements d'infrastructure pour les produire, et pas vraiment sûr que le prix du baril soit suffisamment élevé pour garantir la rentabilité. Pour qu'une ressource devienne réserve, plusieurs solutions : investir dans la construction de nouveaux puits ou alors amélioration des techniques d'extraction des puits existants, ce qui permet d'augmenter le taux de récupération.

Un exemple pour illustrer, celui de l’offshore profond brésilien récemment découvert au large de Rio de Janeiro : 50 milliards de barils annoncés. Mais pour transformer ces ressources en réserves prouvées, il faudrait construire des dizaines de plateformes, des centaines de puits, des centaines de km de pipeline, former des milliers de spécialistes (c’est le travail humain qui au final produit la richesse, ne l’oublions pas)… En bref, près de 100 milliards de dollars de financement à trouver. Dans ce cas, tant que ces investissements  ne se concrétisent  pas, le pétrole reste dans le domaine des ressources et non des réserves.

Réserves ultimes : ce sont l’ensemble des réserves et ressources avec en plus ce qui a été produit, on parle aussi de ressources initiales. Le graphe 1 illustre la situation mondiale depuis 1970.

Les réserves ultimes n’ont pas augmenté, il n’y a pas eu de découvertes majeures de nouveaux gisements. L’augmentation des réserves est surtout le fait de la transformation des réserves probables et possibles déjà connues à l’époque en réserves prouvées, notamment par des investissements et le progrès des techniques d’extraction durant ces 40 dernières années. En 1970, les réserves prouvées correspondaient donc bien à

40 ans de consommation mondiale de l’époque. Par contre, en 2005, on le voit, il n’y a pratiquement plus de ressource à transformer en réserves prouvées.  On est bien face à une pénurie physique imminente de pétrole.

35 ans de pétrole ?

La réponse à cette question n’est pas une simple division de la quantité des réserves prouvées  par la

consommation mondiale annuelle (1 000 milliards divisé par 35 milliards = 30 ans environ) ; c’est beaucoup plus compliqué…- d'abord, comme pour un puits de pétrole, il faut oublier l'image d'une production à débit constante et puis du jour au lendemain, plus rien! : non, en réalité, la production passe par un pic et décline ensuite lentement: la production passe par un pic et décline ensuite lentement (graphe 2).

Graphe 2 (voir PDF)

La surface de la courbe est la quantité de pétrole totale extractible. Insistons sur la baisse continuelle du débit de production qui est une limitation physique indépendante de la demande mondiale. Ce pic intervient quand la moitié des ressources ultimes ont déjà été produites : avec approximativement 1 000 milliards de barils déjà produits depuis l’ère du pétrole et en estimant à 1000 milliards les réserves restantes, nous sommes donc en plein dedans, à quelques années près.

Ajoutons à cet aspect la consommation mondiale qui augmente régulièrement de 2 % (Chine, Inde, surconsommation occidentale…) : pour revenir sur notre vision d’une simple opération de division, réserve restante/consommation = durée, non seulement le numérateur diminue, mais en plus, le dénominateur (consommation) augmente chaque année jusqu’à atteindre le fameux mur physique qu’est le pic de production : là plus de choix possible, limitation physique oblige, la production annuelle ne peut plus suivre la demande mondiale, et ne peut que diminuer de manière inexorable.

Donc nous avons à la fois à faire face au double problème du pic pétrolier et de l’augmentation continue de la demande, ce qui nous donne la situation (explosive) (graphe 3).

Graphe 3 (voir PDF)

Pour pouvoir satisfaire à la fois la demande et faire face au pic du pétrole, il faudrait investir massivement dans des projets de construction de nouveaux puits et infrastructures du côté des pétroles non conventionnels notamment (offshore profond,  sable bitumineux du Canada, huile lourde du Venezuela, Schiste bitumineux, Arctique…). Mais face à la volatilité du prix du baril et l’absence de visibilité du marché à plus de 3 ans, et indépendamment des problèmes écologiques que pose cette fuite en avant (effet de serre, pollutions liées à ces types d’exploitation) : les compagnies pétrolières n’investissent pas dans ces procédés très coûteux les dividendes des actionnaires et les investissements financiers, plus sûrs et plus rentables, étant prioritaires notamment. C’est le constat de l’AIE dans son rapport de 2009 (voir graphe 4). à partir de 2012, ces investissements manquants (« Unidentified Projects » sur la courbe) vont se faire cruellement sentir, ce qui se traduira par une demande non satisfaite, des tensions, une envolée du prix du baril, avec des crises économiques et de probables guerres (l’Irak, la Libye en sont des exemples).  Cette décroissance de la production devrait durer jusqu’à la fin du siècle : il y aura donc encore du pétrole au-delà des 35 prochaines années mais pas pour tout le monde ! et surtout très très cher (400,500… 1000 dollars le baril ?)

Alors ? Pic géologique ou… pic technico- économique ?

Allons-nous assister d’ici 2015 à un pic dicté par la géologie ? Ou plutôt un pic lié à l’insuffisance des investissements et de compétences humaines ? En réalité, du pétrole il y en a… et même beaucoup si nous regardons du coté des non-conventionnels

(graphe 4).(voir pdf)

Mais pour les produire, il faut notamment dépenser de l’énergie afin de les transformer  en pétrole liquide, ce qui renchérit le prix du baril et avec des conséquences pour l’environnement  dévastatrices. Suite à l’insuffisance de l’offre en pétrole conventionnel à venir, une flambée du prix du baril risque de relancer l’intérêt des investissements pour exploiter les non-conventionnels. Mais tous ces investissements vont prendre du temps, au moins dix ans – ne serait-ce que pour former les centaines de milliers de spécialistes –, période dans laquelle le monde sera plongé dans une crise très grave en attendant que les nouveaux moyens de production, en cours de construction, fonctionnent à plein régime et pallient l’insuffisance de l’offre. Nous allons donc assister dans un premier temps à un pic technico-économique, puis une chute pendant plusieurs années, et enfin un redressement de la production. Une fois les non-conventionnels exploités et ces nouvelles technologies d’extraction et de production rodées, cette nouvelle phase pourrait nous amener à un deuxième pic, le « vrai » cette fois, le pic géologique, qui nous indiquera que nous sommes vraiment sur le point d’épuiser tout le pétrole présent dans la croûte terrestre. Mais tout cela est il souhaitable ?

Décider ensemble d’une date pour un « pic écologique » mondial pour 2020 ?

Il y a urgence à prendre toutes les dispositions pour ne pas subir le pic pétrolier et nous préparer à la décroissance prévisible de la production. Nous ne pouvons pas souscrire à la « pédagogie par la douleur » prônée par certains courants de pensée qui se réjouissent de cette situation de blocage. Cette pénurie imminente est avant tout une très mauvaise nouvelle pour les peuples, car non préparés à ce changement de civilisation. Le pragmatisme impose de nous donner encore quelques an- nées de sursis en effectuant  les investissements adéquats pour satisfaire la demande en pétrole pour au moins dix ans encore. Durant cette période, des investissements très importants dans des projets d’économie d’énergie et de développement de moyens de transport électrique (le pétrole étant à 80 % utilisé dans ce secteur) doivent être entrepris. Cela pose la nécessité d’une plus grande place du vecteur énergie électrique, à condition qu’elle soit produite proprement, sans gaz à effet de serre et sans rejets toxiques dans la biosphère. Cela demande dereconsidérer le débat sur l’énergie nucléaire et la place des énergies renouvelables dans nos systèmes (voir sur le nucléaire civil, l’article paru dans économie et Politique de juillet-août 2011 du même auteur).

Une conférence internationale consacrée à cette question, à l’image de Kyoto et de Copenhague pour le climat, en ayant conscience de toutes leurs insuffisances et contradictions, doit être organisée. Ce sera l’occasion de poser la question politique de la sortie planifiée à l’échelle mondiale  de la civilisation du pétrole, tout en relevant le défi de répondre aux besoins énergétiques d’une planèr

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