Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Europe : l’austérité en partage

Les programmes européens anti-crise sont d’abord des plans d’austérité pour les travailleurs  des différents pays. Quand l’austérité s’installe partout en Europe c’est finalement la demande sociale qui chute et les possibilités de croissance qui sont freinées.

Les inégalités sont ainsi accentuées en Europe, au sein de l’Union et entre pays, entre les groupes sociaux avec des effets encore plus marqués sur les salariés et populations fragiles qui subissent en premier lieu la réduction des dépenses sociales.

L’état des lieux des déréglementations du travail dans les pays de la zone euro est extrêmement préoccupant. Il s’aggrave depuis la crise systémique exacerbée en 2008-2009 qui devient moyen et prétexte pour les dirigeants européens qui entendent mener à marche forcée la « libéralisation du marché du travail et le rééquilibrage des comptes publics ». La hausse des déficits et dettes publiques est d’abord une conséquence de la crise ainsi que des politiques menées dans la crise et non une cause de celle-ci.

Des remises en cause des droits des salariés sur une base commune de flexibilité accrue

Cela concerne :

= le droit à négociation ;

= l’emploi stable avec montée de l’emploi précaire ;

= les suppressions d’emplois dans le privé et le public ;

= les salaires avec dogme de la modération salariale, blocages, désindexation et baisse de ceux-ci ;

=la baisse et remise en cause des droits des chômeurs ;

=la retraite, (âge de départ et taux de remplacement en lien avec la dite « soutenabilité de la dépense publique ») ;

= et la réduction des protections sociales.

Au nom de la baisse du coût du travail,  ce sont aussi les exonérations de cotisations sociales  accélérées pour les entreprises privées avec des transferts totaux ou partiels au détriment  des comptes publics.

Les puissances  publiques s’orientent de plus en plus vers la hausse de l’impôt indrect au détriment de l’impôt direct. Ainsi l’Allemagne a augmenté  sa TVA de 3 points en 2007, le Portugal est à 23 % et les pays nordiques  sont au taux maximum autorisé dans l’UE de 25 % depuis longtemps.

C’est une tendance accentuée à l’austérité sans précé- dent pour l’ensemble des travailleurs européens.

Les attaques contre les salaires et l’emploi dans le secteur public

Les gouvernements enjoignent de réduire la dépense publique et l’emploi  des fonctionnaires, basculant dans la dénonciation du caractère parasitaire des dépenses publiques.

Les salaires nominaux  sont bloqués en Bulgarie, Pologne, Roumanie, France, Espagne, Slovénie, Italie et Portugal. Dans plusieurs pays l’annonce vaut pour plus d’un an. Par exemple, pour la France, le blocage annoncé concerne 2011, 2012 et 2013.

Le blocage des salaires, compte  tenu de l’inflation est déjà une perte. Mais certains pays veulent même réduire les salaires.

L’Allemagne veut réduire les salaires du secteur public de 2,5 % en 2011. L’Espagne les a réduits de 2,5 % en 2010. L’Espagne a programmé une réduction de 10 % à partir de 1500 €.

L’Estonie et la Lituanie ont déjà réduit de 8 %.

En plusieurs étapes l’Irlande a déjà procédé à 13 % de réduction.  Certains pays vont au-delà : Grèce : (-20 %), Roumanie (-25 %) et Lettonie (-50 %).

Dans le même temps l’emploi public est sacrifié

Pologne et Bulgarie annoncent 10 % des emplois  à supprimer, Roumanie (-250 000 emplois),  Royaume Uni (-490 000 emplois) soit 10 % de la main-d’œuvre totale du secteur public.

France (-120 000 postes depuis 2007 et annonce de -100 000 postes d’ici 2013). Italie (-170 000 équivalents temps plein dans l’enseignement).

Pologne (suppressions de 10 % des emplois).  Grèce (pas de recrutement en 2010 et 4 non-remplacements pour 5 départs de 2011 à 2013).

Au vu de ces chiffres  réalisés ou annoncés pour le secteur public on peut estimer une perte de 1 million d’emplois  dans les toutes prochaines années, cela se traduisant  avec les emplois  indirects  par 1,5 à 2 millions d’emplois. Les hypothétiques créations d’emploi dans le privé ne pourront  compenser ces pertes d’emplois. Cette politique d’emplois pour le public conditionne déjà un taux de chômage  élevé en Europe dans les prochaines années.

 

Les mesures anti-chômeurs

Plusieurs phénomènes convergents se réalisent  au détriment des droits des salariés devenus chômeurs ou des jeunes n’ayant pas encore d’emploi stable. Structurellement  les reports de limite d’âge pour la retraite ne font qu’augmenter  le nombre des chômeurs de longue durée ou à temps partiel en fin de carrière, ceci s’ajoute aux suppressions d’emplois  du privé et du public.

L’absence d’emploi  pour tous est renvoyée aux chômeurs eux-mêmes qui seraient en inadéquation  avec le marché de l’emploi  et utiliseraient des systèmes sociaux trop généreux selon la théorie libérale du chômage volontaire.

‒ Danemark : Durée maximum de l’indemnisation du chômage réduite de 4 à 2 ans.

‒ Suède : Allocations  réduite et cotisations salariés en hausse alignées sur le risque de chômage dans chaque branche professionnelle.

‒ Allemagne : Réductions  des allocations pour les chômeurs de longue durée.

‒ Suisse : Durée limitée et renforcement  des critères d’aptitude au travail.

‒ République Tchèque : Renforcement  des critères d’attributions.

‒ Espagne : Les entreprises de travail temporaire ont leur mot à dire dans l’octroi  d’allocations aux travailleurs.

‒ Taux de chômage : Espagne (20,7 %),  Irlande (13,7 %), Portugal (11 %), Pologne (9,5 %), Italie (8,3 %).

‒ Taux de chômage zone euro (BIT) : 9,9 % janvier 2011.

Il faut encore noter qu’il y a actuellement 220 millions de chômeurs dans le monde, le plus haut niveau jamais atteint, en hausse de 24 millions par rapport à 2002, tandis qu’une centaine de millions principalement dans les pays en développement  ont été poussés dans la pauvreté extrême.

Affaiblissement du droit du travail

On peut parler de tendances lourdes dans tous les pays quant à l’affaiblissement des systèmes de conventions collectives et quant au diktat de la « baisse du coût du travail ».

Le droit à négociation est réduit, au nom de la flexisécurité, les normes collectives sont remplacées par le contrat individuel de gré à gré.

L’affaiblissement et la remise en cause du salaire minimum quand il existe sont une autre tendance, souvent reliée avec l’accroissement de la part variable du salaire par rapport à la part fixe. Cela s’inscrit dans la déconstruction de la structure salariale et de la non reconnaissance des qualifications.

‒ Espagne : Des possibilités accrues pour les entreprises de ne pas appliquer l’accord sectoriel.

‒ Grèce : Les nouveaux arrivants de moins de 25 ans perçoivent seulement 84 % du salaire minimum  de la convention collective du secteur.

Abolition du principe de faveur. Celui- ci selon la hiérarchie des normes impliquait  de retenir la clause la plus favorable aux salariés, le plus souvent la loi au lieu de la négociation.

‒ Estonie : La nouvelle législation sur le travail dite de flexicurité inclut maintenant quelques normes limitées, le reste étant négocié au niveau du contrat individuel.

‒ France : Refus de coup de pouce sur le SMIC. Augmentations  annuelles réduites, développement de la part variable au détriment de la part fixe du salaire.

‒ Bulgarie : Stagnation du salaire minimum  en 2009 et 2010

‒ République Tchèque : Dernière indexation du salaire minimum  en 2006

‒ Pologne : Obligation  annuelle de négociation sus- pendue.

 

Déclarations diverses, programmes et pacte

Olli Rehn,  commissaire en charge des affaires économiques, le 12 janvier 2011 en appellait aux capitales de la zone euro : « Sans consolidation budgétaire intensifiée nous sommes à la merci des forces du marché… il faut aller au-delà de l’objectif de 0,5 point par an de réduction du déficit budgétaire… la fiscalité indirecte  est plus favorable à la croissance que la fiscalité directe… il vaut mieux élargir l’assiette fiscale qu’augmenter  les taux… », le marché du travail étant jugé trop rigide pour Olli Rehn, il faut  « pratiquer la réallocation  des ressources entre entreprises et entre secteurs pour rendre le travail  plus attractif », il faut « réduire la charge fiscale sur le travail… et créer des systèmes d’incitations  pour éviter la dépendance aux allocations chômage par des formules plus souples »… « le relèvement de l’âge de la retraite  à 67 ans est une réforme essentielle du fait du vieillissement de la population et pour obtenir la confiance des marchés… »

Nicolas Sarkozy, 18 décembre 2010 dans une lettre à Barroso déclarait :

« Le prochain cadre financier pluriannuel  s’inscrira dans un contexte  d’efforts exceptionnels  d’assainissement  des finances publiques  de la part des Etats membres.  Ces efforts visent à ramener le déficit et la dette publique  à un niveau soutenable, dans le respect d’un cadre de surveillance budgétaire et macro-économique renforcé. »

La Conclusion  des chefs d’état et de gouvernement de la zone euro, le11 mars 2011 avançait un pacte pour l’euro.

Ce pacte pour l’euro constitue un véritable  changement de paradigme. Avec celui-ci l’on passe des critères de convergences, normes, recommandations et directives européennes imposés depuis le traité de Maastricht jusqu’à la constitution  européenne et au traité de Lisbonne et on organise la constitutionnalisa- tion pour chaque pays de contraintes économiques et sociales (départ en retraite, déficit budgétaire et dette, coût du travail…).

Il y a remise en cause de la démocratie et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Les objectifs dits de coordination touchent plus particu- lièrement le droit du travail et les prestations sociales.

 

Sur les salaires

Au nom de la « compétitivité » c’est l’évolution des salaires et le coût de la main-d’œuvre  qui sont exclusivement mesurés, ceci dans un amalgame complet des différents concepts de productivité, compétitivité, coût du travail. « Les augmentations  significatives et durables pourraient provoquer une érosion de la compétitivité… »

Le pacte veut par ailleurs que chaque pays « réexamine les dispositifs  de fixation  des salaires…  les mécanismes d’indexation,  l’évolution des salaires dans le public qui pourrait donner un  signal… ».

 

Sur l’emploi

Il est proposé que chaque pays prenne des mesures « pour ouvrir les secteurs protégés et lever les restrictions…  » Les réformes proposées sont : « favoriser la flexicurité, éducation et formation tout au long de la vie, réduction des charges fiscales pesant sur le travail  ».

Sur les retraites, les soins de santé et les prestations sociales

L’objectif de la santé et du mieux vivre est transformé en « mesure d’indicateurs  de viabilité et de niveau d’endettement ».


Pour le pacte il faudrait

« -adapter  le système de retraite à la situation démographique nationale en adaptant  l’âge réel de la retraite à l’espérance de vie et en accroissant le taux d’activité  ;

et -limiter  les régimes de préretraite et prendre des mesures incitatives appropriées pour l’emploi des travailleurs âgés ».

Plusieurs gouvernements européens ont pris les devants sur l’application  de ce pacte. Mais le corsetage anti- social et anti -droit du travail qu’il contient, va, par sa globalité et son aspect contraignant,  bien au-delà de l’austérité dans les secteurs d’emplois  publics et privés, déjà installée sous des formes diverses dans les pays de la zone euro.

Quand la flexicurité est diamétralement opposée à la sécurité de l’emploi et de la formation

Le « modèle » se fissure et devient difficile à promouvoir pour la droite, le patronat et la social-démocratie… En effet, ce sont les pays avec une faible protection de l’emploi  et une forte proportion  d’emplois précaires qui ont été davantage touchés par les effets de la crise tandis que les pays ayant recours à des outils de protection de l’emploi et de soutien au revenu, s’en sont le mieux sortis. Ce qui n’exclut  pas pourtant  des remises en cause comme en témoigne la crise du modèle Danois ou Suédois.

Tandis que les thèses du Medef et du patronat européen entendent « valoriser le risque », de préférence supporté par les salariés. Les thèses d’accompagnement négocié du salarié en perte d’emploi,  comme les modèles de flexicurité, encore mis en avant se heurtent à de lourdes contradictions.

Le patronat pour sa part veut faire supporter tous les risques aux salariés, utiliser l’emploi  comme variable d’ajustement et conserver l’intégralité  des choix  de gestion.

 

Nos propositions alternatives

La mise en œuvre d’une double alliance

‒ droits liés à la personne et non seulement liés à un poste de travail et à un emploi ;

‒ droits de contrôle et d’intervention  liés aux institutions, entreprises, état, syndicats, y compris population et usagers sur le rôle social de l’entreprise.

Pour avancer, il faudra croiser théorisation, mobilisations et négociations. Ainsi, l’enjeu, c’est de s’émanciper d’une simple visée d’adaptation  et de recherche de cohésion sociale, voire de limitation conjoncturelle des conséquences sociales d’une crise. C’est au contraire, comme le met en débat le PCF, un dépassement du chômage et du marché du travail.

Les luttes et leurs évolutions, rapports de force, débats émergents

En Europe,  les mesures d’austérité en direction  des salariés depuis le début de la crise de 2008 ont amené la CES et la quasi-totalité  de ses affiliés à un discours revendicatif englobant  avec salaires et emplois, « programmes de relance, réglementation  des marchés financiers, rôle de la BCE,  fiscalité, redistribution équitable des richesses, taxe sur les transactions financières… ».

La manifestation européenne organisée le 29 septembre 2010 par la CES à Bruxelles rassemblait 100 000 personnes.

Cette démarche s’accélère avec une euro-manif à Budapest le 9 avril 2011 puis une déclaration de plus de 40 organisations  réunies les 10 et 11 mars derniers à Bruxelles qui rejette catégoriquement les orientations du pacte de compétitivité.

Des propositions qui peuvent être convergentes,  ou divergentes avec les propositions  communistes,  mais il y a là un terrain d échange possible à investir avec nos propres propositions.

Dans le mouvement syndical, en phase avec les enquê- tes d’opinions, les sentiments d’injustice sont partagés, avec un même rejet du renflouement des banques, une perception dominante du parasitisme de la finance et de sa relative impunité. Cela va de pair avec un désaveu fort des politiques des gouvernements en place.

Un rapport du BIT 2010 note : « Le pessimisme a gagné une majorité de citoyens tant en Europe occidentale, centrale et orientale que sur d’autres continents. Insatisfaits de l’orientation  prise par leur pays depuis deux ans, ils disent leur inquiétude pour eux et l’avenir de leurs enfants. » De grandes luttes et manifestations   se développent dans l’UE, comme en France en 2010 concernant les retraites, en Grèce 13 journées d’action  dans la fonction publique,  6 de grève générale, mais aussi en Italie, en Espagne, au Portugal, en Allemagne, en Belgique…

Des propositions communistes pour contribuer à faire monter des avancées de solutions radicales, cohérentes et efficaces, dans le Front de gauche et pour toute la gauche

La montée en qualification  des salariés au travail, des lycéens et étudiants accédant au marché du travail doit impérativement être prise en compte. Les sorties de jeunes du système scolaire sans qualifications  sont encore trop nombreuses. La qualification  des salariés est une richesse. La part grandissante des emplois féminins est aussi un fait positif. Il convient  de se battre pour une meilleure formation initiale et continue et ne pas hésiter à investir le débat sur les certifications nationales, certifications européennes et aussi la professionnalisation.

Le développement  d’un pays et de toute l’Union

européenne passe par les investissements dans les services publics, l’emploi l’éducation, la recherche, la santé et la culture. Il implique aussi le développement durable notamment l’eau et les sources d’énergie.  Tout cela exige d’autres critères de crédit notamment pour la BCE, une sortie du pacte de compétitivité et son remplacement par un pacte de développement social et de solidarité. Au plan mondial cela interfère avec les Biens communs  publics à créer ainsi qu’avec l’exigence d’une réforme de progrès du FMI et la recherche d’une véritable monnaie commune mondiale, émancipée des dominations notamment de celle du dollar. 


 

 

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