Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

Economie et Politique - Revue marxiste d'économie
Accueil
 
 
 
 

La finance grippe le monde

Dans la première partie de ce dossier, consacrée à la conjoncture mondiale, à l’automne 2011, nous montrerons que la reprise, au niveau mondial apparaît grippée après un été meurtrier. Si les pays émergents restent une locomotive, celle-ci est contradictoire. Les États-Unis sont confrontés à un chômage de masse durable.

Dans la deuxième partie de ce dossier, nous analyserons la conjoncture en Europe puis plus particulièrement en France, et nous la caractériserons de la façon suivante : de pire en pire. Ce qui rend impératif de rompre pour une autre logique.

I. La reprise grippée après un été meurtrier

L’été a été meurtrier. La donne conjoncturelle bouge beaucoup. Tandis que semblent échouer toutes les tentatives de réponses capitalistes au choc de 2008 – 2009, on voit se développer un climat marqué tant par le ras-le-bol et la résignation que par l’émergence de luttes nouvelles mettant désormais en accusation la finance, les banques et même la BCE !

Le FMI ne cesse d’envoyer des signaux d’alerte et des mises en garde. Son chef économiste, Olivier Blanchart, a reconnu[1] avoir sous-estimé la gravité des facteurs de crise à l’œuvre dans le cadre même de la reprise mondiale depuis le deuxième semestre de 2009.  Un double schéma, très mécaniste, de rééquilibrage était anticipé qui devait conduire à une accélération progressive de la croissance mondiale et une résorption des tensions.

D’abord un rééquilibrage intérieur des pays développés avec la demande privée qui devait prendre le relais de la relance budgétaire. Cela n’a pas eu lieu, dans un contexte de chômage persistant dans les pays développés, pour 3 raisons notamment :

  • Pénurie de crédit bancaire ;
  • Séquelles fortes de la spéculation immobilière ;
  • Haut niveau d’endettement des ménages.

Comme le relève Olivier Blanchart, en forme d’autocritique, ces facteurs « freinent en définitive la reprise beaucoup plus que nous ne l’avions prévu ».

Le second rééquilibrage devait être extérieur : « Les pays avancés accusant des déficits extérieurs courants – tout particulièrement aux États-Unis – ont besoin, pour compenser la faiblesse de la demande intérieure d’un accroissement de la demande extérieure ». Était donc escompté un basculement de la demande extérieure vers la demande intérieure dans les pays émergents qui affichent des excédents courants, particulièrement la Chine.

Mais ce second rééquilibrage ne se fait pas non plus ! D’où la crainte vive du FMI qui alerte sur les risques financiers de la période dans les pays avancés, en insistant particulièrement sur la gravité de la crise des dettes souveraines et la fragilité des banques en Europe .

Simultanément, il note que les pays émergents, «épargnés », pourraient cependant souffrir du ralentissement de leurs exportations et d’une volatilité accrue des flux de capitaux.

Quelles hypothèses ont été finalement retenues dans le scénario moyen du FMI ?

■ La croissance mondiale va se modérer, tombant à un rythme d’environ 4 % jusqu’à la fin de 2012, contre + de 5 % en 2010.

■ Le PIB réel des pays avancés connaîtrait une croissance anémique de 1,5 % en 2011 et de 2 % en 2012, tandis que la croissance du PIB ralentirait dans les pays émergents et en développement, en liaison avec l’adoption de mesures de refroidissement face à l’apparition de contraintes de capacité.

■ Cependant, la croissance des pays émergents se maintiendrait à un « rythme solide », de l’ordre de 6 % en 2012.

■ Mais des risques de dégradation se développeraient à partir des pays avancés. Cela concernait, d'abord, la zone euro avec l'éventualité que la crise des dettes souveraines échappe au contrôle des gouvernements. Le FMI demande expressément à la Banque centrale européenne (BCE) de baisser son taux directeur « si les risques de dégradation de la croissance et de l’inflation persistent»...

■ Mais cela concerne aussi les États-Unis où la croissance mollit sur fond de blocages politiques.

■ Le FMI envisage alors un « scénario noir » : la zone euro et les États-Unis pourraient replonger dans la récession, l’activité se situant en 2012 prés de trois points en dessous des projections.

Depuis, les demandes adressées à la zone euro n’ont cessé de s’amplifier, Christine Lagarde et Barak Obama lui-même sont montés au créneau, soit pour souligner la fragilité du système bancaire européen, soit pour demander des mesures de consolidation et de soutien de l’activité.

On a assisté, dans ce contexte, à l’amorce de grandes manœuvres, sur fond de spéculations renforcées et de stigmatisation par les États-Unis et la Réserve fédérale (FED), elle-même, de la santé des banques européennes, avec le déclenchement d’un retrait massif d’Europe des sicav monétaires américaines (les Fedfunds), accentuant les difficultés de liquidités en dollars des banques européennes.

On assiste aujourd'hui à un engagement politique direct des États  beaucoup plus dur dans le débat économico-financier mondial.

N’a-t-on pas vu se tenir, à Wroclaw (Pologne), le 16 septembre dernier, une réunion des ministres des finances européens en présence du secrétaire au Trésor des États-Unis, Tim Geithner ? Et n’a-t-on pas vu au, cours de la même réunion, américains et allemands se rejeter mutuellement la responsabilité des difficultés, les Européens se retrouvant divisés, mais cependant décidés à ne pas prendre d’initiative de relance?

Dans la foulée, le 6 octobre, la BCE a décidé de dire « non » à la demande expresse du FMI de réduire son taux directeur alors que, cependant, tout laisse anticiper une dégradation persistante de la croissance et de l’inflation en zone euro.

L’INSEE vient de produire son propre point de conjoncture intitulé « la reprise se grippe »[2].

Il y est indiqué que les indicateurs disponibles en septembre signalent tous un retournement. L'institut  fait, lui aussi, une sorte d’autocritique, reconnaissant que les événements de l’été mettent à mal le scénario retenu jusqu’ici d’un rebond dans le monde au deuxième semestre 2011.

Selon l’INSEE, l’activité a quasiment stagné dans les pays avancés au second trimestre 2011 avec une croissance de 0,1 % seulement :

■Le Japon a continué d’encaisser les effets du tsunami : -0,5 % au deuxième trimestre, après -0,9 % au premier trimestre.

■Les États-Unis ont réalisé + 0,3 %, contre + 0,2 % pour le Royaume-Uni et la zone euro.

Au cœur de cette langueur occidentale on retrouve la faiblesse de la consommation des ménages en liaison avec la levée  des dispositifs de soutien de l’activité mis en place suite à la récession de 2009 (automobiles notamment) et, surtout, la persistance d’un chômage considérable.

■ L’INSEE relève que le commerce mondial s’est contracté de 0,6 % au deuxième trimestre 2011, pour la première fois depuis mai 2009, tandis que la montée des tensions sur les marchés interbancaires de la zone euro couplée à la chute importante des bourses mondiales affectent,dit-il, la perspective pour la fin 2011.

Il salue le renforcement des interventions décidées par les banques centrales : L’opération « twist » de la Fed ( programme d’allongement des maturités des obligations fédérales qu’elle détient) et la reprise, par la BCE, des opérations d’achat d’obligations souveraines.

■ L’ institut remarque que, depuis la dégradation brutale de l’été, le climat des affaires se situe légèrement au-dessus du seuil d’expansion aux États-Unis et au Japon, mais en dessous de ce seuil en zone euro.

■ Si l’activité, outre atlantique, pourrait connaître une très légère accélération au troisième trimestre 2011 (+ 04 % après + 03 %), pour revenir à nouveau à + 0,3 % au quatrième trimestre, la croissance en zone euro serait encore plus faible : 0,1 % au troisième trimestre et 0 % au quatrième avec une différenciation entre, d’un côté, l’Allemagne et la France qui résisteraient un peu et, de l’autre, l’Europe du Sud en récession, Italie et Espagne comprises.

■Quant aux économies émergentes, elles poursuivraient leur ralentissement du fait, tant du resserrement de politique monétaire, que du freinage sensible des pays développés.

■ Le commerce mondial ne rebondirait pas d’ici la fin de l’année : après avoir stagné au troisième trimestre ils se replieraient au quatrième.

Au total, le monde ne devrait pas retomber précocement en récession (double deep), même si un tel scénario n'est pas à écarter pour certains de ses sous-ensembles (zone euro ou États-unis) mais il connaitrait, tiré par l'activité des pays émergents, une croissance du PIB très lente, chaotique, avec une accentuation très forte du climat concurrentiel mondial.

II – LA LOCOMOTIVE CONTRADICTOIRE DES PAYS EMERGENTS :

La croissance de ces pays demeure forte, même si elle souffre :

  • Des contrecoups du ralentissement des pays avancés, notamment du ralentissement de la conjoncture européenne si l’on sait, par exemple, que l’Europe est le premier débouché de la Chine devant les États-Unis ;
  • Des mesures de refroidissement de l’activité prises dans nombre de pays émergents pour faire face à la spéculation, immobilière notamment, aux importations de capitaux non désirés et à l’inflation des prix, notamment de l’énergie et des matières premières.

Les pays émergent ont un PIB par habitant inférieur à celui des pays développés, mais ils jouissent d’une croissance du PIB beaucoup plus rapide. Ils représentaient un tiers du PIB mondial, il y a 30 ans, mais plus de 50 % aujourd’hui. Ils forment plus des 4/5 de la croissance du PIB mondial sur les cinq dernières années.

Cela fait que, dans le contexte actuel de marasme que connaissent les pays avancés, les émergents apparaissent comme le nouvel eldorado vers lequel se ruent les capitalistes du monde entier.

Il y a donc un fort courant d’investissements vers ces pays sous exigence de rentabilité financière tendant, en réalité, à y faire pression sur les salaires, l’emploi, les conditions de travail et les dépenses sociales.

Cela souligne en retour combien les « réseaux capitalistiques et informationnels » ainsi créés pourraient aussi constituer la base d’accords de coopération tout à fait nouveau entre entreprises pour un co-développement des populations, grâce à des conditions de financement faisant reculer l’appel aux marchés financiers en utilisant la création monétaire[3].

L’avancée de ces emprises des multinationales dans les pays émergents tendrait désormais à développer le remplacement des hommes par des accumulations d’équipements matériels et un certain essor des salaires, en liaison avec les qualifications supérieures requises et les luttes sociales, tandis que, désormais, s’accentuent les mouvements de délocalisation vers les régions  aux plus bas salaires, à l’intérieur même des pays émergents et en développement.

 

Ainsi, ces pays contribueraient-il eux aussi, désormais, à la préparation d’une nouvelle sur- accumulation de capital matériel et financier à l’échelle planétaire et de son éclatement probable vers 2016 – 2017.

Quelle conjoncture en Chine ?

En 2009, au pire de la récession mondiale, la Chine a enregistré, elle, une croissance de 9,2 %, apportant 1,2 points à la croissance mondiale. Cela au moyen d’un grand plan de relance mettant l’accent sur le développement des infrastructures et l’injection massive de crédits par les banques locales.

Cela a permis une très rapide expansion de l’investissement en 2009, largement encouragée par un important relâchement de la politique monétaire et des mesures d’incitation fiscale.

En 2010, on assiste à une modération de la croissance de l’investissement public en réponse aux mesures de refroidissement décidée par Pékin face à la violente hausse des prix immobiliers et au gonflement de l’endettement des provinces et des municipalités.

Mais cela n’a pas interrompu la dynamique d’expansion de la demande privée et l’élévation de la part des exportations chinoises dans le commerce mondial, dépassant 10 % en 2010.

 

Américains et européens ne cessent d'accuser Pékin de « manipuler » le Yuan en maintenant sa valeur à des niveaux artificiellement bas. Tout récemment, on a vu Obama, lui-même, tenir un discours d’une fermeté proche de l'hostilité, déclarant que  la Chine aurait « été très agressive en jouant les échanges commerciaux à son avantage et au détriment d’autres pays, particulièrement les États-Unis »[4]. De plus, un projet de loi au Sénat américain entend taxer tous les produits en provenance de Chine à cause de la « sous-évaluation » du Yuan[5].

Effectivement, Pékin a choisi, entre juillet 2008 et juin 2010, d’ancrer le Yuan au dollar pour :

  • Soutenir ses secteurs exportateurs et son emploi dans un contexte de crise mondiale et compte tenu du fait que les multinationales ont cherché à faire de la Chine l’atelier industriel du monde développé,
  • Favoriser la stabilité financière.

Pour autant, le Yuan ne cesse de s’apprécier progressivement depuis 2005 et, sans doute, devrait continuer de le faire. Entre juillet 2005 et juillet 2011, il a gagné 20 % contre le dollar en termes nominaux et s’est apprécié quasiment de la même ampleur en terme effectif réel[6].

Depuis juin 2010, il fluctue par rapport à un panier de monnaies de référence dont la composition demeure inconnue. Il s’est apprécié de 2,6 % par rapport au dollar entre juin 2010 et fin 2010, puis, à nouveau, de 2,6% au premier semestre 2011. Pour les Chinois il n’est pas question de procéder à une forte réévaluation.

Cela dit, la Croissance du PIB chinois, qui était de +9,8% au quatrième trimestre 2010  en glissement annuel (GA), est passée à +9,7% au 1er trimestre 2011, puis + 9,5 % au deuxième trimestre. Elle devrait continuer de s’effriter au cours des quatre prochains trimestres.

Mais tous les observateurs estiment que l’atterrissage chinois devrait continuer de se faire « en douceur », dans l’immédiat.

En effet, en août dernier, les pays avancés s’enfonçaient dans la crise financière, mais les exportations chinoises continuaient d’afficher, elles,  une belle performance (+ 25 % en GA).

Certes, on note une tendance au ralentissement : la progression du total des exportations exprimées en dollars est passée de 31 % en 2010 à 24 % sur les huit premiers mois de 2011[7]Et il est vrai que la Chine demeure très exposée aux variations de la demande américaine et européenne.

Mais la demande intérieure semble demeurer solide, malgré des signes de modération en écho au resserrement de la politique économique.

Dans les prochains mois, sans doute, le ralentissement de l’investissement manufacturier sera prononcé. Mais le gouvernement chinois dispose de marges de manœuvre avec une dette officielle inférieure à 20 % du PIB et des déficits publics inférieurs, eux, à 3 %, sans parler d' énormes réserves en devises (plus de 3000 milliards de dollars)

Sans doute ces marges vont telles être sollicitées, car les capacités d’intervention des provinces et municipalités seront autrement plus limitées qu’en 2008, car elles se sont beaucoup endettées dans le cadre du plan de relance.

On peut donc penser que, dans l’immédiat, la croissance chinoise, si décisive pour la conjoncture mondiale, va tenir. Mais, le problème tient dans les contradictions qu’elle accumule.

Elles proviennent, fondamentalement, du fait que cette croissance est très insuffisamment créatrice d’emplois, encore beaucoup trop extravertie, et fondée principalement sur l’accumulation du capital avec un développement effectif, mais demeurant très insuffisant, des hommes[8].

Cela confirme que l’on assisterait en Chine à des débuts de changements fondamentaux par rapport à la croissance industrielle fondée sur les bas salaires.

Les questions du passage à un autre modèle de croissance se poseraient, en effet, désormais de façon très forte, faisant saillir de nombreuses ambivalences.

Il s’est ouvert en Chine un débat stratégique pour aller vers un modèle de croissance moins extraverti, moins dépendant des seules exportations de produits industriels vers les pays développés, avec la visée d’un équilibrage impliquant un poids plus élevé de la consommation et des services relativement à l’industrie et à l’investissement industriel, avec une sensible augmentation du marché intérieur encore si peu développé (800 millions de ruraux).

Ce débat stratégique interne vient  se conjuguer  aux pressions considérables des dirigeants des pays avancés, États-Unis en tête, pour que la Chine relâche sa pression exportatrice industrielle et, en liaison avec une nouvelle réévaluation du Yuan et une déréglementation de son système de crédit, ouvre largement son marché intérieur aux occidentaux, notamment en matière de services avec l'énorme défi qui se profile sur les retraites et la sécurité sociale.

 

Les dirigeants chinois, après avoir laissé pendant plusieurs années progresser les « forces du marché », s’être heurté à la montée de vives protestations sociales et au creusement formidable des inégalités, parlent désormais de mieux « commander » l’économie.

Tout le problème est de savoir vers quels buts et en s’appuyant sur quelles forces sociales. Les ambivalences sont en effet lourdes[9].

S’agit-il de mieux collaborer avec le capitalisme occidental, mieux rivaliser dans les enjeux de domination mondiale ? Ou bien, s’agit-il de commencer à engager des avancées vers une construction nationale beaucoup plus sociale et participer à des coopérations mondiales de co-développement ?

L’actualité récente confirme les ambivalences.

Cet été, après la dégradation à très forte portée symbolique, par Standard & Poor's, de la note des États-Unis, l’agence « Chine nouvelle » a déclaré que Pékin « a désormais tous les droits d’exiger des États-Unis qu’ils s’attaquent à leur problème structurel de dettes ».

Joe Biden, vice-Président des Etats-unis, a été obligé d’aller à Pékin pour rassurer les dirigeants chinois sur le fait que les États-Unis « ne feraient jamais défaut » et s’assurer, en même temps, de la poursuite sans histoire de leur coopération de fait pour le financement de la dette américaine.

Celui-ci est parti, semble-t-il rassuré dans l’immédiat et, d’ailleurs, on a vu après le déclassement de la dette américaine les taux à long terme, déjà si bas, continuer de baisser outre-Atlantique.

Cependant, la demande chinoise d’une autre monnaies de réserve internationale que le dollar, à partir des DTS du Fonds monétaire international, est sur la table et trouve de nouveaux échos, alors même que les fragilités de l’euro rendent très difficiles, pour l’heure, de nouveaux efforts de diversification des réserves chinoises, lesquels privilégient, pour l'heure, le won coréen et le yen japonais.

En même temps, on voit la Chine se montrer prête à aider la Grèce, le Portugal, l’Espagne. Est-ce pour se partager les dépouilles dans le cadre des privatisations considérables requises par le pacte de stabilité renforcée et le pacte de l’euro plus, ou est-ce pour une réorientation éventuelle de l’euro ?

De plus, on se souvient des initiatives politiques nouvelle des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), conscients désormais de leur poids mondial et affirmant vouloir s’allier pour la promotion d’un monde multi-polaire, tandis que le Brésil s'est dit prêt à aider l’Europe à faire face à la crise des dettes souveraines.

Le G20 de Cannes va être marqué par ces enjeux, en même temps que l’on sait que peuvent être travaillées de nouvelles divisions comme, par exemple, la sourde lutte commerciale entre la Chine et le Brésil, voire l’Afrique du Sud.

Les États-Unis vont tout faire aussi s’opposer à un quelconque rapprochement entre l’Europe et les pays émergents qui puisse mettre en cause leur marge de jeu et relancé la polémique à propos du dollar.

C’est dire l’énorme enjeu de travailler à un rapprochement entre l'Europe et les pays émergents et de promouvoir l’idée de monnaie commune mondiale, en faisant en sorte d’inscrire ces questions à l’agenda du débat de l’élection présidentielle de 2012 en France.

III-  LES ÉTATS-UNIS FACE AU CHÔMAGE DE MASSE DURABLE :

La croissance a été décevante au premier semestre 2011 : après + 2,4 % au premier trimestre, elle a fléchi à + 1,8 % au deuxième trimestre (variations annuelles). Aucune amélioration ne semble en vue d’ ici  à la fin de 2011.

C’est la demande des ménages qui demeure le maillon faible. Elle n’a progressé que de 1,2 % (taux moyen trimestriel annualisé) au premier semestre 2011.

Entre le point haut du troisième trimestre 2007 et le point bas du deuxième trimestre 2009, cette composante de la demande a perdu 5,3 %, amputant la croissance du PIB de 3,9 points. Depuis, elle n’a regagné que 3,3 % (à fin août).

le revenu des ménages est plus que jamais dépendant du marché du travail qui demeure très    hésitant. Et pour cause ! Entre le pic du troisième trimestre 2007 et le creux du deuxième trimestre 2009, ce sont 8 750 000 emplois qui ont été détruits. Et depuis, il ne s’en est créé que 1,417 millions à fin août 2011.

Le rapport sur l’emploi de septembre fait état d’un nouveau redressement : 103 000 emplois non agricoles ont été créés en septembre, alors que les estimations d’août et de juillet ont été révisées à la hausse.

Cependant, la hausse de septembre n’est pas suffisante pour abaisser le taux de chômage officiel qui demeure rivé à 9,1 %. Il est estimé qu’il faudrait au moins 150 000 créations nettes d’emplois par mois pour que ce taux diminue. De plus, on sait que si le redressement se confirme, des chômeurs découragés viendraient à nouveau sur le marché du travail.

La progression de l’emploi a été concentrée sur un petit nombre de secteurs d’activité du privé, tandis que l’emploi public continuait sur sa pente descendante[10]. L'État fédéral et, surtout, les collectivités locales, en proie à de grosses difficultés budgétaires, ont supprimé 34 000 postes en septembre selon le ministère

Le nombre de personnes contraintes de travailler à temps partiel, faute de pouvoir trouver un emploi à plein temps, a augmenté en septembre, de sorte que, si on les prend en compte, ainsi que les chômeurs exclus des statistiques pour  des raisons diverses, le taux de chômage réel a progressé de 0,3 point par rapport à août pour atteindre 16,5 %.                                                                                      

Les chiffres montrent également, une fois de plus, une hausse du chômage de longue durée : sur les 14 millions de chômeurs officiellement recensés comme tels, 44,6 % l’étaient depuis plus de six mois... ce qui confirme, de ce point de vue, le rapprochement de la situation américaine avec celle de l’Europe.

Cette persistance sans précédent d'un chômage à très haut niveau, alors même que la charte  constitutive de la FED place le « plein emploi » au premier rang de ses objectifs, témoigne de la façon dont les investissements en technologies informationnelles, très économes en moyens, s'accompagnent d'une très insuffisante création d'emplois dés lors que leur but est la rentabilité financière.

Avec un tel volant de chômeurs, les salaires demeurent paralysés. Selon le rapport sur l’emploi, le salaire hebdomadaire moyen a progressé en septembre de 0,4 % par rapport à août (mois au cours duquel il avait baissé) est de 2,1% sur un an, alors même que la hausse des prix annuels aurait été de 3,8 %.

Cette situation sociale très dégradée jure avec la santé financière particulièrement florissante des grandes entreprises.

Au deuxième trimestre 2011, les profits avant impôts ont atteint un niveau historique de 14,4 % du PIB, alors que, simultanément, la part de l’investissement des entreprises dans le PIB n’a été que de 9,9 % au deuxième trimestre 2011, contre une moyenne de long terme de 11,5 %.

Les sociétés affichant des excédents de financement considérable.

Le trésor de guerre des grandes entreprises américaines a été évalué à 1200 milliards de dollars. Trois-quarts de cette manne sont placés à l’étranger. Le reste est mobilisé pour des OPA de concert avec l’endettement : au premier trimestre 2011, le montant des OPA réalisées aux États-Unis a bondi de 124 % à 27 milliards de dollars. Ce surplus est mobilisé aussi pour des rachats massifs d’actions : au premier semestre 2011, les grandes entreprises ont racheté pour 124 milliards de dollars de leurs propres actions, soit 2 milliards par jour d’ouverture de la bourse.

Si l’on prend l’ensemble des entreprises, le rapport entre leurs actifs liquides et leurs actifs totaux  atteint 14 %, soit le plus haut niveau depuis 1985.

Cette situation d’extrême aisance financière n’empêche absolument pas, semble-t-il, les entreprises américaines de s’endetter. Selon Money Week, leurs dettes cumulées auraient bondi au premier trimestre 2011 pour atteindre le niveau record de 7 300 milliards de dollars au 31 mars 2011, soit 100 milliards de dollars de plus qu’au début de l’année.

Cette situation où les groupes disposent d’énormes surplus est en fait la contrepartie des très importantes économies de moyens humains et matériels permises par les technologies informationnelles et utilisée pour maximiser la rentabilité financière.

Tout cela amène à dresser un constat d’échec relatif de la politique de relâchement monétaire (Quantitative easing) menée par la Fed, mais aussi des efforts de relance budgétaire d’Obama.

Certes, la Fed a réussi à empêcher la déflation et un effondrement catastrophique de l’économie américaine. Mais, cependant, elle n’arrive pas à redresser l’activité et, principalement, l’emploi. La monnaie massivement créée par la Fed et les très bas taux d’intérêt ont servi, surtout, à alimenter les opérations financières, le levier des banques, les exportations de capitaux, la spéculation et les restructurations.

Cela confirme le caractère pervers d’une création monétaire sans sélectivité incitative au développement des services publics, à l’essor de l’emploi, de la formation et de la masse salariale.

En effet, dans le même temps, l’énorme dette publique accumulée, continue de se nourrir de déficits publics colossaux engendrés par les dépenses de guerre et de domination, le soutien aux banques et aux groupes, mais aussi par la très faible pression fiscale supportée par les grandes sociétés et les grandes fortunes[11].

Les efforts répétitifs de relâchement monétaire (QE1 +QE2) ont surtout encouragé de nouveaux affaiblissements du dollar, tout en augmentant la détention de bons du trésor des États-Unis par la Fed malgré la baisse de taux d’intérêt à long terme.

Le taux de change effectif nominal du dollar est passé de l’indice 75 à la fin du premier trimestre 2009 à l’indice 62 à la fin de premier trimestre 2011 (-17,3 %) et cela pour un indice 100 en 2002.

Cela a entraîné une accentuation radicale de la pression concurrentielle des productions de la zone dollar sur la zone euro, incitant plus encore aux délocalisations. En même temps, cela a occasionné une perte de valeur des actifs en dollars détenus par l’étranger, notamment les créances chinoises.

C’est dans ce contexte que s’est déroulée la partie de bras de fer sur le relèvement du plafond de la dette et la dégradation de la note des États-Unis.    

On sait sur quel accord bancal cela a débouché : Un relèvement immédiat du plafond de 900 milliards de dollars, en contrepartie d’une baisse des dépenses de 917 milliards de dollars sur 10 ans. Et une commission bi-partisane doit proposer, avant le 23 novembre 2011, quelque 1200 milliards de dollars de coupes supplémentaires. Si le Congrès adopte ses propositions, avant le 23 décembre, le plafond de la dette sera, une fois de plus, relevé d’un montant correspondant.

Mais s’il y a désaccord, alors les dépenses seraient automatiquement diminuées de 1200 milliards de dollars (sur 10 ans) et le plafond de la dette  relevé d’autant.

Obama a adopté, dans cette épreuve de force, une position ambiguë : face aux blocages des républicains qui ne veulent pas entendre parler de hausses d’impôts, il opposerait son veto à tout projet de loi visant à réduire les prestations au titre du «medicare »[12], sans hausses d’impôts des grandes entreprises et des plus riches. Donc il serait prêt à accepter une baisse de ce dispositif social.

la Fed, dans ce contexte, commence à sembler un peu démunie. Bernanke a déclaré qu’il laisserait le taux des « Fed funds »[13]  à « des niveaux exceptionnellement bas (…) au moins jusqu’à 2013 » et il a procédé à un rallongement de la maturité du portefeuille des bons du trésor de la Fed, alors que de nombreux observateurs s’attendaient à un QE3.

Les taux à long terme ont reculé de façon significative, alors même que l’on venait de connaître le psychodrame du déclassement de la notation américaine et du relèvement du plafond de la dette, ce qui aurait pu stimuler, au contraire, une remontée.                             

Obama a décidé, en plus, de lancer un plan de 400 milliards de dollars au nom du soutien de l’emploi et qui contient, notamment, des mesures de réduction des cotisations sociales d’employeurs.   

Il est difficile, pour l’heure, d’évaluer son impact. Quoi qu’il en soit, il apparaît bien que les États-Unis ont absolument besoin d’une reprise de la demande mondiale susceptible de faire une large place à leurs exportations. 

Comme le relève P.  Artus, dans une de ses notes, les États-Unis vont essayer de faire en sorte de « voler » la croissance dont ils ont besoin et dont ils n’ont plus, pour l’heure, les ressorts internes suffisants

Le ralentissement est tel, outre-Atlantique, que l’on reparle du risque de « double deep » en 201

C’est une possibilité et cela aurait des répercussions graves. Mais les prévisions disponibles pour l’heure font plutôt état d’une croissance très faible mais demeurant positive

Quoi qu’il en soit la perspective d’un krach des bons du trésor et du dollar se précise de plus en plus. .. sans doute à l’horizon 2016-2017, compte tenu de la croissance toujours robuste des pays émergents et de l’acceptation chinoise de continuer à racheter des bons du trésor des États-Unis. 

Tout le problème est de savoir comment les rapports de forces vont évoluer avant cette échéance, et à cause d’elle, au fur et à mesure que l’on s’en rapprochera. Obama  a réussi pour  l’heure à obtenir des Chinois qu’ils demeurent coopératifs, sur le fil du rasoir. Il est vrai que vu la crise de l’euro, ils n’ont guère d’alternative. Mais il en veut plus.

Il exerce, simultanément, une pression de plus en plus forte sur les Européens et la zone euro de façon à ce que celle-ci s’inscrive dans la ligne stratégique américaine de capture de la croissance des aut

Les Américains pourront-ils être contraints de s’asseoir à une table de négociation avant que n’explose le dollar ? C’est le grand enjeu d’une nouvelle conférence monétaire, financière, commerciale et économique internationale qui devrait aller bien  au-delà de Bretton-Woods

Il faut, dans ces circonstances, être très attentif à l’évolution de la situation sociale outre-Atlantique. Le succès remporté déjà par le mouvement « Occupy Wall Street” mettant en cause les banques et la finance est sans précédent depuis des décennies. Annonce-t-il une nouvelle phase du mouvement social aux États-Unis ?



[1]    FMI : Perspectives de l’économie mondiale - Septembre 2011

[2]    INSEE-conjoncture: « La reprise se grippe », octobre 2011.

[3]    P. Boccara: La crise systémique Europe et Monde, quelles réponses – Le Temps des cerises, col. ESPER, septembre 2011. On se reportera tout particulièrement à la troisième partie du livre.

[4]    les Échos du 10 octobre 2011.

[5]    Le Sénat américain a en effet voté le 11 octobre dernier en faveur d’un texte de loi visant à mettre en place des droits de douanes supplémentaires sur les produits importés des pays qui, selon lui,  pratiquent un« dumping monétaire ». La Chine est clairement visée. Les responsables politiques américains estiment en effet que le yuan est maintenu faible par Pékin, pour gonfler ses exportations. Selon eux, cette politique permettrait aux marchandises chinoises d’afficher un avantage compétitif de l’ordre de 30% par rapport aux produits américains. L’adoption du projet de loi est une «entorse grave» aux règles de l'organisation mondiale du Commerce (OMC) susceptible de provoquer une «guerre commerciale», a réagi le ministère chinois des Affaires étrangères

[6]    BNP Paribas: « Conjoncture Taux Change », Economic research department, octobre 2011.

[7]    Ibid.

[8]               P. Artus, Mistral M et V. Pagnol : L'émergence de la chine: impact économique et implications de politique  économique"- Rapport du Conseil d'Analyse Economique(98), La documentation française,  juin 2011. On se reportera particulièrement au commentaire de J. Pisani-Ferry qui met en exergue une tendance à la "sur-accumulation de capital".

[9]    P. Boccara, op.cit. .

[10]  l’Expansion (7 octobre 2011).

[11]  Ainsi, en 2007, les dépenses publiques représentaient 36,5 % du PIB, tandis que la pression fiscale n’était que de 35,5 %, soit un écart de un point. Mais en 2008, les dépenses publiques sont passées à 40,5 % du PIB et la pression fiscale à 32 %, soit un écart de 8,5 points du PIB.

[12]  C'est le nom du filet de sécurité en matière d'assurance-santé géré, aux États-unis, par le gouvernement au bénéfice des personnes de plus de 65 ans ou disposant de faibles ressources.

[13]  Taux à très court terme du marché monétaire aux États-unis.

 

Il y a actuellement 0 réactions

Vous devez vous identifier ou créer un compte pour écrire des commentaires.