Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Emploi : révélateur de la crise du système

Le 1er juin dernier, l’INSEE annonçait un recul du chômage pour le premier trimestre 2011. Cette « embellie » n’a été que de courte durée. Depuis le chômage est reparti à la hausse. Alors que le gouvernement enfonce le pays dans une politique d’hyper-austérité, les derniers chiffres de juillet du chômage (25/08/2011)  sont venus confirmer les craintes.

Le retour du chômage est désormais un fait avéré qui impactera l’optimisme béat du gouvernement sur les perspectives de croissance du pays pour 2011, n’en déplaise au ministre du Travail. Avec une hausse de 1,3 % du nombre de demandeurs d’emplois de catégorie A inscrits à Pôle emploi pour juillet, soit 36 000 personnes supplémentaires (+87 400 sur les 3 derniers mois), le taux de chômage a même atteint son plus mauvais niveau depuis 11 ans. Sur un an, la hausse représente 2,8 % avec 76 200 inscrits de catégorie A supplémentaires.  Une fois encore, les plus de 50 ans et les moins de 25 sont les plus impactés (respectivement +2 % et +1,4 %).

Or, cette hausse du nombre de chômeurs est tempérée par la diminution du nombre d’inscrits de catégories C (-1,9 %), à savoir les personnes en situation d’emploi précaire inscrits à Pôle emploi. Tandis que le nombre de chômeurs de catégorie B augmente de 0,7 %. Le solde des demandeurs de ces deux catégories baisse au final de 1,2 point, et confirme une baisse globale de ces 2 catégories de 11 800personnes sur le mois de juillet, ramenant au final la hausse du nombre de chômeurs de catégories A, B et C réunies sur ce mois à +0,6 %.

Un schéma pour juillet qui confirme l’évolution des mois précédents sans que le gouvernement en prenne la mesure si l’on en juge les orientations définies pour la rentrée. Si l’emploi marchand avait repris des couleurs sur le 1er semestre 2011 (+126 000), c’est au prix d’une précarisation de l’emploi stable. Ainsi, en juillet, la baisse du nombre des emplois stables dans l’ensemble des secteurs d’activité est concomitante à une hausse des emplois flexibles et précaires. Ce mouvement de substitution des emplois semble accompagner une adaptation de grande ampleur du marché du travail aux évolutions de la productivité consécutives au choc de 2008, dont les choix politiques d’austérité du gouvernement pourraient amplifier les désastres pour les travailleurs si aucun frein n’y est mis.

2010-1er semestre 2011 : une baisse du chômage en trompe l’œil

La livraison de juin de l’INSEE (1) montrait une amélioration générale du marché de l’emploi débutée fin 2010, qui s’est poursuivie  durant le premier trimestre 2011. Après la création de 167 000 emplois sur 2010 (dont 141 000 dans le secteur marchand non agricole), le premier semestre 2011 a enregistré une hausse de l’ordre de 113 000 emplois imputable principalement au secteur marchand non agricole (+106 000). Une évolution qui semblait mettre fin à la période de destruction d’emplois phénoménale qui a prévalu en 2008 et 2009.

Néanmoins, cette dynamique de création d’emplois ne toucha pas à proportion égale l’ensemble des secteurs d’activité. Le secteur agricole continua de perdre des emplois (-10 000 emplois en 2010 et -5 000 au premier semestre 2011). L’industrie et la construction stabilisaient leur chute sur la période : -61 000 pour l’industrie (dont -64 000 pour l’industrie manufacturière) et -12 000 pour la construction en 2010, puis respectivement +1 000 (0 pour l’industrie manufacturière) et +6 000 au premier semestre 2011. Quant au tertiaire non marchand, il s’est caractérisé sur la période par un assèchement brutal de ses créations d’emplois : +47 000 en 2010, puis +3 000 sur le premier semestre 2011. Seul le tertiaire marchand semblait renouer significativement avec l’emploi (+215 000 en 2010 et +98 000 pour le premier semestre 2011).

Pour autant, le solde définitif de ces mouvements  s’est avéré positif sur l’évolution du taux de chômage BIT (2) de la période. Et ce, malgré une légère hausse de la population active. En fin de premier trimestre 2011, il atteignait 9,2 % de la population active (9,7 % avec les DOM). En baisse de 0,1 % par rapport au 4e trimestre de 2010 et de 0,3 % par rapport au 1er trimestre 2010, soit tout de même 2,7 millions de personnes. Une variation confirmée par l’évolution du nombre de chômeurs de catégorie A inscrits à Pôle emploi sur le premier trimestre 2011, qui a diminué de 42 500 personnes et annihilé de fait la hausse équivalente constatée en 2010.

Cependant, ces signes apparemment positifs du marché de l’emploi sur ces 18 mois peinent à masquer qu’ils participent d’une amplification de la flexibilité et de la précarisation de l’emploi dans l’entreprise et sur le marché du travail.

En effet, si le taux de chômage et le nombre de chômeurs baissent un peu sur la période, en particulier chez les moins de 25 ans du fait d’allégements fiscaux pour les entreprises ciblant l’alternance et l’apprentissage, au même moment, le chômage des séniors explose (+13 %), et avec lui le chômage de longue durée (+12,4 %). Une amplification structurelle tragique qui pousse hors de l’emploi près de 2 millions de personnes et les paupérise.

Parallèlement, la précarité de l’emploi s’intensifie. Sur la période, 1/3 des entrées à Pôle emploi résulte de fins de contrats temporaires (CDD et intérim) et 2/3 des sorties l’est sur ces mêmes contrats. Seule une sortie sur dix de Pôle emploi se fait aujourd’hui directement en CDI classique. La situation est telle qu’il apparaît en fin de compte que les seuls gagnants de ce marché de dupes sont les entreprises d’intérim.  Leurs effectifs ont cru de 19 % entre fin 2009 et début 2011.

Ainsi, si les statistiques de chômeurs  ont effectivement légèrement diminué sur le 1er  trimestre 2011 par rapport au dernier trimestre 2010, elles repartent à la hausse sur le second trimestre. Le nombre de demandeurs d’emploi augmente de 1,5 % sur ces 3 mois (+40 400). De sorte que le taux de chômage au sens de Pôle emploi regroupant les chômeurs de catégories A, B et C inscrits à Pôle emploi (3) a augmenté de 3,8 % depuis le 1er trimestre 2010. Il représente désormais plus de 4,637 millions personnes (catégories D et E incluses).

Cette « embellie de printemps » n’est donc en aucun cas la marque d’une amélioration du marché de l’emploi bâtie sur une reprise économique durable comme le claironnait l’UMP. Loin s’en faut. Avec 700 000 demandeurs d’emploi de plus qu’en 2007, le marché n’est pas prêt de récupérer les pertes d’emplois consécutives au choc de 2008.

Une évolution du chômage otage de l’allégeance des exécutifs politiques aux marchés financiers

À l’heure où sont écrites ces lignes, rien ne permet de dire que cette situation va changer. Au contraire, l’annonce de l’INSEE le 9 août d’un taux de croissance nul pour le second trimestre 2011 et d’une chute de 1,6 % de la production industrielle en juin trois jours plus tard, laisse même entendre que les compteurs  de l’emploi seront réajustés à la baisse (4). La dégradation de la conjoncture de l’emploi pour le second semestre 2011 sera sans aucun doute pire que prévu. Le nombre de chômeurs aurait déjà crû de 33 600 personnes en juillet.

Cette dégradation sera d’autant plus forte que, pour rassurer les marchés affolés par les rumeurs de défaut de paiement de certains états,  les principaux gouvernements de l’OCDE, et en particulier de l’Union européenne, annoncent conjointement la mise en œuvre d’une politique d’austérité, constitutionnalisée en Europe. Celle-ci serait structurellement  renforcée par un Fonds de stabilisation financière, qui va accélérer le siphonage des richesses de la sphère productive et publique par la sphère financière. Une façon de faire payer l’addition de la crise aux peuples et de tuer dans l’œuf toutes perspectives de sortie de crise, en enrayant les moindres leviers d’une croissance réelle. Cela, alors même que toutes  les prévisions de croissance sont revues à la baisse avec leurs conséquences désastreuses pour l’emploi et les salaires.

Alors que tout concourt à exiger un changement de régime de la machine économique nationale comme européenne, les « Chicago boys » de l’Elysée, en phase avec ceux de l’Union européenne, ont décidé de remettre le couvert par l’amplification des mesures régressives du pacte pour l’euro plus et l’instauration d’une dérive supranationale et antisociale, incarnée en France par le principe de la « règle d’or » budgétaire.

Une démarche dogmatique de soutien de la planète financière qui frise l’aveuglement. Non seulement la stratégie déjà à l’œuvre n’a pas démontré son efficacité économique de soutien aux entreprises et à la croissance. Mais, loin de restaurer leur compétitivité, cette stratégie de réduction du coût du travail et des prélèvements publics a fini par conforter leurs pertes de marchés, tant au niveau national, qu’européen et international.

Avec la hausse du nombre de chômeurs et le ralentisse- ment des créations d’emplois, c’est aussi la consommation qui chute (-0,7 % au 2e trimestre 2011) dans un contexte de déficit commercial majeur (-37,5 milliards d’euros sur le 1er semestre 2011) et de surendettement public d’origine essentiellement financière et sans contreparties productives ou en actifs publics. Une situation qui s’aggrave et n’a certainement pas besoin d’un tour de vis supplémentaire sur l’emploi, les salaires, le pouvoir d’achat en général et le service public.

L’évolution de l’emploi dans la crise comme révélateur des contradictions du système

En réalité, si l’ampleur de l’agression contre le monde du travail et le peuple en général est bien nouvelle, elle n’est en rien une surprise. Il apparaît que la stratégie adoptée ouvre sur une étape nouvelle dans le processus de captation de la valeur, des richesses par le capital, la bourgeoisie. Une étape nouvelle usant de leviers nouveaux et colossaux aux conséquences terribles pour les peuples, mais qui plonge ses racines dans une mécanique générale à l’œuvre depuis plus d’une trentaine d’années en France, que le quinquennat Sarkozy a accélérée et que la violence de la crise financière de 2008 a poussée à son paroxysme.

Il n’est pas inutile en effet de garder en mémoire que si cette politique d’austérité brutale et autoritaire annoncée par le tandem Sarkozy-Merkel pour les peuples européens prétend consolider  les comptes des opérateurs financiers sur la base de fonds publics, elle s’inscrit avant tout dans le schéma prescrit par les traités de Maastricht et de Lisbonne. Or ce schéma vise la mise en place d’un marché européen unique totalement dérégulé et libéralisé qui accompagne la vaste réorganisation des processus productifs engagée de manière intensive par le capital sur les 35 à 40 dernières années. À la recherche de gisement de productivité visant à répondre aux objectifs de survalorisation financière de leurs actifs, les entreprises se sont effectivement engagées dans des stratégies d’optimisation du coût marginal du travail par la mise en place de processus productifs qui ont favorisé une organisation de la production en sous-traitance et externalisée (hiérarchie horizontale, flux tendu, juste-à-temps…). Des stratégies organisationnelles qui se sont traduites par une flexibilisation accentuée de l’emploi dans l’entreprise et du marché de l’emploi, que l’équipe Sarkozy, après ses prédécesseurs, en inconditionnelle du Medef, n’a eu de cesse de consolider par une dérégulation du secteur public et du marché de l’emploi. Ainsi, la RGPP, la loi Tepa, la déconstruction du code du travail et du droit du licenciement, la généralisation des CDD, le statut de l’auto-entrepreneur, la création de Pôle emploi…, avec l’ensemble des dispositifs législatifs et réglementaires qui les ont précédés, sont autant de mesures d’une mise en conformité de la force de travail aux nouvelles formes de valorisation du capital sur la période.

Or il semble que cette évolution soit aujourd’hui confrontée à une contradiction révélée par la crise de 2008, dont les effets pourraient alors amplifier le désastre, au moins en France. En effet, avec la violence du choc, la valeur ajoutée produite en France a reculé de 5,6 points en 2008 (5). Fin 2010,  la reprise reste insuffisante et elle peine toujours en 2011.

Cette situation nouvelle n’est pas neutre pour l’emploi et les salaires. Car si l’observation devait se confirmer, elle augurerait d’une possible rupture de la croissance en lien avec la nouvelle suraccumulation du capital. Et dans un contexte de concurrence exacerbée où l’investissement productif est en berne et le crédit rationné, elle se traduirait immanquablement par une élévation du niveau des attaques contre l’emploi et les salaires visant à restaurer le taux d’exploitation. Que celui-ci passe par une diminution de l’emploi occupé ou des heures travaillées, ou bien par une plus grande flexibilisation de l’emploi illustrée par un remplacement des emplois stables par des emplois précaires.

Or c’est précisément ce que l’on tend à observer aujourd’hui.  Seules les formes d’emploi les plus flexibles ont été à l’origine du petit sursaut de l’emploi de fin 2010-début 2011. Tandis que le taux d’emploi en CDD/intérim a récupéré en 2010 ses pertes de 2008, le nombre des emplois stables (salariés en CDI) continue sa chute tendancielle. L’évolution du taux d’emploi en CDI est en chute libre depuis 2009, au point d’approcher son pire niveau de la décennie (48,6 % au deuxième trimestre 2006) avec 48,8 % sans perspective d’inversion de la tendance. Ainsi, l’industrie manu- facturière continue de perdre ses emplois stables à un rythme accéléré : -304 000 emplois sur les 3 dernières années. Alors même que le nombre de ses intérimaires et CDD repart à la hausse depuis la mi-2009. Il en va de même pour le secteur de la construction, qui perd 56 000 CDI sur 2009-2010 mais note un rebond de l’intérim de 5,5 % dans le dernier trimestre 2010, qui se prolonge sur le 1er trimestre 2011. Seul le tertiaire semble tirer parti de la situation en récupérant dès 2010 la quasi-totalité des 225 000 emplois perdus entre 2008 et 2009. Mais c’est oublier que ce rebond est principalement tiré par le développement d’emplois précaires ou flexibles sur des secteurs d’activités précis : services à la personne (en particulier le service aux particuliers-employeurs), hôtellerie-restauration,  information et communication, qui ont bénéficié par ailleurs de mesures fiscales successives abaissant fortement le coût du travail, en particulier de l’emploi non qualifié.

La conjugaison d’une baisse de la croissance dans l’économie réelle avec une politique d’austérité drastique aurait immanquablement un effet récessif démultiplié aux conséquences dévastatrices pour l’économie, l’emploi et l’évolution des salaires.

La remontée du chômage, avérée en juillet 2011, est sans doute révélatrice des difficultés nouvelles. Et cela d’autant que la faiblesse des créations d’emploi caractérise désormais l’ensemble de l’Union européenne et aussi les États-Unis.

En guise de conclusion

Autant dire que tout pousse aujourd’hui vers une modification du cadre de la régulation du système capitaliste. La crise que nous vivons met clairement au jour la nécessité de rompre avec cette logique de valorisation du capital.

Cette nécessité renforce comme jamais la pertinence et la valeur des propositions du PCF visant la maîtrise du marché de l’emploi et du crédit. Ces propositions émergent aujourd’hui dans le débat public sous des formes différentes dans tous les pays européens.  Elles doivent être au cœur de la bataille des futures présidentielles et portées dans le débat à gauche. 

(1) Note de conjoncture INSEE, juin 2011.

(2) En application de la définition internationale adoptée en 1982 par le Bureau international du travail (BIT), un chômeur est une personne en âge de travailler (15 ans ou plus) qui répond simultanément à trois conditions :

– être sans emploi, c’est-à-dire ne pas avoir travaillé, ne serait-ce qu’une heure, durant une semaine de référence ;

– être disponible pour prendre un emploi dans les 15 jours ;

– avoir cherché activement un emploi dans le mois précédent ou en avoir trouvé un qui commence dans moins de trois mois.

Les catégories de chômeurs au sens du BIT ne sont donc pas toujours les mêmes que ceux au sens de Pôle emploi. On peut être chômeur au sens du BIT et pas chômeur au sens de Pôle emploi (ex : les radiés de Pôle emploi, les SDF…). Et inversement (ex : les chômeurs en sous-activité, RSA…).

(3) Les demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi sont regroupés en différentes catégories :

– catégorie A : demandeurs d’emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi, sans emploi ;

– catégorie B : demandeurs d’emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi, ayant exercé une activité réduite courte (de 78 heures ou moins au cours  du mois) ;

– catégorie C : demandeurs d’emploi tenus de faire des actes positifs

de recherche d’emploi, ayant exercé une activité réduite longue

(de plus de 78 heures au cours  du mois) ;

– catégorie D : demandeurs d’emploi non tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi (en raison d’un stage, d’une formation, d’une maladie…), sans emploi ;

– catégorie E : demandeurs d’emploi non tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi, en emploi (par exemple : bénéficiaires de contrats aidés).

(4) Fin juin, l’INSEE prévoyait déjà une dégradation de la conjoncture de l’emploi marchand pour le second semestre 2011 par rapport au premier  (33 000 créations d’emplois en moins).  Et fin mai, dans ses prévisions les plus favorables, Pôle emploi ne prévoyait pour l’exercice 2011 que 110 000 créations d’emplois (contre 120 000 en 2010) et une baisse de seulement 55 000 du nombre de chômeurs de catégorie A.

(5) Note de prévision OFCE, revue de l’OCFE, avril 2011 : « France : croissance austère, Perspectives 2011-2012 pour l’économie française ».

 

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