Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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La formation et les qualifications. Enjeux de lutte, enjeux de classe

Comme dans les années 1970 où est apparu le droit à la formation des salariés à l’entreprise, la décennie 2000-2010 a vu s’aiguiser l’affrontement de classe sur les enjeux de formation et de reconnaissance des qualifications. Si toutes les forces politiques prétendent donner priorité à la politique de formation, les objectifs qu’on  lui assigne sont  par contre souvent opposés, les moyens financiers sont négligés et la responsabilité des entreprises oubliées.

On présente souvent la formation comme un sujet consensuel du « dialogue social ». À tort. L’intérêt peut être concomitant de la développer, mais pas commun. Cela ne recouvre ni les mêmes aspirations, ni les mêmes finalités.

D’ailleurs, le patronat ne voulait pas en discuter dans l’agenda de 2002 ; ce sont les organisations  syndicales qui l’ont imposé. Le grand patronat y a vu la perspective de tourner à son avantage les contraintes de développement des compétences que les mutations technologiques et les nouvelles organisations du travail lui imposaient.  Les salariés y ont gagné des avancées non négligeables, certes limitées sur le plan quantitatif, mais de grande portée et de nature à modifier sensible- ment le rapport entre le salariat et l’entreprise ainsi que le rapport individuel et collectif au travail.

Le droit individuel à la formation [DIF], fruit de la négociation collective, et la validation des acquis de l’expérience  [VAE], production législative sous un gouvernement de gauche, constituent, tous deux, un droit attaché à la personne et opposable à l’employeur. Malgré les limites et les freins que le patronat a imposés, le développement de ces avancées pourrait être un formidable levier d’émancipation, au reste pas seulement au travail. Ces conquêtes récentes du monde du travail sont une première marche sur la voie d’un système de sécurité d’emploi ou de formation que nous préconisons ; elles sont indéniablement des points d’appui importants pour le développement des luttes individuelles et collectives à l’entreprise, ce qui est loin d’être négligeable.

Les luttes menées ont également permis de maintenir le congé individuel de formation [CIF], acquis du début des années 1980, auquel le patronat souhaitait que le DIF se substitue. Or DIF et CIF se complètent indissociablement comme les deux faces d’un même droit à la formation du salarié : dans son rapport à son travail, à l’entreprise et à son évolution professionnelle d’une part et de l’autre, plus largement, dans sa relation à la société, au savoir et à la réalisation de soi. Les deux contribuent à une élévation des connaissances et des compétences du salarié.

Les réformes des années 2000 en matière de formation professionnelle se sont accompagnées d’âpres débats et de luttes intenses, tant sur les plans théorique et sémantique que pratiquement et concrètement au sein des entreprises. Ainsi se sont trouvés propulsés au cœur de l’activité revendicative les grands enjeux tels que :

‒ la question de l’utilité, de la finalité et de la reconnaissance de la formation et de ses acquis ;

‒ les notions de compétence(s), de qualification(s) et de certification(s) ;

‒ l’impact de la formation sur l’organisation du travail, les mobilités et la définition de l’emploi ;

‒ le principe du temps de travail et du temps privé en regard de la formation hors temps de travail ;

‒ la gestion locale, territoriale et nationale, paritaire et financière de la formation, ainsi que la place et le rôle de l’État ;

‒ le droit du travail, et particulièrement  les concepts nouveaux de « transférabilité » et de portabilité des droits attachés à la personne en cas de mobilité.

Ainsi est apparue l’ardente nécessité de :

 distinguer l’adaptation au poste de travail, responsabilité pleine et entière de l’employeur, de l’acquisition de savoirs et savoir-faire, qualifiante par essence ‒ que ce soit par l’apport de contenus nouveaux dans des domaines différents de sa qualification ou en complément de celle-ci – et donc propice à reconnaissance effective en termes de promotion professionnelle et de rémunération ;

 démystifier la prétention patronale à substituer une gestion par les compétences – au reste jugées uniquement par l’employeur selon ses propres critères – à la reconnaissance des connaissances, des compétences et des qualifications, dans un cadre normatif applicable universellement et relevant du service public de la certification ;

 œuvrer à l’implication pleine et entière, individuelle et collective, des salariés-citoyens dans un système de formation-qualification-certification  qui in fine leur appartienne. Celui-ci devrait être émancipé de la tutelle économique et idéologique du patronat ainsi que de la primauté de l’offre marchande. Il devrait être constitutif d’un service public et social de type nouveau alliant sécurité et liberté, proximité et garantie du cadre juridique national, territorialité et démocratie : un service public et social de sécurisation de l’emploi et de la formation ;

 réaffirmer la formation comme du travail, ce qu’elle était dans la loi de 1971, et l’inscrire à ce titre dans le temps de travail ; et, avec la même référence, la réintégrer comme constitutive de l’éducation permanente ;

 revendiquer un plus grand investissement des entreprises, fondé sur une obligation légale et fiscale ‒ la formation doit rester financée par des fonds publics et sociaux issus de la production de richesses des entreprises ‒, devant être maintenue et renforcée pour répondre aux immenses besoins ; et prise en charge par les pouvoirs publics à hauteur des exigences nouvelles. Le tout assurant à chacun une effectivité du droit correspondant à un minimum de 10 % du temps de travail en même temps qu’une promotion permanente de la qualification. Cela pose la question d’une affiliation individuelle généralisée au service public et social de sécurisation de l’emploi et de la formation ; et la mise en place d’un  dispositif de formation initiale différée ‒ complémentaire et indépendant du système de formation professionnelle continue ‒ associant l’État et les « partenaires » sociaux ;

 donner à chaque salarié individuellement  et à ses organisations représentatives, aux collectifs de travail et à leurs institutions représentatives les moyens d’in- formation et d’intervention pour être continument maîtres de leur démarche. S’imposent alors la nécessité de mettre en place un service public d’information et d’orientation professionnelle  et, en même temps, l’exigence d’octroyer aux salariés des droits opposables à l’employeur. Cela impliquerait de rétablir notamment le passeport formation dans sa conception initiale d’outil à discrétion du salarié ainsi que des pouvoirs, y compris suspensifs, concernant  la gestion de l’entreprise et de son personnel. Cela exigerait  l’institution d’un délégué du personnel dédié à la formation, à l’instar du Royaume-Uni, mais en améliorant les droits y afférents et la logique d’ensemble, et constituerait une bonne base revendicative ;

- établir un système décentralisé dont le pivot est naturellement la Région, comme ensemblier d’un réseau institutionnel regroupant, autour de l’exécutif régional et sous son égide, les services de l’État représentant les différents départements  ministériels, les représentants de salariés, ceux des employeurs et les différents organismes, instances et associations concernés. Ceci alimenterait les travaux de la Conférence régionale ainsi que le suivi de ses décisions dans le périmètre qui le concerne. Cette structure interne au service public et social de sécurisation de l’emploi et de la formation en région a vocation à traiter plus particulièrement les questions de formation initiale et continue, de validation des acquis de l’expérience et de certification, d’information sur la formation, d’orientation professionnelle  et de tous les dispositifs, spécifiques ou atypiques, existants (apprentissage, professionnalisation, bilan de compétences, formation des privés d’emploi, des handicapés, des justiciables, etc.). Aux fins de mener son action, elle doit pouvoir mobiliser les services de tout ou partie des institutions ou services publics, notamment en termes de données statistiques ou prospectives, et avoir porte ouverte dans les entreprises et les organismes de forma- tion, d’orientation, de validation et assimilés.

Le débat à gauche

Les propositions du Parti socialiste, en matière de formation, s’inscrivent dans la logique de flexicurité où elles se résument essentiellement à une intervention des pouvoirs publics en direction des personnes en difficulté sur le marché du travail.

Cette intervention, sur ressources publiques du budget de l’État et de celui des Régions, prend la forme de dispositifs particuliers où la formation se substitue à l’emploi (lutte contre le chômage) ou vient en complément (lutte contre le chômage et contrats d’avenir pour les jeunes), généralement de façon fortement incitative voire contrainte ou conditionnelle.

La formation professionnelle initiale ‒ comme le système de certification, qu’il a d’ailleurs lui-même mis en place ‒ relève d’un statu quo structurel assorti de propositions de revalorisation, notamment en termes de moyens et d’objectifs.

L’ensemble de la formation professionnelle continue y est essentiellement déléguée aux « partenaires sociaux » et à la négociation collective que l’Etat est censé aider, y compris par des mesures contraignantes.

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