Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Présidentielle : la sécurisation de l’emploi et de la formation au cœur

Pour une sécurisation sociale de l’emploi et de la formation, des revenus et de tous les moments de la vie. Notre projet à rendre populaire et à faire partager.

Le système de sécurité d’emploi ou de formation que nous voulons mettre en place implique un dépassement du capitalisme, un changement de civilisation qui libère le travail et l’homme au travail, transgresse tous les marchés ‒ dont le marché du travail ‒ et émancipe l’être humain Paul Boccara [Boccara, 2002] a pu écrire : « Pleinement  réalisé, il vise à assurer, à chacune et à chacun, un emploi ou une formation rémunérée, pour revenir ensuite à un meilleur emploi, avec une continuité de bons revenus et de droits, et avec des passages de l’une à l’autre activité, ou encore d’un emploi à un autre, maîtrisés par les intéressés. ».

Et il ajoute : « Cependant, il n’est pas du tout question de mettre  en place tout  ce système d’un seul coup. Au contraire, il convient de partir des différentes situations concrètes existantes d’insécurité ou de privation d’emploi ainsi que des débats sur les mesures prétendant  les concerner. »

En l’occurrence, nous pouvons trouver, dans le mouvement social et chez nos partenaires de lutte, des analyses et des propositions qui différent des nôtres mais qui, malgré une logique de fond qui peut s’avérer divergente ou contraire, méritent d’y travailler avec notre peuple. Nous pouvons penser à l’allocation d’autonomie  des jeunes, au droit de vote suspensif des institutions représentatives du personnel, à l’égalité entre les hommes  et les femmes, à l’augmentation substantielle de la dépense éducative dans le PIB, à la revalorisation du SMIC et des salaires, etc. Tous ces éléments peuvent concourir, à la « sécurisation de l’emploi,  de la formation, des revenus et de tous les moments de la vie ».

Ils le feront d’autant mieux si nous parvenons à préciser, rendre concrètes, actualiser à partir notamment de notre analyse de la situation actuelle et qui pourront s’inscrire dans notre projet, faire connaître et débattre nos propres propositions. Je souhaiterai d’abord  en rappeler l’architecture globale, et tout particulièrement autour des cinq leviers, tels que nous les avons définis lors de la co-élaboration de notre proposition de loi afférente [économie et Politique, 2007].

Les cinq leviers de la sécurisation sont :

1. de nouveaux principes du droit du travail ;

2. la sécurisation et la promotion des travailleurs ;

3. de nouvelles institutions ;

4. de nouveaux droits et pouvoirs ;

5. de nouveaux critères et moyens financiers.

Quatre principes doivent présider à une nouvelle définition du droit du travail : avancer vers une sécurité d’activités professionnelles, emploi ou formation rémunérée ; garantir des droits attachés à la personne, des pouvoirs collectifs et un statut de sécurisation et de promotion ; favoriser des négociations collectives visant l’amélioration des normes en respectant leur hiérarchie et le principe de faveur ; sécuriser tous les moments  de la vie professionnelle et sociale.

La sécurisation et la promotion des travailleurs doivent être assurées, entre autres, par les actions suivantes :

‒ l’affiliation  de tout résident au service public de sécurisation sociale de l’emploi et de la formation à compter de l’âge de 18 ans ;

‒ l’institution d’un statut de promotion professionnelle et sociale comportant des droits et des pouvoirs : rotation, formation continue qualifiante, pouvoir de saisine institutionnelle, proposition alternative, intervention dans la gestion de l’entreprise, dans l’organisation du travail, participation publique et sociale, etc. ;

‒ le renforcement  et la sécurisation du CDI, sa réaffirmation comme norme de droit commun ;

‒ la lutte contre le dumping social et la sous-traitance sociale ;

‒ la lutte contre toutes les discriminations ;

‒ un nouveau contrat de pluriactivité sécurisé, engageant des solidarités professionnelles et territoriales d’entreprises  entre elles et avec les organismes de formation ;

‒ des dispositions favorisant les augmentations de salaire et la réduction du temps de travail ainsi que le remplacement des départs.

Le premier principe de notre projet de proposition de loi. Il s’agit  bien pour nous d’une  affiliation du même type qu’à l’actuelle  sécurité sociale et dans le même esprit d’une couverture permanente contre les aléas économiques  et sociaux. C’est une ambition de grande ampleur mais d’une aussi grande pertinence au regard des besoins actuels et à venir, et qui peut donc largement rassembler.

L’emploi du terme « résident » renvoie à un principe universel. Cela fait notamment écho aux luttes et à la dignité des salariés étrangers, et tout particulièrement à ceux qui se voient scandaleusement  privés de papiers officiels et, en conséquence, assimilés à des délinquants. Il s’agit bien de solidarité, d’intérêt mutuel, celle qui n’a jamais manqué à la France du travail, jusqu’aux heures les plus sombres de son histoire. Tout travailleur, quelle que soit sa nationalité, et avec lui ou elle sa famille, doit bénéficier des mêmes droits et de la même condition que les autres.

Les prévisions de l’INSEE  et du Centre d’analyse stratégique [anciennement Commissariat général au Plan] pour 2025 annoncent le besoin d’une  forte immigration en France, notamment en provenance d’Asie sur des emplois plutôt qualifiés. C’est contre les thèses les plus nauséabondes ‒ aujourd’hui soutenues, promues, répandues par une droite qui a décidément du mal à se sortir du pétainisme ‒ qu’en rétablissant la simple vérité économique et sociale, nous œuvrons en même temps à la société fraternelle pour laquelle nous luttons depuis toujours.

La société de demain appellera davantage de coopé- ration internationale et de transferts de compétences. Aucun pays à lui seul ne pourra satisfaire à ses besoins, encore moins s’il se replie sur une « préférence nationale » qui est une hérésie économique et surtout un cancer social. En l’occurrence, nous pouvons envisager cette perspective avec sérénité, d’autant plus que notre projet, qui y répond déjà, peut aussi fournir au monde entier les éléments d’un système global à construire internationalement.

Nous proposons une organisation de la vie professionnelle définie par deux bornes d’âge, marqueurs sociaux sécurisés : 18 et 60 ans.

D’un côté, l’âge de l’entrée  à part entière dans la vie sociale, avec l’ensemble de ses droits et devoirs, la fin de l’obligation scolaire et de la prise en charge complète par la famille et la collectivité que représente la nation. De l’autre, l’ouverture des droits à la retraite et l’opportunité de poursuivre sa vie par le déploiement d’activités sociales libres dont l’intérêt commun n’échappe à personne et où la formation là encore peut jouer un grand rôle.

De nouvelles institutions doivent être mises en place autour d’un service public et social de sécurisation de l’emploi  et de la formation ayant pour objectif leur développement conjoint et prenant sans tarder les mesures appropriées, à destination notamment des personnes et des catégories pénalisées (jeunes, salariés privés d’emploi, etc.) : amélioration radicale de l’indemnisation de la privation d’emploi et des minima sociaux, lutte contre la précarité et son développement, allocation  d’autonomie et d’études des jeunes, aide à la mobilité choisie, etc.

Dans le cadre du service public national, la région s’avère, sans négation aucune des autres collectivités territoriales, le niveau pertinent d’expression des besoins et d’élaboration démocratique des propositions pour y répondre. Des conférences régionales réunissant l’ensemble des acteurs locaux via leurs organisations représentatives et reconnues doivent pouvoir discuter et adopter des mesures chiffrées d’objectifs à atteindre et de moyens de leur réalisation, ainsi qu’exercer un suivi des décisions prises, leur évaluation, leur

réévaluation et assurer  l’organisation de la prise en compte des objectifs fixés et de l’application des mesures prises par les entreprises, les organismes et les institutions concernés au niveau régional. À cette fin, elles doivent pouvoir mobiliser le service public d’information statistique et de prospection économique et toute autre institution idoine.

Une conférence nationale a pour vocation de les ras- sembler et de synthétiser leurs travaux afin d’élaborer, en allant au-delà d’une simple addition des problématiques locales, une politique conforme et cohérente sur l’ensemble du territoire national. Cela constitue le cadre dans lequel sont conçues les aides de l’État, modulées dans une logique, d’une part de soutien au développement de l’emploi,  de la formation, de la recherche et, d’autre part, de pénalisation des gestions purement financières qui ne cherchent qu’à dégager des marges pour les actionnaires.

Cette politique s’accompagne de nouveaux droits et pouvoirs autour de trois pôles principaux :

1. Une gestion prévisionnelle démocratisée et considérablement amplifiée avec : une obligation annuelle et générale de négocier sur la base des propositions des deux parties négociantes ; la fin du droit dérogatoire au code du travail ; des instances d’arbitrage de type prudhommal. Cela implique nécessairement de revisiter les règles et le fonctionnement du « partenariat social » (sic) et du « paritarisme », aujourd’hui instruments léonins du patronat, de leur rapport avec l’État,  ainsi que les relations entre le droit conventionnel, le droit réglementaire et la loi. Cela ne concerne bien évidemment pas seulement l’emploi et la formation.

2. Une sécurisation des parcours professionnels avec : une nouvelle définition du licenciement économique ; un reclassement choisi et sécurisé ; un droit effectif à réintégration ; de nouvelles conditions aux plans collectifs d’emploi  et de licenciement ; un redéveloppement  sécurisé des bassins d’emploi touchés par des fermetures de sites ou des chutes du nombre d’emplois.

3. Une responsabilisation  sociale et territoriale des entreprises et des groupements d’entreprises avec : la modulation des prélèvements obligatoire dans la logique déjà citée ; la favorisation des coopérations et des solidarités en réseaux et la transformation des « pôles de compétitivité » en « pôles de coopération » ; des mesures drastiques contre les délocalisations sauvages ; le rétablissement de la loi sur le contrôle des fonds publics.

Une telle politique, au service de l’ensemble  de la population et sous son contrôle permanent, implique l’adoption de nouveaux critères de gestion et de nouveaux moyens financiers à la hauteur des ambitions. Elle  s’appuie sur la création de Fonds régionaux et d’un Fonds national de sécurisation de l’emploi et de la formation, adossés à un pôle public et social financier, une fiscalité des entreprises appropriée, l’articulation avec le financement de la protection sociale, la conversion des fonds publics actuellement mobilisés et une autre utilisation des fonds européens.

Cela exige une réforme en profondeur du rôle et de l’action  du système de crédit des banques centrales (Banque de France, Banque Centrale Européenne) et des institutions financières internationales. Sans entrer dans les détails de nos propositions économiques, rap- pelons, en ce qui concerne le sujet qui nous occupe, que des droits de tirage spéciaux, la création de monnaie au niveau de l’euro et une politique volontariste de crédit sélectif sont autant d’atouts pour développer à une autre échelle l’emploi et la formation. C’est ce que porte à sa façon le projet de fonds social européen du Parti de la gauche européenne.

Mais cette architecture, aussi cohérente soit-elle, ne serait d’une  grande efficacité et donc d’une  grande crédibilité si n’étaient  pas conjointement posées les questions qui y sont liées. Sur le plan institutionnel, un tel projet convoque nécessairement l’instauration à terme d’une VIe république. Il impacte directement les autres domaines de l’action publique en matière de santé, de logement, de transport, d’environnement, etc. Il interpelle les notions de service public et de bien commun. Il questionne durablement le rapport individuel et collectif au travail, au savoir, au progrès.

De la même manière, nous devons proposer avec force le développement sans précédent de l’investissement de la collectivité dans le service public d’éducation nationale et la création de services publics et sociaux interactifs de l’orientation et de la certification. Sur l’éducation,  je vous renvoie aux travaux riches et fructueux de notre réseau « École ». Sur les deux autres points, rappelons que, pour nous,  l’orientation tout au long de la vie doit devenir l’apanage permanent de chacune et de chacun, mobilisable en toute circonstance, et le service public se doit d’assurer le lien entre d’une part, la proximité et la confidentialité de la démarche individuelle et de l’autre, l’accès à l’information et aux organismes compétents.

Il en va exactement de même avec la certification, instrument privilégié de la reconnaissance des qualifications et, en même temps, de la réalisation de soi. Une augmentation  sensible des validations des acquis de l’expérience et des formations qualifiantes est plus que nécessaire. Cela ne remplace pas l’indispensable lutte, qu’on sait acharnée, pour cette reconnaissance effective au travail. Mais ces deux actions salutaires et empreintes de justesse et de justice se nourrissent mutuellement.

Nous devons convaincre de la nécessité d’un  bond qualitatif et quantitatif inédit et de grande ampleur de la formation initiale et continue, non comme une préparation liminaire ou une simple alternative à l’emploi, mais comme un investissement indispensable producteur de valeur ajoutée. Réaffirmons avec force que la formation, c’est du travail et qu’elle constitue avec lui les deux faces indissociables de l’activité humaine. Reprenons la revendication qu’au moins 10 % du temps de travail soit consacré à la formation continue. Et réaffirmons que sa rémunération  ne constitue en aucune manière une quelconque obole mais bien la juste reconnaissance des gains de productivité qui lui sont immanentes.

Nous devons œuvrer à la création massive d’emplois productifs bien rémunérés, stables et sécurisés, notamment par la redynamisation et la ré-industrialisation des territoires. Ces derniers méritent autre chose que la casse des services publics actuelle. L’emploi public, que ce soit dans les entreprises publiques,  dans le secteur public ou dans la Fonction publique doit retrouver la force, la sécurité et la considération qui lui permettent de remplir sa mission et à la société de répondre aux exigences des temps qui s’ouvrent.

Cette création massive d’emplois doit être réalisée notamment pour accueillir dans des conditions décentes, justes et appropriées  tous ces jeunes qui vont entrer sur le marché du travail ou qui cherchent aujourd’hui un emploi qui leur convienne. Rien ne justifie que pour eux la norme ne soit pas aussi le CDI, dont nous souhaitons le renforcement et la sécurisation.

C’est uniquement dans ce cadre que peut être envisagée, à destination des jeunes en grande difficulté, sans qualification reconnue ou n’ayant pas atteint le niveau requis à la fin de leurs études, l’offre de dispositifs spécifiques fondés sur l’alternance entre emploi et formation. Fussent-ils d’avenir  ou de deuxième chance, dans le cadre de l’apprentissage ou de tout autre statut, ces dispositifs ne peuvent qu’être dûment ciblés et finalisés en fonction des publics et de leurs besoins, contrôlés et encadrés par le service public, et où les entreprises comme les institutions parties prenantes jouent pleinement leur rôle au service du jeune et de la collectivité.

Dans le même esprit et à l’autre  bout de la vie professionnelle, c’est  sur le savoir-faire accumulé par l’expérience  et la volonté attestée des salariés de le transmettre aux plus jeunes que peut s’appuyer la mise en place d’une organisation des fonctions et des postes qui combatte la fatigue au travail et libère du temps et des énergies dans une utilité profitable à tous et en conséquence reconnue.

Quelle que soit la génération concernée, mesurons bien ce qu’aurait de positif, sur l’ensemble de la vie économique, sociale et politique, un tel renversement de tendance, exista-t-il seulement sous forme revendicative, d’espoir palpable ou de « rêve général ».

Références

– Paul Boccara [2002], Une Sécurité d’emploi ou de formation, Le

Temps des Cerises.

économie et Politique [2007], « Pour une loi de sécurisation de l’emploi et de la formation », n° 630-631, janvier-février 2007.

 

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