Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Les débats de 1981-1984 sur la politique économique du programme commun Son échec et la progression des idées

Le colloque organisé par la Fondation Gabriel Péri pointait « les échecs économiques de la gauche » et s’interrogeait : « pourquoi les programmes de transformation sociale comme ceux issus du Programme commun de gouvernement… n’ont-ils pas abouti ? ».

De même, « Les contenus de ces politiques économiques » et aussi « les types de relations qui se nouent entre les trois grands acteurs de la gauche… les partis politiques de gauche, les syndicats et les mouvements sociaux » étaient évoqués. à quelques mois d’une échéance présidentielle et législative cruciale, économie et Politique reprend de larges extraits de la contribution de Paul Boccara sur l’expérience de la gauche au gouvernement de 1981 à 1984.

A propos de la politique économique du Programme commun,  je veux insister également sur deux autres questions décisives :

1. l’importance des conditions et du moment historiques ;

2. l’importance  des idées, soit traditionnelles, soit novatrices pour la transformation, leur diffusion et leur utilisation.

Quant à l’importance des idées pour la transformation sociale, on peut citer Marx. Après avoir déclaré que si des idées s’emparent des masses, elles deviennent des forces matérielles, il a souligné le poids très lourd des idées du passé, dans les époques de transformation, et la misère des premières tentatives transformatrices dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, ainsi que la nécessaire mise en cause des idées traditionnelles  par les défaites révolutionnaires dans Les Luttes  de classes en France.

Mais on peut aussi citer Keynes, déclarant, à la fin de sa Théorie Générale : « les hommes d’action sont d’ordinaires les esclaves de quelques économistes passés […] Les idées que les fonctionnaires, les hommes politiques […] appliquent […] ont peu de chances d’être les plus neuves. Mais ce sont les idées […] qui, tôt ou tard, sont dangereuses pour le bien comme pour le mal. »

En ce qui concerne le rôle décisif du moment historique, soulignons la réussite fondamentale de la politique économique de la Libération après la Deuxième Guerre mondiale en France, précisément située au début de la reprise mondiale du cycle de longue période économique, avec aussi les leçons tirées, au plan des idées transformatrices, comme à propos des nationalisations, des échecs du Front populaire, situé quant à lui au cœur de la longue phase de tendance dépressive du cycle de longue période ou de la crise systémique de l’entre-deux-guerres.

Or, la politique économique du Programme commun se situe au début seulement d’une nouvelle crise systémique et de la longue phase de difficultés du cycle long, elle-même en outre déformée et allongée. Et il faut aussi considérer l’opposition des idées traditionnelles dominantes de type keynésien aux idées novatrices pour des transformations profondes, dans une crise systémique très différente de celle de l’entre-deux-guerres.

Déjà, dans un article d’Economie et Politique d’octobre 1983, je pouvais déclarer : « Si l’on compare avec la crise de structure précédente comme celle des années trente, il y a eu en 1936 en France de grandes conquêtes (congés payées, semaine de 40 heures) mais […] nous étions contre les nationalisations, et les trusts ont saboté la politique de gauche. Nous en prenons conscience en 1937 [allusion à la déclaration de Maurice Thorez : la pause ? Non ! Aux  Trusts], mais il a fallu attendre 10 ans pour qu’on tire les leçons en 1946 avec les nationalisations, qui ont permis une grande phase de prospérité […].

De nos jours, il y a eu de nouvelles conquêtes… les nationalisations industrielles et bancaires ont été étendues, mais pour les utiliser efficacement, il faut maintenant mettre en œuvre d’autres  critères de gestion contre les gâchis financiers. Allons-nous être fatalement condamnés à attendre encore 10 ans et de grosses difficultés pour les mettre en œuvre ? [...] les mesures prises datent de l’époque précédente : les choses les plus nouvelles comme les nouveaux critères de gestion […] doivent être mises en œuvre le plus tôt possible […] ».

Première partie : L’analyse  de la crise du Capitalisme Monopoliste d’État, le Programme commun et les propositions se voulant novatrices

L’analyse de la crise du CME, son refoulement et sa déformation

On a pu mettre en relation la théorie du Capitalisme Monopoliste d’État et les conceptions dans le PCF sur le programme commun de 1972. En réalité, c’est la théorie de la crise du CME qui a pu être invoquée. Déjà, la notion de CME était devenue hégémonique à gauche, y compris dans le PS. C’est ce qu’affirme Hugues Portelli dans Le socialisme Français tel qu’il est de 1980 (p. 153 et 187). Cependant cette théorie avait été déformée de façon conservatrice dans le PS et aussi dans le PCF. Au lieu d’y voir la mise en cause de l’étatisme, on insistait sur le simple besoin de démocratisation de l’État. […] Avec la nouvelle crise systémique de suraccumulation durable des capitaux, il fallait de nouvelles dévalorisations structurelles de capitaux, comme de nouvelles nationalisations. Or la bataille idéologique de 1962 à 1972 avait réussi à imposer au PS le besoin de nouvelles nationalisations, pour qu’elles ne soient plus minoritaires comme dans le CME, avec la notion de « seuil minimum de nationalisations ». Mais c’est la question décisive et très nouvelle d’une tout autre gestion qui va être refoulée.

Implications de l’analyse de la crise du CME  pour des idées novatrices refoulées

Dès 1971, j’avais mis en avant le concept de « régulation » du système, pour une nouvelle régulation systémique. Tandis qu’au régulateur du taux de profit sont rattachés dans le système capitaliste les critères de gestion des entreprises de la rentabilité économique et de la rentabilité financière, dès 1978 commencent à être élaborés dans la section économique du PCF de nouveaux critères de gestion dits d’efficacité sociale. […] Il s’agit d’économiser les capitaux  matériels  et financiers, pour avoir moins besoin de profits dans la valeur ajoutée pour accumuler des capitaux, et donc de développer les dépenses pour accroître les capacités humaines.

Cependant, les critères de gestion nouveaux vont restés très sous-estimés et même refoulés. Ainsi, dans le débat sur l’actualisation du programme commun en 1977,la direction du PCF, avec Georges Marchais soutenu par Anicet Le Pors, va insister sur le nombre d’établissements à nationaliser, tandis que je lui oppose le type de gestion et de critères de gestion comme bien plus importants que le nombre précis d’établissements. [….] Un autre ensemble corrélatif de propositions novatrices se rapporte à la croissance de l’accumulation financière et au besoin d’un autre crédit des banques, face aux nouvelles condi tions de la crise du système monétaire inter- national. […] Ainsi, dans l’été 1977, lors des négociations sur l’actualisation du programme commun, une rencontre entre Paul Laurent et Pierre Bérégovoy, assistés de Paul Boccara et de Jacques Attali, se met d’accord, sur ma suggestion, pour proposer non seulement les nationalisations bancaires, mais la construction d’une banque très nouvelle pour d’autres types de financements et d’investissements. Cela donne lieu à la rédaction d’un projet précis. Cependant, tandis que Georges Marchais ne veut pas d’accord pour poursuivre sa campagne de dénonciation et que Mitterrand ne veut par de ce type d’accords, tout tombe à l’eau.

Deuxième partie : Sur les débats d’idées sur la politique économique d’application du programme commun

Eléments sur le débat d’idées initial en 1981

A propos du débat d’idées initial, on peut citer mon article de mai-juin 1981, « Un débat d’idées pour l’efficacité d’une politique économique nouvelle », écrit juste avant la formation du gouvernement Mauroy. On peut le résumer en 4 points :

1. Différence de la situation historique et donc des idées pour des transformations efficaces par rapport à la Libération, contre un keynésisme droitisé.

2. Critique des critiques et perspectives auto-réalisatrices de la droite et de l’UDF Edmond Alphandéry, sur l’excès de demande, d’augmentation  salariale, le déficit budgétaire et l’inflation, les difficultés du franc, le déficit extérieur et le refroidissement obligé final.

3. Les réponses contradictoires  et inefficaces des dirigeants du PS. Je me réfère notamment à des citations de Jacques Delors, même si on m’impose de ne pas nommer celui-ci dont on prévoit qu’il va être ministre des Finances. Pour lui, il s’agit de doser la relance de la consommation populaire, de « ne pas en faire trop », en lui opposant le financement prioritaire de l’investisse- ment (en opposant ainsi les deux termes de la demande globale keynésienne).

4. Propositions des économistes communistes : des dépenses accrues pour les travailleurs mais pour un autre type de progrès de la productivité (qualification et éducation en liaison avec les recherches et les nouvelles technologies de l’informatisation et de l’automation), de nouveaux critères de gestion économisant  les capitaux matériels et financiers contre leurs gâchis techniques, des mesures contre la fuite des capitaux. Une autre utilisation du crédit avec une banque nationale d’investissements, des pouvoirs nouveaux des travailleurs sur les gestions des entreprises. D’autres relations internationales, contre la domination des eurodollars, un grand développement des coopérations  avec les pays sous-développés.

Dès septembre 1981, à la veille de la première dévaluation d’octobre, un article d’Economie et Politique souligne la gravité de la hausse considérable des taux d’intérêts des États-Unis avec leur nouvelle politique monétaire et son action contre la relance en France. Nous préconisons un renforcement du contrôle des changes, une déconnexion des taux d’intérêts par rapport aux États-Unis, des bonifications sélectives des crédits, une action concertée des banques centra- les de la Communauté européenne pour des relances communes, à l’opposé de la politique d’austérité en Allemagne, en s’appuyant sur les syndicats allemands. Nous ajoutons le besoin d’agir au niveau du FMI pour l’aide au développement  mondial avec une vraie mon- naie internationale autre que le dollar. […]

Tout cela va rester lettre morte.

Le développement du débat sur la politique économique du gouvernement Mauroy, le refoulement des idées novatrices pour la politique et les gestions

Le débat d’idées va concerner […] les obstacles et les forces contraires auxquels va se heurter la politique de relance plus ou moins keynésienne de la croissance et notamment des dépenses salariales et sociales dès 1981, relèvement du SMIC, des allocations familiales, embauche de fonctionnaires, etc.

A. Les questions monétaires  et financières

Après la dévaluation du franc d’octobre 1981 dans le cadre du système monétaire européen de flottement concerté, un article d’Economie et Politique de novembre 1981 est intitulé « La politique économique après le réajustement monétaire ». Il souligne les contraintes de l’inflation internationale, le déficit de la balance des paiements,  les pressions de la politique des hauts taux d’intérêts des États-Unis, mais aussi de la RFA ainsi que les actions des forces capitalistes accélérant la spéculation contre le franc, l’excès des exportations de capitaux et des importations de marchandises. Il critique les contradictions de la politique gouverne- mentale,  avec les faveurs budgétaires  et du crédit aux entreprises nationalisées qui, sous prétexte de favoriser l’exportation, favorisent les exportations  de capitaux, l’encouragement aux investissements financiers […] ainsi que les conditions des dévaluations contraintes, renchérissant les importations obligées en pétrole et en équipement. Les contre-propositions concernent des contrôles sur l’efficacité des aides budgétaires aux entreprises nationalisées, l’articulation entre le relève- ment des bas salaires et les progrès de la qualification pour une nouvelle productivité avec les dépenses de recherches, l’aide aux PME, une orientation en commun avec la RFA pour une autre politique monétaire de croissance à finalité sociale et non d’austérité, etc.

Cependant, tandis que le franc est attaqué et que les capitaux fuient, Jacques Delors ministre des Finances, demande le 26 novembre 1981 une pause que Mauroy refuse. Mais en juin 1982, deuxième dévaluation du franc.

Une tentative exceptionnelle intervient à l’automne 1982 : une rencontre PCF/PS sur la politique économique et financière au niveau du gouvernement entre Pierre Mauroy et Jacques Delors, et André Lajoinie, Philippe Herzog, Paul Boccara et leurs experts, introduite par les rapports du Premier ministre et de moi-même. Certains éléments en seront repris dans l’Humanité d’octobre et dans Économie et Politique en novembre 1982 dans « Alléger le crédit à la production. Pourquoi ? Comment ? »

C’est la proposition de « déconnexion » de nos taux d’intérêts des taux d’intérêts élevés américains.

L’opposition à la pression patronale pour la baisse des charges sociales des entreprises, des baisses des charges financières, intérêts et dividendes. Nous insistons sur des baisses sélectives des taux d’intérêts, à l’opposé de baisses générales favorisant les placements  financiers, pour des investissements productifs accompagnés de dépenses de formation professionnelle et de recherche, d’autres relations des banques avec le refinancement de la Banque de France ou avec le Crédit national.

Nous proposons le renforcement du contrôle des chan- ges, en particulier contre les fausses factures […], la taxation des mouvements d’exportation de capitaux, de développer la part des opérations internationales effectuée en écus. […] Nous précisons en septembre 1983 la proposition de monnaie commune internationale à partir des DTS du FMI.

B. Les interventions dans les gestions avec de nouveaux critères de gestion

Nous précisons les éléments de nouveaux critères de gestion d’efficacité sociale des entreprises, avec des exemples pratiques, surtout pour les entreprises nationalisées […] En décembre 1982, nous organisons un grand colloque sur les critères de gestion d’efficacité sociale, avec des dirigeants d’entreprises et de banques, de nombreux militants, des dirigeants socialistes, avec notamment une discussion frontale avec Dominique Strauss-Kahn, responsable de la commission économique du PS, à l’opposé des critères de rentabilité financière maintenus dans les entreprises nationalisées.

C. Les batailles sur les productions

Nous avons cherché à déborder les visions traditionnelles, notamment dans la CGT, le PCF, ou la gauche du PS, insistant sur les propositions industrielles et techniques. Nous demandons d’articuler  les propositions sur le « produire français » ou sur la reconquête du marché intérieur, aux questions du financement, aux critères de gestion d’efficacité sociale, à l’avancée de coopérations internationales. […]

à l’opposé de l’accent mis sur la productivité apparente du seul travail, nous mettons en avant la recherche de l’élévation de l’efficacité du capital en s’appuyant sur la liaison recherche, développement et formation. Dès 1983 est mis en avant le concept de révolution informationnelle.

D. Autres coopérations internationales

Nous soulignons l’importance du développement des coopérations européennes, notamment avec l’Allemagne, comme dans le cas exemplaire de l’Airbus. […] Nous insistons sur d’autres relations de coopérations de la France avec les pays en développement, pour la progression de l’emploi et de la production des deux côtés, des partages de dépenses de recherches. Nous mettons en avant les tentatives esquissées en direction de l’Algérie ou de l’Inde.

On a prétendu que le tournant de 1983 vers la politique de rigueur répondait aux besoins de ne pas sortir de la coopération du système monétaire européen, à l’opposé de ceux qui ont proposé cette sortie dans la gauche. Cependant, les économistes communistes n’étaient pas pour cette sortie, mais pour se battre pour une autre coopération monétaire avec nos partenaires européens.

E. Les questions de consommation populaire, des salaires et de l’emploi

à l’idée selon laquelle la France consomme au-dessus de ses moyens, nous opposons les gâchis des profits et des capitaux. Contre l’opposition entre revendications salariales et réussite de la politique économique, nous avançons la liaison entre qualification et formation avec les recherches pour une nouvelle productivité. Nous mettrons en avant les nouveaux contrats « emploi/ formation/production »  que nous avons contribué à faire adopter par le ministre communiste de l’Emploi Jacques Ralite. […]

Troisième partie : Raisons nationales  et internationales de l’échec au plan économique et social. Leçons pour la progression des idées face à la nouvelle situation historique mondiale

De l’article de l’économiste Jean-Marie Valin de 2009 « Le plan Mauroy ou la relance ratée de 1981 », au chapitre intitulé « L’échec de la solution socialiste à la crise (1981-1884) » de L’Histoire de la France au xxe  siècle de Serge Berstein et Pierre Milza de 2006, on insiste sur l’échec et on le rapporte aux pressions extérieures. Cela renverrait aux politiques et transformations néolibérales aux États-Unis, en Angleterre et en Allemagne et aux pressions monétaires et financières corrélatives. […]

Si je pense que ces considérations sur l’échec sont incontestables,  elles ne suffisent pas à rendre compte de cette politique économique et de transformation structurelle dans toute son ampleur et pour toutes ses leçons. Je souligne deux autres facteurs : 1. le refoule- ment des idées novatrices. 2. le moment historique de la crise systémique.

Cela s’oppose à l’invocation des conditions internationales pour justifier une réduction des transformations nouvelles. Et cela s’oppose aussi à la référence à « la gauche »  comme un tout homogène, à l’opposé des oppositions dans son sein.

Raisons nationales de l’échec : convergence  des oppositions aux propositions novatrices, leurs insuffisances et l’insuffisance des luttes

A. La force des oppositions nationales des capitalistes et des droites mais aussi des responsables socialistes aux idées novatrices

Cela renvoie notamment aux mesures contradictoires du gouvernement Mauroy ainsi qu’aux gestions des entreprises nationalisées. Cette politique ouvrait la voie au social-libéralisme,  à travers les louvoiements puis les reculs du gouvernement. […]

Alain Duhamel, dans son introduction à l’ouvrage collectif François Mitterrand,  le pouvoir et la séduction (Hors-série du Monde), peut affirmer « j’ai toujours pensé qu’il savait parfaitement qu’il faudrait tôt ou tard changer radicalement de politique économique […] Lorsqu’en 1982, je défendais […] la nécessité du tournant économique […], lui-même me dit : « “vous êtes trop raisonnable, un peuple a besoin de rêver de temps en temps.” »  Quant au conseiller du prince, Jacques Attali, dans le même ouvrage, il affirme que la troisième dévaluation du franc de mars 1983 a été un « succès magistral » et qu’il n’y a pas eu de tournant de 1983, mais un « assainissement » une « manifestation de courage et de vertu ».

B. Le refoulement des propositions novatrices et audacieuses, l’insuffisante mobilisation  de la part du PCF et de la CGT

Le refoulement des propositions novatrices d’avancées au-delà de Keynes dans un sens néo-marxiste n’est pas dû seulement aux responsables  socialistes. Il est dû aussi au caractère parfois trop général des propositions nouvelles. Et il est dû encore à l’étroitesse de la culture économique dans le PCF et la CGT. D’une façon générale, il y a eu une très insuffisante mobilisation sociale et politique, pour une alternative.

En ce qui concerne les ministres communistes, outre leur nombre réduit, il faut souligner, à part le cas de Jacques Ralite, l’absence de relations avec les économistes communistes. Ralite a lui-même déclaré dans la table ronde de mai 2011 du Hors Série de l’Humanité sur L’histoire d’une espérance : « jamais nous n’avons eu lorsque nous étions ministres, des indications du Parti communiste ».

Pour les transports, c’est la nomination de l’économiste communiste Claude Quin  à la tête de la RATP qui s’est efforcé d’utiliser  les nouveaux critères de gestion d’efficacité sociale avec des résultats remarquables. Mais c’était une exception. Bien plus, se sont développées la délégation, voire l’exagération des résultats, en croyant soutenir ainsi le gouvernement. Georges Marchais lui-même déclarait que le bilan des années du gouvernement Mauroy était supérieur à celui du Front populaire et de la Libération. Et alors que le chômage resté massif remontait encore dès la fin 1983, il affirmait à la télévision qu’il n’y avait pas de problème grave de chômage. Même Charles Fiterman a dû déclarer dans la table ronde de mai 2011 de l’Humanité, regretter que des syndicalistes CGT lui aient dit : « on ne va pas bouger, faire grève, parce qu’on veut pas te gêner ». Quelle différence avec les grèves de 1936 ! Il faudrait aussi pouvoir tenir compte des difficultés nouvelles du mouvement salarial, des ouvriers et des employés, avec les avancées des couches dites moyennes et de leur influence et aussi les débuts de divisions culturelles entre les générations  d’ouvriers.

Raisons internationales de l’échec : montée  des politiques et des restructurations néolibérales, des pressions monétaires et financières, immaturation de la crise systémique mondiale

Avec la récession de 1979-82 et l’échec des politiques keynésiennes,  c’est l’arrivée au pouvoir des conservateurs, décidés à un renversement de politiques et même de structure, comme Reagan aux États-Unis et Thatcher en Grande-Bretagne. Cela contribue à des pressions extrêmement fortes contre la politique de relance et de mesures pour les salariés appuyées sur les nouvelles nationalisations en France, y compris l’encouragement à la spéculation contre le franc. […]

Aux États-Unis,  c’est la nouvelle politique monétaire de 1979-80 de forte hausse des taux d’intérêts et d’at- traction en faveur du dollar, comme monnaie mondiale de fait, après l’inconvertibilité en or du dollar de 1971-73. C’est, outre les pressions sur les taux d’intérêts en Europe, l’attraction des placements en titres financiers surtout en dollars.

Ce sont aussi la déréglementation de tous les marchés et les privatisations des entreprises publiques ou soutenues publiquement, avec la montée des groupes privés multinationaux […] Avec l’inflation et les investissements financiers, ce sont la spéculation contre le franc, les fuites et exportations de capitaux s’ajoutant aux déficits commerciaux pour aggraver encore le déficit de la Balance des paiements.

Cependant, contre la présentation d’une fatalité de difficultés sans recours, des possibilités de luttes immédiates bien plus conséquentes, réduisant les difficultés, même sans arriver à triompher pleinement des obstacles, auraient pu obtenir des améliorations en préparant des luttes ultérieures.

Mais un autre point tout à fait négligé, sur lequel je veux insister, à l’opposé des analyses dominantes actuelles ne parlant que des pressions internationales, concerne ce que l’on peut appeler l’immaturité de la crise systémique mondiale et le moment historique des débuts de cette crise, à l’opposé de la maturation actuelle, marquée par le tournant de la crise systémique de 2008-2011, avec une crise majeure du néolibéralisme mondialisé. Désormais, de nouvelles conditions sont ouvertes pour des transformations  systémiques profondes, Et cela d’autant plus que les idées de transformation systémique ont elles aussi mûries en concernant la maîtrise et le début de dépassement possible des marchés.

Résultats sociétaux, échec fondamental économique et social, leçons pour la progression des idées et pour leur utilisation transformatrice

Les principaux résultats positifs du gouvernement Mauroy vont être sociétaux : abolition de la peine de mort, avancées de la décentralisation, autorisation des radios libres locales, forte augmentation du budget de la culture, fête de la musique, abaissement de la durée légale du travail avec la semaine de 39 heures, cinquième semaine de congés payés, chèques-vacances, etc.

L’échec fondamental se situe au plan économique et social, avec le maintien puis la remontée du chômage massif, la croissance de la spéculation, de l’accumula- tion financière, des exportations de capitaux, l’échec des nationalisations notamment pour les salaires, l’emploi, la qualification.

Outre les avancées sociétales, il y a eu surtout une alternance des personnels politiques dirigeants. Mais on est passé des contradictions majeures de la politique économique au ralliement aux forces économiques dominantes pour conserver le pouvoir.

Cela a débouché sur les idées de social-libéralisme et aussi sur la construction d’une Union européenne dominée par le néolibéralisme, avec la création de l’euro, le rôle dominant de la BCE, jusqu’à la crise présente très profonde de l’euro.

Cependant, l’expérience a pu contribuer, à travers l’échec des idées keynésiennes traditionnelles,  et aussi des conciliations de gauche avec les dogmes capitalistes, à la progression des idées de transformation systémique. […]

Au-delà des nationalisations traditionnelles, montent les idées d’autres pouvoirs, d’autres critères de gestion et de crédit, et celles de maîtrise et de début de dépassement de tous les marchés, ainsi que de nouveaux services publics en expansion jusqu’à des services et biens communs publics de l’humanité.

Les nouvelles conditions peuvent être utilisées pour avancer vers des politiques véritablement  alternatives. C’est loin d’être acquis aujourd’hui, alors que prédominent encore les idées simplement keynésiennes à gauche. Faudra-t-il les leçons de nouveaux échecs à gauche en France ? Au- delà de la France et de l’Europe, cela concerne  les possibilités d’avancer enfin vers une nouvelle civilisation de toute l’humanité. […] 

(1) Extraits de la communication de Paul Boccara au colloque de la Fondation Gabriel Péri, le 20 mai 2011.

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