Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Gouvernement Jospin : bilan critique de la politique économique, 1997-2002

Si Lionel Jospin a mis en avant une priorité emploi qui a permis à la gauche de battre la droite en 1997, il a constamment cherché à concilier cet objectif avec les règles de l’économie de marché capitaliste qu’il n’a jamais voulu remettre en cause.

Son célèbre « oui à l’économie de marché, non à la société de marché » l’a conduit au soutien de la libéralisation et de la déréglementation des marchés, renforçant la domination des marchés  financiers. Les mesures de correction visant à en amortir les conséquences sociales se sont avérées vaines, comme l’a montré le reflux de la gauche dans les milieux populaires en 2002.

En effet, les contradictions de cette politique économique et sociale, conjuguées au retournement de conjoncture du début des années 2000, ont rapidement abouti au blocage des créations d’emplois que les premières mesures de ce gouvernement, notamment la réduction du temps de travail, avaient permis d’engager avec certains résultats sur le front de l’emploi.

En fait, c’est toute la démarche sociale libérale, visant à promouvoir certaines mesures sociales sans chercher à maîtriser ou dépasser les marchés, qui dans cette expérience de 1997 à 2002 a montré toutes ses limites et toutes ses contradictions.

De la croissance tirée par l’international à la montée des contradictions

Avec 3 % par an de 1997-2001, la France fait certes un peu mieux que la zone euro (2,7 %), alors que de

1990 à 1997, avec 1,2 % par an, elle faisait plus mal que la zone euro (1,7 %).

Cela tient à des facteurs communs au monde entier : chute du prix du pétrole, baisse de l’euro par rapport au dollar et vigueur de la croissance aux États-Unis tirant les exportations  de la zone euro, forte baisse des taux d’intérêt réels. Mais aussi des facteurs propres à la France : reprise de l’investissement, à partir d’un niveau très bas en 1995-1996, petits soutiens au pouvoir d’achat : baisses TVA et ralentissement de l’inflation, reprise de l’emploi (1999-2000). Cependant dès que l’activité se retourne aux États-Unis, la croissance freine en Europe, puis en France, on assiste à la montée des contradictions.  Les propositions  des communistes pour relancer la croissance par l’essor des salaires et des qualifications n’ont pas été entendues.

Les premiers résultats concernant l’emploi sont contrecarrés par la montée de la précarité et des choix libéraux

Entre mars 1997 et mars 2001 la France a créé 1 750 000 emplois. Le taux de chômage, après 10,8 %  en octobre 1999, se réduit à 8,9 % en octobre 2001.

Mais 30 % des emplois créés sont précaires. Si la création des 300 000 emplois jeunes constitue un élément

positif particulièrement dans l’éducation, le secteur non marchand, la question posée restait celle de l’accès aux for- mations, la non-pérennisation de ces emplois, et surtout ceux-ci ne concernaient souvent que les plus qualifiés.

Jospin cède à la pression du MEDEF et donne son agrément au PARE obligatoire, malgré les résistances et des rassemblements sur des contre-propositions. Ce plan supprime la liberté de choix du retour à l’emploi et à la formation des chômeurs, impose d’accepter des baisses de salaires. Le gel des cotisations-chômage imposé par le MEDEF est acté dans la mise en place du PARE en 2001. Les propositions  alternatives que nous avons avancées avec le mouvement des chômeurs et d’autres forces, contre le Pare et pour une refondation de progrès social de l’Unedic visant une amélioration de l’indemnisation et du retour à l’emploi choisi des chômeurs avec une formation choisie ont été refusées. La politique de Jospin, sans résoudre le chômage massif, aggrave les pressions sur les chômeurs qui se sentent rejetés.

Alors que les groupes, invoquant une rentabilité financière insuffisante, multiplient les licenciements économiques (Danone, Lu, Moulinex), et que les salariés se mobilisent pour résister, le gouvernement hésite à donner aux salariés les moyens de riposter.

En appui au mouvement social, le PCF et ses parlementaires ont proposé des dispositions nouvelles contre les licenciements économiques (droit d’opposition, suspensif et contre-propositions des CE face aux plans sociaux ; définition plus stricte des licenciements économiques). Celles-ci sont en grande partie reprises par la Loi de modernisation sociale, mais Lionel Jospin capitule devant la censure de mesures essentielles par le Conseil constitutionnel.

Pressions sur les salaires et la protection sociale

Il y a d’abord eu une progression du pouvoir d’achat, mais elle résulte de la baisse de l’inflation et non de la stimulation salariale, malgré les propositions alternatives pour des augmentations du Smic et pour une application des 35 heures favorables aux salariés. En fait, après un coup de pouce en 1997, (2,1 %), la progression du salaire mensuel réel n’a pas cessé d’être freinée : 0,4 % en 2000.

La part des salaires dans la valeur ajoutée reste à très bas niveau (56,94 %), en raison des gels de salaires imposés par le patronat lors du passage aux 35 heures. Si la RTT correspond à une avancée de civilisation, le passage aux

35 heures s’accompagne trop souvent, au nom du « don- nant-donnant », d’intensification du travail, d’un gel de salaires et d’une insuffisance de créations d’emplois.

 

Les mesures sociales-libérales concernant la protection sociale et son financement

 Une remise en cause des objectifs et du financement de la politique familiale.

 La politique de la santé, Jospin dans les bottes de Juppé, des LFSS qui étouffent l’hôpital, qui rationnent les dépenses publiques et sociales de santé. Un ONDAM (objectif national des dépenses d’assurance maladie) limité, particulièrement pour l’hôpital. Une application des 35 h sans créations d’emplois, et sans progression des salaires et avec une grave détérioration des conditions de travail. C’est la montée du mécontentement chez les hospitaliers.

La création de la CMU pourrait être considérée positivement mais elle prépare la notion de panier de soins limité et participe à un système de santé à plusieurs vitesses.

 Des rapports  préparent  des réformes régressives des retraites : le rapport Charpin. C’est  aussi la montée de l’épargne retraite. Cependant la création du COR avec la participation des forces syndicales conduit au premier rapport en 2001 qui montre qu’on peut sauver la retraite par répartition.

Pour le financement de la protection sociale. Fiscalisation accélérée avec le remplacement des cotisations maladies des salariés par la CSG en 1998.

 Fuite en avant dans les exonérations  massives des cotisations patronales, notamment lors de la mise en place des 35h. Cela conduit à subventionner les politiques de bas salaires des entreprises, à encourager la précarisation des emplois et tirer vers le bas tous les salaires.

 Refus de propositions nouvelles pour le financement de la sécurité sociale : une cotisation additionnelle sur les revenus financiers des entreprises. Ainsi qu’une réforme des cotisations sociales patronales visant leur accroissement  avec un taux de cotisation modulé en fonction d’un ratio salaires/valeur ajoutée, en incitant à son accroissement.

RMI et minima sociaux maintenus très bas. Les pro- positions du mouvement social d’accroissement  des minima sociaux ont été refusées, alors que le RMI était inférieur au seuil de pauvreté et perdait son pouvoir d’achat relatif par rapport au Smic.

L’impasse sociale-libérale de la Prime pour l’emploi. Si celle-ci prétend améliorer le revenu des salariés les moins bien payés, elle vise à faire accepter des bas salaires.

Les travailleurs du bas de l’échelle sont subventionnés pour accepter des emplois sous-payés et leurs

employeurs sont subventionnés pour les employer.

On retrouve ici le dogme libéral de la théorie du chômage volontaire. Le coût du travail des moins qualifiés est jugé trop élevé, notamment en raison des cotisations sociales, ce qui conduirait à une désincitation à l’embauche.

Finances publiques : le choix prioritaire de réduire le déficit public, de freiner les dépenses et d’alléger les impôts

De 1997 à 2001, le déficit public est réduit de 2,5 points de PIB, grâce à la croissance, aux rentrées d’impôts et à la baisse des taux d’intérêt qui réduit la charge de la dette. Mais surtout Jospin a choisi de réduire le déficit public et non de soutenir les dépenses publiques. S’il a dû prendre en compte formellement la proposition de loi sur le contrôle des Fonds publics versés aux entreprises à laquelle nous avons particulièrement contribué, celle-ci n’a connu aucune application réelle.

Fiscalité :

Concernant les impôts des ménages, il choisit un allégement général de l’impôt sur les revenus au lieu de favoriser les contribuables  modestes.

Quelques mesures timides de taxation des revenus financiers sont contredites par le développement des stock-options et de l’« épargne salariale » adossée  au marché financier.

Nos propositions pour une réforme fondamentale de l’impôt sur les grandes fortunes ont été refusées, ainsi qu’une proposition progressiste de réforme de l’impôt sur le revenu. Alors qu’on assiste à des allégements sur les impôts des entreprises. C’est la réduction de la taxe professionnelle  avec un cadeau de 7 milliards d’€ aux entreprises. C’est l’allégement de l’impôt sur les sociétés.

Nos propositions de réforme de l’impôt sur les sociétés, avec un taux de prélèvement  d’autant  plus élevé que les bénéfices des sociétés auraient pour origine une croissance financière, n’ont pas alors été retenues. De même, une réforme fondamentale de la taxe professionnelle, avec son élargissement aux actifs financiers détenus par les entreprises, a été rejetée.

Privatisations et encouragements aux marchés financiers

Les revenus financiers des entreprises et des ménages s’accroissent fortement en liaison avec l’explosion des cours en Bourse boostée par les privatisations.

Il y aura plus de privatisations sous le gouvernement Jospin que lors du gouvernement de droite précédent, en se réclamant de façon hypocrite des besoins de financement et en justifiant ainsi l’ouverture du capital des entreprises publiques. C’est aussi l’abdication de toute volonté politique de réorientation du crédit. Notre proposition pour réorienter le crédit à partir de la conversion des fonds publics gâchés par la compensation des exonérations massives de cotisations patronales, prétendues pour l’emploi, en fonds régionaux et nationaux pour l’emploi et la formation avait alors été refusée. Il s’agissait de favoriser une baisse sélective des taux d’intérêt pour de nouveaux crédits pour les investissements des entreprises notamment les PME selon leur apport en emplois et en formations.

UE, BCE, mouvements de capitaux

Lionel Jospin accepte la discipline du pacte de stabilité et refuse de prendre des initiatives pour pousser la BCE à intégrer la priorité à l’emploi, alors qu’elle sert les opérations financières et favorise les exportations massives des capitaux, vers les États-Unis particulièrement, renforçant l’affaiblissement de l’Euro face au dollar. Les sorties nettes de capitaux en France ont doublé de 1998 à 2000.

Nous avons proposé de rechercher une réorientation de la BCE, pour une baisse sélective des taux d’intérêt. Tandis que les premiers, avant Jospin et ATTAC, nous avons avancé une taxe de type Tobin sur  les mouvements de capitaux à court terme, à l’appui  d’une nouvelle politique monétaire de la BCE.                           

Au lieu d’une intervention de l’État audacieuse face à la montée des licenciements, et des difficultés, Jospin déclare que l’État ne peut pas tout. Le refus de propositions alternatives radicales, notamment concernant le crédit, le refus de toucher aux règles de l’économie de marché capitaliste, l’abandon des chômeurs aux mesures du PARE, la remontée des licenciements, expliquent la sanction populaire, avec aussi la récupération désastreuse de la colère des chômeurs par la montée du Front national, comme tout autrement la montée de l’extrême gauche et la défaite à la présidentielle de 2002. Ceci devrait servir de leçon pour redonner espoir dans une gauche rassemblée pour la transformation sociale.

L’affichage d’une priorité à l’emploi ne peut donc se concilier avec le respect de la domination des marchés financiers et des règles de l’économie de marché capitaliste. Redonner espoir dans une gauche de transformation sociale implique de rompre effectivement avec les politiques sociales-libérales. 

 

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