Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Projet du PS pour 2012 : la main invisible de la BCE

Le programme du PS pour 2012, rendu public le 5 avril, affirme que « le capitalisme est à bout de souffle », que « l’urgence c’est de changer de système » et que cela « nécessite d’agir à tous les étages de l'action publique », européen notamment. Pourtant, le niveau européen est largement occulté dans ce document où il est beaucoup question de social et de la France, même si les mots « Europe » et « européen » y apparaissent 80 fois. Tout se passe comme si les rédacteurs du programme, partageant un attachement commun avec la droite au Traité de Lisbonne, avaient cherché à en dissimuler la portée pratique. On tend aussi à empêcher que la nécessité de réorienter la construction européenne, en crise profonde, en se reliant aux enjeux de transformation sociale nationale, ne devienne un marqueur du débat gauche/ droite en 2012 . Mais on mesure alors la démagogie du discours social, en même temps que l’on s’explique les raisons du caractère limité et contradictoire des objectifs affichés, si loin des envolées contre le capitalisme et du besoin d’une nouvelle civilisation.

Ce qui frappe d’emblée, c’est le silence sur la Banque centrale européenne (BCE), ses prio- rités, sa politique monétaire, alors que les taux d’intérêt remontent, son indépendance et ses inter- dits tels celui de financer par création monétaire les dépenses publiques (achats directs de titres d’État), à l’heure où la Réserve fédérale des États-Unis le fait, elle, massivement.

En 2007, encore, le PS promettait de réformer les missions de la BCE pour ajouter à la sacro-sainte lutte contre l’inflation, l’emploi et la croissance. Il n’en est plus du tout question !

Ce recul manifeste marche de pair avec un tel consensus pour l’« euro fort » que le PS ne s’interroge même plus sur la hauteur du taux de change, comme il a pu le faire naguère en soulignant que la politique de change européenne dépend des gouvernements et non de la BCE.

Ces questions semblent à ce point sanctuarisées dans la pensée des dirigeants PS qu’elles sont retirées du pro- gramme, comme mises à l’abri du débat pour 2012.

Il est stupéfiant, par exemple, de ne constater ni mention, ni critique, ni contre-proposition au sujet des dispositions prises en mai 2010 face à la crise de la dette grecque et à son risque de contagion à l’Europe du Sud. Pas un mot sur les critères et les buts du Fonds de stabilisation financière, ni sur les terribles sacrifices qu’il impose, avec le FMI, aux peuples des États les plus endettés. Il est vrai que les parlementaires  socialistes ont voté avec la droite en mai dernier le plan dit de « sauvetage » à la Grèce. Ils ont entériné ainsi toute une logique de traitement de la crise des dettes publiques en Europe qui a débouché  sur les décisions de pérennisation des dispositifs lancés en mai 2010, avec fuite en avant dans les politiques  d’austérité, casse du « modèle social européen », saccage  des services publics, pour rassurer les créanciers sur les marchés financiers… avec la perspective de nouvelles catastrophes.

Nulle part on ne trouve de critiques ou de contre-pro- positions sur le « pacte de l’euro + », décidé à Bruxelles le 25 mars. Rappelons que ce pacte, au nom de la lutte contre les déficits et dettes publics, exige une réduction drastique des dépenses publiques et sociales ainsi qu’un recul significatif des prélèvements  sur les entreprises au nom de la compétitivité  avec, à la clef, la perspective de 10 années supplémentaires d’austérité, au moins. Ce pacte interdit toute hausse généralisée des salaires et entend mettre un terme aux pratiques d’indexation. Dans le cadre de négociations décentralisées, il veut que la croissance annuelle des salaires soit inférieure ou égale à celle de la productivité du travail, ce qui empêcherait tout nouveau partage de la valeur ajoutée. Il entend limiter la progression de la masse salariale dans la Fonction publique à celle des prix. Quant aux retraites, leur réforme doit être étroitement calée sur les seules variables démographiques,  prescription avec laquelle le PS, lors du grand mouvement sur les retraites de l’automne 2010, s’est montré très conciliant en re- fusant de mettre en cause la tendance à l’augmentation du nombre d’années de cotisations requises.

Parallèlement au pacte de « l’euro + » a été adoptée, le 25 mars à Bruxelles, une vaste machinerie censée pérenniser le Fonds de stabilisation financière. Sous prétexte de sauvetage des États en difficulté, son but essentiel est de développer une capacité européenne, mi-intergouvernementale/mi-fédéraliste, d’endettement public sur les marchés financiers internationaux,  pour rivaliser avec l’endettement  public des États-Unis et le dollar dans l’attraction des capitaux baladeurs.

C’est là le seul point sur lequel le PS avance une proposition à découvert, avec la création des « euro-bonds ». Il s’agirait de titres de dette publique que la zone euro, prise comme un tout, émettrait sur les marchés financiers internationaux, en concurrence avec les titres américains en dollars, pour soutenir l’accumulation capitaliste de ce côté-ci de l’Atlantique. C’est, en quelque sorte, une version entièrement fédéraliste de ce qui a été adopté le 25 mars à l’initiative de Merkel et Sarkozy.

Dans ces conditions, l’euro devrait être maintenu d’autant plus « fort » que, devenu monnaie d’endettement et plus seulement monnaie de placement, il exigerait une subordination accrue de toute la zone aux marchés financiers.

Certes, le PS cherche à donner le change avec l’idée d’instaurer une taxation de 0,05 % des transactions financières dans l’Union européenne. Cette idée, rappelons-le, a fait l’objet d’une motion adoptée par le Parlement européen et s’inscrit dans la foulée des préconisations verbales de Sarkozy et Merkel eux-mêmes. Bien sûr, il s’agit d’essayer de faire illusion auprès des alter-mondialistes en instrumentalisant  la proposition de taxation Tobin dont son créateur lui-même disait qu’elle devait avoir pour fonction de libérer la politique monétaire de la Banque centrale de la dictature des marchés monétaro-financiers.

Par ailleurs, c’est le silence, aussi, sur les déréglementations et privatisations du marché unique européen, de même que sur la « flexicurité » exigée par Bruxelles pour réformer les marchés du travail. Pourtant, en 2007, le programme du PS s’en revendiquait,  avant-même Sarkozy, pour tenter d’instrumentaliser  l’idée, chère à la CGT, de sécurité sociale professionnelle.

Enfin, le programme du PS ignore la responsabilité nouvelle énorme de l’Europe pour que réussisse « le printemps arabe ». L’assumer nécessiterait, en effet, une réorientation radicale de la BCE et de l’euro, rompant avec les dogmes monétaristes si précieux pour la domination des capitaux allemands.

De fait, le texte du PS se dit décidé à relancer la « dynamique franco-allemande ». Mais il le fait sans mettre en cause ce que ce couplage a de dominateur, tant s’agissant de l’Allemagne vis-à-vis de la France, que de ce binôme envers le reste de l’Europe et du monde.

Cet ancrage au traité de Lis- bonne, dissimulé dans le texte, conditionne tout le reste du programme. C’est  ainsi que, malgré un discours démagogique, les objectifs sociaux nationaux (emplois, salaires, protection sociale, services publics, politique industrielle…) y sont d’autant plus limités et contradictoires que les moyens financiers sont subordonnés au pacte de stabilité renforcé, au pacte de l’euro +, au Mécanisme européen de stabilité (MES) et doivent respecter une indépendance de la BCE au service de la finance internationale. Tout cela exige, en effet, de faire reculer la part des richesses produites servant au financement des services publics et de la protection sociale, pour qu’augmente la part des prélèvements financiers. D’où l’obsession de la diminution des déficits et dette publics, le refus de changer les critères du crédit, les relations entre la BCE, les banques et les entreprises, le refus de toute extension-transformation du secteur public, le choix de dé- responsabiliser, au plan fiscal et social, les entreprises pour une rentabilité financière suffisamment attractive dans la compétition avec les États-Unis. 

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