Il faut rappeler que le « dialogue social » est une expression contestable même si, sous l’influence des médias dominants, elle tend à se populariser. Elle est d’usage courant dans les institutions officielles de l’Europe et désigne, en fait, les relations que les Syndicats ouvriers établissent avec les Organisations patronales se concrétisant éventuellement dans des conventions, des accords contractuels, parfois par la création d’institutions à gestion paritaire ou tripartite (régimes complémentaires de retraites, régime d’indemnisation du chômage UNEDIC et autres institutions gérées avec une représentation syndicale).
L'ambiguïté de cette notion tient essentiellement à ce qu’elle cache la nature fondamentale des rapports sociaux en postulant que le « dialogue » pourrait par lui-même conduire à un consensus, alors qu’en fait les accords contractuels résultent des rapports de force, comme le montre leur longue histoire. La terminologie n’est pas neutre et son contenu idéologique traduit bien l’idée de collaboration de classe qui demeure au cœur des démarches patronales, même si elles s’efforcent de le camoufler. L’expression « dialogue social » voisine volontiers avec celle de « partenaires sociaux ».
Les organisations syndicales réformistes se réclament, plus ou moins ouvertement, de ces notions dans lesquelles elles voient une reconnaissance de leur rôle social. Les procédures contractuelles vont se développer en ce sens dans les pays où la social-démocratie est dominante et aux États-Unis.
On ne perdra pas de vue que, le plus souvent, les discussions paritaires se sont imposées dans les pratiques sociales à la suite de conflits sociaux et souvent de grèves. L’histoire de la législation relative aux conventions collectives exprime bien ce mouvement. Initialement, selon le Code civil, dont la conception est étroitement liée à l’idéologie libérale. On a longtemps postulé que la liberté contractuelle des individus ne pouvait être contrainte par des accords collectifs. Une première rupture, sous la pression du mouvement ouvrier, va être introduite par la loi du 23 /3/1919 qui affirme la supériorité de la convention collective sur le contrat individuel de travail. Ce n’est cependant que sous l’effet de l’action du mouvement social et politique que la convention collective affirmera sa supériorité sur le contrat individuel et que la possibilité d’extension permettra de la rendre applicable à tous ceux qui se trouvent dans le champ de l’accord [Entreprise/branche d’activité/ensemble d’activités].
Les stratégies des acteurs syndicaux (salariés et patronaux), leur antagonisme, incluent donc la définition du régime juridique des conventions et le recours aux accords contractuels en fonction des conjonctures politique, économique et sociale.
La politique contractuelle sera utilisée de façon manœuvrière par le patronat. Ainsi, par exemple, elle sera développée après le grand mouvement de 1968, qui contraint le patronat à devoir faire des concessions importantes aux salariés, bientôt suivies d’une attitude ouvertement plus restrictive du CNPF et de la promotion de contrats conçus comme instruments de la politique de contrôle des revenus, ou plus exactement de police des salaires (contrats dits de « progrès » concoctés par J. Delors) sous le gouvernement Chaban
-Delmas. On peut dire que le patronat, comme l’Etat, [avec des formes spécifiques], recourent à la politique contractuelle, notamment en matière de salaires, quand ils y sont obligés, par la pression des salariés. Quand il n’a pas cette contrainte, sa préférence va à des décisions unilatérales au plan de l’entreprise et « individualisées », selon les salariés en visant à les diviser. On n’a pas oublié la stratégie des accords séparés pratiqués par les syndicats réformistes, alors qu’ils étaient récusés par la CGT ou ses organisations.
La constitution du MEDEF s’accompagne de la proclamation d’une volonté de recourir davantage à la négociation sociale plutôt qu’à la législation sociale, ce qui est conforme à l’idéologie libérale dans laquelle il se reconnaît.
Rappelons qu’en 1998, l’oligarchie qui domine cette organisation décide de transformer le CNPF, en organisant un « clash » à propos de la loi sur les 35 heures. Il adopte un langage guerrier lors de son Assemblée générale de Strasbourg qui se tient sous le slogan en avant l’entreprise ». Selon Seillière, lui-même, premier président du MEDEF, il s’agit d’opérer « une réforme en profondeur, d’une volonté affirmée d’adapter nos missions aux réalités du monde d’aujourd’hui ». La disparition du mot « patronat » (1) du sigle traduisant une médiocre tentative d’escamoter le caractère de classe de l’organisation patronale destinée à favoriser sa présentation médiatique, de valoriser la « performance », c’est-à-dire une compétitivité assise sur les critères et les pratiques du « nouveau management », et de manifester sa pseudo ouverture sociale
D’emblée, le MEDEF s’inscrit dans la perspective d’exercer un « leadership d’influence sociale » et proclame sa volonté de réaliser une « refondation sociale » fondée sur des conventions plutôt que sur la loi, mais reposant sur une décentralisation des négociations sociales et en inversant la hiérarchie des normes pour un modèle : entreprise, branche, interprofessionnel. Il n’est pas sans intérêt de remarquer que parmi les promoteurs de cette stratégie on trouve un Denis Kessler, alors Président de la Fédération Française des Sociétés d’assurances, qui deviendra l’adjoint de Seillière, un de Calan, proche de Madelin et tout un aréopage singulier et réactionnaire.
La transformation du CNPF en MEDEF n’a pas signifié qu’un changement de sigle, ni même seulement du personnel dirigeant. Effectuée sous le parrainage des groupes dirigeants elle s’accompagne d’un renforcement des organisations patronales, surtout au niveau régional, d’un nouveau style. L’accession à la Présidence du MEDEF, de Mme Parisot n’a pas entraîné de
changements dans les options fondatrices. On a multiplié les simulacres de négociations, que constituent des réunions stériles avec les organisations syndicales.
La collusion entre le MEDEF et le pouvoir Sarkozien est certaine. Peut-être mériterait-elle d’être plus souvent soulignée. Elle est patente, comme on l’a vu avec les atteintes portées à la retraite des salariés. Le patronat soutient les options majeures de la politique gouvernementale.
L’accord sur les retraites complémentaires AGIRC- ARRCO n’a été signé que par la CFDT, FO et la CFTC, ce qui mérite l’attention.
Les modifications apportées aux règles de la représentativité sont une incitation à des regroupements syndicaux. L’UNSA semble œuvrer présentement à la constitution d’un pôle réformiste. Sa création aurait de possibles répercussions sur l’orientation de la politique contractuelle, dont il n’est pas évident qu’elle soit positive.
Le « pacte euro plus » et les politiques d’austérité vont avoir des effets sur le niveau des prix ; mais cela va accroître la nécessité d’augmenter les salaires, dont il faut également souligner l’importance pour les régimes sociaux existants, comme pour un système de sécurité de l’emploi, dans la mesure où l’assiette de leurs ressources repose sur les salaires.
La question du pouvoir d’achat des salaires rend objectivement possibles des positions plus combatives du syndicalisme réformiste. à observer ce qui se passe en Europe en particulier, on voit des résistances massives se manifester dans plusieurs pays, (Grèce, Grande-Bretagne, Italie, Portugal, Espagne, Allemagne, etc.)
Si le mouvement sur les retraites a montré, en France, une importante combativité des salariés, il est certain que la situation de l’emploi conditionne aussi celle-ci et que toute mesure allant vers sa sécurisation est de nature à renforcer la puissance sociale des salariés et de leurs organisations représentatives, même si son objet premier est de répondre aux besoins et aspirations des salariés. Des initiatives devraient être recherchées pour porter le mouvement pour la sécurisation de l’emploi à ce niveau.
(1) Même si l’histoire ne se répète pas, on est frappé par le fait que l’organisation patronale, ancêtre du CNPF et du MEDEF, après 1936, quand elle s’organise pour la revanche change également de dénomination tout en gardant le même sigle.
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