Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

Economie et Politique - Revue marxiste d'économie
Accueil
 
 
 
 

Quelles réformes pour une nouvelle fiscalité?

La fiscalité n’est qu’un outil de gestion, certes aux retombées importantes, mais au service d’une politique économique. La législation fiscale pas plus que le droit civil ou le droit public n’existe de façon abstraite. Elle n’est pas non plus le bras armé d’une justice immanente. L’organisation et la structure de la fiscalité et par conséquent la nature, la répartition et le rendement des prélèvements fiscaux résultent d’abord de choix politiques ; soit, au final, d’un rapport de force social.

Si aujourd’hui  ce rapport de forces n’est pas en faveur des couches populaires, travailler ouver- tement  à des propositions  visant à changer la fiscalité peut conduire à modifier ce rapport de forces tout en considérant  que ce changement  est profon- dément interdépendant d’un projet plus global de transformation  politique  assis sur des propositions suffisamment précises et radicales.

Car la fiscalité ne représente pas l’alpha et l’oméga d’une politique économique alternative, ou plus exactement d’une économie débarrassée du joug de la finance.

Le niveau atteint par la crise systémique et la dégradation de l’ensemble de la structure sociale ne peuvent être exclusivement  traités par l’application d’une simple réforme de la fiscalité à plus forte raison s’il ne s’agit que de réformettes. Le cancer financier qui ronge le monde nécessite l’intervention  combinée de divers leviers économiques. Et parmi ces leviers, il en existe un tout aussi essentiel que la fiscalité : le crédit. Comment en effet répondre aujourd’hui aux énormes besoins de financements  publics sans l’intervention des banques à partir d’un nouveau rôle du crédit ? Le produit  fiscal s’il résulte d’une meilleure répartition des prélèvements et/ou de l’application  de plus justes taux dépend tout autant de l’assiette sur laquelle il est adossé. Et la taille de l’assiette correspond à la masse de richesses produites, phénomène intimement  lié aux capacités d’investissement,  c’est-à-dire à l’argent du crédit. Ce qui suppose un tout autre rôle de la B C E qui par sa création monétaire pourrait prendre des titres de dette publique et alimenter un fonds social d’aide au développement  des services publics.

Une fiscalité pour inciter la création d’emplois et de richesses

La fiscalité, si elle n’est pas partie prenante d’un en- semble de mesures radicales, peut produire des effets contradictoires. D’une part, pour se sauver, le capitalisme peut tout à fait consentir une augmentation de certains prélèvements fiscaux surtout s’il parvient  à l’imposer à la majorité de la population y compris aux plus modestes. D’autre part pour le pouvoir politique, il est toujours  tentant d’user de l’outil fiscal sur l’ensemble des contribuables plutôt que d’une façon sélective. À elle seule, une réforme fiscale pourrait rapidement montrer ses limites transformatrices alors que la crise actuelle pointe clairement le besoin de changements profonds visant au dépassement du système capita- liste lui-même. Ce caractère inopérant serait d’ailleurs renforcé par la dimension de sommet, de ce type de réforme qui très largement coupée de l’intervention des citoyens n’en serait que plus fragile et aléatoire.

La fiscalité, moteur au service d’une économie tournée vers la satisfaction des besoins sociaux, n’est ni une question abstraite, ni l’affaire d’une élite. Interférant dans la gestion de l’ensemble de la société, son efficience dépend largement de son interactivité avec les autres leviers de la politique économique  au rang desquels sont le crédit et la politique monétaire. Toute réforme de la fiscalité doit s’incarner dans une réforme de la politique fiscale, d’une part en tant qu’instrument direct de l’élaboration budgétaire, de l’autre en tant que moyen de mobilisation d’une politique monétaire tournée vers le développement des capacités humaines, la façon de répartir la richesse étant largement conditionnée par la façon de la produire. Il y aurait un vrai danger à faire croire qu’il suffirait de réorienter quelques prélèvements fiscaux pour en finir avec les injustices et rompre avec les critères qui nourrissent la crise systémique.

Ce serait sous-estimer l’ampleur de la bataille idéolo- gique qui sévit en France et dans toute l’Europe dont l’objectif  est de mettre en cause les dépenses publiques et de maintenir contre vents et marées le cap de l’Euro fort alors que celui-ci est en crise profonde.

Alors que l’endettement public et son augmentation suite à la crise financière, tombe à point nommé pour justifier des pressions supplémentaires sur la dépense publique et la mise en cause des services publics, nous avons besoin de réponses à la hauteur remettant au cœur des enjeux la nécessaire augmentation  de la dépense publique et posant du même coup la problématique d’une élévation substantielle des prélèvements publics et sociaux. Et cela, non pour répondre à un quelconque dogme mais simplement pour contribuer à relancer la croissance. Au cours des deux décennies passées, il a trop souvent été oublié que les prélèvements publics et sociaux sont d’efficaces facteurs de croissance.

Réaliser une réforme fiscale en profondeur en France suppose  aussi de nous  replacer dans le contexte européen qui pousse à lever le plus possible les « bar- rières » fiscales et sociales. L’Europe  est aujourd’hui le théâtre d’une agressive politique de dumping fiscal qui conduit à une harmonisation par le bas de l’en- semble des prélèvements fiscaux et sociaux alors que c’est l’inverse qu’il faudrait faire. Il serait sans doute opportun pour commencer à modifier cette tendance, de réfléchir à la mise en œuvre de ce qu’il serait pos- sible de nommer « serpent fiscal » élaboré à partir de taux planchers.

Quelques propositions concrètes

Un mot encore pour préciser qu’une  réforme de la fiscalité doit avoir pour objectif une modification de la structure fiscale c’est-à-dire de la part relative des divers prélèvements : prélèvement sur le travail, prélèvement sur le capital et la fortune, prélèvement sur la consommation ?

Le but que nous pourrions nous fixer serait le doublement de la part qu’occupent les prélèvements pro- gressifs dans les recettes fiscales ce qui ne pourrait  que contribuer à une meilleure justice fiscale car permettant en contrepartie de réduire les prélèvements indirects. Une telle perspective serait rendue  possible par la conjugaison de 3 dispositions.

Rénover l’impôt sur le revenu

Toute rénovation de l’impôt sur le revenu (IR) doit intégrer dans sa philosophie générale l’idée de soumettre à un traitement  identique  les revenus du travail et ceux de la propriété foncière et financière. Cela engloberait donc les revenus salariaux, les revenus fonciers et les plus-values foncières, les revenus non-salariaux,  les re- venus des placements financiers – actions, obligations, dividendes perçus et plus-values sur cession de titres… Elle coïnciderait  à la suppression de la CSG dont le statut ambivalent  a surtout pour objectif d’aller à la fiscalisation des recettes de la protection sociale.

Il s’agirait ensuite de traiter de la structure même de cet impôt afin de lui conférer une nouvelle cohérence et de redonner à son caractère progressif une dimension effective. Il doit à cet effet être observé que le seuil de la tranche du minimum  imposable ne peut en rester à son niveau actuel alors qu’on devient imposable aujourd’hui  à l’impôt  sur le revenu en percevant un net annuel de 6 000 €. Voilà qui permet de mettre un sérieux bémol au discours de tous ceux qui s’offusquent du trop faible nombre d’imposables à l’IR.

Il serait proposé :

‒ de fixer les taux minimal et sommital de prélèvement applicable respectivement à 6,5 % et à 60 % ;

‒ de remonter le seuil de la première tranche soumis au taux de 6,5 % au SMIC net ;

‒ de doubler le nombre tranches, ce qui reviendrait à passer leur nombre  de 4 à 8 et permettrait notamment l’application d’un meilleur échelonnement de la progressivité. La forte pression fiscale qui s’opère aujourd’hui  dès les premiers indices salariaux des pro- fessions intermédiaires,  ouvrier hautement  qualifié, technicien, cadre moyen, en serait ainsi relativisée.

Soumettre l’impôt sur les sociétés à une progressivité incitative

En France, l’impôt sur les sociétés (I. S), tant décrié par le Medef, et le gouvernement n’est pas, contrairement à une idée répandue, forcément plus élevé que dans le reste de l’UE.

Il convient en effet d’intégrer le fait qu’au-delà du taux général de 33,33 % est appliqué un taux réduit de 19 % dont l’assiette est certes plafonnée. En outre, avec les divers mécanismes de réduction de l’assiette, le plus souvent, le taux réel de l’IS se situe pour les grandes entreprises entre 13 et 14 %.

La situation  générale des entreprises en France se caractérise par un faible niveau d’emploi  et particulièrement d’emplois qualifiés et à contrario par une forte soumission aux exigences de la Finance qui implique une réforme générale de l’I.S. Les investissements ma- tériels sont souvent insuffisants ou réalisés dans le but d’économiser l’emploi.

C’est pourquoi il pourrait être proposé d’intégrer dans une réforme de l’IS à la fois une réelle progressivité et une modulation au caractère incitatif en partant d’une double exigence :

‒ progressivité en fonction du chiffre d’affaires réalisé ce qui est le revenu de l’entreprise ;

‒ incitation par une modulation en moins mais aussi en plus de l’impôt dû en fonction de la part des bénéfices réaffectés pour le développement  de l’emploi, de la formation,  et des investissements réels.

Les bénéfices tirés des revenus des placements financiers et des plus-values de cession seraient soumis à cet IS en restant hors champ de cette modulation.

Maintenir et faire progresser l’Impôt de Solidarité sur la Fortune

L’impôt  de solidarité sur la fortune doit être affirmé. Pour cela il doit évoluer. C’est un élément de justice et d’efficacité qui permet de lutter contre le caractère parasitaire de l’accumulation  de la fortune.

‒ il doit inclure  les équipements  professionnels en fonction de l’utilisation qui en est faite, pour ou contre l’emploi, par leur propriétaire ;

‒ la résidence principale doit y être intégrée ;

‒ son tarif, ses taux, doivent  être actualisé, multiplié par 2 pour les deux premières tranches et par 3 pour les 3 autres tranches.

Réduire le poids des impôts indirects

Une des premières retombées d’une revitalisation des impôts de type progressif permettrait  de réduire le poids des impôts indirects comme la TVA et la TIPP dont la principale  caractéristique est leur fonction anti-redistributive.

Particulièrement injustes mais largement utilisés par les pouvoirs publics pour leur vertu indolore, les impôts indirects pèsent de façon inégalitaire sur les ménages et les personnes car ils s’appliquent sans distinction  de leur capacité contributive  réelle, à la consommation de produits nécessaires voire indispensables à l’émancipa- tion et au développement de chaque individu. Il est donc urgent de commencer à en limiter la portée.

‒ TIPP 8 % des recettes de l’Etat- : les hausses à la production ont des répercussions immédiates  en terme d’augmentation du prélèvement sur les ménages. Il faut y mettre un coup d’arrêt ! Il pourrait être disposé que le taux de prélèvement fiscal maximum  soit plafonné à une sorte de taux moyen représentatif de la moyenne des taux en vigueur au cours des 18 derniers mois.

‒ TVA 50 % des recettes de l’État : un examen attentif de la situation en vigueur devrait conduire à faire bas- culer au taux réduit divers produits de grande nécessité comme l’habillement et un bon nombre de produits relevant du champ informationnel et culturel comme les livres, les CD, les DVD, la micro-informatique  et instaurer un taux hyper réduit pour les produits de bouche de première nécessité.

Une profonde réforme de la fiscalité locale

Enfin s’agissant de la fiscalité locale, spécificité que nous choisissons de maintenir souhaitant que les collectivités territoriales disposent d’une véritable autonomie  de gestion, les mêmes questions se posent qu’en matière de la fiscalité nationale. Sa structure doit être débattue et revue. Quelle place et quel mode d’évaluation pour l’impôt  sur le capital des entreprises et des propriétaires c’est-à-dire la taxe professionnelle et la taxe foncière ? Quelle place pour l’impôt  sur la consommation c’est-à- dire pour la taxe d’habitation ? En tout cas, il est temps d’engager une réforme en profondeur de la fiscalité locale. Elle devrait reposer sur trois idées principales :

=Faire de la taxe professionnelle un véritable impôt sur le capital, porteur d’une dynamique moderne de développement local favorisant la mise en œuvre de nouvelles solidarités entre les entreprises, les citoyens, les territoires et les élus pour la création de nouvelles richesses, à partir de la taxation des actifs financiers des entreprises. Elle reposerait sur :

‒ Les actifs immobiliers  (bâtiments)  dans lesquels s’exerce l’activité économique et professionnelle dont le coût d’acquisition, de construction ou le coût historique  se verrait appliqué un taux et constitue- rait ainsi le premier élément de la base de la taxe professionnelle.

‒ Les EBM (Equipements et Biens Mobiliers – maté- riels) que vient de supprimer le gouvernement auquel serait également appliqué  un taux constituant le second élément de base de la taxe professionnelle.

‒ Les actifs financiers des entreprises (5000 Mds apparaissant au bilan des sociétés résidentes en France) qui seraient taxés nationalement  à un taux unique par exemple de 0,5 % contribuant d’une part à désintoxiquer la croissance de ses objectifs financiers et à créer un fonds de péréquation suffisamment doté, affecté intégralement  au financement  des communes en fonction de leur nombre d’habitants et de critères sociaux. Cela permettrait aux communes de jouer sur deux leviers. D’une part, permettre avec ce produit accru de développer  les services aux habitants, de l’autre mettre en œuvre une modulation du taux local sur le capital des entreprises (bâtiments,  installations et équipements matériels) qui créent l’emploi et développent la masse salariale. Cela constituerait le troisième élément de la base de la taxe professionnelle.

=Taxe foncière : redéfinir les critères et les éléments de référence entrant dans le calcul de la valeur locative foncière des biens fonciers bâtis et non-bâtis en intégrant notamment  des données actualisées dans la caractérisation, la définition  et la situation des locaux et des terrains. Ce serait la révision foncière tant attendue, ébauchée en 1986 mais aussitôt abandonnée  par le Ministre de l’époque M. Charasse. Seraient appliqués à cette nouvelle valeur locative les taux décidés par les collectivités territoriales, taux qui selon toute vraisemblance seraient abaissés.

=Taxe d’habitation : en plafonner le montant à 60 % de la cotisation de TF et pondérer la cotisation finale par la prise en compte de la situation économique et sociale des familles.

Ces quelques pistes pourraient  constituer  l’ossature d’une réforme fiscale dont l’ambition  est de remettre de l’égalité dans les rapports sociaux et de redynamiser la croissance en l’assainissant et en la démocratisant. Comme  cela a été souligné supra, cette réforme porte une augmentation des prélèvements obligatoires ce que ne manqueront  pas d’objecter certains. Sauf que payer l’impôt  dépend aussi de la capacité contributive de chacun en clair du niveau des rémunérations, notamment salaires perçus, et que les recettes fiscales nouvelles constituent un facteur déterminant  de création de nouvelles richesses et de régulation de la dette.

Il y a actuellement 0 réactions

Vous devez vous identifier ou créer un compte pour écrire des commentaires.