Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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L’Europe dans le rouge

I. Europe : éviter  le pire en préparant pire encore

Retour sur les événements de l’été

En mai 2010, parallèlement au plan dit de « sauvetage de la Grèce », a été mis en place, face aux craintes de contagion, un Fonds européen de stabilité financière (FESF). Les États membres de la zone euro s’étaient engagés à garantir  les émissions d’emprunts de ce Fonds sur le marché financier pour un montant maximum de 440 milliards d’euros, la part maximum de chaque État étant calculée au prorata de sa participation au capital de la BCE.

Cela ne veut pas dire, pour autant, que le FESF aurait disposé ainsi d’une capacité effective de prêt de 440 milliards d’euros. En effet, les agences de notation avaient jugé que, pour que ces émissions bénéficient de la note « AAA », les montants prêtés ne devraient pas excéder les garanties émises par les seuls États de la zone notés « AAA ».

Or, ces États ne pouvaient s’engager qu’à hauteur de 255 milliards d’euros.

Ce dispositif était censé ouvrir la voie à une résolution de la crise des dettes publiques, via donc un appel redoublé au marché financier, afin de continuer de préserver la création monétaire de la BCE de toute sollicitation par les dépenses publiques.

Or, depuis, la spéculation n’a pas cessé de mettre en cause la crédibilité du plan grec et du FESF lui-même. Le risque de contagion à l’Espagne et l’Italie, malgré le renchérissement des politiques d’austérité, a conduit au sommet extraordinaire du 21 juillet dernier. Il y a été pris quatre décisions importantes :

1. Ne pas instituer  de taxation bancaire, un temps envisagée.

2. Accorder un second plan d’aide  publique à la Grèce de 109 milliards d’euros mais dont 50 milliards seulement étaient destinés à couvrir les besoins de financement courant de l’État grec (1). Alors que, dans le premier plan de 2010, les États avaient accordé des prêts bilatéraux à la Grèce, les financements passeraient désormais par le FESF, comme pour l’Irlande et le Portugal. Il a été aussi convenu que ces trois États devaient bénéficier d’un allongement important de la maturité des prêts (15 à 30 ans) et d’un abaissement de leur taux du niveau « punitif » de 5 %, exigé par l’Allemagne, au niveau du coût de financement du FESF.

3. S’engager dans la voie d’une participation du secteur privé à ce plan d’aide. Les banques auraient à choisir entre plusieurs types d’opérations permettant l’échange (rollover) de titres de dette grecque arrivant à échéance avant 2019, contre des obligations de 15 à 30 ans à des conditions au-dessous de celles du marché. Effectuée sur une base strictement volontaire, la participation des banques du pays devait se traduire par une perte de 21 % de la valeur des titres échangés.

4. Renforcer les instruments dits de « stabilité financière ». Déjà, en juin, les États membres s’étaient mis d’accord sur le fait d’accroître la capacité effective de prêt du FESF à 440 milliards d’euros et de l’autoriser à intervenir, de façon exceptionnelle, sur le marché primaire de la dette d’un pays sous assistance. Le 21 juillet, ils ont décidé d’étendre cette capacité d’action au marché secondaire de tous les États de la zone, ceux-ci ne pouvant cependant se faire que sur recommandation expresse de la BCE et après accord unanime de tous les États membres. De plus, le FESF sera également autorisé à recapitaliser des institutions financières d’un État en difficulté.

Le processus de ratification parlementaire vient juste de prendre  fin avec la Slovaquie que, déjà, les évènements bousculent la donne.

1. La Grèce ne peut pas payer…

Cette évidence, déjà si forte au moment même de l’adoption du premier plan de sauvetage contre laquelle le PCF fut la seule force politique représentée au Parle- ment a avoir voté, s’impose largement désormais.

Il est vrai qu’en 3 ans la Grèce a perdu, avec ce régime 10 % de son PIB, comme le relève Jacques Delors (2) tandis que sa dette souveraine est passée de 120 % du PIB en 2008 à 162 %  en 2011 !

Mais cela ne fait que relancer la spéculation contre les banques porteuses de titres grecs, tandis que s’accentuent les risques de contagion aux titres espagnols et italiens dont les bilans bancaires européens,  français en particulier, sont bourrés.

2. D’où un risque de contagion systémique

Ces développements ont fait perdre de plus en plus de sa crédibilité au FESF tel qu’il a été renforcé en juillet 2010. Sa taille peut paraître insuffisante car les besoins bruts de financement de l’Espagne et de l’Italie sont estimés à plus de 200 et 350 milliards d’euros respectivement en 2012.

La crédibilité du FESF sur les marchés financiers recule d’autant  plus que le doute désormais grandit sur la pérennité de la note « AAA », après l’alerte lancée par l’agence Moody’s sur la note de la France qui en est le deuxième pays contributeur.

Aussi, déjà, monte de toutes parts l’appel à la recapitalisation des banques. Tandis que commencent de circuler les esquisses de nouveaux plans beaucoup plus directifs sur les privatisations en Grèce, allant jusqu’à demander une réplique des modalités retenues pour l’ex-RDA avec la Treuhandanstalt. Simultanément c’est tout le plan de sauvetage de l’euro qui pourrait être remis en question, tandis que désormais Merkel et, derrière elle, Sarkozy parlent du besoin d’un « nouveau traité ».

En réalité le plan de sauvetage du 21 juillet a en quelque sorte « ouvert la boîte de pandore » en remettant en cause le principe de l’intangibilité des dettes  souveraines (3).

Au cours de l’été  se sont alors conjugués plusieurs facteurs  d’inquiétude importants :

 L’accentuation du risque de contagion de la Grèce jusqu’à l’Italie mise en demeure par la BCE, elle-même, d’adopter un super plan d’austérité, ce qui a été fait ;

 La chute en bourse des banques européennes en écho à l’ampleur de leurs engagements sur l’Espagne et l’Italie ;

 La dégradation par Standard & Poor’s de la note « AAA » des États-Unis ‒ ce qui, malgré tout, a contribué à ébranler sérieusement des certitudes sur la solvabilité de ce pays dans l’avenir ;

 Le reflux de l’Europe des fonds monétaires américains (Money Market Funds) : au 30 juin 2011 ils avaient 1570 milliards de dollars d’actifs sous gestion, composés pour moitié de bons du trésor des États-Unis et, pour moitié, de papiers à court terme émis par des banques européennes en dollars, les banques françaises pesant là-dedans pour 15 % environ. Ces fonds moné- taires ont retiré des liquidités portant sur 235 milliards de dollars depuis le printemps 2011.

 La nervosité d’ensemble a été très accentuée par la Fed, elle-même, qui a émis des doutes sur la stabilité des financements en dollars des banques européennes. Il faut ajouter, ensuite, les interventions pressantes d’Obama demandant aux Européens de mettre à l’ordre dans leurs affaires.

Cela a entraîné une sorte de crise de défiance sur les places boursières dont ont pâti les banques européennes, françaises surtout avec, au cœur, la situation de la Société générale et celle de Dexia.                                                                                                                                                                                                                  

Certes, cela s’est conjugué à des tensions sur les taux interbancaires bien moindres qu’au  moment de la faillite de Lehman Brothers, fin 2008. Mais cela est dû uniquement au fait que la BCE s’est substituée au marché interbancaire pour les banques des trois pays sous plan de sauvetage européen et qu’elle s’est enga- gée – momentanément – à prendre le relais pour les autres banques de la zone euro afin de satisfaire leurs besoins en dollars.

Dès lors la question se pose d’une nouvelle crise de liquidités bancaires, à partir de la zone euro cette fois- ci, et dont il est sérieux de se demander  si les banques centrales seront alors en mesure d’y faire face.

Tout ceci a conduit à bousculer profondément l’idée qui s’était ancrée que la Grèce ne fera pas défaut et qu’il suffisait  d’appliquer le programme du 21 juillet.

Les avis sont en train de bouger de partout sur un fond d’unanimité cependant pour accélérer la fuite en avant dans les marchés financiers, renforcer les politiques d’austérité et le contrôle fédéraliste autoritaire de leur mise en œuvre.

Quelles sont donc les questions  sur lesquelles semblent devoir bouger des dirigeants qui, rappelons-le, reconnaissent tous qu’il  n’est  pas question d’abandonner l’euro?                                                                                                                                                                                                                                                 

a. Le niveau de participation  du secteur privé au finan- cement de la dette grecque : les banques pourraient être contraintes d’accepter  une décote de plus de 50 %.

b. La taille et les missions du FESF : différents schémas seraient à l’étude pour renforcer la force de frappe du Fonds (effet de levier, démultiplicateur…). le FESF aurait pour mission de faire des prêts de précaution aux pays fragilisés, de racheter leur dette et de recapitaliser les banques. Cependant la France pousse l’idée  de conférer une licence bancaire au FESF où à son remplaçant en 2013, le mécanisme européen de stabilisation (MES) qui disposera d’un capital en propre apporté par les membres de la zone euro. Il s’agirait, ainsi, de lui permettre d’emprunter directement auprès de la BCE ou, alors, de lui faire émettre des garanties plutôt que des prêts. Cette option est combattue par l’Allemagne car elle conduirait à impliquer la BCE dans le financement d’États en difficulté, ce qui est contraire aux dogmes de Maastricht et de la Bundesbank.

Bref, semble se chercher la possibilité de donner au FESF un quasi-statut de prêteur en dernier ressort à partir des marchés financiers, en essayant de ne pas impliquer la BCE et sa création monétaire et de ne pas trop peser sur la solvabilité des pays les mieux dotés.

c. La date de mise en place du Mécanisme européen de stabilité : MES.

Il devrait succéder au FESF à la mi-2013. Désor- mais  l’Allemagne le veut pour mi-2012. Lors d’une rencontre Merkel-Sarkozy, les discussions auraient eu lieu sur l’organisation planifiée, dans le cadre du MES, d’un défaut d’un pays en difficulté de la zone euro. Le vice-chancelier allemand en charge du ministère de l’Économie a même parlé d’un organisme indépendant supranational qui serait chargé de me- ner des négociations avec toutes les parties.

d. La recapitalisation des banques : on parle d’une possible coordination au niveau européen d’un nouvel effort de recapitalisation que tend à précipiter la chute de Dexia. On parle aussi d’une application plus rapide que prévu des règles prudentielles de Bâle III qui vont pousser à des augmentations significatives de fonds propres des banques.

Bien sûr, il semble y avoir sur tout cela un bras de fer franco-allemand  avec, notamment, la volonté de Sarkozy  d’empêcher que ne soient stigmatisées les difficultés spécifiques du système bancaire français.

Quoi qu’il  en soit, les réflexions nouvelles engagées depuis le mois de septembre semblent aller bien au-delà de la seule question du FESF et pourraient ouvrir sur quelque chose de beaucoup plus ambitieux à l’échelle européenne, nécessitant un nouveau traité.

La conjoncture de la zone euro

La zone euro n’a jamais cessé de connaître des perfor- mances inférieures à celles des États-Unis. La reprise s’est quasiment arrêtée au deuxième trimestre 2011. Le PIB n’a crû que de 0,2 % d’un trimestre à l’autre, contre 0,8 % au premier trimestre 2011.

L’activité  du secteur manufacturier a été le moteur de la reprise qui a atteint son pic au premier semestre 2011. Avec les turbulences  sur la dette souveraine, la croissance s’est beaucoup détériorée durant l’été.

L’indice composite PMI de l’activité a perdu 10 points au cours des derniers mois. Il semble même signaler une contraction possible de l’activité en septembre, laissant envisager ensuite une croissance très molle (4).

La vigueur de la production industrielle en juillet (+ 1 %), tirée par l’Allemagne, ne se prolongerait  pas. Au total, selon les dernières prévisions de l’INSE (7 octobre 2011), la production industrielle croîtrait de+ 0,4 % au troisième trimestre 2011. Elle stagnerait au quatrième trimestre 2011 et au premier trimestre 2012.

L’activité  de la zone euro progresserait au troisième trimestre 2011 au même r ythme qu’au  deuxième trimestre (+ 0,2 %), en ligne avec le ralentissement de la production industrielle. Au total, après un fort re- bond au premier trimestre 2011 et un repli au deuxiè- me trimestre 2011 dans le secteur de la construction, l’investissement total serait très peu dynamique, jusqu’au  premier trimestre 2012 au moins.

Il faut dire un mot, en particulier, de la conjoncture économique allemande.

Elle a connu un net ralentissement au deuxième trimestre 2011 (+ 0,1 % de trimestre à trimestre après + 1,3 % au premier trimestre 2011), sous l’effet d’une progression particulièrement soutenue des importations, alors que le PIB atteint à peine le précédent haut du premier trimestre 2008.

Ce freinage serait dû au repli de la consommation privée, mais, surtout, à la contribution négative du commerce extérieur, les importations augmentant beaucoup plus désormais que les exportations.

Celles-ci, précisément, devraient fortement pâtir du ralentissement des échanges internationaux. Les exportations de l’Allemagne  représentent en effet 50 % de son PIB. Les exportations  vers la seule zone euro représentent 40 % des exportations totales de marchandises de ce pays. Et c’est sur la zone euro que l’Allemagne accumule ses plus importants excédents commerciaux.

La production industrielle, principal moteur de la croissance allemande, a ralenti sensiblement au deuxième trimestre 2011 : + 1,1 % (de trimestre à trimestre) après + 2,3 % au premier trimestre 2011. Cela, il faut le souligner, serait dû particulièrement à la décision de fermeture de plusieurs centrales nucléaires.

Cependant, l’activité s’est maintenue dans les secteurs manufacturiers, particulièrement les biens d’équipe- ment, grâce à la bonne tenue de l’investissement.

Mais, si la production industrielle a connu un rebond en juillet, l’évolution sous-jacente des nouvelles com- mandes semble annoncer, selon les observateurs (5), une expansion modérée au cours des prochains mois.

L’investissement  en machines et équipements a été dynamique jusqu’ici au deuxième trimestre 2011, il a enregistré sa sixième hausse consécutive grâce à :

 des conditions de financement avantageuses ;

 une utilisation soutenue des capacités de production. Celle-ci selon l’IFO, atteindrait 86,7 % (contre 89,57 % au deuxième trimestre 2007).

Mais la hausse de l’investissement au deuxième trimes- tre 2011 marque un ralentissement sensible : + 1,7 % (de trimestre à trimestre) après + 2,1 % (de trimestre à trimestre) au premier trimestre 2011.

Le tassement de la demande extérieure devrait peser sur cette dynamique au cours des prochains trimestres. Outre-Rhin, le chômage est orienté à la baisse depuis l’été 2009 : 6,9 % en septembre, soit son niveau le plu bas depuis 1991 (mais il y a eu depuis, il est vrai, les réformes Hartz).

Ce taux de chômage évolue peu depuis plusieurs mois, malgré les nouvelles créations d’emploi, car la baisse du taux de chômage est accompagnée d’une hausse du taux d’activité (76,8 % au premier trimestre 2011).

Mais des tensions apparaissent sur le marché du travail avec une accentuation marquée des pénuries de main-d’œuvre qualifiée notamment.

Pourtant, alors que le taux de chômage officiel est si bas, la consommation  privée marque le pas : - 0,7 % au deuxième trimestre 2011, soit le premier recul depuis le 3ème trimestre 2009.

Cela exprime une insuffisance de revenu qui fait écho à l’ampleur sans précédent des emplois à temps partiel. Mais il faut, bien sûr, ajouter la pression de la politique budgétaire, la hausse des prix de l’énergie et, disent les enquêtes, « la crainte de devoir contribuer davantage au plan d’aide de la zone euro ».

L’Allemagne, dans ces conditions,  présente un déficit public qui ne sera que de 1,7 % du PIB cette année, contre 4,3 % en 2010 !  Le gouvernement se donne pour cible un niveau inférieur à 0,35 % du PIB en 2016 qui est inscrit dans la loi fondamentale depuis juillet 2009.

Quant à la dette publique, elle a atteint 84,1 % du PIB en 2010, après 73,5 % en 2009. Il est prévu qu’elle recule cette année à 81,5 % du PIB.

C’est dans ce contexte conjoncturel des plus médiocres pour les Européens  que la BCE avait clairement refusé de faire droit aux demandes répétitives des Américains, du FMI et de l’OCDE de réduire son taux d’intérêt directeur : le dernier Conseil des gouverneurs présidé par Jean-Claude Trichet a laissé ce taux inchangé à 1,5 %.

Cependant, cette décision a été assortie de nouvelles mesures non conventionnelles pour soutenir la liquidité bancaire, alors que persiste la défiance entre banques de la zone euro, leurs dépôts auprès de la BCE atteignant de nouveaux records annuels.

La BCE a la responsabilité d’assurer la stabilité finan- cière de la zone, le temps que soient mises en place les dispositions adoptées par les dirigeants de la zone euro le 21 juillet dernier.

Le train de mesures exceptionnelles décidées il y a deux semaines par le Conseil des gouverneurs de la BCE repose sur deux piliers :

 L’ouverture aux banques de deux nouvelles lignes de crédit à volume illimité sur un an, ce qui est une durée exceptionnellement longue ;

 La promesse de fournir aux banques 40 milliards d’euros, via le rachat d’une partie de leurs actifs, et immobiliers notamment.

Ces décisions exceptionnelles traduisent une contradic- tion criante entre l’objectif de lutte contre l’inflation au service d’un « euro fort » et la préoccupation gran- dissante au sujet de la situation des banques.

Jean-Claude Trichet a mis en garde ces dernières : elles doivent tout faire pour renforcer leur bilan, alors même que Dexia doit faire  l’objet de ce que l’on appelle pu- diquement une faillite ordonnée, après avoir été déjà remise à flot et avoir réussi, sans difficulté, les « stress tests » passés  en juillet dernier.

Il faut noter que, parallèlement à ce nouveau train de mesures de la BCE, la Banque d’Angleterre (BoE)  a décidé, elle, de recourir aux grands moyens pour tenter de relancer une croissance quasiment à l’arrêt, suite au super plan d’austérité de Cameron, en injectant 75 milliards de Livre d’argent frais, soit 87 milliards d’euros.

II. France : les banques dans le champ politique

Le fait le plus nouveau en France concerne la défiance qui frappe les banques dont le maillon le plus faible paraît bien être leur liquidité.

Des travaux du comité de Bâle publié fin 2010 font ain- si ressortir que, par rapport au futur ratio de liquidité à court terme requis à 100 % au 1er janvier 2015 : les 85 plus grandes banques mondiales (groupe 1) avaient, en moyenne, un LCR (6)) de 83 % à fin 2009.

Or, si ce ratio est de 67 % pour les 8 banques européennes du groupe 1, il serait inférieur à 50 % pour les seules banques françaises (chiffre jamais démenti).

Qu’en est-il effectivement ? On ne le sait pas.

Selon Le Nouvel Économiste du 1er au 7 septembre 2011, il y aurait 3 raisons fondamentales à la faiblesse du ratio de liquidité des banques françaises :

1. Le très fort développement en France des Sicav monétaires-génératrices de commissions – au détriment des simples dépôts, sicav que les banques font gérer par de très coûteuses filiales de « gestion d’actifs » ;

2. Les banques françaises sont les championnes de l’assurance vie, pourvoyeuse de fortes commissions et hors bilan ;

3. Surtout, les grandes banques françaises ont développé considérablement  des activités bancaires en devises étrangères  hors de France. Notamment de ruineuses salles de marché, principalement à New York depuis la fin du « Glass Steegal Act » aux États-Unis en 1999 (séparation entre banques de dépôts et banques d’affaires).

En liaison avec l’insuffisance  de la croissance des ressources peu coûteuses des dépôts salariaux, du fait d’un crédit qui ne sert pas à développer suffisamment les capacités humaines,  auraient progressé une hypertrophie de l’activité  de certaines banques françaises sur le marché américain et une faiblesse structurelle de leur liquidité.

Sur fond d’augmentation du coût des ressources des banques, amenées à emprunter de plus en plus sur les marchés financiers, se serait développé un mélange hautement risqué entre les activités de placement pour compte propre et les activités de banque  de détail. Cela sous couvert du statut de « banque universelle » lancé en 1984 par la loi bancaire de Delors qui a mis définitivement fin à la séparation entre activités de banque de dépôts et activités de banques de marché.

Les problèmes  de liquidités en dollars des banques françaises sont très préoccupants. Ils résultent certes de la faute des Américains : en août, les fonds monétaires des États-Unis ont prêté 40 % de moins aux banques françaises qu’en août 2010. Mais ce n’est pas la seule raison.

Toutes les banques européennes sont en butte à ces difficultés. Et les travaux récents d’un  économiste américain (Kash Mansouri) (7), tendraient à indiquer que, pour une part non négligeable, les banques euro- péennes ont de plus en plus de mal à trouver des dollars parce qu’elles ont, elles-mêmes, perdu confiance dans leurs consœurs. La zone euro apparaît plus que jamais dominée par le dollar et infectée par l’extraversion financière de ses systèmes bancaires.

Sur ce fond de difficultés communes des banques européennes, celles des banques françaises apparaissent parmi les plus fortes, compte tenu de leur extraversion financière et de leur dépendance aux marchés financiers et au dollar.

Les banques françaises risquent ainsi de perdre la main sur le financement d’importantes activités  en dollars. On pense bien sûr à l’aéronautique, mais aussi à l’énergie et au négoce de matières premières, au shipping, aux composants électroniques, sans parler – et c’est considérable – de toute l’activité des crédits à l’exportation. Et cela, dans une large mesure, au profit des banques américaines et des pays émergents.

C’est aussi   toute l’activité de crédit à long terme qui risque de pâtir, comme le souligne P. Artus (8), avec l’augmentation du coût des ressources à long terme dont le poids relatif est devenu beaucoup plus impor- tant dans les banques françaises que dans les banques allemandes.

Ces difficultés bancaires vont peser sur la conjoncture française par le biais du crédit, de son renchérisse- ment et de son rationnement. Celui-ci est repérable dès juillet 2011 pour l’industrie  manufacturière et les PME autonomes (9). Les enquêtes soulignent un durcissement des conditions, ainsi que pour les col- lectivités locales.

Où en sommes-nous ?

Au premier trimestre 2011 l’activité a connu un rebond sensible (+ 0,9 %) mais, dès le deuxième trimestre 2011, l’économie a calé (0 %).

Cela est dû, pour une large part, à la baisse des dépenses de consommation des ménages (- 0,7 %) induite par la fin de la prime à la casse automobile  dont le choc a été beaucoup plus fort que prévu.

Les dépenses d’investissement, tout en restant mieux orientées, ont connu cependant un freinage : + 0,6 % au deuxième trimestre après + 1,2 % au premier tri- mestre. Mais le commerce extérieur a subi un coup d’arrêt net (10) en liaison avec le ralentissement de la demande mondiale.

Tous les indices de confiance sont à la baisse. L’activité dans l’industrie  donne des signes clairs de freinage après le rebond de juillet (+ 1,4 %). Cette décélération, comme le souligne l’INSEE, intervient alors que l’activité se maintient toujours à plus de 9 % en deçà de son point haut du début 2008. Selon la Banque de France le taux d’utilisation des capacités de production s’est replié au cours des trois derniers mois (78,7 % en août) avant même d’avoir pu retrouver sa moyenne longue (82 %).

Le climat des affaires s’est brutalement et fortement dégradé cet été, nourrissant l’attentisme.  Dans ces conditions, l’INSEE anticipe que le rebond attendu de la consommation restera très limité et, ceci, d’autant plus que le repli constaté du taux de chômage, à un très haut niveau, devrait s’interrompre.

On assiste, dès le deuxième trimestre, à un freinage de la création d’emplois passant à + 33 000 contre + 78 300 au premier trimestre. Et cela est dû surtout aux ser- vices (où l’économie de moyens avec les technologies informationnelles est désormais systématiquement à l’œuvre) et dans l’intérim.

Il semble bien que les entreprises auraient, dès cet été, commencé à se préparer à un ralentissement marqué de leur activité, alors même que les bénéfices des entreprises du CAC 40 tendent à se rapprocher  du record de 2007, mais avec un taux de versement des dividendes supérieur à 45 %. Elles revendiquent également des trésoreries énormes (carburant pour la spéculation et des OPA).

L’INSEE anticipe qu’en 2012 la croissance de l’emploi salarié risque de tomber en deçà du seuil permettant d’absorber la croissance de la population  active, laquelle est actuellement stimulée par l’entrée en vigueur des réformes régressives des retraites.

Le repli du taux de chômage, qui demeure à plus de 9 % en France métropolitaine, devrait s’interrompre avant la fin de l’année.

Ajoutons à ce sombre panorama que le déficit commercial de la France, effectif depuis 2004, se dirige désormais vers le niveau de 75 milliards d’euros, un sommet sans précédent historique.

C’est dans ce contexte que le gouvernement Fillon a été contraint de revoir ses prévisions  de croissance à 1,75 % en 2011 et en 2012, contre respectivement 2 % et 2,25 % avant l’été.

Elles devront sans doute être à nouveau révisées à la baisse car, compte tenu de la croissance observée au premier semestre, ceci impliquerait que le PIB progresse en moyenne de 0,3 % à 0,4 % (de trimestre à trimestre) au deuxième semestre, + 0,5 % tout au long de 2012.

Cette hypothèse sur laquelle est construit le projet de loi de finances pour 2012 paraît donc inatteignable. Le consensus des économistes estime, lui, que l’économie française ne devrait progresser que de 0,9 % en 2012, après 1,6 % cette année. La Deutsche Bank, quant à elle, ne prévoit pour la France que 0,3 % l’an prochain.

C’est dans ce contexte et au lendemain même de la victoire de F. Hollande aux primaires socialistes, après une sensible poussée à gauche au premier tour, que l’agence Moody’s a lancé sa menace sur la note « AAA » de la France.

Et c’est un fait que cela a propulsé  vers de nouveaux sommets des écarts de taux d’intérêt à 10 ans entre les titres de dettes publiques françaises et allemandes.

Le gouvernement s’est empressé de confirmer comme « intangible » l’engagement de réduction du déficit public à 5,7 % du PIB en 2011 et à 4,5 % en 2012, « quelles que soient les évolutions conjoncturelles » a martelé Valérie Pécresse, ajoutant que « nous mettrons tout en œuvre pour ne pas être dégradé,  on a encore suffisamment  de niches fiscales, s’il le faut, nous continuerons de les supprimer ! ». Clairement, on va vers un nouveau plan d’austérité, en liaison notamment avec le renflouement  de Dexia, les recapitalisations bancaires à venir et l’augmentation des garanties apportées au FESF. On parle dans les allées gouvernementales de la possible création d’un  taux intermédiaire de TVA. Cela ne ferait qu’accroître le prélèvement sur les salariés,  l’insuffisance de demande salariale, la faiblesse de la croissance et, donc les difficultés  d’équilibrage des comptes publics et sociaux.

Conclusion : rompre  pour une autre logique

La conjoncture actuelle souligne le besoin urgent d’intervention du PCF et la promotion de ses propositions les plus avancées à l’intérieur du Front de gauche, au lieu de tout effacement. La victoire de F. Hollande aux primaires du PS accroît cette exigence, tant sont insuffisants les objectifs sociaux qu’il se dit prêt, pour l’heure, à porter et tant, cependant,  ils sont contradic- toires avec la nature des moyens financiers que s’apprête à mobiliser le candidat socialiste. Certes, il est obligé de tenir compte de la poussée à gauche nouvelle qui s’est exprimée au premier tour des primaires avec, notamment, la mise en avant comme jamais du besoin d’une nouvelle maîtrise sociale du crédit et des banques. Mais il est aussi le reflet du silence pesant entretenu tout au long de ces primaires par les dirigeants  du PS sur l’Europe, la BCE, son interdiction de financer par création monétaire les dépenses publiques, le manque de sélectivité de son refinancement, le pacte de stabilité et celui de l’euro +, mais aussi sur le monde. Il est le reflet du constant  consensus pour « la rigueur » face a la dette, que tous les candidats PS ont exprimé et avec un plus même. On ne s’est pas seulement engagé à respecter l’engagement de porter à 3 % le déficit en 2013, F. Hollande a promis le déficit zéro en 2017 ! Bref, alors qu’il faudrait, de façon urgente, organiser une expansion des financements pour le développement des capacités humaines, le candidat socialiste envisage, pour l’heure, une restriction financière dont, pourtant, tout prouve qu’elle  ne ferait qu’accentuer les cercles vicieux de la crise financière et du chômage perpétuant les déficits et les dettes.

La thématique de la démondialisation mise en avant par A. Montebourg s’est accompagnée surtout d’œillades hostiles en direction de la Chine avec, derrière, l’idée d’un protectionnisme européen. Mais ça a été surtout le grand silence sur les États-Unis  et le dollar, de même que sur les multinationales.

Surtout, on sait combien le projet du PS sous-estime la gravité de la crise systémique et garde, envers et contre tout, l’espoir d’un retour de la croissance mondiale en 2012, base du projet conçu par le PS pour l’élection de 2012, mais qui est rendu largement caduque par l’évolution actuelle de la conjoncture.

Il y a donc un énorme défi de la mise en avant audacieuse et pédagogique de nos propositions, dans des initiatives d’action rassembleuses. Particulièrement celles concernant les banques et le crédit pour sécuriser l’emploi et la formation et, inséparablement, celles sur le refinancement de la BCE et l’utilisation de sa créa- tion monétaire pour une grande expansion concertée des services publics via un Fonds social et solidaire de développement européen.

Ces propositions constituent la seule alternative cohérente face à la fuite en avant dans l’endettement sur les marchés financiers.

Sur ces bases, on peut mettre en avant le besoin d’initiatives d’action :

 pétition pour une commission d’enquête parlementaire sur l’État  et les pratiques du système bancaire française, mais aussi des sociétés d’assurances ;

 propositions de loi pour un pôle bancaire et financier public, son articulation à la BCE et à la Banque de France, avec un nouveau crédit incitatif à la croissance de l’emploi, de la formation et donc facteur de crois- sance nouvelle des dépôts des salariés dans les banques vecteur de liquidité bancaire ;

 et puis, il y a le niveau mondial qui va occuper le devant de la scène avec le sommet du G20 à Cannes et avec la montée très forte à venir des antagonismes internationaux, tandis que la protestation contre le FMI va partir des pays européens, en liaison avec les plans  d’ajustement imposés  par la troïka. C’est l’occasion, plus que jamais, de défendre l’idée de monnaie commune mondiale à partir des DTS.

Ces apports du PCF sont d’autant plus nécessaires que, dans ce que va porter Hollande, il y a aussi beaucoup d’ingrédients  qui vont contribuer à empêcher une véritable différenciation  avec la droite :

 la diabolisation du coût du travail et des prélèvements publics et sociaux au nom de la compétitivité (plutôt que les autres coûts, notamment les prélèvements financiers) ;

 la diabolisation de la création monétaire et du crédit pour le développement des capacités humaines, au nom de l’inflation (plutôt qu’une création monétaire et un crédit sélectif facteur de croissance nouvelle durable) ;

 la diabolisation de la dette publique et le terrorisme du « AAA » avec  l’appel incessant à la rigueur, au lieu de voir qu’il y a de bonnes et de mauvaises dettes selon l’utilisation que l’on en fait et qu’il n’est pas fatal de les financer par l’appel au marché financier.

Face à tout cela, on mesure les limites d’une posture se contentant de frapper à bras raccourcis sur Hollande et « la gauche du renoncement », de jouer au « Monsieur plus » avec lui sur la seule fiscalité des ménages et des ni- ches fiscales ou de prétendre que la dette n’est pas un vrai problème et que l’impôt va y pourvoir. Le programme populaire partagé n’est pas une œuvre achevée. Il faut contribuer à le développer, à faire reculer ses contradictions et ses insuffisances  au feu de l’actualité et des luttes qui sont appelées à se développer pour que la gauche arrive à gagner contre Sarkozy en 2012 et réussisse après lui. 

(1) Le reste devait être utilisé pour garantir le capital réinvesti par les banques lors de l’opération d’échange de dettes du secteur privé et pour financer  un programme de rachat de sa propre  dette  par l’État grec à un prix décoté.

(2) Le Monde du 15 octobre 2011.

(3) Ch. Nijdam, Le Nouvel Économiste, IS78, 1er au 7/10/2011.

(4) BNP Paribas : « Conjoncture Taux Change », economic research department, octobre 2011.

(5) BNP Paribas, op. cit.

(6) Liquidity Coverage Ratio = Actifs fortement liquides disponibles au bilan/sortie nette de cash sur 30 jours.

(7) C. Chavagneux : « Les banques françaises dans la tourmente »,

Alternatives économiques, n° 306, octobre 2011, p. 10-12. (8) Flash Natixis du 5 octobre 2010.

(9) Banque de France, Statinfo, crédit aux entreprises (encours) France, juillet 2011.

(10) Croissance des exportations : + 1,7 % au premier trimestre (par rapport au quatrième trimestre 2010), 0 % au deuxième trimestre.

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