Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Perte d’autonomie une grande bataille idéologique

Cet article a été élaboré à partir d’un travail collectif de différentes commissions du PCF.
Il reprend l’essentiel des propositions du PCF sur la perte d’autonomie. Il a également inspiré la présentation faite au gouvernement à l’occasion des auditions préparatoires au futur projet de loi sur la dépendance.

Le contexte
Dans le prolongement du dossier sur les retraites, celui
de la dépendance vise, pour le pouvoir, à poursuivre
l’empreinte néolibérale tant sur l’aspect civilisation
que celui de la métamorphose du financement de la
protection sociale avec un recul de la solidarité mais
aussi une diminution du financement public pour
laisser une plus grande place au secteur financier et à
la privatisation. Notre analyse s’inscrit dans une critique
totale de la situation actuelle notamment au niveau de
l’insuffisance des moyens collectifs mobilisés mais aussi
des principes avancés dans les projets gouvernementaux.

La prise en charge actuelle n’est pas acceptable, la
réforme proposée va aggraver les injustices et creuser les
insuffisances graves, en montant la privatisation contre la
sécurité sociale et le secteur public. Notre projet s’inscrit
aussi dans l’affirmation de notre défense de la protection
sociale solidaire avec une sécurité sociale renforcée et
élargie dans ses prérogatives, fidèle en cela aux concepts
qui l’ont mise en place et qui restent des idées neuves.

Nous considérons que la perte d’autonomie est une
vraie question importante à prendre de manière dynamique
; les besoins ne se limitent pas à une simple
projection de la situation actuelle qui est gravement
insatisfaisante. Pour autant, nous contestons le « scénario
catastrophe » orchestré par le pouvoir aux seules
fins de justifier le recours à l’assurantiel.
 

Perte d’autonomie plutôt que « dépendance »
Nous faisons le choix de prendre le concept de perte
d’autonomie en lieu et place de la dépendance utilisée
de manière idéologique par le pouvoir notamment.

Nous dénonçons cette perversion du terme dépendance
et, au contraire, nous défendons le concept d’autonomie
porteur de solidarité à l’opposé de l’individualisme.
Le traitement de la question de la perte d’autonomie
exige une définition claire et préalable de la perte
d’autonomie.

C’est la résultante multifactorielle de situations qui
jalonnent la vie de toute personne humaine. Elles sont
parfois prévisibles, parfois non, physiques, psychologiques,
cognitives mais aussi matérielles, sociales et
familiales qui menacent au maximum la poursuite de
l’existence d’une personne et au minimum la dignité
de celle-ci. Elle rend la personne humaine au cours
de sa vie dépendante d’autres personnes, qui peuvent
être membres de la famille, des amis ou des voisins
(les aidants naturels) mais qui sont de plus en plus des
professionnels missionnés pour assurer leur bien être
dans toutes ses dimensions.

Elle n’est en rien un risque en soi, ce qui explique notre
rejet de l’assurantiel, mais un état qui justifie la mise en
oeuvre de moyens et d’expertises divers pour assurer à
la personne humaine la poursuite de son existence dans
la dignité, à partir d’un développement des solidarités
ainsi que des financements et des accompagnements
collectifs nécessaires.
Quel état des lieux actuel ?
La perte d’autonomie totale ou partielle renvoie à 3
situations distinctes : grand âge (1,3 million), handicap
(700 000) et invalidité (600 000), donc 3 populations
distinctes et 3 origines distinctes, même si une personne
peut passer d’une situation à une autre.

Elle est traitée principalement de 3 manières : prise en
charge médicale et médico-sociale, prestation/indemnisation
de compensation (entre autres : APA, PCH et
rente ou capital) et politique d’ordre « sociétal » (accessibilités,
conditions d’emploi et de travail…).

Il y a 3 acteurs principaux : les organismes sociaux,
les collectivités locales et leurs services publics, et les
acteurs privés (assurantiels et médico-sociaux).

Et pour financer tout cela, il y a 2 modalités de financement
:
 financement socialisé qui recouvre sécurité sociale,
fiscalités (nationale et locale), travail gratuit, le « reste à
charge » c’est-à-dire le financement direct par les familles ;
 le financement dit contractualisé : mutuelles ou
assurances privées individuelles ou collectives.

Le point sur le financement actuel
22 milliards en 2010 seront consacrés à la dépendance,
soit 1,1 % du PIB qui se répartit :
– pour la Sécurité sociale, 13,45 milliards dont pour
l’Assurance-maladie 11 milliards ;
– pour les départements qui financent l’APA et certaines
aides à domicile, 6,1 milliards d’euros ;
– les financements gérés par le CNSA, 3 milliards, issus
de la Contribution Sociale Autonomie et de la CSG.

Un magot pour l’assurantiel !

En 2008, la Fédération française des sociétés d’assurance
comptait 2 007 600 assurés versant 387,6 mil
lions d’euros de cotisations (au titre d’un contrat
pour lequel la dépendance est la garantie principale)
et versait 112,4 millions d’euros de rente (différence :
275,2 millions d’euros).
En 2009, 2 024 200 assurés versaient 403,1 millions
d’euros de cotisations pour 127,7 millions d’euros de
rente versée (différence : 275,4 millions d’euros).
Le rejet du « 5e risque » proposé par le
pouvoir
Actuellement il existe 4 branches dans la Sécurité sociale
: maladie, vieillesse, famille, AT-MP (accidents du
travail-maladies professionnelles) et une branche pour
le recouvrement des cotisations.

La branche maladie a vocation à couvrir 2 risques de
perte de revenus d’activité : un risque lié à la « maladie »
et un risque lié à la « maternité ».

Surfant sur les attentes des associations appelant à
une meilleure prise en charge des personnes en perte
d’autonomie, la droite avance le concept de « 5e risque
» pour la sécurité sociale : « le risque dépendance ».

Cette fausse bonne idée ne correspond pourtant à rien
de l’architecture actuelle de la sécurité sociale, qui
couvre déjà 9 « risques sociaux » : maladie, maternité,
accident du travail, maladie professionnelle, vieillesse,
décès, invalidité, famille et précarité, répartis dans les
4 branches prestataires de la sécurité sociale. En réalité,
ce concept de « 5e risque » organise une confusion
sémantique travaillée par la droite, ses parlementaires,
et le patronat, qui voudrait laisser croire que la perte
d’autonomie est assurable globalement et à part entière,
au même titre que n’importe quel risque classique
par le secteur assurantiel privé. Ce qui n’est pas le cas
aujourd’hui puisque les financements et prestations de
la dépendance liées à l’âge viennent essentiellement de
la sécurité sociale et des départements.

C’est pourquoi nous rejetons ce concept de « 5e risque »
dont l’unique raison est, en isolant les recettes, de le faire
financer par des complémentaires, en particulier les assurances
privées. Nous considérons que la perte d’autonomie
ne doit pas caractériser une partie de la population. Nous
refusons d’ouvrir une nouvelle part de marché potentiel
pour les profits des sociétés assurantielles.
 

La 5e branche de prestation ?

Nous refusons un nouveau découpage de la sécurité
sociale qui conduirait à une rupture supplémentaire
de l’unité de la sécurité sociale. Une branche de plus
dans la sécurité sociale ou dans l’assurance maladie
affaiblirait la protection sociale solidaire en fragilisant
la base de son financement socialisé. Il est clair que le
pouvoir n’attend que cela pour ouvrir ce financement
au monde financier et assurantiel. Ce serait l’éclatement
de la sécurité sociale.

En outre, cette nouvelle branche aurait un objet actuellement
en partie couvert par l’assurance maladie ce
qui entraînerait un « siphonage » partiel de l’assurance
maladie par cette nouvelle branche. Elle contribuerait
ainsi à affaiblir la branche maladie et à ouvrir plus grand
encore la porte aux complémentaires.

Au contraire, nous affirmons l’universalité de l’assurance
maladie, nous voulons la renforcer et y intégrer
la réponse aux besoins de la perte d’autonomie.

Plusieurs pistes de propositions
L’enjeu d’une vraie politique publique de la prise en
charge de la perte d’autonomie est au coeur du débat.

Cette politique publique doit articuler prévention,
dépistage et prise en charge solidaire.

La prévention passe par le développement notamment
des vertus protectrices de l’activité physique ou intellectuelle,
de l’intégration sociale, d’une alimentation
équilibrée. Cela renvoie aussi au rôle social des personnes
profondément nié dans notre société dominée
par la rentabilité. La prévention passe aussi par le
remboursement à 100 % par l’assurance maladie des
dépenses de santé notamment les prothèses dentaires,
auditives et des lunettes.

La politique publique passe par un développement
important et novateur des services publics nationaux répondant
à la perte d’autonomie et leur réelle et efficace
coordination afin de répondre aux nouveaux besoins.

Nous proposons au niveau départemental un pôle
public de « l’autonomie », s’appuyant sur le développement
des services publics, services publics existants
mais surtout nouveau service public ; nous pensons
notamment à tous les aspects d’aides (repas, toilettes,
mobilisations, etc.) mais aussi aux équipements et
aménagements des logements, aux transports, etc..

Le pôle public doit ainsi permettre une synergie entre
les services publics ainsi développés et créés, leur
coordination, interne et externe, notamment entre les
nouveaux services publics du handicap et celui des
personnes âgées. Ceux-ci ci regrouperaient les services
publics à créer pour favoriser la promotion des activités
sociales des personnes âgées et des personnes en
situation de handicap. Cette synergie doit permettre
d’améliorer les démarches administratives pour les
personne ou les aidants.

Le processus d’autonomisation vise à se libérer d’un état
de sujétion, à acquérir la capacité d’user de la plénitude
de ses droits, de s’affranchir d’une dépendance d’ordre
social, moral ou intellectuel.

Il s’agit non pas seulement d’indemniser les personnes
ou d’accompagner leur trajectoire de vie, mais aussi et
surtout de créer les conditions économiques et sociales
de l’autonomisation des personnes tout au long de leur
vie et de la solidarisation de tous les âges et cycles de vie
ainsi que de tous les acteurs humains. Cela implique
de se donner les moyens d’intervenir sur les conditions
d’emploi et de travail, sur les conditions de la recherche
médicale et de la prise en charge médicale et médicosociale,
de la recherche en général, sur les politiques
nationales et locales d’urbanisme et de transport, etc.

Cette problématique s’inscrit dans un
nouveau projet de civilisation

Il faut rappeler que l’autonomisation de la personne
humaine est un objectif social central de nos sociétés
développées, qui s’inscrit pour nous dans le cadre de
la solidarité. Il vise l’objectif d’Hommes libres et égaux
en société quelle que soit leur nature, capables de se
choisir individuellement et collectivement un avenir
respectueux de la dignité de chacun. Il s’inscrit dans
le développement des principes de la Sécurité sociale
de 1945 tout en les renouvelant et les réformant en
profondeur avec notamment la prise en charge de ce
nouveau besoin qu’est la perte d’autonomie ainsi que
ceux entraînés par la perte d’autonomie.

Au-delà, la création d’une véritable coordination des
politiques publiques de l’autonomisation des personnes
devra être mise en place avec un contrôle démocratique
: État, collectivités territoriales, organisations
syndicales, associations des usagers. L’enjeu de cette
coordination démocratique consistera à travailler à
l’amélioration du niveau de la prise en charge des
personnes en perte d’autonomie, amélioration tant
pécuniaire de leur indemnisation que de la qualité de
la prise en charge. Cela suppose d’assurer à l’échelle
nationale une indépendance totale et des critères indiscutables
aux procédures de détermination du niveau
de perte d’autonomie, et d’engager une vaste politique
de formation, de professionnalisation et de création
en nombre d’emplois qualifiés des services d’aide à la
personne, en partenariat avec le monde associatif. Et
– pourquoi pas ? – intégrer dans le cadre de la Fonction
publique territoriale ces associations dans un cadre
juridique nouveau à inventer – sans exonérer l’État
de ses responsabilités financières et de maintien d’une
solidarité interdépartementale. Nous proposons une
structuration nationale des pôles publics départementaux
dans une forme à définir afin de garantir une maîtrise
nationale et une égalité sur le territoire national.

Pourquoi pas un ministère de l’Autonomie ?
À notre avis, un accompagnement des aidants (qui
sont souvent des aidantes) est légitime. Notre volonté
de privilégier le maintien à domicile volontaire accompagné
et assisté est complémentaire avec la nécessité
d’assurer une bonne couverture territoriale passant par
un développement sans précédent en établissements
publics pour personnes en perte d’autonomie quelle
qu’en soit la raison.

Il s’agit de développer considérablement les équipements,
tant au domicile que dans les institutions, les
EHPAD notamment, l’éventail des formules d’accueil,
de veiller à l’accès aux services spécialisés médicaux ou
autres et surtout de mettre en oeuvre un plan de formation
ambitieux et dans la durée des personnels médicaux et paramédicaux.

Le maillage du territoire par le service public
hospitalier est aussi un gage d’égalité en terme de réponse
aux besoins pour les personnes en perte d’autonomie.
Il faut augmenter le taux d’encadrement en personnels
qualifiés des structures publiques pour arriver à un ratio
d’au moins un personnel par personne accueillie.
 

Le point central du financement
Ce choix d’une politique d’autonomisation de qualité
induit la nécessité d'un financement pérenne assis sur
un prélèvement sur les richesses produites par le pays.
C’est pourquoi nous posons le double impératif, d’une
part, d’un financement rénové, solidaire et socialement
efficace par la sécurité sociale pour la prise en charge
de la perte d'autonomie et, d'autre part, la nécessité
d’un financement d’état réformé des services publics
associés à cette prise en charge.

Pour la sécurité sociale, nous proposons une réforme de
progrès qui s’appuierait sur le développement de l’emploi et
l’augmentation des salaires avec une modulation du taux de
cotisations sociales patronales encourageant les entreprises
s'inscrivant dans cet objectif et pénalisant celles qui réduisent
la part de la masse salariale dans leur valeur ajoutée.

Concernant les personnes en situation de handicap,
nous proposons une taxe prélevée à la source pour
les employeurs qui ne respectent pas la loi, prenant
la forme pour ces entreprises d’une majoration de
cotisations sociales. La loi sur l’emploi des personnes
handicapées est mal appliquée et insuffisante.
Il faut aussi affecter à la perte d’autonomie une partie de
la contribution supplémentaire que nous voulons créer
sur les revenus financiers des entreprises, des banques et
assurances ainsi que sur les ménages les plus riches. Rappelons
que cette contribution permettrait de dégager sur
les profits 2009, 39,9 milliards pour l’assurance maladie,
25,3 pour la retraite et 16,4 pour la famille.
Ceci permettrait de compenser dans l’immédiat les
besoins nouveaux et cela contribuerait à réorienter
l’activité économique vers la production de richesses
réelles non spéculatives.

Pour le financement public d’état, nous proposons de
le fonder sur une dotation spécifique de compensation
allouée aux départements indexée sur leur dépense annuelle
réelle en la matière. Cela passe nécessairement
par une réforme d'efficacité, juste et progressive, de
notre fiscalité nationale et locale, en particulier de la taxe
professionnelle, afin de répartir équitablement l’effort
contributif des ménages et d’équilibrer la contribution
des entreprises. Cette réforme porte en elle la suppression
progressive de la CSG et le renforcement de la contribution
fiscale des hauts revenus. Enfin, cette refondation
fiscale renvoie aussi à une autre conception de l'Europe,
de sa monnaie et de la Banque centrale européenne, pour
développer les services publics. Nous sommes clairement
opposés aux mesures qui sont avancées actuellement
comme l’assurance obligatoire, le second comme le premier
jour de travail gratuit, l’augmentation de la CSG
des retraités, l’étranglement des finances des conseils généraux,
une refondation du paritarisme comme l’avance Nicolas Sarkozy, ce qui préfigure la remise en cause de
la sécurité sociale solidaire.

Ce ne sont que des premières propositions. Elles
ont la volonté de positionner la problématique de la
perte d’autonomie sur un autre terrain que celui de la
seule prise en charge financière des personnes en perte
d’autonomie, qui est celui de leur intégration et leur
intervention à égalité de chacun dans la société. Cela
évite les écueils de discussions relatives à la référence à
l’âge, aux critères de définition de la dépendance... Cela
permet de remettre en avant nos propositions, en reformulant
la problématique de la perte d’autonomie non
sous l’angle strict d’une politique d’accompagnement
financier mais sous celui d’un choix de société face à
celui du pouvoir. Cela impose un travail sur l’avenir
de la sécurité sociale et sa modernisation par rapport
à la société de demain, en rupture avec les plans du
pouvoir et du Medef visant le démantèlement de la
Sécurité sociale. De plus, nos propositions ouvrent sur
une perspective de concertation et d’intervention de
l’ensemble des acteurs (organisations syndicales, associations,
élus) de la prise en charge actuelle de la perte
d’autonomie ce qui pose aussi la question de nouveaux
droits à conquérir pour ces acteurs. 
(1) Animateur de la commission nationale « Santé, protection sociale
» du PCF.

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