Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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L’industrie aéronautique, dollar et mondialisation, quelle alternative : le cas d’Airbus et de Boeing

Avec la mondialisation et la financiarisation du capitalisme, les conditions d’études et de production dans l’industrie aéronautique se sont profondément modifiées depuis les années 1970. Cette industrie est aujourd’hui au cœur des défis des révolutions informationnelle, écologique et monétaire.

L’industrie aéronautique est soumise à des contraintes spécifiques.

L’avion est  un produit dont le cycle de vie est particulièrement long, de l’ordre de 25 à 30 ans. Ce produit nécessite des avances énormes et de plus en plus élevées en recherche, études et développement.

L’envolée des  « coûts informationnels » est telle qu’elle oblige à des partages par des regroupements, alliances, partenariats. Mais ce besoin de partage est détourné pour dominer plutôt que coopérer  avec les pratiques financières de fusions et acquisitions.

Selon PWC1, celles-ci n’ont cessé de croître dans l’aéronautique mondiale jusqu’à  l’explosion  de la crise financière en 2008 :

‒ 41,6 milliards de dollars en 2007, après 29,2 milliards en 2006. Et cela repart !

L’activité de l’industrie est cyclique

Elle dépend de celle du transport aérien qui varie, elle- même, en fonction de l’activité économique mondiale. Un contexte économique défavorable au transport aérien, comme en 2001 et, surtout, en 2009, se traduit directement par une baisse des commandes d’avions, et inversement quand ça redémarre. Pour autant les minima de cycles sont en progression, sur le moyen et long terme, et les besoins apparaissent considérables. D’ailleurs,  les commandes sont reparties très vite à la hausse dès 2010, croissant, selon le Gifas, de plus 27 %. Elles représenteraient  aujourd’hui l’équivalent de quatre années de production.

Un marché mondialisé

a. Un marché mondialisé dominé par 2 groupes.

Jusqu’aux années 1990, la domination de Boeing était écrasante, mais la donne a changé réellement dans les années 2000.

L’innovation joue un rôle central dans cet affrontement et concerne désormais tous les acteurs de la filière : des équipements aux fournisseurs de rang deux et trois.

Elle pousse l’inflation des dépenses de recherche-développement et le besoin de plus en plus prégnant d’en faire partager les risques, avec les fusions et acquisitions et autres dépenses de domination.  Celles-ci sont financées par l’appel au marché financier et entraînent des prélèvements croissants sur les richesses ainsi produites en intérêts payés aux banques (324 milliards d’euros en 2009) et dividendes (147 milliards d’euros en 2009).

Cette rivalité exacerbée pour dominer ne vise pas à mieux répondre aux besoins de développement des populations. Au contraire pour mener la guerre, les deux grands mobilisent de gigantesques armées d’entreprises en France, en Europe, dans le monde et, avec elles, des populations entières des territoires  avec l’implication des États, mais aussi, désormais, de leur entente au niveau zonal (Europe) et au niveau infranational, avec les régions elles-mêmes (Ile-de-France, Midi-Pyrénées, Aquitaine, PACA).

b. Une recomposition industrielle

Dans les années 1970, ces secteurs fonctionnaient selon une « logique d’arsenal » pilotée  par des stratégies d’État dans un contexte de croissance rapide.

La maîtrise des coûts n’était  pas la question essentielle. Les grandes entreprises affiliées étaient alors sous contrôle public d’État ou/et dépendantes de financements publics massifs pour des programmes  civils et militaires dans un contexte de course aux armements. Très intégrées verticalement ces entreprises maîtrisaient des technologies dites « sensibles » couvertes   par le secret.

Dans les années 1990, avec les difficultés de la croissance mondiale et l’effondrement de l’URSS d’importantes ruptures de trajectoires se sont produites :

‒ dérèglement des marchés ;

‒ privatisation et domination par la rentabilité financière ;

- affirmation de la primauté des programmes civils. Cela est lié à une formidable poussée de l’appel, par Boeing et Airbus, aux technologies de la révolution informationnelle suscitant une recomposition de toute la chaîne des valeurs.

Au sommet de la pyramide il y a les assembleurs qui confient une part croissante de la conception, du développement et de la production des composants à des équipementiers de plus en plus spécialisés (externalisation).

Ces donneurs d’ordres exercent des pressions formidables sur leurs fournisseurs pour qu’ils  investissent massivement, eux aussi, dans les technologies informationnelles pour abaisser toujours plus leurs coûts et, ainsi, pouvoir continuer à être sélectionnés.

Cela s’est fait au prix de pressions permanentes contre l’emploi, les salaires  et le développement des populations, qui ont conduit à d’immenses gâchis  financiers, matériels et humains. Cela a marché de pair avec le développement des délocalisations dans les pays à coûts de mains-d’œuvre plus faibles et aux promesses de débouchés importants dans les pays émergents.

c. L’enjeu du financement et de la monnaie

1. la monnaie mondiale de l’aéronautique, c’est le dollar

Cela donne un énorme avantage à Boeing. Ses recettes comme ses dépenses  se font en dollars, sa propre monnaie nationale, à la différence d’Airbus qui a ses recettes en dollars, mais paie ses salariés en monnaies nationales européennes et, depuis 2000, en euro.

L’euro  a été lancé, notamment, pour faciliter les opérations d’entreprises comme Airbus à l’échelle de toute l’Europe,  jusqu’alors compartimentée par les monnaies nationales et leurs taux de change. Surtout, l’euro a été lancé pour rivaliser avec les États-Unis dans l’attraction de capitaux mondiaux dont est de plus en plus gourmand Airbus.

Mais l’euro fort et la tendance du dollar à s’affaiblir entraînent un déséquilibre de compétitivité contre Airbus.

Ce qui fait dire au patron d’EADS, non pas qu’il faut mettre en cause le statut du dollar, changer l’utilisation de l’euro et l’orientation de la BCE, mais qu’il leur faut délocaliser vers les pays de la zone dollar, ou à bas coûts. Selon Louis Gallois : « le seul moyen de préparer l’entreprise à un dollar que plus personne ne maîtrise, c’est de s’installer malheureusement en zone dollar » (28 janvier 2010).

2. L’accès aux financements

Boeing bénéficie de programmes de recherche-développement militaire extrêmement importants. Ces transferts de technologie gratuits du militaire sont en partie financés par la capacité d’endettement colossal dont disposent les États-Unis auprès du monde entier grâce au dollar (ils s’endettent en dollars auprès du monde entier et pour rembourser ils peuvent émettre de nouveaux dollars).

Par contre, Airbus, dès le début, comme constructeur de matériel civil n’a pas bénéficié de programmes militaires, mais a fait appel à « des aides remboursables » de la part des États européens, parties prenantes des programmes.

Les États-Unis  ont ouvert un conflit là-dessus auprès de l’OMC  après avoir dénoncé unilatéralement un protocole d’accord de 1992.

Cela a poussé Airbus, sous l’aiguillon de la Commission européenne et du rationnement imposé par le pacte de stabilité et la Banque centrale européenne, à la diminution de la part des avances remboursables dans les coûts engagés.

Mais cela accentue, alors, le besoin pour lui de recourir aux marchés financiers, alors même que, en Europe, la crise des dettes publiques, résultant précisément de la façon dont est utilisé l’euro a conduit à un rationnement du financement public et du crédit bancaire. Cela pourrait être débloqué si la Banque centrale européenne créait de la monnaie pour financer un grand essor des dépenses de recherche, formation, services publics. Cela nécessiterait, en outre, que les banques, dans chaque pays, pilotées par des pôles publics financiers, décident de soutenir l’essor d’un nouveau crédit pour les investissements matériels et de recherche des entreprises, avec un taux d’intérêt d’autant plus abaissé (jusqu’à  devenir nul, voire négatif ) que ces investissements programmeraient plus d’emplois et de formations bien rémunérées.

Mais aujourd’hui  la Banque centrale européenne demeure arc-boutée sur la lutte contre l’inflation par l’abaissement des coûts salariaux et le rationnement de la dépense publique pour garantir aux capitaux inter- nationaux une rentabilité très élevée afin de les attirer. C’est dire l’impasse de cette façon d’utiliser l’euro et la Banque centrale européenne !

d. Le défi de l’arrivée d’acteurs émergents

Les pays émergents refusent de n’être qu’un débouché pour les avionneurs et même, pour la Chine, d’être enfermés dans un rôle d’atelier de l’Occident pour des composants.

Ils veulent bien nous acheter des avions, mais ils demandent, de plus en plus, des « compensations industrielles » obligeant à réaliser une partie de la production sur place pour bénéficier de l’activité générée et s’approprier une partie de la technologie mise en œuvre.

La Chine est désormais aux avant-postes de ce mouvement qui va tendre à mettre en cause cette double domination du monde par Boeing et Airbus. Elle veut, à bon droit, rattraper l’Occident au plan technologique alors qu’elle dispose d’un vivier  d’ingénieurs à faible coût salarial. L’avion  chinois Arj21, au programme duquel participe Safran (hors moteur), a fait son premier vol, fin novembre 2008. C’est le premier avion commercial chinois et sa cible est le marché intérieur chinois. Mais le feu vert a été donné, en 2007, au développement d’un  avion de grande taille tourné vers l’international, le C919 motorisé par le constructeur CFMI (donc le motoriste SNECMA du groupe Safran). Ce sont là des événements considérables qui peuvent annoncer le pire ou le meilleur.

Or, du social au monétaire, Européens, mais aussi Chinois, Russes et Latino-Américains aussi, ont besoin de contrer la domination américaine et de mettre en cause les privilèges exorbitants du dollar. Cela passe par la recherche de constructions zonales convergeant vers une nouvelle construction mondiale qui soit enfin celle de toute l’humanité et pas seulement celle des milliardaires (américains ou autres) avec, au cœur, une monnaie commune mondiale pour un co-développe- ment. Une transformation radicale du FMI et de toute les organisations internationales seraient au cœur de cette construction nouvelle.

e. Face au cancer financier, l’enjeu décisif du développement des capacités humaines

Il s’agit que, du local au national, de l’Europe jusqu’au monde, cette industrie crée et contribue à créer toujours plus de valeur ajoutée disponible pour développer ses salariés. Mais, au-delà, les populations et protéger leur niche écologique, la terre, au lieu de gâcher les ressources dans les placements  financiers et les dépenses de domination.

La question de la sécurisation de l’emploi, la formation, des salaires et des retraites est nodale. Elle seule permet que l’industrie paye les impôts et les cotisations nécessaires à l’essor des services publics et de la protection sociale.

C’est dire l’enjeu des luttes et de la conquête de pouvoirs nouveaux des salariés et des citoyens.

L’industrie aéronautique spatiale française présentait en 2006 un taux de valeur ajoutée (VA/CA hors taxes) de 37 %, supérieur à celui du secteur des biens d’équipement (30 à 32 %) et beaucoup plus important que celui de l’automobile (16 %) qui a déjà énormément délocalisé.

Cela est à mettre au compte des luttes, et aussi au compte du fait qu’avec Airbus, par exemple, il y a une structuration européenne et donc des investissements communs. Même si la privatisation, dans le même temps, en introduisant une logique dominante de profit, a entravé gravement  les bénéfices qu’elle pouvait en escompter.

Mais le gros des risques de délocalisation est devant nous.

Or, au contraire de la thèse démagogique et illusoire de la « démondialisation », qui prétend rassurer et séduire des couches populaires naufragées lorgnant vers Le Pen, si on veut défendre et promouvoir la valeur ajoutée pour le peuple français, il faut aussi le vouloir pour les peuples européens,  mais aussi pour les peuples du monde entier.

Cela signifie qu’au lieu de prêcher le retour au protectionnisme, il faut changer de logique, c’est-à-dire imposer :

– des incitations et des pénalisations des entreprises par le crédit et la fiscalité contre les délocalisations  et le dumping social ;

– des droits et des pouvoirs effectifs d’intervention des salariés et des populations sur les choix des entreprises pour sécuriser l’emploi, la formation,  les salaires, pour développer l’industrie, la production, les services, la recherche-développement, dans les sites existants, en s’opposant à la visée actuelle limitant les grands donneurs d’ordre à de simples sociétés d’ingénierie ;

– des coopérations beaucoup plus intenses mutuellement avantageuses, intégrant des objectifs de progrès social, y compris salarial pour les pays à bas coûts, visant une harmonisation par le haut des normes sociales et environnementales ;

– la recherche systématique d’alliance  avec les pays émergents et les pays développés face aux États-Unis et pour changer les règles monétaires et commerciales internationales afin de promouvoir nos modèles sociaux respectifs. 

(1) PricewaterhouseCoopers, cabinet d’expertise aéronautique.

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